
Contrairement à ce que l’on pourrait craindre, a priori, ce llivre du médiatique professeur Raoult n’évoque nullement la controverse pour le moins clivante que nous avons connue au printemps 2020 autour de la chloroquine et de la crise sanitaire actuelle. Il s’agit plutôt pour lui, après quelques pages autobiographiques où transparaissent sa curiosité intellectuelle, son esprit de contradiction, et son goût pour la philosophie et la littérature, de nous livrer une vaste réflexion sur les conditions nécessaires de la recherche scientifique et sur les acquis de la biologie moderne.
Didier Raoult est microbiologiste et infectiologue. Il est notamment le créateur de la paléo microbiologie avec ses recherches sur la peste. C’est aussi le découvreur des virus géants, qui constituent véritablement un quatrième domaine du vivant. Mais il est aussi épistémologue, philosophe des sciences. Il a écrit ce livre afin d’expliquer la démarche scientifique qu’il conviendrait, selon lui, d’adopter au XXIe siècle.
Le chercheur marseillais s’inscrit avant tout dans la ligne de Francis Bacon, le créateur de l’empirisme, dont les catégories latines définies en 1620 dans le Novum Organum lui servent aujourd’hui pour nommer les maux épistémologistes qu’il s’agit de combattre et qui font l’objet des premiers chapitres du livre.
Le premier écueil rencontré sur le chemin de la connaissance scientifique est celui d’une simplification excessive de la réalité. Ainsi, la dichotomie, qui divise le monde en deux, est intrinsèque à notre propre symétrie (gauche/droite). Elle conduit à une pensée tout aussi dichotomique (blanc/noir ; chaud/froid) aussi commune qu’inexacte. Cet abus dichotomique s’applique à la médecine (le « normal » est opposé au « pathologique ») au risque de simplifier excessivement la réalité et conduit notamment à la notion de seuil, laquelle en biologie constitue pour Raoult une « notion insensée ». En effet, par définition, les êtres biologiques sont hétérogènes. À la différence de la physique, il est difficile en biologie de trouver un niveau précis à partir duquel les choses changent. L’efficacité d’un médicament, telle qu’elle est évaluée dans les études scientifiques, n’est ainsi pas la même que celle observée par les médecins au quotidien, chez leurs patients. On « touche ici, nous explique-t-il, à la limite de l’empirisme et de la chimie, ce qui témoigne que la médecine reste, en partie, et malgré la puissance de l’évolution scientifique, un art ».
L’intentionnalité est un autre écueil à la connaissance scientifique : « nous voyons le monde plein d’intentions, qu’elles soient divines, humaines, conscientes ou inconscientes, alors que le monde biologique tel que nous le connaissons actuellement apparaît plutôt sans intention, plein de hasards et de tâtonnements ». Raoult dénonce ainsi « l’idole du pourquoi », qui découle du fait que nous possédons une tendance naturelle à croire que les événements sont prévisibles, que le monde a un sens et suit une intention générale.
Ceci nous conduit au « problème des consensus pseudoscientifiques : l’opinion majoritaire finit par être considérée comme de la science, alors qu’elle ne représente que l’opinion majoritaire ». Pour Didier Raoult, « il n’est pas raisonnable de penser que les humains puissent être d’accord ». Ainsi, il ne croit pas au consensus scientifique et considère que « quand les choses sont démontrées tout le monde les admet et, tant qu’elles ne sont pas démontrées, chacun est libre de penser ce qu’il veut ». Ainsi, quand il s’agit de connaissances, le consensus n’a pas de signification. « Je préfère être du côté du savoir, tout en connaissant ses limites dans le temps et dans l’espace, que du côté de l’accord qui remplace le savoir », conclut-il. Le scientifique doit savoir dire le cas échéant : « Je ne sais pas » (« la conscience de l’ignorance que nous avons d’un certain nombre de choses nous laisse la liberté d’agir, d’organiser nos vies et nos pensées et d’empêcher qu’on nous contraigne »).
Très critique à l’égard du Big Data (« Nous vivons un moment compliqué où nous voyons passer sous nos yeux des milliards de données et pas beaucoup de pensées »), Raoult est aussi hostile à l’égard de toutes les tentatives de modélisation du réel, en considérant que la rapidité avec laquelle nous acquérons de nouvelles données fait que nous sommes dans « une grande période de déstabilisation des connaissances ». On assiste ainsi à une discordance permanente entre les prévisions épidémiologiques et la réalité.
Pour le professeur marseillais, cette question n’est pas neutre sur le plan idéologique car, nous explique-t-il dans un chapitre intitulé « Mythes, modes et ignorance en médecine », « notre ignorance permettra (tant qu’elle ne sera pas comblée) d’établir des hypothèses toujours plus en adéquation avec les terreurs sociétales de l’instant. Ainsi nos principales craintes du moment étant environnementales, pollution, produits chimiques et alimentation sont considérés responsables de tout ce que nous ignorons ».
Cela le conduit à dénoncer ce qu’il appelle le « cauchemar sécuritaire » et à considérer que « la traçabilité de nos vies est supérieure à celle que redoutait George Orwell ». Ainsi, « pour notre bien et pour nous rendre conforme à ce qu’attendent les idéologies sécuritaires dominantes, les législateurs, en France et partout dans le monde, multiplient les contrôles et les règlements de notre vie personnelle jusqu’à un point qui en devient terrifiant ». Les mesures dites de sécurité concernent en réalité des « fantasmes ou des risques anecdotiques, statistiquement insignifiants ». C’est notamment le cas des piscines privées et des ascenseurs qui ne sont finalement responsables que de quelques accidents chaque année. Didier Raoult dénonce ainsi un État qui devient « de plus en plus dictatorial » dans le domaine de la santé. Il cite notamment le cas du vaccin, inutile, contre la grippe aviaire H5N1, qui fut imposé en 2009 pour une maladie qui n’a jamais existé chez l’homme...
Le présent ouvrage, sorti en septembre 2020, n’aborde pas le cas de la vaccination contre la Covid-19 qui est devenue, depuis quelques mois, objet de violentes controverses. Sans prendre parti sur ce sujet précis, Raoult se contente de mentionner que « la vaccination est devenue un sujet de luttes passionnelles entre pro et anti-vaccins » et mentionne simplement le cas de la vaccination contre l’Hépatite B qui a été quasiment abandonnée par crainte d’un risque d’apparition de sclérose en plaque, lequel n’a jamais été démontré par des statistiques. Il évoque toutefois plus loin un cas de « chimérisme » qui pourrait apporter du grain à moudre aux opposants aux vaccins à ARN : certains virus, c’est le cas de celui de l’Herpès 6, se retrouvent dans le génome des enfants dont les mères ont été infectées.
La suite de l’ouvrage est consacrée à des considérations tout à fait intéressantes sur les derniers acquis de la biologie et sur les limites de la théorie de Darwin.
Ainsi, déjà beaucoup de formes de vie (la vie étant définie comme « tout ce qui est susceptible de coder et de transporter de l’information ») ont disparu et nous vivons le cycle d’une forme de vie cellulaire qui aura son temps et qui disparaîtra peut-être demain si les conditions environnementales changent. On considère, en effet aujourd’hui, qu’il existe quatre niveaux du vivant, quatre mondes qui se rencontrent ponctuellement, mais qui vivent indépendamment : les organismes visibles ; les microbes ; les gènes ; l’ARN. Raoult admet toutefois que cette idée de mondes différents qui coexistent est beaucoup plus présente dans la littérature de science-fiction que dans les théories scientifiques officielles. « Cela est peut-être lié au fait qu’il existe une censure plus importante dans le monde scientifique que dans le monde littéraire », donne-t-il comme explication.
Le professeur Raoult évoque également la question des bactéries résistances aux antibiotiques. Cette question n’est pas évidente. Si les antibiotiques favorisent certainement la sélection des bactéries qui leurs sont résistantes, les raisons mêmes de l’émergence de ces résistances restent inconnues. Ainsi, on a même trouvé des bactéries résistantes aux antibiotiques dans le corps d’un mammouth conservé dans la glace, ce qui montre que la résistance aux antibiotiques existait avant l’usage des antibiotiques ! Ce n’est donc pas l’usage des antibiotiques qui a créé cette résistance. De même, les « réservoirs de microbes » sont souvent extérieurs à l’homme. Le staphylocoque doré vient des élevages de porcs, le pneumocoque se développe dans les amibes. Les pathogènes humains se trouvent souvent dans l’environnement extérieur. Ce sont là des découvertes récentes.
Enfin, dernier apport du livre, dans un chapitre intitulé « Les Sept erreurs de Darwin », Raoult relativise quelque peu l’apport de Charles Darwin à la théorie de l’évolution. Pour lui, Darwin n’est qu’un « redécouvreur partiel de la sélection naturelle de l’évolution », car on la trouve aussi chez Héraclite, Démocrite, Épicure et Lucrèce. Il considère la vision de Darwin comme une vision « parcimonieuse », « avare » de la nature. En effet, Raoult croit au contraire que « la nature n’arrête pas de créer, de recréer les structures et les fonctions plusieurs fois. ». La créativité de la nature est considérable et elle réinvente plusieurs fois les mêmes choses, qui peuvent donc avoir une origine différente. Pour Raoult, on est proche ici de ce que Nietzsche entendait par « l’éternel retour »...
Les conceptions du Français Lamarck lui semblent plus pertinentes. Mais « les Français, comme souvent [nous explique-t-il] ont étouffé le génie créatif et les théories de Jean-Baptiste de Lamarck (du fait de l’Académie), tandis que les Britanniques, toujours fascinés par l’originalité et la différence, ont pérennisé les théories de Charles Darwin ». Rappelons que pour Lamarck certains caractères acquis pouvaient être transmis, alors que Darwin estimait que tous les caractères visibles étaient hérités des parents. Actuellement, la science fait une part aux deux. En réalité, les deux mécanismes, darwinien et lamarckien, existent ainsi en même temps.
L’un des dangers de l’évolution réside dans la spécialisation trop forte d’une espèce. Cette spécialisation équivaut à une perte de diversité qui empêche l’adaptation à une nouvelle circonstance environnementale : « être spécialisé, c’est être incapable de faire face à un changement d’écosystème rapide ». « Toute spécialisation comporte donc un arrêt de mort en perspective », conclut Raoult.
Qu’en est-il finalement de l’avenir de la recherche scientifique ? Didier Raoult avoue que, pour lui, l’évolution de la recherche et spécifiquement de la recherche française, est préoccupante. Mais une note d’espoir conclut cette grande leçon d’épistémologie appliquée, si l’on considère que « la science a plus progressé par des découvertes inattendues que par des améliorations programmées. ». Nous sommes ainsi seulement au tout début des recherches sur l’ARN qui va certainement nous apporter de très grandes surprises dans l’avenir. Finalement, « le XXIe siècle sera le siècle de la complexité ». ♦