C’est autour de la production et du contrôle de la nourriture que se sont originellement organisés tous les groupes humains, à travers les tabous alimentaires, les périodes de jeûne, les rituels culinaires ou les rites d’abattage. Les denrées alimentaires sont évidemment choisies en fonction de leur disponibilité et de critères économiques, mais aussi selon « des raisonnements diététiques et des références symboliques propres à une culture et à un milieu social ». L’acte de manger (et de boire) est ainsi un « fait social total » pour reprendre le concept de Marcel Mauss. Cette nouvelle Histoire de l’alimentation, s’inscrit donc dans les pas d’une histoire culturelle redevable aux apports des autres sciences humaines et sociales. Ce livre richement illustré ouvre une nouvelle collection chez Belin, intitulée « Références » et qui portera sur « des thématiques historiques majeures inscrites dans la longue durée ».
Œuvre collective où interviennent les meilleurs historiens du domaine, ce gros livre de 800 pages nous raconte ainsi comment « se construisent, se transmettent et se modifient des cultures alimentaires sur la longue durée, de la Préhistoire à nos jours ». Il y sera essentiellement question de l’Europe de l’Ouest, de la Méditerranée et du Proche-Orient.
Il serait vain de résumer ici un ouvrage d’une telle densité, aussi nous n’évoquerons que quelques points saillants de cette somme.
Le récit débute naturellement au Paléolithique où l’alimentation humaine se concentre sur les pachydermes (hippopotames, rhinocéros, mammouths, éléphants antiques) qu’il n’est évidemment pas question de chasser directement. Il s’agit donc essentiellement d’une activité de charognage ou de piégeage. La chasse aux petits animaux viendra plus tard. L’ouvrage évoque ensuite la diffusion des animaux domestiques dans l’Europe du Néolithique à partir du Proche-Orient (de 8500 à 3600 avant notre ère).
Notons que ce volume s’intéresse également à la boisson, souvent inséparable de la nourriture. On y apprend ainsi que dans l’actuelle Syrie du Nord, au XVIIIe siècle avant notre ère, les archives déjà découvertes distinguent trois qualités de bières selon la quantité d’orge utilisée, ou que les Romains consommaient des vins ayant déjà cinq à six ans. L’ouvrage évoque également d’ailleurs à cet égard quelques « grands crus » romains dont une carte nous montre les zones d’implantation.
Sont abordés notamment ensuite la naissance de la diététique chez les Grecs, les conseils donnés par Hippocrate, les banquets de Grèce ou de Rome, leur sens et leur déroulement, la politique alimentaire des cités romaines (le livre donne même quelques recettes de cuisine romaines), les interdits et régulations issus du christianisme, le commerce du vin au Moyen Âge, l’histoire des céréales (l’épeautre, trop difficile à décortiquer, disparaît progressivement au Xe siècle, au profit du froment et du seigle), la diffusion de la culture culinaire française aux XVIIe et XVIIIe siècles…
Mentionnons également une histoire du sucre, et une histoire des épices. On y apprend notamment que le haut Moyen Âge est largement sevré du goût sucré. Quelques siècles plus tard, la valeur marchande du miel devient par contre très importante (en Saxe, au Xe siècle, un demi-litre de miel se vend le même prix qu’une vache).
À noter également une très intéressante histoire du chocolat (celui-ci arrive à Séville en 1580). Du point de vue du droit canon, on considère que sa consommation ne rompt pas le jeûne eucharistique.
Dans le domaine de la culture matérielle lié à l’alimentation, selon les auteurs la fourchette (à deux dents) serait née à Byzance au Xe siècle, même si des objets comparables et un peu plus anciens sont déjà connus en Perse et dans le monde arabe, ou parfois même dans l’Antiquité.
Les aspects militaires de l’alimentation ne sont aucunement oubliés dans ce volume. Comme on le sait, parfois la faim devient une arme. Parfois officiellement. En 1907-1908, la Grande-Bretagne révise ainsi son Code naval pour autoriser l’attaque de navires neutres soupçonnés de ravitailler l’ennemi.
Finissons sur une note plus légère, toujours dans le domaine militaire. On ignore souvent qu’avant de désigner des courriels non sollicités, le terme « spam » se référait à une marque américaine de conserves militaires distribuées aux GIs pendant la Seconde Guerre mondiale. Le terme est resté et a été repris dans les années 1980, dans un tout autre domaine… ♦