« En étudiant des cas particuliers, on peut atteindre l’universel. » Jean Verdon applique cette maxime scolastique à son domaine d’étude, le Moyen Âge, et remet en question, chemin faisant, une cinquantaine de lieux communs relatifs à cette période. Nous n’en évoquerons ici, bien évidemment, que quelques-uns. La vie quotidienne tout d’abord. La nourriture est, comme on s’en doute, répartie de façon inégalitaire dans la société de l’époque. Si les milieux aisés et les ecclésiastiques bénéficiaient de plus de 5 000 calories par jour, le petit peuple se contente quant à lui de pain et de légumes. Par contre, le vin et la vigne sont omniprésents. La consommation moyenne quotidienne de vin s’élève à deux litres. Elle concerne d’ailleurs les hommes comme les femmes ! La ration quotidienne de vin allouée aux religieuses du monastère de La Celle s’élève ainsi à 1,40 litre. Au niveau micro-économique, pour la population, le vin représente finalement le poste de dépenses le plus important.
Sur le plan social justement, le Moyen Âge obéit à la division traditionnelle de la société en trois classes. Adalbéron, évêque de Laon, et Gérard, évêque de Cambrai, écrivent ainsi dans la première moitié du XIe siècle : « Ici-bas, les uns prient, d’autres combattent, d’autre encore travaillent. » Aux XIVe et XVe siècles par contre, la société est déjà en pleine mutation et ces trois catégories sont loin d’être étanches. L’auteur nous rappelle opportunément que l’expression « noblesse de robe » n’existe pas avant 1500.
Au haut Moyen Âge, la cérémonie du mariage est encore soumise à l’influence du droit romain (avec la nécessité d’un libre consentement), mais aussi à des pratiques germaniques quant à la forme. À côté de la Muntehe, qui est la forme préférée par l’Église, subsiste encore la Friedenlehe (« mariage de paix »), considérée comme tout aussi légitime. Cette dernière institution permet notamment la polygamie des nobles. Un certain nombre de prêtres, et d’évêques, sont mariés et ont des enfants. Au XIe siècle, les évêques de Quimper et de Rennes réussissent même à transmettre leurs évêchés à leurs fils respectifs, et ce pendant plusieurs générations, constituant ainsi de véritables lignées de prélats. Les choses changeront peu à peu avec la réforme grégorienne.
L’auteur aborde ensuite la question de l’« amour courtois » avant d’évoquer l’accès à la culture puis la question de la procédure pénale.
La culture et l’éducation sont limitées d’abord aux abbayes, avant la création des universités, dont Verdon nous décrit avec précision le mode de fonctionnement. Les voyages d’étude des étudiants entre les différentes universités européennes aboutissent ainsi à la mise en place d’un véritable « programme Erasmus » avant la lettre.
Sur le plan judiciaire, la question des ordalies (« jugements de Dieu ») a fait couler beaucoup d’encre. Contrairement à l’image que l’on en a aujourd’hui, « l’ordalie n’était pas tentée contre l’évidence, ni à tout bout de champ. Elle n’était qu’un recours après l’échec de démarches plus argumentatives, moins graves, tels le débat par témoins ou autres écrits » (Dominique Barthélémy). Les ordalies sont finalement condamnées par l’Église lors du concile de Latran IV en 1215. À la différence des périodes antérieures, aux XIVe et XVe siècles, « la quête de la vérité sous-tend la justice et la vérité a besoin d’être dite, soit par l’aveu, soit par la lettre de rémission » (Claude Gauvard).
La place de la religion dans la société est également évoquée par l’auteur, à travers les « fêtes des Fous » et la division traditionnelle de la journée. Les « fêtes des Fous », qui prenaient place souvent dans les lieux de culte, sont souvent interdites par l’Église, mais elles gardent leur vigueur jusqu’à la fin du Moyen Âge. « C’est seulement au XVIe siècle [nous rappelle Jean Verdon] que la notion de sacré s’impose vraiment avec la Contre-Réforme et que la fête des Fous s’estompe pour laisser la place à d’autres formes de comique, essentiellement profane. »
Le « temps de l’Église » qui correspond à des jours de 24 heures de durée inégale, car dépendant du soleil (plus longues en été, plus courtes en hiver) est remplacé peu à peu par le « temps du marchand » (Le Goff) divisé en 24 heures de durée égale, grâce à l’apparition en 1300 (à Paris) de la première horloge publique.
Ce nouveau volume consacré à une période un peu négligée en ce moment sur le plan historiographique constitue une utile mise au point sous la forme de courts chapitres abordables par le non-spécialiste. ♦