La guerre d’Indochine est une guerre longue (plus de neuf années) qui se déroule à 12 000 kilomètres de la métropole dans des conditions climatiques, topographiques et humaines souvent difficiles. Elle repose sur le Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (CEFEO) aux moyens chichement limités par tous les gouvernements qui se succèdent au pouvoir depuis 1945. Il existait déjà deux dictionnaires s’intéressant à la guerre d’Indochine, mais leurs ambitions étaient beaucoup plus modestes que celui-ci. Ce gros ouvrage (plus de 1 000 pages) est l’œuvre d’une cinquantaine de chercheurs, civils et militaires, qui ont en commun d’être, chacun dans son domaine de compétence, des spécialistes de ce conflit quelque peu oublié aujourd’hui. Leur ambition ici est de faire véritablement œuvre scientifique en rassemblant en un seul volume toutes les connaissances les plus récentes sur un thème dont l’historiographie a largement évolué depuis une vingtaine d’années.
Leur travail aboutit à une impressionnante somme de plus de 900 entrées principales qui traitent de l’ensemble des thèmes nous permettant de comprendre cette guerre et d’en approfondir notre compréhension. Des notices à caractère technique en côtoient ainsi d’autres qui explicitent des aspects tactiques, opératifs ou stratégiques de la guerre d’Indochine. Ces aspects sont d’autant plus importants que sur le terrain le conflit se joue à une échelle très différente du précédent. À la différence de la Seconde Guerre mondiale où ce sont les divisions qui constituent le pion de manœuvre, en Indochine ce sont les bataillons, et plus particulièrement des bataillons de marche. En 1953, on y compte ainsi 164 bataillons d’infanterie, dont 12 parachutistes et 70 fournis par les États associés. La stratégie des bases aéroterrestres est aussi une innovation de cette époque. Elle s’appuie sur la réussite de l’opération de Na San (1952) et semble alors la meilleure réponse possible à la progression des soldats de Giap.
On relève également le développement de la guerre électronique (interception radio et brouillage), domaine où paradoxalement les deux belligérants sont à peu près au même niveau.
Sur le plan stratégique les auteurs démontent la légende d’un prétendu projet américain de fournir des armes nucléaires à la France au moment de la bataille de Diên Biên Phu. Par contre, d’importantes livraisons d’armes américaines eurent lieu à partir de 1951 dans le cadre du Mutual Defense Assistance Program (MDAP). Près de 300 navires déchargèrent en moins de trois ans 350 avions, 880 blindés, 13 000 véhicules, 100 000 armes automatiques, 11 millions d’obus et 170 millions de cartouches. On partait toutefois d’un niveau si bas que la guerre d’Indochine demeura néanmoins jusqu’à la fin, aux yeux des membres du CEFEO, une « guerre de pauvres ».
Ce dictionnaire comprend aussi des notices d’ordre culturel (on relève d’intéressantes notices sur le sabir franco-vietnamien, sur la toponymie vietnamienne et sur la musique militaire) ou littéraire, ainsi qu’un certain nombre de biographies succinctes de responsables politiques et militaires des deux bords (qui n’oublient pas les grandes figures du conflit : de Lattre, Jean Pierre, Mattei, Vanuxem, Vandenberghe, et tant d’autres.) Un accent particulier ayant été mis sur les principaux mouvements politiques ou personnalités vietnamiens. Le contexte international n’est pas non plus oublié.
Gageons que nous tenons enfin avec ce dictionnaire, qui constitue certainement l’événement éditorial de la rentrée dans le domaine de l’histoire militaire, la référence majeure sur ce conflit hélas oublié, mais dont les enseignements et les acquis restent extrêmement formateurs pour nos armées. ♦