Paris est « le cœur – au moins politique et symbolique – du système de défense de la nation », nous explique Marc Ambroise-Rendu qui évoque dans son ouvrage la vie dans la capitale en guerre, de l’attentat de Sarajevo à la signature du traité de Versailles. Le début est connu. Jean Jaurès est assassiné le 31 juillet 1914 au soir par Raoul Villain, un étudiant nationaliste de vingt-neuf ans qui sera acquitté en 1919. Le lendemain la mobilisation générale est ordonnée pour le 2 août. L’exode des Parisiens commence vers la province. Les collections du Louvre sont évacuées à Toulouse. Le gouvernement part à Bordeaux.
Gallieni est nommé gouverneur de Paris le 26 août. L’état de siège est proclamé. Il ne sera levé qu’en 1919. La sécurité intérieure est confiée ipso facto à l’armée. Un certain nombre de crimes et de délits sont désormais de la compétence des Conseils de guerre. La censure est alors mise en place. Les Parisiens ne peuvent plus voyager à plus de 150 kilomètres de la capitale sans autorisation.
L’évolution de la répartition du pouvoir entre civils et militaires au début de la guerre est un sujet intéressant et peu analysé par ailleurs, ce qui confère un grand intérêt aux commentaires de l’auteur sur ce point. Il nous fait ainsi remarquer que les différents GQG de Joffre en 1914 sont tous situés en moyenne à 180 kilomètres de Paris et dans de petites localités sans infrastructures (successivement Vitry-le-François, Bar-sur-Aube, Châtillon-sur-Seine, Romilly-sur-Seine et enfin Chantilly). « Tout se passe, pour Marc Ambroise-Rendu, comme si le général tenait, en les privant d’accueil hôtelier à décourager les visiteurs, à écarter toute curiosité précédant une reprise en main politique ». À partir de la mi-septembre, tout auréolé par la victoire de la Marne, Joffre commande seul. Il n’accepte finalement de se rapprocher de la capitale (Chantilly) que sous la pression de la classe politique. Les politiques ne reprendront, peu à peu, les rênes qu’en rentrant de leur exil à Bordeaux fin décembre 1914. En 1918, Clemenceau personnifiera l’aboutissement de ce processus de reprise en main de la guerre par les civils.
L’auteur aborde ensuite la question des défenses de Paris à travers l’histoire des fortifications de la capitale depuis l’enceinte de Thiers, dont l’efficacité a été démontrée en 1870, avant d’évoquer les forts Séré de Rivière et l’action des troupes du camp retranché pendant la bataille de la Marne.
Un chapitre entier du livre est consacré aux différents épisodes de bombardement de Paris. La première action a lieu le 30 août 1914 par un petit appareil allemand, un Taube. Après cette action isolée viendront les grands raids de dirigeables Zeppelin en 1915, puis de bombardiers lourds Gotha. Ces raids conduisent à la création de la DCA : détection acoustique, ballons captifs, avions de chasse en alerte (représentant une dizaine d’escadrilles), adaptation de canons de 75 mm au tir antiaérien. L’innovation est notable car on peut considérer, avec l’auteur, que « le camp retranché de Paris a inventé – avec Londres – la défense aérienne des grandes métropoles ».
L’artillerie à longue portée allemande n’est d’ailleurs pas en reste avec les premiers tirs du Pariser Kanone (240 mm, portée de 100 km) le 23 mars 1918. Le 29 mars, jour du vendredi saint, les obus frapperont l’église Saint-Gervais et feront 160 victimes.
Mais le Paris de la Première Guerre mondiale est aussi un arsenal, et un hôpital… Dès le mois d’août 1914, sous l’impulsion du socialiste Albert Thomas, les industriels reconvertissent leurs usines. Louis Renault et André Citroën tournent ainsi des obus de 75 mm. Louis Bréguet, industriel du Nord de la France, région occupée par l’armée allemande, s’installe à Vélizy-Villacoublay et fabrique des bombardiers.
Quand s’engagent les premiers combats en 1914, le Service de santé aux armées est débordé. Des blessés meurent par milliers faute de soins immédiats. La solidarité et les initiatives privées suppléent alors aux carences de l’État. De nombreuses associations humanitaires et de riches donateurs étrangers rendent finalement possible l’aménagement d’un grand nombre d’hôpitaux militaires dans Paris même. Le Grand Palais est même réquisitionné et transformé en hôpital. Au printemps 1918, la capitale subit de plein fouet la « grippe espagnole » qui, en réalité, a été identifiée la première fois dans un camp militaire au Kansas dès le 11 mars. L’institut Pasteur met au point un vaccin qui se révèle peu efficace et conclut finalement que l’on « ne peut que s’en remettre aux soins actuellement prodigués et tenter de prévenir les complications pulmonaires qui, en effet, peuvent être fatales ». À la rentrée d’octobre 1918, on décide de fermer les lycées jusqu’en décembre mais, précise Marc Ambroise-Rendu, « le métro continue de rouler et à desservir les théâtres et les cinémas, toujours autorisés à accueillir le public ». La grippe aurait tué, au total, entre 160 000 et 240 000 Français dont 126 000 civils.
L’auteur évoque également la capitale des plaisirs et des divertissements que Paris continue à être tout au long de la guerre, avec notamment un chapitre sur la vie nocturne. Il évoque également l’organisation des permissions et de l’arrivée des permissionnaires à Paris.
L’ouvrage se termine par l’évocation de la signature du traité de Versailles et des négociations, entre les Alliés, qui l’ont précédé.
Le livre de Marc Ambroise-Rendu a le mérite de nous rappeler concrètement, et par le détail, que pendant les longs mois de guerre en 1914-1918, l’arrière c’était d’abord et avant tout Paris, de par sa proximité du front (parfois à moins de 100 kilomètres comme à l’été 1914 et au printemps 1918) et sa concentration en infrastructures de tous ordres. ♦