Sonia Darthou, universitaire, spécialiste du monde grec antique, nous offre ici un voyage à travers le monde des mythes qui ont façonné la plus emblématique des cités grecques, la cité qui a vu précisément l’émergence de la démocratie antique, Athènes. L’approche de l’histoire d’un pays à partir des mythes nationaux est nouvelle, mais peut s’avérer extrêmement fructueuse, car en tant que « créations fictionnelles, paradigmes politiques, puissants outils de légitimation, d’intégration ou d’exclusion, manifestations orales ou imagées, socle culturel, métaphores de la condition humaine en tension permanente avec l’histoire, les mythes stimulent l’imaginaire tout en modélisant les frontières de l’identité », nous explique Sonia Darthou.
Dans le cas de la Grèce antique, cette approche par l’étude des mythes touche même le domaine de la science politique, car « les mythes ont une place majeure dans la définition des identités collectives et politiques… ils jouent un rôle central dans la représentation que les cités et les citoyens se font d’eux-mêmes ». Une cité en Grèce, c’est avant tout « une communauté politique qui partage un territoire, une identité citoyenne, une constitution, des règles, des lois et des valeurs communes ». L’auteur a ainsi choisi « de “penser Athènes” entre mythe et politique, en rassemblant les discours et les images qui contribuent à façonner les grands enjeux de la cité ».
En général, les mythes grecs « véhiculent les valeurs partagées des Grecs : le respect des dieux, la compétition qui amène au dépassement de soi, l’engagement guerrier, le lien matriciel avec la Terre qui s’inscrit entre fondation et invasion… le tragique inévitable de la civilisation ».
Mais certaines cités choisissent de nouer des relations privilégiées avec des divinités auxquelles elles attribuent le titre de Poliade (de polis, la cité). Il s’agit ici de ce que l’on est convenu d’appeler des « mythes de fondation ». S’agissant d’Athènes, les mythes grecs décrivent une compétition entre Athéna, fille de Zeus et de Métis, et Poséidon, le dieu de la mer qui, lui aussi, revendiquait l’honneur de protéger la cité et donc de devenir la divinité poliade d’Athènes. L’arbitrage des dieux adjugea, dit-on, le pays à Athéna. Deux symboles, l’olivier d’Athéna et la mer (thalassa) de Poséidon, attesteront désormais de la double présence protectrice de ces deux divinités. D’où le titre du premier chapitre du livre : « Les mythes de fondation : un ancrage entre terre et mer ».
Le chapitre suivant est consacré plus particulièrement à la déesse Athéna comme symbole politique et juridique figurant sur des traités internationaux ou sur des décrets de naturalisation, alors que les deux suivants s’intéressent respectivement à l’olivier et à la chouette d’Athéna. Pour les Grecs, les dieux font en effet partie de la sphère politique et garantissent notamment le bon respect des lois.
Le livre analyse ensuite un second mythe athénien, celui de l’autochtonie qui formalise le lien entre naissance autochtone et pouvoir citoyen dans le cadre démocratique. Athènes se distingue ainsi d’autres cités grecques qui affichent des fondateurs extérieurs et sont « constituées par des populations de toute provenance et formées d’éléments inégaux » (Platon). Pour Sonia Darthou, « le mythe d’autochtonie n’enracine pas seulement les citoyens athéniens parés d’une “belle naissance” (eugeneia) dans leur terre, il enracine également un régime politique : la démocratie ». « L’eugeneia fonde ainsi en même temps l’égalité de naissance (isogonie) et l’égalité politique (isonomie) ».
L’autochtonie mythique des Athéniens a également des implications politiques en justifiant la fermeture de la citoyenneté. Les Athéniens seront ainsi très réticents à accorder la naturalisation à des étrangers.
L’ouvrage évoque ensuite le personnage mythique de Thésée et conclut avec la question de l’utilisation des mythes par les orateurs dans le cadre du débat politique.
Cette publication bénéficie d’une belle iconographie en noir et blanc qui illustre étroitement les propos de l’auteur. Elle contribue à renouveler l’approche de l’histoire d’une cité à laquelle notre civilisation et la démocratie moderne doivent beaucoup. ♦