La Révolution française est certainement l’événement historique qui a fait couler le plus d’encre depuis deux siècles. Elle a généré aussi une quantité énorme de recherches universitaires et ce dans des domaines très différents, de l’histoire militaire à l’économie, en passant par la sociologie et la science politique. De ces études, il est désormais possible d’extraire quantité de données chiffrées et de tableaux statistiques permettant de comprendre cette période dans sa globalité et dans ses multiples dimensions. Une nouvelle méthode de présentation des données, l’infographie, permet de visualiser immédiatement les différents côtés d’une question, avec la clarté et la simplicité que permet le designgraphique moderne.
Ainsi, « récit et modélisation s’allient pour rendre compte de la Révolution dans tous ses éclats, qu’ils soient fragments et brisures, illumination et innovation, ou marques mémorielles inoubliables », nous expliquent Jean-Clément Martin et Julien Peltier, les deux auteurs de cette Infographie de la Révolution française. Le premier est universitaire, spécialiste de la Révolution, auteur d’une biographie de Robespierre et d’une histoire de la guerre de Vendée. Le second est « data designer », mais est aussi un historien militaire distingué avec une étude sur la bataille japonaise de Sekigahara (1600) parue l’an dernier chez le même éditeur et dont nous avions rendu compte ici même.
À travers la collaboration de ces deux auteurs complémentaires, cette infographie allie ainsi le récit historique et la modélisation des données en apportant un supplément de sens aux différents thèmes traités : la chute de la monarchie, la Terreur, la Contre-Révolution, la déchristianisation, la condition des femmes, l’abolition de l’esclavage, la révolution militaire, la Vendée.
En l’absence de linéarité du récit, cette Infographie de la révolution française est éminemment difficile à résumer ici, on en conviendra. Nous n’évoquerons donc que quelques thèmes.
L’un des premiers thèmes traités par le livre est évidemment l’histoire du mot « Révolution », depuis la fin du XVIIe siècle et les révolutions anglaises de 1660 et 1688.
Viennent ensuite le déroulé des premiers événements et l’analyse de leurs causes. Ceux-ci se mettent en place du 10 au 14 juillet par la prise progressive de la trentaine de barrières d’octroi de la capitale. La carte établie par les auteurs permet de voir l’évolution de ce mouvement, de l’est vers l’ouest, lequel provoque des incendies qui cernent peu à peu la ville, avant même l’arrivée des Parisiens autour de la Bastille. Dans le domaine des causes, un graphique montre l’évolution du cours du blé. Le 14 juillet le pain atteint ainsi à Paris son prix le plus élevé depuis 1715.
Une figure montre bien l’organisation de la « salle des Menus plaisirs » à Versailles où se tiennent les États généraux de 1789. Le plan de la salle est extrêmement parlant avec le tiers état relégué tout au fond de la salle, le plus loin possible du roi.
Les aspects militaires de la révolution ne sont pas oubliés avec de nombreux graphiques sur le recrutement des troupes. En 1792, les trois quarts des officiers de l’Armée de terre de 1789 ont émigré. Pour la Marine, la proportion est des deux tiers. Par contre, 80 % des cavaliers et artilleurs servaient déjà en 1789. « La guerre a tenu une grande place dans l’histoire de la Révolution, nous rappellent les auteurs : elle l’a accélérée, en l’obligeant à se radicaliser, et transformée, en l’amenant à s’identifier à la nation. Elle a préparé les Français aux campagnes napoléoniennes et permis, bien plus tard, en 1914, que la IIIe République mobilise les souvenirs de 1794 ». Ainsi, un graphique montre bien l’évolution des levées de 1791 à 1798. En 1793-1794, la France révolutionnaire a 600 000 à 700 000 hommes sous les armes, contre 200 000 pour la Prusse, 300 000 pour l’Autriche et 400 000 pour la Russie. C’est en février 1793 que les volontaires de l’infanterie sont « amalgamés ». Une demi-brigade compte ainsi (théoriquement) 3 300 hommes répartis sur 2 bataillons de volontaires, un de ligne et une « compagnie » d’artillerie à six pièces. À noter enfin deux pages très intéressantes sur la logistique des armées révolutionnaires.
Quelques pages évoquent l’abolition de l’esclavage. À Paris, en 1789 on compte 775 « noirs et libres de couleurs », selon la terminologie de l’époque, dont la majorité est d’ailleurs libre. C’est le décret de la Convention du 16 pluviôse an II (4 février 1794) qui abolit l’esclavage dans toutes les colonies françaises. Le processus a cependant commencé en 1789 et un tableau permet de se rendre compte précisément de l’évolution de la situation tout au long de la période 1789 à 1795, et ce à la fois en Guadeloupe, en Martinique, à Saint-Domingue, en Guyane et à la Réunion.
Mentionnons également un chapitre sur la fuite du roi à Varennes le 21 juin 1791 qui permet de suivre très exactement la chronologie et la topographie de l’événement, ainsi qu’un autre sur la condition féminine sous la Révolution où l’on se rend compte qu’après une courte période initiale où la place des femmes dans le débat public semblait devoir devenir plus importante, le balancier est vite revenu dans l’autre sens. Significative est alors la décision de l’Assemblée constituante du 19 juin 1790 qui entérine la liste officielle des « vainqueurs de la Bastille » : 954 hommes et une femme.
Ce bel ouvrage, qui contient une densité phénoménale d’informations, ravira certainement les lecteurs qui apprécient les approches claires et synthétiques des événements historiques. ♦