Les peuples arctiques, dont on connaît surtout les Inuits au Canada ou les Samis en Scandinavie fascinent les hommes des régions tempérées. L’étude de ces communautés a produit de très belles pages dans la littérature de Jean Malaurie à Paul-Émile Victor. Du fait du réchauffement climatique, le passage maritime de la Route du Nord par l’est, le long des côtes sibériennes, ouvre des perspectives nouvelles. De même ces horizons nouveaux recèlent bien des ressources énergétiques, minérales ou halieutiques. L’augmentation des températures en Arctique aura pour conséquence que la banquise d’été, présente depuis plus de 100 000 ans, aura disparu au cours des cinquante prochaines années. Entre 1979 et 2019, la banquise arctique a perdu 75 % de son volume et le pôle Nord, au cœur de l’océan Arctique, sera libre de glace en été d’ici les vingt prochaines années. Il n’y a pas que la banquise qui disparaît, la terre aussi. Le sol perpétuellement gelé, connu sous le nom de pergélisol, disparaît à un rythme sans précédent, laissant derrière lui des côtes érodées, des marais humides et de grands cratères tandis que les sols s’affaissent.
Ces changements bouleversent les communautés de l’Arctique et menacent leurs conditions d’existence à mesure que les maisons s’effondrent et que les routes entre les communautés deviennent impraticables. Dans le monde entier, les hommes s’interrogent de plus en plus sur la façon dont la fonte des glaces va avoir un impact sur leur vie. Celui-ci sera considérable, dans la mesure où tous les systèmes météorologiques de la planète sont déterminés par les variations de température entre les pôles et l’équateur. Si les changements se produisent en premier lieu et le plus rapidement dans les régions polaires, les systèmes météorologiques et la fonte des glaces auront des incidences sur le monde entier. L’Histoire nous prouve que des conséquences tangibles peuvent parfois être rapides et importantes.
Voilà donc que l’Arctique, bordé par cinq pays riverains, Canada, États-Unis, Russie, Norvège et Danemark, viale Groenland, appelé à devenir bientôt indépendant, espace qui resta si longtemps éloigné, glacial, nocturne une partie de l’année, hostile à l’homme, dangereux et largement inconnu, s’ouvre aux activités humaines, qu’il s’agisse du transport maritime, durant la saison estivale, de la pêche, du tourisme et bien entendu de l’exploitation de ses ressources minérales et énergétiques. Cette zone boréale, délimitée le plus communément par le cercle polaire (66° de latitude Nord), d’une superficie de 21 millions de km2, ne recèlerait-elle pas, selon une étude de l’UGSS (United States Geological Survey) datant de 2008, 13 % des réserves non encore découvertes de pétrole et 30 % de celles du gaz, chiffres qui, à l’époque, ne prenaient pas en compte le gaz et les huiles de schiste. Cette mise en valeur des richesses de l’Arctique est rendue possible par la diminution de la banquise, dont la superficie durant la période estivale est passée de 7,8 millions de km² en 1979 à 5,9 millions en 2005 (25 % de moins) pour atteindre son niveau le plus bas, à 3,8 millions en septembre 2012 ; au point que maints experts prédisent sa totale disparition durant l’été aux environs de 2030. Il résulte, de cette série de faits, que les rivalités stratégiques, les compétitions commerciales, voire les sujets de confrontation (zones économiques exclusives, délimitation du plateau continental, remilitarisation des espaces…), longtemps « gelés » ou simplement potentiels, inscrivent désormais l’espace arctique dans les rapports de force mondiaux.
Saluons donc la publication de ce beau livre, illustré, doté de cartes très précises et de clichés parlants, produit d’un collectif d’auteurs et d’universitaires, réuni par le British Museum qui racontent, expliquent et décrivent le mode de vie des peuples du Grand Nord à travers une iconographie exceptionnelle. Souvent considéré comme l’un des endroits les plus inhospitaliers de la planète, l’Arctique est habité depuis près de 30 000 ans par des hommes qui ont trouvé des façons ingénieuses d’exploiter et de célébrer leur environnement et de coexister avec sa faune. L’ouvrage explore les origines des peuples de l'Arctique – migration précoce, relations commerciales culturelles – et met en évidence les perspectives des nouveaux arrivants à la recherche de ressources précieuses et de nouvelles routes commerciales. Il examine les stratégies de résilience utilisées par les populations pour faire face aux transformations rapides provoquées par l’exploration non autochtone de l’Arctique et le bouleversement climatique. Aujourd’hui, les populations arctiques vivent en première ligne d’un monde en mutation accélérée, touché par le changement climatique planétaire. Créé en concertation avec les peuples autochtones de l’Arctique, l’ouvrage Arctique culture et climatpropose un examen approfondi de leurs pratiques culturelles et de leurs connaissances en matière de climat. Les meilleurs spécialistes issus des institutions du monde entier ont contribué à cette œuvre.
L’Arctique, contrairement à une presse à sensation, prompte à agiter des slogans (« Nouvelle guerre froide en Arctique »…), reste encore une zone de paix et de dialogue, celui-ci se déployant dans une série d’organes de coopération régionale, au premier chef du Conseil arctique créé en 1996. Simple organe de concertation et de dialogue consacré à la protection environnementale, le Conseil arctique a adopté des accords contraignants dans le domaine de la recherche et du secours en mer en 2011, et en matière de lutte contre la pollution maritime et des marées noires en 2013. Le fait que ce Forum se soit élargi à une dizaine d’observateurs permanents, comme la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne la Pologne, l’Italie ou la Chine et que pas moins d’une quarantaine de pays aient montré leur intérêt à suivre ses travaux témoignent de son importance croissante et de l’intérêt suscité par la communauté internationale aux questions arctiques. ♦