Au lendemain du retrait controversé des forces américaines d’Afghanistan, des experts s’appesantissent sur la conduite de la guerre globale contre le terrorisme lancée après les attentats du 11 septembre 2001. Qui a donc gagné cette guerre ? S’interroge fort opportunément le célèbre magazine, d’obédience libérale, dans un dossier digne d’intérêt.
Selon les auteurs, le terme « victoire », dans le cas d’espèce, dépend plus de la perception des différents acteurs et spectateurs plutôt que de la réalité objective. Toutefois, la guerre contre le terrorisme, du fait de son importance centrale dans la politique étrangère des États-Unis au cours des deux dernières décennies, aura contribué à changer le paysage mondial, les politiques intérieures des États-nation et les liens sociétaux.
En ouverture du dossier, Nelly Lahoud indique une victoire partielle d’Al-Qaïda dans son article titré « Bin Laden’s Catastrophic Success », car selon elle, cette organisation terroriste a changé le monde, mais pas de la manière rêvée par son chef d’antan. En effet, Oussama ben Laden voulait ébranler l’ordre mondial contemporain des États-nations pour recréer la communauté musulmane mondiale sous une autorité politique unique. Cet objectif n’a pas été atteint.
Pourquoi ? En raison de la réponse massive américaine, soutient Ben Rhodes dans l’article « Them and US ». Et d’affirmer que la guerre contre le terrorisme fut le plus grand projet de l’hégémonie américaine qui a débuté à la fin de la guerre froide, une période d’hégémonie qui a maintenant atteint son crépuscule en laissant de profondes divisions.
Daniel Byman, dans l’article « The Good Enough Doctrine » relève les succès remarquables et les « échecs horrifiques » de la politique contreterroriste américaine en vingt ans. Sur un registre positif, les organisations djihadistes, telles que Al-Qaïda et l’État islamique sont sensiblement affaiblies, au point de ne plus être en mesure d’entreprendre des attaques d’envergure contre les États-Unis. En revanche, la prééminence du contre-terrorisme a fait ombrage aux autres aspects importants de la politique étrangère américaine. Il conclut tout de même que, malgré l’absence d’une victoire décisive, les États-Unis ont obtenu des résultats ambitieux.
Le norvégien Thomas Hegghammer, quant à lui, estime que la guerre contre le terrorisme a malheureusement renforcé les pouvoirs coercitifs de l’État, au détriment des droits et libertés des citoyens. Telle est la quintessence de sa réflexion intitulée « Resistance Is Futile ». Il fait ainsi référence aux systèmes de surveillance, de détention et d’interrogation.
Cynthia Miller-Idriss, dans son article « From 9/11 to 1/6 » avertit sur le danger émergent du terrorisme intérieur orchestré par les groupes extrémistes sans doute inspirés par l’idéologie djihadiste. L’année 2020 a connu un nombre record de complots et d’attaques de tels groupes aux États-Unis, dont deux tiers attribués aux suprématistes blancs et autres organisations d’extrême-droite.
En fermeture du débat, l’ancien officier des Marines, Elliot Ackerman parle d’une « victoire moche » (Winning Ugly). C’est pour insinuer que le coût de la guerre contre le terrorisme est trop élevé pour se targuer de son succès. Il fait allusion au coût humain, au fardeau financier, aux conséquences néfastes sur l’économie et la démocratie américaines, et la géopolitique mondiale.
En conclusion, ce dossier plonge entièrement le lecteur dans les méandres du débat houleux et polarisé autour de la décision du Président Joe Biden de mettre fin à la longue présence militaire en Afghanistan. Mais, il n’a jamais été question, pour lui, d’abandonner la guerre contre le terrorisme que son Administration est déterminée à poursuivre avec d’autres stratégies, telles que la surveillance et les frappes ciblées. Donc, la victoire n’est pas encore définitive ! ♦