Nombreux sont les termes qui laissent transparaître une filiation entre le sport et la guerre : on pourra parler de duel entre deux sportifs, de mise à mort, de combat entre deux équipes ou d’affrontement, de stratégie et de tactique. Mais ces termes ne sont-ils que de l’ordre des mots ou existe-t-il un lien qui unit plus profondément ces deux activités ?
Ce livre est une bonne aubaine pour tous ceux qui sont intrigués par cette problématique. En effet, celui-ci regroupe un ensemble d’articles rédigés par différents auteurs, civils et militaires, qui tous se penchent sur les liens que peuvent entretenir le sport et la guerre.
Toutes les sociétés du monde ont organisé des compétitions sportives. La mort fut alors souvent le spectacle recherché dans le sport (Les Jeux du cirque romain). Puis, avec l’adoucissement des mœurs, la mort devint davantage accidentelle, bien qu’encore extrêmement présente, comme le montrent les tournois de chevaliers : la violence reste telle que le tournoi prépare à la guerre et la guerre au tournoi. Leur organisation est par ailleurs souhaitée afin de contenir la fougue guerrière des jeunes nobles et de conjurer la guerre civile. Enfin, avec la pacification des interactions, la mort finit par être définitivement bannie des rencontres sportives. Cependant, l’aspect directement guerrier du sport ne disparaît pas immédiatement avec la pacification des mœurs : durant la IIIe République la création de clubs de gymnastique est directement liée à l’idée que le sport permettra de former les futurs citoyens, qui sont les soldats de demain qui pourront rivaliser avec la Prusse.
Aujourd’hui, la guerre fournit encore de nombreuses images au sport : l’affrontement, l’héroïsme, la virilité. De nombreuses valeurs sont partagées et par le sportif et par le guerrier : la rigueur, l’effort, la vaillance, la ténacité, la prise d’initiative, l’obéissance aux règles, la loyauté...
Au cours des Jeux Olympiques de 1936, à Berlin, le régime nazi avait pour but de démontrer la supériorité de son idéologie grâce à la victoire de ses sportifs. De nos jours, le sport est un moyen pacifique de hiérarchiser les nations et de libérer les tensions internationales de manière non violente. En effet, la mobilisation générale que peut susciter un événement sportif peut à certains égards rappeler une mobilisation en temps de guerre : soutien collectif, exaltation, parfois cristallisation de la xénophobie. Le sport est ainsi un défouloir moderne pour évacuer les tensions guerrières de nos sociétés pacifiées.
Bien qu’il existe des analogies de valeurs et de représentations individuelles ou collectives entre le sport et la guerre, la comparaison devient vite hors de propos. En effet, la nature du sport et celle de la guerre sont très différentes. Dans la guerre, le soldat met continuellement sa vie en danger. Même l’esprit d’équipe ne saurait se comparer dans les deux situations : dans l’armée, il faudrait davantage parler de « fraternité d’armes » car les liens qui se tissent entre les soldats sont extrêmement forts. Ils reposent sur une absolue confiance et prennent continuellement en compte l’idée de sacrifice et de survie collective. Il y a enfin une différence fondamentale entre la compétition sportive et la guerre : un adversaire n’est pas un ennemi. L’adversaire sportif respecte à l’égard de son compétiteur un ensemble de codes, de règlements, qui l’empêchent de devenir déviant, sous peine d’être mis hors-jeu. En situation de guerre, la déviance et le non-respect de règles communes sont les caractéristiques de l’ennemi dont les actions peuvent être inimaginables.
Ainsi, peu importe le degré de violence qui existe actuellement dans le sport, aucun ne pourrait prétendre sérieusement préparer à la violence extrême des combats. On peut ici citer le général de Gaulle : « La guerre, c’est comme la chasse, sauf qu’à la guerre, les lapins tirent ». Par conséquent, le sport ne peut être considéré comme affilié à la guerre. Cela n’empêche pas pour autant que la pratique du sport est un élément central de l’entraînement du militaire. En effet, la condition physique du soldat est vitale pour sa survie et pour la réussite de sa mission et ce, malgré les évolutions technologiques, car il doit pouvoir se déplacer avec au moins 40 kilos de matériel sur des terrains parfois montagneux et éprouvant, comme en Afghanistan.
Dans la doctrine occidentale il y a l’idée que la guerre doit être menée avec « zéro mort ». La technologie permettrait de ne plus exposer les soldats. Cependant, des conflits récents font prendre conscience que la violence physique y est toujours présente, même si les sociétés occidentales ont parfois tendance à l’oublier. Et si le sport ne procurera jamais l’expérience du feu, sa pratique permet de développer l’agressivité, l’endurance, la volonté de vaincre, l’assurance et la maîtrise de soi.
Par le passé, l’entraînement était avant tout axé sur l’éducation physique et sportive (EPS) qui tendait à préparer physiquement et mentalement l’ensemble du corps grâce à des parcours du combattant par exemple. Ces parcours se font en tenue et avec les équipements. Cette méthode s'inspire de la « Méthode naturelle » de George Hebert qui préconisait une plus grande hygiène de vie pour les soldats (régimes alimentaires, cures de soleil). Le but principal de cette méthode est d'allier ordre et plaisir afin de rendre les hommes plus résistants à la fatigue. Les leçons doivent s'effectuer le plus possible dans la nature afin de se rapprocher des conditions militaires réelles. La « Méthode naturelle » a un but purement utilitaire : préparer au combat. Par la suite, du fait de la situation de paix du pays et de son bouclier nucléaire, les militaires français ont davantage mis l’accent sur une pratique sportive de la gymnastique. Cet entraînement prépare moins aux réalités du combat (pratique du footing ou de sports collectifs de détente). De plus, il est souvent effectué en short et en basket, ce qui éloigne encore plus des conditions de combat.
Mais la France envoie par la suite de plus en plus d’hommes sur des terrains d’opérations. La guerre d’Afghanistan est ainsi une vraie prise de conscience du degré de condition physique nécessaire. Désormais, l’entraînement est de nouveau fondé sur la recherche d’endurance et de performance. Le but n’est plus de former des gymnastes mais des hommes opérationnels et résistants sur le terrain. Cette exigence est plus difficile à obtenir aujourd’hui, alors que la vie de confort occidental rend les corps de moins en moins robustes (en comparaison aux puissants corps des paysans français de 1914). Il apparaît que les entraînements gymnastiques et ceux basés sur l’éducation physique et sportive sont en fait complémentaires pour que les soldats aient une bonne forme physique.
Il est enfin un aspect important du sport qu’il faut souligner : son caractère social et culturel. Là encore la guerre n’est pas absente : la plupart des sports modernes ont été diffusés en France par les alliés britanniques durant la Première Guerre mondiale qui ont apporté le football, le basket-ball, le volley ball, etc. Après la guerre, le premier est devenu le sport le plus populaire du pays.
La pratique sportive de haut niveau par les militaires est aussi une caractéristique française : beaucoup de médailles sont ramenées des Jeux Olympiques par des militaires français, qui ont été soutenus et entraînés par l’État. Cette implication des armées dans le sport national est un moyen pour elles de se rapprocher du pays et donner d’elle-même une image jeune et dynamique.
La diffusion du sport et sa démocratisation ont eu lieu au cours du XXe siècle. Le sport sert alors à former la jeunesse, il permet l’épanouissement personnel de chacun et l’apprentissage des règles et du respect. Le sport est ici compris comme un moyen d’aller à la rencontre des autres et de cultiver la sympathie et la chaleur humaine. Il favorise ainsi la cohésion sociale du groupe. Le sport véhicule alors un idéal humaniste de promotion de l’humain et de la paix. Cette vision humaniste est celle portée par le général de Gaulle lorsqu'il bâtit la Ve République. Son grand architecte de la politique sportive de la France est Maurice Herzog. Ce dernier veut intégrer le sport dans la vie de l'homme et de la nation. Il déclare alors que le sport, parce qu'il sert à promouvoir l'homme, se doit d'être accessible à tous : tout le monde a le droit de pratiquer un sport. De là vient la politique française de soutien sportif, notamment par la construction de nombreux complexes sportifs. À l’opposé, le sport peut aussi être un vecteur de nationalisme et de soumission : tous les régimes totalitaires du XXe siècle ont favorisé le développement du sport.
En conclusion, le sport et la guerre ne sont réellement pas des pratiques de même nature, même si certaines valeurs sont partagées. Le sport reste toutefois un élément central et indispensable de la vie du militaire par l’entraînement.