« Du point A au point B » est une plongée historique et prospective au cœur de la machine logistique américaine. Pour saisir l’importance de ce monstre tentaculaire, l’auteur aborde la question via les hommes et les femmes qui la composent et qui permettent aux États-Unis de déployer sa puissance expéditionnaire aux quatre coins du globe.
L’auteur est David Axe, correspondant de guerre américain et collaborateur régulier de la presse imprimée et en ligne. Depuis 2005, il arpente les théâtres d’opérations allant des plus chauds comme l’Irak ou l’Afghanistan, aux plus tièdes comme les périples de l’US Navy dans les Caraïbes. Le propos se parcourt facilement, des vignettes tirées de ces différents reportages rendant vivantes les grandes problématiques abordées. Ainsi, des forçats de la route traversant en convois le désert irakien aux manutenciers des escadrons d’appareils de transport C-130 vidant les soutes à Bagram en Afghanistan, de multiples facettes de ce domaine éminemment stratégique sont développées.
Car, si les défis humains du quotidien et les capacités techniques sans cesse plus extravagantes sont décrites avec force de détails, la trame de fond soulevée par l’auteur repose sur l'idée que la logistique est bien l'élément pivot qui permet d'alimenter les attributs et les outils de la puissance américaine. Sans la logistique, pas de projection, pas de puissance. C’est un cercle vertueux qui permet de faire vivre les citoyens américains via la production nécessaire pour répondre aux besoins tout en permettant aux États-Unis de se projeter : l’interne et l’externe sont intimement liés.
À la lecture, des kyrielles de chiffres plus impressionnants les uns que les autres interpellent. Par exemple, en 2005 en Irak, 50 % du personnel militaire américain se consacre à des tâches logistiques : protection des convois, conduite, manutention, etc. 50 % des effectifs (avec évidemment la myriade de personnels sous contrat du Département de la Défense, les contractors) sont donc au service des 50 % restants, les « effecteurs » sur le terrain. Que dire du « surge (ou sursaut) logistique » nécessaire à l'acheminement en urgence jusque dans les coins les plus reculés de l'Afghanistan des véhicules protégés (les MRAP) contre les engins explosifs, les EEI ? Que dire aussi des programmes de recherche sur les camions de transport robotisés, les systèmes logistiques passant par l’Espace, les imposants dirigeables, etc. ?
Alors que 84 litres d'essence étaient consommés par soldat par jour en 2009 en Afghanistan, les développements de l’auteur sur des systèmes moins consommateurs en énergie sont aujourd’hui devenus stratégiques. Il est nécessaire de briser ce cercle infernal de la consommation énergétique toujours en hausse et donc toujours plus complexe à alimenter par air, par mer ou par terre. Le général John R. Allen, commandant de la Fias, n’a-t-il pas rappelé en décembre 2011 qu’en éteignant les climatiseurs inutiles et en prenant des douches plus courtes, les personnels déployés pouvaient aider à réduire le nombre de convois de ravitaillement ; et donc la principale source des tués et des blessés.
Le lecteur devrait rester ébahi (et un peu envieux) devant les capacités sans égales du Military Sealift Command et de sa flotte de pétroliers et cargos militaires, du nombre de vaisseaux « blancs » ou navires-hôpitaux au service du « soft power » américain. De la capacité américaine de prendre le contrôle en quelques heures des 140 vols quotidiens de l'aéroport d'Haïti quelques jours seulement après le séisme en 2010. Envoyée 34 heures après le tremblement de terre, une équipe de Forces spéciales de l'US Air Force va gérer les rotations des avions sur le tarmac de Port-au-Prince, installant pendant quelques jours ses radios sur une simple table. Les États-Unis s'arrogeront ainsi la capacité d'attribuer à chaque pays un nombre de rotations par jour. Les autres attendront... C’est aussi ça la capacité d’imposer sa norme.
Les chercheurs et théoriciens (voir certains spécialistes) seront peut être déçus que l’ouvrage aborde la question par le bas, ce qui a néanmoins le mérite de le rendre accessible au plus grand nombre. C'est bien une passionnante descente dans les arcanes les plus profonds de la puissance américaine qui permet cette étude. Civils et militaires, chercheurs et praticiens, stratèges et tacticiens, tous conjuguent leurs efforts et se synchronisent pour que les muscles des États-Unis soient alimentés en sang et en oxygène, en permanence et en quantité suffisante.