Nous n’infligerions pas à nos lecteurs cette nouvelle bondieuserie si elle ne constituait pas l’antithèse du livre de Michel-Marie Zanotti-Sorkine, Homme et prêtre, que nous avons présenté dans notre revue dans son numéro d’octobre 2011. Le Père Zanotti-Sorkine, modeste franciscain de formation, est un curé de paroisse auquel le monde moderne répugne ; résultat, son église, à Marseille, déborde.
Le Père Moingt n’est pas, si l’on ose dire, de la même paroisse. Théologien de renom – il a plus de 95 ans et une douzaine de livres à son actif –, membre de la Compagnie de Jésus, il ne s’adresse pas au tout-venant. À l’optimisme joyeux du premier s’oppose le pessimisme du second, que son titre annonce : Croire quand même laisse penser que tout, aujourd’hui, nous détourne de la foi. Certes, l’affirmation n’est pas nouvelle et Paul disait déjà (I Co, 1 21-23) que c’est folie de croire. Mais notre époque apporte la preuve inverse, et par l’absurde : une humanité athée court à sa perte. Examinons pourtant ce que le Père Moingt nous propose, et commençons par le plus bouleversant.
La sécularisation de nos sociétés est patente. Il ne faut pas s’en alarmer et, plutôt que de s’évertuer à remplir à nouveau nos églises, c’est s’ouvrir à notre temps qu’il faut et passer de la claire religion à un humanisme évangélique par une « désinstitutionalisation » de l’Église. Le Magistère, romain en particulier, voilà l’ennemi. Le dialogue démocratique doit le remplacer, afin que l’Église ne soit plus « la dernière monarchie absolue du globe ». On a trahi Vatican II, il faut y revenir et se réconcilier avec l’esprit des Lumières. Les églises étaient pleines, soit ! « L’intelligence a bougé » depuis ce temps-là, des communautés spontanées remplaceront nos paroisses, réunissant chrétiens et non-chrétiens en recherche.
N’accablons pas (à quel titre d’ailleurs ?) notre jésuite. Donnons-lui acte de subtiles adaptations et de fructueux dévoilements. Bille en tête, qu’est-ce que Dieu ? « L’interlocuteur invisible et silencieux à qui je m’adresse pour savoir qui je suis et pour devenir ce que je sens devoir être ». Foin des contradictions, « une société de plus en plus fermée au sens de Dieu gardera-t-elle longtemps le souci du sens ? » et « le christianisme a dû se doter des structures de la religion pour s’implanter dans le monde et durer ». Sur la Bible, voici du nouveau : l’Ancien Testament, c’est « la mémoire de Jésus » et le socle de la révolution christique : « quelque chose est arrivé à Dieu en Jésus ». Plus rude encore : « l’importance de l’Ancien Testament (est) de rappeler au christianisme ce à quoi il ne doit pas revenir ». Sur le salut : « Le salut chrétien (…) c’est faire l’histoire avec les autres », et la fameuse et tant controversée résurrection des morts n’est que le lien universel qui unit trépassés et vivants.
Alors, qui a raison, de Moingt et de Zanotti-Sorkine ? Les deux, mon général. Le premier parle aux intellectuels, le langage du second est plus proche de celui du Christ : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits » (Mt 11, 25). Mais quoi ! Le jésuite sait aussi se faire enfant : « Si je dois dire un jour ‘‘j’y renonce !’’, qu’est-ce qui me restera comme espérance ? (…) J’ai un critère de vérité, c’est que ma foi m’aide à vivre ».