L’ouvrage rédigé par dix-sept sénateurs sous la direction de Gérard Larcher a pour ambition de « renouveler et dynamiser un débat politique national et européen, souvent figé dans des postures traditionnelles et dépassées ». La gravité de la crise qui frappe notre société sollicite un renouveau de la réflexion et de l’action politique.
Selon les auteurs, ce sursaut indispensable peut être apporté par « cet ensemble singulier de valeurs et de postures que l’on a appelé le gaullisme ». L’ampleur, la durée et la dangerosité de l’inadaptation du monde aux mutations en cours nécessitent une réponse urgente pour faire face aux désordres de nature monétaire, économique et commerciale qui ébranlent la planète. Le gaullisme reste précisément une référence appropriée aux périodes de bouleversement et un mode d’action basé sur une mobilisation des atouts pour servir le refus de l’adversité et du déclin. Les sénateurs rappellent à juste titre que la dynamique imprimée par le fondateur de la Ve République ne s’appuie pas sur une idéologie mais qu’elle transcende les clivages politiques et demeure éclairée par « la primauté absolue de l’intérêt national ». Pour le gaullisme, l’intérêt national c’est l’ordre et le mouvement.
L’ordre est réalisé par la stabilité institutionnelle, la sécurité nationale, externe (diplomatie, défense) et interne (maintien de l’ordre et prévention des conflits de société), ainsi que la sécurité sociale globale d’un système « tout à la fois équitablement protecteur, juste, aux coûts maîtrisés de la nation ».
Le mouvement procède de la conviction que « rien n’est possible sans la croissance économique, la liberté d’entreprendre, le rôle raisonnablement régulé des marchés, la recherche prioritaire de la compétitivité, l’innovation, l’importance de la formation, de l’éducation et de la recherche ». La conciliation de l’ordre et du mouvement a ainsi sa place dans le domaine économique et financier. La recherche permanente d’un équilibre entre la maîtrise budgétaire, d’une part, un rôle moins étouffant mais renforcé de l’État autour de ses missions régaliennes, d’autre part, et la nécessité absolue d’une croissance économique au service de l’équité sociale doivent s’imposer comme des données majeures.
Une économie forte et des relations sociales apaisées constituent les paramètres de la grandeur d’une nation. Ces besoins représentent les ingrédients indispensables de la participation, cette « troisième voie » proposée par le gaullisme, conscient que d’un côté, « le capitalisme ne peut être considéré comme une finalité tant il génère injustice et brutalité », et que de l’autre, « le communisme n’est rien d’autre qu’une forme étatique d’aliénation des travailleurs et de leur liberté ». (Isabelle Debré, sénateur des Hauts-de-Seine, vice-présidente de la commission des Affaires sociales). La recherche d’une « troisième voie » puise ses racines dans l’inquiétude qu’éprouvait le chef de la France libre devant « la mécanisation générale » et « l’uniformisation de nos sociétés modernes » qui menaçaient le devenir de l’homme, sa place et sa dignité. Soixante-dix ans plus tard, ce constat lucide reste d’une actualité brûlante. La participation, commandée par le souci de l’unité nationale et la sauvegarde des valeurs humanistes, doit trouver sa pleine expression dans l’idée de contribution des salariés aux bénéfices et à la vie de l’entreprise. La participation telle que l’a voulue le général de Gaulle et telle qu’elle devrait se pratiquer comporte deux aspects inséparables : la participation financière ou partage des résultats, et la participation à la vie de l’entreprise, l’implication dans ses projets, celle-ci pouvant aller, dans certains cas, jusqu’à la participation à la décision. Le sénateur des Yvelines Alain Gournac, qui a développé un chapitre très fouillé sur cette « troisième voie » souligne que la « conjugaison des deux dimensions, financière et humaine, de la participation, en instaurant une compréhension partagée de l’intérêt collectif, concourt à une plus grande vitalité de l’entreprise ». Par construction, la participation est donc un système collectif qui a pour objectif de motiver l’ensemble du personnel pour l’accomplissement du projet commun de l’entreprise.
La partie consacrée à la défense est traitée par le sénateur des Hauts-de-Seine Jacques Gautier, vice-président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées. Dans cette thématique capitale, le socle de la pensée du général demeure intangible : pour un pays, il n’y a pas d’indépendance imaginable s’il ne dispose pas d’un armement nucléaire. La France ne doit donc pas baisser la garde dans le domaine nucléaire « tant qu’il restera un risque atomique pour elle et ses alliés dans le cadre d’accord de défense ». De la même façon, notre pays a l’obligation « de sauvegarder sa base industrielle et technologique de défense en la recentrant, compte tenu de la crise économique, sur ce qui est essentiel à sa souveraineté (le fameux « premier cercle du Livre blanc »). En revanche, il est fortement souhaitable, pour des investissements qui n’ont pas la dimension essentielle de souveraineté et sur des équipements moins sensibles, « d’engager une mutualisation avec des partenaires et alliés choisis ». Par ailleurs, la « distanciation progressive des Américains » doit conduire l’Europe en général et la France en particulier à réfléchir à la place que le vieux continent entend donner à une défense pour l’Europe, « s’appuyant sur l’alliance, mais capable d’intervenir seule, en bilatéral ou en multilatéral » ; parce que les Américains privilégient de plus en plus leur « flanc pacifique » et attendent des Européens qu’ils prennent leur « part du fardeau atlantique ». L’accord de Lancaster House entre la France et le Royaume-Uni, conforté par notre intervention commune et performante en Libye, prouve que nous pouvons faire preuve d’initiative et que les Européens peuvent remplir une fonction importante dans des crises qui les concernent directement et pour lesquelles les États-Unis se sentent moins impliqués. Le sujet de « l’exception française » est analysé par le sénateur représentant les Français établis hors de France, Robert del Picchia. L’idée phare du fondateur de la Ve République prévaut encore aujourd’hui : par son histoire, par sa géographie, par sa culture, la France doit toujours se démarquer des positions dominantes. « Elle ne gagnera rien à se soumettre à un ordre établi, mais bien à contribuer, en le marquant de son influence, à la construction d’un équilibre nouveau ».
En conclusion, les idées fortes du gaullisme paraissent davantage former des principes d’action qui restent toujours valables, notamment dans les périodes de convulsions, qu’un corps de doctrines. Ces fondements tournent autour de quatre notions : un attachement viscéral à la grandeur de la France, une haute vision du rôle de l’État, une attention toute particulière à l’unité nationale dans un pays facilement porté à la division et la nécessaire légitimation de l’action politique par l’adhésion des citoyens, symbolisée notamment par le recours au référendum. Certes, comme le mentionne Étienne Garau, la situation politique, économique et sociale d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec la France du Général.
L’heure n’est donc pas à la quête d’une hypothétique « vraie croix de Lorraine », mais à la mise en pratique du gaullisme dans le contexte actuel.