Énarque et spécialiste en intelligence économique, Claude Revel est l'auteur de nombreux ouvrages et articles portant sur les nouvelles règles de la mondialisation, la place de la France au sein de la gouvernance mondiale ou encore la relation Chine-États-Unis. Avec La France, un pays sous influences ?, elle s'attaque à un thème qui lui est cher, celui des jeux d'influences développés par les États, les entreprises publiques comme privées, les organisations internationales mais aussi les ONG dans le but d'asseoir leur puissance à l'international.
Source de pouvoir invisible, l'influence est ainsi associée à la notion de puissance et s'érige comme le rouage du nouvel ordre mondial. Il suffit d'examiner les classements et notations effectués par les diverses universités et agences, le développement des think tank et autres groupes de lobbying, ou encore la compétition en matière d'élaboration de normes mondiales pour comprendre l'importance qu'a pris l'influence dans notre environnement et l'intérêt qu'il y a à la maîtriser. En effet, au-delà de l'émergence de nouveaux acteurs permise par la mondialisation, c'est à une véritable redistribution des cartes du monde que nous faisons face depuis une trentaine d'années. Toutefois, si "l'anglo-saxonisation" du monde n'est plus à prouver, d'aucuns n'ont dit leur dernier mot et s'appuient sur la large palette d'instruments mis à leur disposition pour se façonner une image attractive.
Force est de constater que la gouvernance mondiale facilite et légitime les influences de toutes sortes. Qu'il s'agisse de soft voire de smart power, d'advocacy, de lobbying, de storytelling mais également de public et business diplomacy, la mondialisation conjuguée à l'explosion de l'information ont accéléré la diffusion de normes et autres règles et entraîné de sérieuses compétitions immatérielles entre les divers acteurs en matière de travail des opinions. Il n'est ici nullement utile d'avoir recours à des manoeuvres occultes pour parvenir à ses fins, les instruments traditionnels d'influence se suffisant à eux-mêmes.
Surtout, si certains ont immédiatement saisi l'enjeu de la maîtrise de l'influence en tant que nouvelle règle de la mondialisation, d'autres continuent à se frayer un chemin au sein de la gouvernance "libéralo-morale" en se reposant sur leurs acquis. C'est le cas de l'Europe, et notamment de la France. En effet – et c'est là l'un des cheval de bataille de Claude Revel – les pays européens ne possèdent pas de politique délibérée de soft power et ne font pas preuve d'une public diplomacy commune alors qu'ils en ont les moyens. La France pour sa part souffre d'un déficit d'image attribué en grande partie à l'arrogance de ses élites et à la rigidité de son système.
Nous apprécierons le parti-pris de l'auteur pour la recherche d'un monde non uniformisé et à la pensée non standardisée, en rupture avec la gouvernance "libéralo-morale" qui triomphe actuellement. Dès les premières pages, l'ouvrage s'adresse ainsi "aux individus souhaitant rester libres et aux entreprises qui veulent tirer le meilleur parti de la globalisation des échanges". En outre, nous ne pouvons qu'acquiescer devant le portrait alarmiste qui est dressé de la situation de l'Union Européenne et l'exigence d'un réveil sans plus tarder de la part de ses élites. Le fait que l'auteur se montre très critique envers l'État français est d'autant plus légitimé par l'apport de solutions et d'instruments de réflexions afin que le pays soit en mesure de définir à son tour les principes supérieurs de gouvernance sur les grands enjeux du XXIe siècle. Car comme le rappelle Claude Revel, "pour exercer une influence, il faut le vouloir".
Voir la vidéo de la conférence du 30 mai à Sciences Po "La France est-elle sous influences ?" et lire son compte-rendu.