Il ne faut surtout pas donner à lire aux officiers français ce remarquable récit de la désobéissance chez les officiers généraux. Ils risqueraient d’avoir des idées comme après un choc quand « l’esprit vient aux jeunes filles ». Écartant les divers attendus relatifs à la destinée du Maréchal, son comportement et ses opinions, au demeurant rédigés par une excellente commentatrice qui s’autorise cependant quelques regrettables approximations, sur l’essence des niveaux stratégique et politique entre autres, nous allons rester dans le simple registre des stupéfiantes aptitudes professionnelles que Rommel démontrera durant toute sa carrière.
Aptitudes livrées classiquement à l’admiration voire à l’envie de ses chefs, plus étonnamment à celle de ses adversaires qu’elles finissaient par tétaniser. Notre auteur fut avant tout un remarquable tacticien. Sa supposée « chance » n’était que la capacité éternelle d’un chef de guerre à profiter des erreurs ou des excès de précaution de l’adversaire. Bref, un officier général qui n’avait rien à voir avec « le militaire de fauteuil ». Un soldat professionnel déterminé à exceller dans son métier, rien que son métier. « Vous êtes trop rapides, bien trop rapides pour nous ! C’est tout », lui adressera un général français fait prisonnier à Saint Valéry (Cf. Frieser-Le mythe de la guerre éclair).
La campagne de France de mai-juin 1940
Désigné le 15 février 1940 comme commandant de la 7° division blindée, Rommel commence la première partie de son récit le 10 mai et le conclut par la capitulation de Cherbourg, le 19 juin. Il décrit, avec habileté certes, mais n’est-ce point la règle du genre, son extraordinaire leadership qui permet à sa division d’être la première à traverser la Meuse. Il n’hésite pas à se porter au contact, ne cesse de circuler en première ligne au grand dam de son état-major, prend le commandement d’un bataillon pris sous un feu violent, se met à l’eau pour encourager ses pontonniers, fait passer ses chars sur des bacs avant que les sapeurs ne terminent leur travail, se retrouve sous le tir direct de l’ennemi qui tue autour de lui, et assigne des objectifs directs à ses pièces d’artillerie. Il s’affranchit des ordres et pousse toujours plus avant, à la fureur de son B3 mais aussi à l’agacement inquiet du Haut commandement, l’un et l’autre ayant perdu sa trace dans la nuit du 16 au 17 mai. « L’énergie déployée par un chef a souvent plus d’importance que ses dons intellectuels… et il suffit souvent, pour gagner une bataille, de procéder au déplacement du centre de gravité au moment où l’adversaire s’y attend le moins ».
L’Afrika korps de février 1941 à mars 1943
Le 12 février 1941, Rommel atterrit en Afrique du Nord. Il est seulement chargé de garantir la Tripolitaine contre une offensive britannique favorisée par l’écroulement de forces italiennes peu motivées mais surtout très médiocrement équipées. Une fois de plus, désobéissant radicalement aux ordres reçus, sans considération excessive pour la modicité de ses moyens en regard de ses ambitions, d’où de futurs problèmes logistiques insolubles, il déclenche une offensive le 24 mars qui en deux semaines balaie les Britanniques hors de la Cyrénaïque, Tobrouk excepté : « il faut exploiter le succès, ne pas s’encombrer des lamentations des logisticiens à la moindre difficulté et généralement de ne pas se contenter d’objectifs stratégiques trop limités ».
Le 30 juin face à la ligne d’El-Alamein, à seulement 100 km d’Alexandrie, Rommel pouvait se persuader que le plan stratégique Orient, qui prévoyait de tendre la main aux forces de l’Axe de la mer Noire, n’était plus une chimère. Mais il se heurte alors à la défense ferme de Koenig à Bir Hakeim. « Sur le théâtre d’opération africain, j’ai rarement vu combat plus acharné – l’adversaire se terrait dans des trous individuels, restait invisible et nous accueillait par un feu violent ». Une fois de plus, la preuve est faite « qu’un chef décidé à ne pas jeter le fusil après la mire à la première occasion peut réaliser des miracles, même si la situation est apparemment désespérée » et que « l’adversaire n° 1 du fantassin reste le fantassin ».
Commence alors sur la ligne d’El Alamein une bataille d’attrition que Rommel était bien conscient de ne pouvoir gagner qu’avec des renforts puissants. Ils ne lui furent jamais accordés par des Italiens démunis et par Berlin pour qui la priorité fut toujours ailleurs. Sans moyens, faute d’approvisionnement et d’effectifs suffisants, la grande bataille d’été aboutit à une impasse et de lourdes pertes. Mais elle lui donne l’occasion d’écrire des pages toujours d’actualité sur les « militaires de fauteuil », l’autisme du haut commandement, l’incompétence de l’arrière et la lourdeur bureaucratique... Le ravitaillement était insuffisant et le parc, à 85 % d’origine anglaise ou américaine, largement immobilisé pas les réparations et un manque compréhensible de pièces de rechange. Quant au personnel, il était à bout. Une partie devait être rapatriée pour de multiples raisons sanitaires. Seuls « l’enthousiasme et l’esprit de corps les faisaient encore tenir ». Dans toutes les batailles à venir, la supériorité sans partage de l’aviation anglo-américaine allait emporter la décision. « Nos efforts dans cette bataille furent vains, tant était énorme la supériorité matérielle de l’adversaire ».
La contre-attaque britannique, dans ce qui était devenu une bataille inégale entre matériels, conduit Rommel, désobéissant une fois de plus à l’ordre express d’Hitler de tenir sur place jusqu’au dernier homme, à exécuter une manœuvre de repli successifs en direction de la Tunisie. Il s’agit alors de sauver le plus grand nombre de vétérans pour les utiliser en Europe. Après une étape sur la ligne Mersa el Brega, l’Afrika Korps, prenait position le 15 février 1943 sur la ligne Mareth. Elle mettait un point final à cette grande retraite qui l’avait conduit d’El Alamein à la Tunisie. Retraite remarquable, durant laquelle le plus gros souci du Feldmarschall ne fut pas l’adversaire britannique mais la logistique et surtout le carburant. Retraite réussie, « je n’avais pour ainsi dire pas perdu un seul homme », largement grâce à la prudence, voire la pusillanimité de Montgomery.
Le 23 février 1943, Rommel prit le commandement du Heeres-gruppe Afrika regroupant la 1re armée italienne et la 5e armée blindée allemande chargé de défendre la Tunisie contre les forces alliées de l’opération Torch. Après quelques brillantes offensives, réussites tactiques sans influence sur le fond du problème qui restait l’énorme supériorité des moyens des Alliés, les forces germano-italiennes de Tunisie capitulèrent le 13 mai. Mais Rommel, depuis le 9 mars, avait déjà été rappelé en Europe.