Nouveau monde, nouveaux décideurs ?
Travaux préparatoires au colloque organisé par l’École nationale d’administration (ENA), l’École de Guerre (EdG), et l’École des Hautes études commerciales (HEC) à l’École militaire le 7 juin 2013
La parution de l’ouvrage Le siècle des chefs, qui retrace l’émergence du chef au XXe siècle en Occident comme besoin des sociétés et moyen de contrôler les « masses », nous offre l’occasion d’une double analyse de la thématique « Nouveau monde, nouveaux décideurs ? ». En effet, au travers d’un entretien avec son auteur, Yves Cohen, elle est l’occasion d’une mise en perspective historique et géographique de la figure du leader depuis la fin du XIXe siècle. Ainsi, ce regard rétrospectif éclaire la réflexion sur le XXIe siècle : l’évolution vers la gouvernementalité (Foucault) alliée à la vulnérabilité d’un espace mondial soumis à des crises de toute sorte souligne la pertinence des interrogations sur l’aptitude du décideur du nouveau monde.
Les mots de la décision - Flavio Bonetti, Charline Nicolas, Sylvain Salvaterra - p. 13-20
Le changement de paradigme qui caractérise le nouveau monde a conduit à rédiger un glossaire des « mots de la décision ». Celui-ci rappelle l’origine, parfois éloignée du sens que l’on connaît aujourd’hui, de près d’une vingtaine de mots ou termes liés au décideur, à la gouvernance et au nouveau monde, et les met en perspective des enjeux et défis de demain.
Avec un bilan mitigé, voire controversé, quel est aujourd’hui l’impact de la justice internationale sur les choix des décideurs ? L’adaptation des procédures de l’Armée française par rapport à la mise en place de la Cour pénale internationale (CPI) est intéressante et permet d’insister sur la perception des risques encourus (ou ignorés), au regard notamment de l’expérience française vis-à-vis du TPIY (et peut-être du TPIR) et des opérations dans lesquelles la France a engagé des forces militaires depuis l’entrée en vigueur de la compétence de la CPI (2002). Le droit ne doit pas créer d’inhibition pour le décideur. C’est une contrainte pour le chef militaire qui, acceptée et intériorisée, devient une force légitimant ainsi l’action des militaires.
Dans le monde complexe et protéiforme qui est celui du nouveau décideur, celui-ci recourt de plus en plus à « l’aide à la décision ». Ceci est particulièrement vrai dans le domaine militaire où le chef, sur le théâtre d’opérations, s’adjoint notamment les services d’un Political Advisor et d’un Legal Advisor. Quels sont les rôles respectifs de ces derniers ? Et surtout, quel est leur impact sur la décision finale ? Seule une approche pragmatique, au travers de plusieurs entretiens, nous est apparue de nature à répondre à ces questions cruciales au regard de la latitude du décideur moderne.
Face à la crise actuelle des valeurs, il est nécessaire de s’interroger sur leur mode de transmission, mais aussi de définir celles sur lesquelles se fonde la formation des décideurs aujourd’hui et les transformations à l’œuvre ces dernières années pour tenter d’établir celles qui pourraient ou devraient inspirer les décideurs de demain. Ainsi, si les écoles, qu’elles soient primaires ou supérieures, publiques ou privées, participent pleinement à l’enseignement des valeurs de la République, l’évolution de monde actuel rend cela insuffisant et doit conduire à remettre au cœur de la formation du décideur l’Homme et son environnement, le sens des responsabilités et celui du leadership, ainsi que la conscience des conséquences de son action.
L’éclatement des valeurs, c’est-à-dire l’affaiblissement des valeurs communes dans des sociétés marquées par un individualisme et un relativisme croissant, représente un défi pour les décideurs de demain. En effet, conjugué à la complexification des enjeux et à la modification de la perception du temps, le besoin de sens à donner à l’action se fait paradoxalement plus pressant. Le recours aux valeurs, à une somme de principes à partir desquels concevoir et conduire un projet collectif s’impose ainsi avec davantage d’acuité. Pour mobiliser un groupe et dégager une vision stratégique, le décideur doit accroître son engagement sur le terrain de l’éthique, sans pour autant instrumentaliser les valeurs.
Le général Éric Bonnemaison, auteur de l’ouvrage Toi, ce futur officier et ancien Commandant des Écoles de formation des officiers de l’Armée de terre, témoigne de l’importance de l’instruction des valeurs pour les futurs décideurs. Dans un nouveau monde toujours plus complexe et instable, les forces morales sont déterminantes pour donner du sens à l’action.
Afin d’enrichir les regards de l’administration publique et du monde militaire sur le décideur, plusieurs entretiens avec des personnalités exerçant ou ayant exercé des responsabilités de haut niveau dans des entreprises internationales ont permis de dessiner des aptitudes aujourd’hui exigées dans les entreprises de dimension mondiale. Ces entretiens brossent le portrait du décideur adapté au monde de demain, c’est-à-dire apte à répondre aux défis qui se posent aujourd’hui en termes similaires pour tous les décideurs du nouveau monde.
Dans un monde où la crise est plus structurée et structurante que conjoncturelle, les stratégies d’entreprise doivent s’adapter. Ainsi, le modèle des conglomérats sud-coréens s’est transformé lors de la grave crise asiatique des années 1990. Leur structure s’est adaptée afin de faire face aux nouveaux défis sans toutefois perdre leur âme. Le décideur au sein d’un groupe coréen possède une identité singulière comparativement à ses homologues anglo-saxons ou français quelque peu comparable à celle d’un stratège militaire.