Avant-propos
Avec le général Lucien Poirier décédé le 10 janvier 2013, disparaît le dernier de ces penseurs militaires (les autres étant Ailleret, Beaufre et Gallois) qui, chacun selon ses fonctions et ses responsabilités, auront contribué durant vingt ans de 1946 à 1968 (premier essai thermonucléaire français), à fonder la stratégie de dissuasion nucléaire de notre pays.
Contre vents et marées.
Contre les oppositions antinucléaires, les scepticismes atlantistes et la dérision à l’égard de nos capacités (« la bombinette »).
Dès son entrée en 1962 au Centre de prévision et d’évaluation créé par Pierre Messmer, ministre des Armées du général de Gaulle, Lucien Poirier s’est employé à poser les fondements de notre stratégie. Il a défini son domaine d’extension compte tenu des besoins et des moyens de la France. Avec une rigueur logique implacable, il a créé des modèles à la fois théoriques et pratiques, sans lesquels l’autorité politique n’aurait pu, en le faisant admettre, poursuivre son dessein.
Poirier, sans même que nous en ayons eu toujours conscience, a injecté dans nos esprits les concepts fondamentaux qui, aujourd’hui encore, et sans doute aussi demain structurent notre pensée : l’espérance de gain politico-stratégique, la manœuvre pour le test des volontés et des forces adverses, le seuil d’agressivité critique…
Au terme de ce travail séminal et forcément discret, Lucien Poirier fut affecté à l’IHEDN en tant que directeur des études militaires. Dans ces fonctions, il dispensa son enseignement aux auditeurs mais aussi dans les établissements d’enseignement militaire supérieur ainsi que dans nos grandes écoles civiles et les centres universitaires qui développaient alors les études de défense.
L’œuvre de Lucien Poirier est considérable. Elle a fait l’objet de nombreux ouvrages et articles qui n’épuisent pas, tant s’en faut, la richesse d’une investigation permanente durant l’ensemble de sa carrière et de sa vie. Aujourd’hui la direction de l’Enseignement militaire supérieur (EMS) soutenue par le Centre de documentation de l’École militaire s’emploie avec le concours du Pr François Géré, institué par le général Poirier comme son légataire spirituel, à mettre à la disposition du plus grand public cette œuvre magistrale.
Il appartient à tous ceux qui ont connu Lucien Poirier, à ceux qui ont étudié ses nombreux écrits de perpétuer sa mémoire. Mais à nous il incombe de pérenniser les principes de la stratégie de dissuasion nucléaire de la France et de contribuer au rayonnement de la pensée stratégique de notre pays. ♦