L'auteur, directeur à la Fondation pour les études de défense nationale (FEDN), est l'un de nos meilleurs théoriciens en matière de stratégie nucléaire. Il commente ici le projet de constitution d’une nouvelle « Force d’action et d’assistance rapide » qui avait été évoqué dans la presse en décembre 1982. Pour lui, une telle création constituerait, pour notre système de forces aéroterrestres, « la greffe » (d’où le titre de son article), qu’il appelle de ses vœux, afin que ce système se transforme, dans son organisation et dans ses modalités d’emploi, conformément à ce qu’il considère être la logique stratégique d’une puissance nucléaire. Dans son étude, l'auteur reste au seul plan théorique qui est le sien et se défend de prendre en considération les aspects financiers, technologiques et diplomatiques, donc politiques au sens le plus élevé du terme, de la transformation qu’il préconise. Cet article constitue une intéressante contribution à un débat en cours.
La greffe
En décembre dernier, la presse faisait état des directives adressées par le ministre de la Défense, le 24 novembre 1982, au Conseil supérieur de l’Armée de terre. Toute polémique eut été évitée si la critique avait pris ce texte pour ce qu’il était et ne pouvait qu’être : un document de travail destiné à orienter les études des états-majors ; des hypothèses soumises par le politique à l’analyse du militaire, non des programmes définitifs.
Cela dit, les hypothèses du politique ne sont pas quelconques : elles reflètent, d’abord, son opinion sur les fonctions de la violence armée dans la dynamique du système international ; ensuite, ses choix prévisionnels parmi toutes les stratégies militaires concevables pour soutenir son projet. Or, le document excite un intérêt d’autant plus vif que l’observateur extérieur y relève des innovations assez insolites pour l’autoriser à discerner une volonté de rupture avec l’état des choses — au moins pour ce qui intéresse nos forces de manœuvre aéroterrestres.
La principale nouveauté affichée réside dans une « force d’action et d’assistance rapide ». À elle seule, son introduction dans notre actuel appareil militaire paraît si lourde de conséquences qu’on doit s’interroger sur les raisons qui l’ont suggérée. Sans doute, un lecteur pressé peut-il n’y voir qu’une simple adjonction aux capacités d’action existantes ; mais le texte ministériel peut-il et doit-il être lu… textuellement ? La greffe d’une nouvelle force sur le système de nos forces aéroterrestres ne devrait-elle pas nécessairement retentir sur la nature, l’organisation et les capacités de ce système ? L’analyste doit donc se demander si cette innovation ne sera pas le germe d’un développement d’une toute autre ampleur, d’une transformation radicale affectant l’ensemble de nos forces. Mieux : si ce que dit le texte admet implicitement un tel développement, comment ne pas supposer que, en amont, quelque changement non-dit, dans les fondements mêmes de notre stratégie militaire et dans sa planification à long terme, justifierait une mutation n’intervenant, apparemment, que dans l’ordre subordonné des capacités opérationnelles ?
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