L'École militaire hier - Entretien avec le général Lucien Poirier
Il faut avant tout situer cette période. Sorti de Saint-Cyr en 1938, prisonnier au début de la Seconde Guerre mondiale, il fallut digérer la défaite en 1945 et s’engager à reconstruire notre défense. Mais dès 1945, la guerre froide commença tandis qu’éclatèrent un peu partout les guerres de décolonisation. Deux problèmes se sont alors superposés sur une longue période. La France fut mobilisée dans son Empire par les guerres de décolonisation prenant la forme de guerres révolutionnaires et de subversion, et cela jusqu’au moment où il fallut inscrire le fait nucléaire dans la pensée politico-stratégique moderne. La guerre d’Algérie achevée, la révolution consécutive au fait nucléaire s’est imposée.
La guerre froide ne fut donc pas seulement un affrontement entre deux blocs stabilisés par l’équilibre nucléaire, car elle fut traversée par une série de crises et de guerres révolutionnaires que le monde, dont la France, dut affronter. Le contexte à cette époque était donc double : d’une part, la rupture politico-stratégique provoquée par l’équilibre nucléaire ; d’autre part, les guerres mettant fin aux empires coloniaux. Nous devions donc traiter deux types de conflits internationaux, impliquant deux pensées stratégiques différentes : l’une, la liquidation d’un ordre établi – l’ordre colonial ; l’autre, la réflexion sur l’avènement d’un nouvel ordre mondial. Il fallut donc une pensée stratégique adaptée à chacun de ces types de conflit. Ma génération fut directement impliquée dans ces deux situations politico-stratégiques.
Personnellement, je fus d’abord engagé dans l’entreprise de décolonisation, et servis en Indochine et en Algérie. Entre mes deux séjours en Algérie, à Paris, je fus chargé notamment de la Revue Militaire d’Information (RMI), attaché à tenter de théoriser ces divers modes de guerre ; les guerres étaient révolutionnaires par leur finalité politique, la destruction ou la conservation d’un ordre établi ; elles étaient subversives dans leurs modalités par l’opposition de forces régulières à des forces irrégulières et au terrorisme.
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