Malgré les nombreux défis à surmonter, Xi Jinping est en passe de faire de la Chine une hyperpuissance capable de rivaliser avec les États-Unis. Résolus à conserver le leadership, ces derniers ont lancé une offensive économique et diplomatique, dénonçant les traités, renégociant les accords passés, usant de l’extraterritorialité du droit américain comme d’une arme géoéconomique. Cette guerre d’une nouvelle forme entre les deux titans précipite le délitement du système de gouvernance international et se fait au détriment de l’Europe qui peine à trouver sa juste place sur l’échiquier mondial. Face au risque de déclassement, il lui appartient désormais de se redéfinir, afin de devenir un acteur global qui pèse lui aussi sur les règles du jeu des puissances.
De la place de l’Europe dans la rivalité sino-américaine
La scène internationale s’est profondément transformée durant les 20 dernières années. Le 11 septembre 2001 a acté la mondialisation du terrorisme, menace identifiée comme prioritaire par les démocraties occidentales engagées depuis lors en Afghanistan, au Sahel et au Levant. À l’Est, l’interventionnisme militaire russe a repris des airs de guerre froide, en Géorgie en 2008, puis en Ukraine en 2014, avec l’annexion de fait de la Crimée, au terme d’une guerre hybride qui aura exploité tous les champs de la stratégie. En somme, le temps des incertitudes géopolitiques est revenu.
Pendant ce temps-là, la Chine tisse frénétiquement la toile de son influence économique en Afrique, en Europe et jusqu’en Amérique latine. Elle conduit une diplomatie de séduction pacifique tout en affirmant ostensiblement sa puissance militaire en mer de Chine où elle sanctuarise des pans entiers de surfaces navigables, en dépit du droit international maritime. Elle assure vouloir intégrer équitablement les règles de l’économie de marché, mais se montre très jalouse de son marché intérieur et intègre dans sa propre doctrine la pratique de l’espionnage à grande échelle. Elle prétend défendre le système international, mais mène une politique conduisant au surendettement massif des États clients, prenant le contrôle de leurs infrastructures vitales et de leur économie. Surtout, elle ne dissimule plus aujourd’hui son ambition de supplanter les États-Unis pour le leadership mondial.
Nulle surprise donc à ce que les États-Unis la considèrent dorénavant comme leur principal compétiteur stratégique et leur toute première priorité (1). Dans cette lutte sans merci pour dominer le monde, malgré des indicateurs macroéconomiques enviables, la Chine révèle pourtant de profondes vulnérabilités. Aura-t-elle les moyens de ses ambitions ? Dans le doute, les États-Unis relèvent le défi en opérant un retrait relatif mais brutal du système multilatéral, au mépris des intérêts de leurs partenaires traditionnels historiques. Ils privilégient désormais les rapports de force pour préserver leur avantage et ne ménagent plus leurs alliés traditionnels. Cette confrontation des volontés et ce jeu de dupes opposant les deux géants pourraient bien rompre l’ordre international établi.
L’Europe, quant à elle, s’interroge sur sa relation transatlantique et sur les opportunités de croissance offertes par la Chine. Dépendante de l’Otan et donc du parapluie nucléaire américain pour sa protection, elle pâtit de surcroît de sa faiblesse institutionnelle et peine à forger une unité capable de constituer un bloc cohérent face à l’adversité. Elle cherche à sauvegarder le principe du multilatéralisme, seul garant de la prospérité des petits États européens face aux États-puissances. Un temps séduite par la Chine, elle prend conscience du risque de déclassement de ses industries de pointe face aux nouveaux champions asiatiques. Attachée aux valeurs démocratiques, à la liberté et à la prospérité, elle doit sans tarder s’affirmer comme une puissance globale, sous peine de devenir malgré elle le terrain de la compétition stratégique entre les États-Unis et la Chine.
La Chine, leader mondial en 2049 : péché d’orgueil ou ambition réaliste ?
Quand la Chine part à la conquête du monde
Faire oublier le siècle d’humiliation
La Chine puise la force de son développement dans la volonté farouche de recouvrer sa juste place dans le concert des Nations. Première puissance au monde au XVIIIe siècle, elle n’usurpait pas l’appellation d’« Empire du milieu ». Conduites par une Europe conquérante en pleine révolution industrielle, les guerres de l’opium du XIXe siècle signèrent la fin de cet âge d’or et la chute du régime dynastique. Aujourd’hui encore, l’inconscient collectif chinois semble profondément marqué par la mise sous tutelle de Hong Kong durant 150 ans, l’ouverture forcée des ports aux puissances européennes et le sac du Palais d’été de Pékin. Les Chinois désignent de nos jours cette période de leur histoire comme le « siècle d’humiliation ». Les guerres sino-japonaises qui suivirent, en 1894 puis en 1937 (2) ont aussi laissé de très vives cicatrices dans l’esprit populaire. Pour aborder la Chine, il faut garder à l’esprit que ces blessures historiques structurent sa pensée et constituent un ressort puissant de la détermination des dirigeants du Parti communiste chinois (PCC).
Une ambition manifeste de puissance
Si le XIXe siècle a été européen et le XXe siècle américain, le secrétaire général Xi Jinping semble bien déterminé à faire du XXIe siècle le siècle de la grandeur chinoise retrouvée. Malgré les nombreux défis endogènes qu’il lui reste à relever, la Chine prend confiance et s’éveille véritablement à la conscience de sa propre puissance. Depuis le début des années 2000, spectatrice d’un monde qu’elle observait patiemment, elle affirme désormais sa volonté de peser bien davantage sur l’ordre international, quitte à bousculer les usages établis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Le monde occidental, quant à lui, prend conscience que la Chine est passée du statut d’« État malade de l’Asie » à celui de titan économique et technologique, rivalisant pour le leadership dans des domaines d’avenir comme l’intelligence artificielle, les biotechnologies, le Big Data et le spatial. Déployant ses tentacules sur tous les continents, forte de ses usines et de sa puissance de travail industrielle, dopée par le succès de ses entreprises de télécommunications et du numérique à l’international, elle se prépare avec opiniâtreté et méthode au centenaire du régime instauré par Mao Zedong en 1949. Sa force de frappe est avant tout économique (3). Elle a pour porte-étendards les BATX (4), autrement dit les GAFA chinois, et Huawei (5) dans la téléphonie mobile et l’équipement des réseaux Internet. La Chine vise au leadership sur au moins dix technologies de pointe d’ici 2025 et entend devenir la principale puissance manufacturière 4.0 du globe : le plan « made in China 2025 » exprime à lui seul la volonté de Pékin d’inonder les marchés internationaux avec des produits technologiques conçus et manufacturés en Chine (6). Après le « Grand bond en avant » et la « Révolution culturelle » planifiés sous Mao Zedong, la Chine entreprend en quelque sorte un « grand bond technologique ».
Un modèle alternatif au modèle occidental
Par opposition à Deng Xiaoping qui prônait « la stratégie du profil bas » pour développer la Chine en rassurant l’Occident et à Hu Jintao, partisan de « l’émergence pacifique », illustrée par les Jeux olympiques de Pékin en 2008 et l’Exposition universelle de Shanghai en 2010, Xi Jinping se montre sans complexe à l’égard des puissances occidentales. Sous sa férule, la Chine développe une stratégie d’influence globale et ne cache plus son ambition de former un modèle de gouvernance alternatif au système que les États-Unis ont imposé au monde depuis près de 80 ans. Troisième contributrice au budget de l’ONU et deuxième pour les opérations de maintien de la paix, elle fait preuve d’un nouvel activisme au sein des instances supranationales existantes. Elle jouit désormais du 2e réseau diplomatique au monde, derrière les États-Unis et devant la France.
En matière de gouvernance monétaire, en 2014, elle a créé la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, à laquelle la France a adhéré. Elle compte aujourd’hui 57 adhérents dont 14 pays membres de l’Union européenne (UE). Cette institution s’inscrit dans la stratégie dite des « Nouvelles routes de la soie » et concurrence directement la Banque asiatique d’investissement fondée en 1966 et dont les actions sont majoritairement détenues par le Japon et les États-Unis. À la même période, la Chine a également fondé à Shanghai la Nouvelle banque de développement avec les autres pays membres des BRICS (7), instrument qui lui permet de déployer une stratégie d’investissement et de prise d’actifs dans les pays émergents qu’elle prend le soin de courtiser. En somme, par ces accords bancaires, elle propose une alternative à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international. Elle conduit une diplomatie du chéquier qui lui permet de prendre pied sur d’autres continents en organisant avec méthode leur dépendance croissante.
Ce rabattage des cartes touche aussi le domaine économique. La Chine a ratifié dès 2002 un accord de libre-échange avec l’ASEAN (8) – Association des Nations de l’Asie du Sud-Est – qui représente près de 620 millions de consommateurs, hors marché chinois. La Chine passe à l’offensive en promouvant la « solution chinoise » (9), alternative du modèle libéral démocratique, aux pays en voie de développement. Elle démontre que la centralisation étatique, la planification de l’économie et l’interventionnisme d’État sont opposables au système occidental concurrent, moins à même selon sa rhétorique de gérer les crises telles que celle des subprimes en 2008-2009, crise à laquelle la Chine a bien résisté. Elle renforce de surcroît son réseau de médias en langues étrangères (10), pousse son influence jusqu’en Occident, en Europe de l’Est et en Europe centrale notamment.
Enfin, en matière de gouvernance de la sécurité internationale, outre les instances onusiennes dans lesquelles elle est bien présente à l’instar du Conseil de sécurité des Nations unies, la Chine peut compter sur des alliances historiques comme l’OCS (11) – Organisation de coopération de Shanghai – créée à son initiative en 2001 et qui vise à régler les problèmes sécuritaires, les échanges économiques et la coopération énergétique entre pays membres. Fin 2016, Xi Jinping a d’ailleurs annoncé la création d’une « nouvelle architecture de sécurité en Asie », système non fondé sur les structures existantes. En définitive, la Chine fait entrer l’économie mondiale dans une ère post-américaine et offre aux pays désireux de connaître un essor tout aussi spectaculaire un modèle qu'elle appelle la « solution chinoise ».
La Chine en proie à ses vulnérabilités
La dérive autoritaire
Pour trouver une trace des premières revendications démocratiques en Chine, il faut singulièrement remonter à la ratification du Traité de Versailles (12) et au mouvement populaire du 4 mai 1919 qu’il a engendré à Pékin. Ce soulèvement prit rapidement la forme d’une réaction contre le conservatisme du pouvoir en place. La guerre civile chinoise eut raison des attentes de la jeunesse et le destin de la Chine fut placé sous le sceau de l’aliénation à des puissances étrangères, essentiellement le Japon, jusqu’en 1949. Plus récemment, figurant la ferveur universelle générée par la chute du mur de Berlin en 1989, la jeunesse chinoise crut à nouveau à une possible ouverture démocratique du régime. Cinq mois auparavant, l’épisode tragique de la place Tiananmen avait toutefois rappelé au monde la détermination farouche du PCC à se maintenir au pouvoir.
Xi Jinping semble aujourd’hui plus que jamais résolu à renforcer le contrôle du Parti sur tous les secteurs de la société, restreignant les libertés individuelles, censurant la presse et emprisonnant opposants et rivaux (13) au nom d’une modernisation autoritaire du pays. Profitant de l’assemblée générale du PCC en 2018, le Président a du reste fait accepter deux amendements complémentaires dans la constitution de la République populaire : le premier supprime la limitation à deux mandats de 5 ans qu’avait instaurée le président Deng Xiaoping pour garder le PCC des dérives du passé. Xi Jinping dispose donc de la possibilité de présider à vie (14). Le second amendement confère au PCC le « rôle dirigeant » (15).
Par cette manœuvre législative, le PCC se dote d’un pouvoir omnipotent d’intrusion dans la sphère des entreprises privées comme au sein de toute administration. Il peut à son gré organiser l’inféodation complète des banques, firmes et universités au nom de la promotion d’une économie prospère servie par un exécutif fort. Le Parti vise véritablement à un recadrage idéologique de l’ensemble de la société. Converti aux valeurs du parti, marqué par son histoire personnelle (16), adepte du culte de sa personnalité, Xi Jinping ne sera pas le Gorbatchev chinois.
Le contrôle des citoyens et la mise en place du « crédit social »
Premier marché économique mondial du secteur des télécommunications et de l’industrie du Web, la Chine a patiemment construit une architecture réseau qui lui assure le contrôle total des serveurs et des opérateurs. La loi chinoise établit que les entreprises chinoises et étrangères sises sur le sol national doivent impérativement installer leurs serveurs en Chine (17) ; elle autorise aussi la pose de sondes captant et filtrant les contenus des échanges électroniques à des fins politiques ou d’ingérence économique. L’Internet chinois est devenu un immense Intranet sous supervision du régime, une véritable « muraille de Chine de l’électronique ».
Parallèlement, l’interconnexion des bases de données, les sauts qualitatifs de l’intelligence artificielle associés à la vidéosurveillance et à la reconnaissance faciale ont précipité le Parti dans des expérimentations visant à consolider son emprise sur les citoyens. Le Parti communiste chinois fait donc aujourd’hui du « crédit social » de chaque citoyen chinois – en vigueur dans certaines provinces depuis 2017 – un facteur de contrôle des individus, des opinions, des opposants, garantissant autant la stabilité du régime que la maîtrise de la corruption, vice endémique de l’administration.
Commencée sous la présidence de Hu Jintao au début des années 2000, la lutte contre la corruption a d’ailleurs connu une accélération récente sous l’impulsion de Xi Jinping qui y a vu l’opportunité d’éliminer ses rivaux politiques tout en répondant au ressentiment du peuple pour la caste la plus aisée. Fort des traditions confucéennes millénaires imprégnant la culture chinoise, le Parti entend bien gagner l’adhésion des Chinois dans l’instauration de ce système de récompenses/punitions. Il le présente comme un instrument d’assainissement des institutions et des entreprises nationales. Une telle entreprise interroge nos valeurs démocratiques quant au risque de dérive totalitaire en Chine.
Une crise écologique sérieuse
Effet pervers du miracle économique chinois, l’environnement a véritablement été sacrifié pendant près de 40 années de développement industriel anarchique. Obsédée par la nécessité de rattraper l’Occident, l’économie s’est développée plus rapidement que la conscience de la préservation de l’environnement. Dans les mégapoles, les taux de pollution aux particules fines dans l’atmosphère ont dépassé le décuple des taux seuils fixés par l’Organisation mondiale de la santé. Encore fortement dépendante de l’exploitation du charbon qui représente près de 60 % de sa production énergétique, la Chine en 2018 est aussi le premier pays producteur mondial de gaz à effet de serre.
Bien que consciente de sa part de responsabilité en matière d’impact environnemental, elle bénéficie encore du statut de « pays émergent » lui permettant de produire davantage que les pays occidentaux, en compensation des décennies de pollution générée par la révolution industrielle occidentale au XIXe siècle. La pollution endémique s’est muée en risque majeur de santé publique, obligeant le gouvernement à revoir ses politiques publiques. Il s’est ainsi pour la première fois doté d’un ministère de l’Environnement en 2008. Cosignataire des Accords de Paris sur le climat lors de la COP21, Pékin diversifie désormais activement son mix énergétique et investit massivement, prenant la tête mondiale des secteurs éolien et solaire. Son industrie automobile fixe ses objectifs de production à 25 % de voitures électriques à l’horizon 2025.
L’économie verte constitue de fait un axe stratégique que la Chine entend dominer à l’horizon 2040. Pour autant, l’industrie lourde et le secteur économique du bâtiment et des travaux publics sont encore largement déterminés par une surproduction alimentant l’export et épuisant les ressources. Ces facteurs d’incertitude grèvent la capacité du régime à garantir la maîtrise du risque environnemental et sanitaire.
Le défi de l’urbanisation
L’exode rural massif et le développement des mégapoles mettent le pouvoir au défi s’il ne veut pas que la physionomie de la société modifie l’adhésion passive de la population au parti. La Chine est en effet passée de 18 % de citadins en 1978 à 50 % en 2010 et devrait atteindre 60 % d’urbains en 2020 (18), ce qui transforme en profondeur les contraintes environnementales, sociales, économiques et politiques d’une population encore ancrée dans une culture rurale ancestrale.
Saturées, les mégapoles donnent lieu à une politique dirigiste qui décrète l’installation des populations ayant quitté les campagnes au sein de villes moyennes de moins de 500 000 habitants, le plus souvent dans des aires de repeuplement au centre ou à l’Ouest du pays. Dès lors, la problématique du développement d’une urbanisation porteuse d’une économie à deux vitesses se pose : d’un côté, les mégapoles élitistes, réservées à une aristocratie choisie qui tire les bénéfices juteux de la croissance ; de l’autre, les villes moyennes et coupées des centres productifs, peuplées de populations pauvres issues de l’exode rural. Ces politiques inéquitables sont autant de germes menaçant le subtil équilibre du miracle économique chinois.
Le vieillissement démographique
En 2015, Xi Jinping a mis fin à la politique de l’enfant unique établie en 1979 (déjà assouplie à plusieurs reprises dans certains cas). Si cette mesure a certainement permis de doper le redressement du niveau de vie moyen des Chinois, sortant des centaines de millions de personnes du dénuement, voire de la famine, elle s’est accompagnée d’effets pervers. Incapable d’assurer son renouvellement générationnel, la Chine a en effet fini par subir un vieillissement structurel. Ainsi, selon la formule consacrée, elle « risque d’être vieille avant d’être riche ». Sur le plan macroéconomique, la concurrence de la main-d’œuvre indienne commence à produire des effets alors que la démographie chinoise atteindra son apogée de 1,4 milliard de citoyens vers 2030, pour diminuer par la suite, le taux de fécondité étant de 1,6 enfant par femme.
Outre le déficit de main-d’œuvre dans la population active, la politique de contrôle serré des naissances a insidieusement déséquilibré la répartition hommes-femmes (19), engendrant des problématiques sociales. Les hommes adultes peinent à trouver compagne dans les régions rurales, accélérant l’exode vers les villes et donc les problématiques d’urbanisation et de misère sociale. Enfin, ce vieillissement pose la question épineuse de la gestion des seniors. Ce phénomène démographique est donc un facteur de vulnérabilité aussi économique que social.
Des conflits ethniques croissants
Le PCC s’inquiète de l’accroissement du fait religieux qu’il contrôle parfois très durement lorsqu’il s’agit des Bouddhistes dans les zones de peuplement tibétain (20) et des Ouïgours (21), peuple musulman et turcophone au Xinjiang. Pour exister, les religions doivent en passer par une tutelle officielle du Parti qui redoute un débordement du phénomène. La volonté d’autonomisation des Ouïgours est perçue comme un dangereux séparatisme par Pékin. Le pouvoir tend à peser davantage sur l’avenir de cette province en poursuivant le repeuplement par l’ethnie Han, groupe dominant en Chine et qui a fini par devenir majoritaire au Xinjiang. Les tensions croissantes entre les deux communautés donnent lieu à des explosions de violence qui, selon Pékin, justifient une politique ultra-répressive. La radicalisation des Ouïgours et leur allégeance croissante à des groupes terroristes tels qu’Al-Qaïda et Daech sont une réalité. La minorité bouddhiste tibétaine, quant à elle, pratique la révolte passive, animée par le dalaï-lama en exil en Inde depuis l’occupation du Tibet par l’armée populaire de Chine en 1950.
Autre source de vive préoccupation pour le régime, la spiritualité Falun Gong (22), apparue en 1992, réputée rassembler déjà près de 80 millions d’adeptes autour d’une pratique corporelle douce apparentée au Taï-chi-chuan. De crainte que ce mouvement ne mute en contestation politique du fait de sa notoriété, le pouvoir central use de tous les moyens pour persécuter ses pratiquants.
D’un point de vue géographique, le pouvoir chinois considère que le Tibet fait partie intégrante de la Chine continentale. Depuis l’avènement du maoïsme, il ne saurait être question que le toit du monde s’émancipe de la tutelle chinoise, d’autant que cette province est l’écrin des réserves hydriques des plus grands fleuves (Yangzi Jiang, fleuve Jaune, Mékong) de Chine et qu’il est la clef de la fertilité des terres arables du centre du pays.
De surcroît, cette région constitue une profondeur stratégique qui sépare la Chine de son rival voisin, l’Inde. La chaîne himalayenne et la domination des hauteurs et des cols sur son flanc Sud-Ouest assurent à la Chine une forme de supériorité stratégique sur ses grands voisins. Située à ses marches occidentales, la région du Xinjiang est tout aussi stratégique pour la Chine : elle abrite les centres spatiaux et les principales réserves d’hydrocarbures en Chine continentale et constitue un corridor évident pour les « Nouvelles routes de la soie ». La Chine subit donc un réveil de ses minorités qui revendiquent une relative autonomie. Ces dissensions internes mettent à mal l’unité apparente de l’État communiste.
Un ralentissement économique qui fragilise le Parti
Aujourd’hui, le ralentissement de la croissance économique chinoise est indubitable. Il apparaît cependant très difficile de déterminer son taux de croissance réel, les statistiques étatiques reposant pour une large part sur une pratique de manipulation des chiffres. L’ouverture aux principes de l’économie de marché sous l’ère Deng Xiaoping a sans doute fini par produire les effets structurels du monde industriel capitaliste : apparition du chômage en Chine et croissance en berne malgré les chiffres officiels de l’ordre de 6 à 7 % par an.
Bien que l’économie chinoise ait mieux résisté à la crise financière des subprimes de 2008 que les économies occidentales, elle a tout de même subi un ralentissement palpable lors de cet événement planétaire. Elle apparaît aujourd’hui marquée par un endettement structurel du secteur privé largement financé par les emprunts d’État sous-évalués. L’estimation de la dette des entreprises publiques avoisine les 160 % du PIB (23). Le coût du travail a en outre augmenté à la faveur de l’émergence d’une forte classe moyenne. Enfin, la production industrielle en grande partie adossée à la consommation des pays étrangers s’est ralentie significativement en raison des faibles taux de croissance des partenaires occidentaux et des mesures protectionnistes américaines instaurées en 2017 et 2018. La croissance chinoise est donc impactée par des facteurs structurels qui la rapprochent désormais des économies occidentales dont le potentiel de croissance est de plus en plus limité.
* * *
Conscient des multiples atouts de son pays et conduisant avec méthode son plan stratégique global en prévision des célébrations du centenaire de sa prise de pouvoir, le Parti communiste chinois est en passe de réussir son pari : faire de la Chine la première puissance économique mondiale. Le PCC n’ignore cependant pas les nombreuses vulnérabilités internes du pays qui le mettront au défi alors que le maoïsme peine à asseoir son emprise sur des citoyens de plus en plus mondialisés. Habile politicien, Xi Jinping l’a bien compris : puisant dans le confucianisme une idéologie de substitution au maoïsme, il s’appuie sur les valeurs traditionnelles et les racines culturelles chinoises pour les opposer à l’universalisme du modèle de la société américaine, servant ainsi la pérennité du régime. Au duel économique, la Chine pourrait donc bien ajouter le rapport de force idéologique.
États-Unis–Chine–Europe : des rapports de force inégaux
« America first » : un sursaut américain préjudiciable à l’Europe
Barack Obama : le pivot vers l’Asie
Les inflexions de la politique américaine déterminent bien souvent le cours des relations internationales. La fin de la guerre froide par effondrement du modèle soviétique a laissé l’Amérique seule face aux destinées du monde. L’illusion portée par cette nouvelle uni-polarité a été celle d’un monde enfin libre, ouvert à l’économie de marché et aux valeurs démocratiques, d’autant que la Chine donnait des signes positifs récurrents, montrant patte blanche pour faire oublier le massacre de la place Tian’anmen. Libres de toute entrave, unique superpuissance, les États-Unis se sont alors engagés dans des conflits militaires successifs pour asseoir davantage leurs intérêts nationaux, dans le Golfe persique en 1991, en Somalie en 1993, en Afghanistan en 2001 en réponse aux attentats du 11 septembre – après l’invocation de l’article 5 de l’Otan pour la première fois –, enfin une nouvelle fois en Irak en 2003. Au nom de la lutte globale contre le terrorisme, la diplomatie américaine est ainsi demeurée centrée sur le Moyen-Orient.
Barack Obama a été le premier président à véritablement réorienter la politique extérieure américaine, anticipant la montée vertigineuse de la Chine comme acteur global. Désengageant au moins en façade son pays du Moyen-Orient, Obama a opéré un virage majeur, un pivot géostratégique vers l’Asie (24). Ainsi depuis 2016, la plupart des troupes américaines sont stationnées en Asie (74 000 hommes). Le Japon héberge 121 sites de l’armée américaine, la Corée du Sud 83, l’Afghanistan, théâtre d’opérations encore ouvert, arrive en troisième position dans la région asiatique. Avec le retrait du Moyen-Orient (191 000 soldats en 2008 ; 18 800 en 2018), la part relative des effectifs en Asie est passée de 22 % à 57 % en dix ans (25). Le refus d’Obama, en 2013, de s’engager en Syrie malgré une ligne rouge franchie par le régime de Damas, le début du retrait partiel des troupes d’Afghanistan en 2014, le renforcement du dispositif militaire en Asie-Pacifique (26) témoignent de cette nouvelle stratégie qui éloigne l’Amérique des intérêts européens immédiats dans leur sphère géographique.
Donald Trump : stratégie de repli, affaiblissement du lien transatlantique
Les élections américaines de novembre 2016 ont véritablement atrophié le lien transatlantique. Elles ont brutalement mis fin à une période de stabilité et de rapprochement qui caractérisait les relations entre les États européens et les États-Unis : dès janvier 2017, désireux de satisfaire sa base électorale et de se conformer à ses promesses de campagne en partie dictées par des ressorts idéologiques, le nouveau président américain Donald Trump a commencé sa politique de déconstruction méthodique de l’ouvrage accompli par son prédécesseur démocrate. Affairiste, le président Trump pilote la diplomatie américaine selon des codes entrepreneuriaux (27).
À cette méthode peu orthodoxe il faut ajouter la désorganisation de l’Administration Trump et la nomination de deux « faucons », le néoconservateur John Bolton fin mars 2018 à la tête du Conseil de sécurité nationale et celle du républicain Mike Pompeo au Secrétariat d’État. Ces deux ultraconservateurs ont précipité le changement radical de posture de la diplomatie américaine. Le départ récent du général James Mattis du Secrétariat à la Défense a d’une certaine façon davantage perturbé la relation privilégiée que les chefs d’États européens entretenaient avec l’exécutif américain.
Sur le plan international, en dépit des usages diplomatiques visant à la coexistence pacifique, le président Trump a dénoncé en août 2017 l’Accord sur le climat pourtant signé à Paris à l’occasion de la COP21. Poursuivant sa manœuvre de désengagement, il a ensuite annoncé le retrait des États-Unis de l’UNESCO en octobre 2017 et du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU en juin 2018, quitte à positionner les États-Unis en marge des initiatives mondiales. Le 8 mai 2018, il a également dénoncé le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPoA) (28), l’accord sur le nucléaire iranien signé par Obama et défendu par la France. En juillet 2018, il a semblé remettre en question la clause de solidarité des membres de l’Otan, définie par l’article 5 de sa Charte, pour un pays tel que le Monténégro, dernier entré dans l’Alliance. Enfin, en février 2019, il a entamé la procédure de retrait du Traité sur les Forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) (29). Les divergences entre gouvernements français et américain sont devenues habituelles depuis l’installation du président Trump à la Maison-Blanche. Outre les désaccords sur la politique en matière de développement économique préservant l’environnement et le climat, les anicroches se sont multipliées sur le commerce extérieur, le FNI et sur l’Europe de la défense ou encore sur le Brexit, option soutenue par l’administration Trump.
Une offensive économique tous azimuts n’épargnant pas l’Europe
Donald Trump a depuis étendu au domaine économique cette stratégie de déni des engagements américains passés : fondée sur le slogan « Make America Great Again » et « America First », sa campagne a ouvert une nouvelle page dans la mondialisation, se matérialisant par la tenue de négociations bilatérales ou trilatérales privilégiées avec des partenaires stratégiques choisis, au détriment des traditionnels cercles internationaux de concertation. Ainsi, en 2018, il a par exemple renégocié les accords commerciaux TPP – Partenariat transpacifique (30) – et TAFTA – Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (31) – passés avec ses alliés notamment européens afin de les rendre plus favorables aux États-Unis, au détriment des autres protagonistes signataires. En 2017, il a fait pression sur le Canada et le Mexique pour détricoter les accords Alena (32) et les recomposer à l’avantage des États-Unis.
En opérant ainsi de façon rétrograde par rapport au système international, décidant du retrait relatif des instances multilatérales pour préférer les négociations bilatérales, il a en réalité opté pour un retour pur et simple aux rapports de force antérieurs à l’établissement des règles de régulation du commerce mondial initiées par les Accords de Bretton Woods de juillet 1944. Il prône désormais un net raffermissement de la posture américaine vis-à-vis des compétiteurs majeurs comme la Chine et même l’Union européenne, décidant de l’instauration de mesures douanières fortement protectionnistes et anticoncurrentielles. Si elle devait se concrétiser dans le temps, une telle posture pourrait conduire à rendre totalement inopérant le cadre multilatéral garanti par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
La prédation des entreprises européennes
Agressifs voire prédateurs dans tous les secteurs du jeu économique, les États-Unis convoitent des technologies européennes de pointe : en 2014, General Electric a pris le contrôle d’Alstom, fleuron des turbines des centrales nucléaires « made in France ». La simultanéité des poursuites engagées par le département de la Justice américain (DoJ) à l’encontre de grands groupes européens ou français et de la cession de leurs actifs à des fonds ou firmes américaines est singulière. Naturellement, elle interroge quant à la réelle indépendance de la justice américaine par rapport à l’exécutif (33). Le groupe Alstom aurait-il vendu sous la pression, pour tenter d’échapper à une condamnation pour corruption aux États-Unis ? Certains médias français ont soupçonné une possible collusion entre General Electric et le département de la Justice, sans l’accréditer toutefois.
Les firmes françaises Total, Technip, Alcatel et Alstom figurent bien au tableau de chasse du DoJ. Elles ont toutes été condamnées à des amendes qui ont atteint des centaines de millions de dollars, voire au-delà. Depuis, l’entreprise Technip, spécialiste française du secteur pétrolier, a été rachetée par la firme américaine FMC Technologies en janvier 2017. La Société Générale quant à elle a été contrainte de débourser plus d’un milliard de dollars à la justice pour avoir contourné l’embargo américain sur Cuba et l’Iran notamment. De son côté, BNP Paribas a dû payer près de 9 milliards. Par ailleurs, le DoJ a ouvert une enquête sur des soupçons de corruption chez Airbus qui font déjà l’objet d’investigations en France et au Royaume-Uni. Seul concurrent européen crédible des grands avionneurs américains, Airbus est aujourd’hui fortement menacé (34).
Il apparaît logique de conjecturer que, sous couvert de lutte contre la corruption, l’appareil d’État américain affaiblit certaines entreprises stratégiques pour mieux se positionner sur les marchés mondiaux. En tout état de cause, les entreprises européennes et françaises ont été poursuivies sur la base de l’« extraterritorialité du droit américain ». En effet, la législation américaine permet de poursuivre des entreprises non américaines à l’étranger, à condition qu’elles aient un lien avec les États-Unis. L’appréciation de ce « lien » apparaît extrêmement large puisqu’il suffit que les entreprises effectuent une transaction en dollars ou qu’elles utilisent une technologie américaine pour que des poursuites puissent être engagées. Les groupes industriels visés peuvent alors tomber sous l’emprise de l’appareil répressif américain, par exemple à la suite du transit sur le sol américain d’un de leurs hauts responsables ou en raison d’une extradition depuis un quelconque pays redevable aux États-Unis. Il semble aisé ensuite de contraindre ces entreprises à des procédures de plaider-coupable pour obtenir une libération sous caution de leur représentant ou le relâchement de l’étau judiciaire.
L’intérêt de ces pratiques agressives est d’écarter les potentiels concurrents et de conserver l’avantage, notamment face aux Chinois, dans ce qu’on pourrait appeler « la nouvelle guerre économique » : selon Pierre Lellouche, ancien député des Républicains, « c’est une stratégie délibérée des États-Unis de mettre en réseau l’ensemble de leurs agences de renseignement et leur justice afin de mener une véritable guerre économique à leurs concurrents » (35). Donald Trump recompose en réalité une relation économique États-Unis–Europe en faveur de son pays, dans une perspective de confrontation avec la Chine.
La relation États-Unis–Chine : un rapport de force exacerbé
La Chine : une logique de rattrapage des États-Unis
Depuis la chute de l’URSS, l’essor chinois a peu à peu redistribué les cartes géostratégiques : tensions sur le devenir de la relative autonomie de Taïwan, compétition pour les énergies fossiles et les terres rares dont la Chine contrôle une majeure partie des gisements (36), contrôle accru des voies d’acheminement maritimes et terrestres en mer de Chine, revendication d’espaces maritimes prétendument historiques par la Chine…
Les États-Unis considèrent désormais que la Chine est en mesure de porter atteinte à leurs intérêts d’autant que de nombreux incidents concrets sont venus consolider ce sentiment au cours des 20 dernières années. De l’exportation supposée de technologies nucléaires militaires vers la Corée du Nord aux démonstrations de force dans le détroit de Formose (37), en passant par l’arraisonnement d’un appareil P-3 Orion (38) d’observation américain par des intercepteurs chinois, les indices de l’exacerbation du rapport de force sont nombreux.
Consciente de l’impasse très probable d’un affrontement militaire direct avec les États-Unis, tirant les leçons de près de 40 années de guerre froide et de l’écrasante supériorité militaire des États-Unis notamment révélées par la guerre du Golfe de 1991, la Chine a donc décidé de conduire une modernisation sans précédent de l’Armée populaire de libération (APL) (39) d’ici 2025 pour compenser son retard sur les États-Unis. Cette modernisation touche autant l’augmentation significative et récurrente du budget de la Défense que l’organisation territoriale du commandement opérationnel, les équipements militaires de premier rang, les technologies de pointe et l’hyperconnectivité des systèmes d’armes ou encore le développement de capacités expéditionnaires. En outre, la Chine promeut une compétition dans tous les champs de confrontation, en demeurant prudemment sous le seuil de la belligérance armée, cultivant l’ambiguïté et la ruse selon les préceptes de Sun Tzu.
La Chine : une stratégie de désenclavement continental
À la faveur de la lutte globale contre le terrorisme international, mais aussi pour garantir la sécurité de leurs alliés dans la région pacifique face à la prolifération nucléaire et à la rhétorique belliqueuse de Kim Jong-un, les États-Unis ont déployé un dispositif militaire massif depuis 2001, au Japon, en Afghanistan, en Corée du Sud ainsi que dans le Pacifique. Pour entraver la liberté de manœuvre diplomatique de la Chine, l’Administration Trump tente même depuis plus d’un an de trouver un accord providentiel avec le dictateur nord-coréen.
De son côté, la Chine interprète cette forte empreinte américaine à ses portes comme une stratégie d’encerclement à laquelle elle répond par la stratégie Belt and Road Initiative, ou en français « Nouvelles routes de la soie », ce que les Chinois traduisent aussi quelquefois par « Communauté de destins communs ». Il s’agit d’une stratégie destinée à renforcer l’empreinte économique, politique, diplomatique et militaire de la Chine. Cette entreprise gigantesque vise à investir massivement dans les infrastructures de transport multimodales (voies ferrées, pipelines, terminaux portuaires, aéroports) à l’étranger pour contrôler les flux commerciaux terrestres et maritimes et garantir des débouchés aux surcapacités de production chinoises. Ainsi, la Chine a approché plus de 120 pays à ce jour et a débuté la sinisation de l’Asie et de l’Afrique. La « route » désigne les voies de communication maritimes et les câbles sous-marins reliant la Chine aux autres continents. La « ceinture » englobe les réseaux de liaisons terrestres en matière de transport vers l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient. Ce projet faramineux illustre que la mondialisation n’implique pas nécessairement l’uniformisation : au contraire, cela semble davantage une source de fragmentation ou de bipolarisation du monde entre Occident et Chine.
Elle établit d’autorité un véritable réseau de bases avancées, en mer de Chine, par poldérisation puis sanctuarisation d’archipels mais aussi à l’étranger, par l’établissement de bases militaires à l’instar de celle de Djibouti en 2017, enfin par des concessions de ports (40) octroyées par des pays dont elle achète les terminaux. Ces points d’appui maritimes ainsi constitués forment le fameux « collier de perles » (41), volet maritime des « Nouvelles routes de la soie », qui sécurise les flux maritimes et commerciaux de la Chine et concurrence les réseaux nord-américain et européen.
Les opérateurs portuaires publics sont d’ailleurs au cœur d’une véritable stratégie agressive adoptée par Pékin. Les acquisitions de concessions portuaires dans l’océan Indien, au Moyen-Orient, en Afrique de l’Est et jusqu’en Europe de l’Est, voire en mer du Nord et en Méditerranée, sont autant d’opportunités de redessiner la carte des échanges commerciaux, déterminants du pouvoir géoéconomique à l’échelle mondiale. Ces achats de terminaux dans les ports étrangers sont l’expression tangible d’une stratégie qui vise à relier la Chine à l’Europe, à l’Afrique et au Moyen-Orient par la mer, la route, les voies ferrées et les pipelines.
C’est en quelque sorte une façon de prendre le contrôle du commerce mondial comme le firent les États-Unis dans un passé récent avec le dollar et le droit. C’est aussi une façon d’influer sur les décisions politiques des pays partenaires ou de l’UE par exemple, par le poids considérable des investissements chinois dans les pays clients tels que la Grèce. En globalité, la Chine contrôle à présent près de 10 % des capacités portuaires en Europe. Cette stratégie offensive soutenue par Pékin profite de règles inéquitables : outre la collusion parfaite entre le pouvoir central et les intérêts financiers, il n’existe pas de règle antitrust en Chine, à l’inverse de l’Union européenne (la Commission européenne a compétence exclusive sur la politique de la concurrence selon les termes du chapitre VII du Traité sur le fonctionnement de l’UE) ou des États-Unis (loi dite Sherman Antitrust Act de 1890). Les opérateurs de transport chinois sont donc favorisés face aux firmes occidentales.
Enfin, après le territoire national proprement dit, la Chine considère la mer de Chine comme le second cercle de ses intérêts vitaux, car directement liée à sa souveraineté territoriale continentale. En conséquence, elle multiplie les tactiques de « fait accompli » et les actions diplomatiques, établissant parallèlement une architecture de sécurité dans la profondeur de ses approches maritimes. Ce facteur cristallise les tensions sino-américaines.
Stratagèmes chinois : diplomatie du crédit et pillage technologique
Les entreprises chinoises investissent dans le monde entier à une échelle inédite, forgent des partenariats auprès d’États qui parfois s’endettent au-delà de leurs capacités de remboursement, franchissant les 200 % du PIB en crédit consenti (42). Depuis 2015, la Chine investit plus à l’extérieur de ses frontières que ce qu’elle reçoit comme investissements étrangers, usant à l’envi de la diplomatie du crédit pour prendre le contrôle des infrastructures vitales de pays vulnérables et influencer leur politique étrangère. En effet, la Chine a tout intérêt à préserver le statu quo en Afrique où elle puise l’essentiel de ses ressources minières, un soutien diplomatique sur les questions frictionnelles telles que le devenir de Taïwan, la circulation maritime en mer de Chine ou la souveraineté des îles Spratleys ou Paracels. Ce genre de dynamique a provoqué une vague de réactions des pays occidentaux qui dénoncent une politique de prédation dangereuse pour la stabilité des États ciblés.
Au-delà de cette politique d’investissement et de crédit massifs, la Chine organise la prédation par tous les moyens. Disposant du plus grand réseau d’espionnage au monde (43), d’une diaspora puissante exploitée par le PCC, le pouvoir central va jusqu’à formaliser le recrutement des meilleurs experts internationaux dans des domaines clefs : c’est l’objet du plan « 1 000 talents ». Le but est de ramener le savoir en Chine et d’en priver les compétiteurs étrangers. Dans le même esprit, le PCC encourage officiellement l’expatriation de centaines de milliers d’étudiants et de stagiaires à l’étranger et mène depuis 2006 une course à la captation des brevets. Le ministère des Sciences et Technologies prévoit en effet de mobiliser toutes les énergies pour l’atteinte des objectifs de développement économique, afin de gagner en compétitivité par rapport à la concurrence. La course à l’innovation est à ce prix et le Gouvernement de Pékin a même légalisé cette pratique, encourageant systématiquement la coopération active des citoyens travaillant dans les entreprises étrangères. Au charme des hirondelles et à l’influence rampante des instituts Confucius, Pékin ajoute le zèle d’une diaspora coopérative.
La Chine puise par ailleurs dans les entreprises étrangères, en partie délocalisées chez elle, les sources de son innovation. L’exemple d’Airbus est à ce titre très illustratif de la stratégie de remontée de filière : en 2012, sous la houlette de Louis Gallois, directeur exécutif d’Airbus, le groupe installe une usine d’assemblage de la gamme A320 à Tianjin afin d’obtenir un accès privilégié au marché intérieur des compagnies aériennes chinoises. Bien sûr, cet accord prévoit des transferts technologiques conséquents. Résultat : fin 2015, le premier exemplaire du C-919 de conception entièrement chinoise est présenté au public : il s’agit du clone parfait de l’A320. Bis repetita en mars 2016 : Airbus annonce l’installation d’une chaîne de montage long-courriers A330. En 2018, Pékin annonce la mise en service de son jumeau, le C-929, pour 2023 alors que dans le même temps, Airbus monte un centre d’innovation à Shenzhen. Cette situation illustre la réalité macroéconomique : Airbus ne vend en Chine qu’à la mesure des transferts technologiques concédés. On pourrait citer bien d’autres cas analogues, à l’instar du train à grande vitesse copié puis produit par les Chinois en une décennie. Malgré les efforts de la Direction interministérielle en intelligence économique et des services de renseignement français, malgré les efforts de coordination européens, force est de constater que ni l’Union, ni les pays européens ne sont de taille à lutter efficacement contre un tel tsunami. L’aveuglement de responsables politiques à tous niveaux ne facilite pas une convergence européenne en la matière.
La riposte américaine
À l’occasion de sa dernière visite d’État à Pékin en 2014, Barack Obama a indiqué vouloir « accueillir avec optimisme l’essor d’une Chine porteuse de paix, stable, prospère et acteur responsable des affaires internationales » (44). Pour Donald Trump, le compte n’y est décidément pas. Les accusations de son Administration à l’égard du régime communiste sont récurrentes. Elles couvrent pour l’essentiel tout l’éventail du champ économique : manipulation du yuan, transferts de technologie forcés pour les firmes américaines souhaitant installer des antennes en Chine et profiter du marché intérieur chinois, inobservation des règles de concurrence équitable, mesures protectionnistes unilatérales chinoises, dumping social, conditions de travail et normes environnementales désastreuses, déséquilibre marqué de la balance commerciale (45) en faveur de la Chine qui détient, de surcroît, 1 100 milliards de dollars de dette américaine (46).
Les États-Unis n’acceptent plus la stratégie délibérée et systématique de ponction des technologies par le titan asiatique, responsable selon le FBI (Federal Bureau of Investigation) de la perte de millions d’emplois sur le sol américain et de plusieurs dizaines de milliards de dollars annuellement. Les États-Unis ont donc résolument opté pour le rapport de force tous azimuts. Le 8 mars 2018, le président Trump signait le décret imposant des taxes rehaussées sur les importations d’aluminium et d’acier qui ont eu pour effet de déclencher une série de contre-mesures européennes et chinoises. La guerre commerciale était déclarée.
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Élu sur une campagne prônant la défense à tous crins des seuls intérêts nationaux, Donald Trump a brutalement mis fin à une période de relative stabilité internationale, en rejetant le multilatéralisme lorsqu’il n’était pas avantageux pour son pays. Considérant la Chine comme une menace, les États-Unis sont résolus à faire plier Pékin. Ils ont déclenché une véritable offensive économique à l’échelle mondiale au risque d’une surenchère périlleuse. Pour sa part, la Chine poursuit sa stratégie offensive voire agressive de désenclavement continental. Elle cherche en Afrique, en Europe et au-delà de nouveaux marchés porteurs de croissance, tout en se prémunissant d’un encerclement stratégique américain dans la zone Asie-Pacifique. Elle pratique une diplomatie du chéquier pour rallier les pays en voie de développement auxquels elle propose une « solution chinoise », alternative au système actuel de gouvernance mondiale. Face à ces deux belligérants, l’Europe apparaît fragmentée, incapable d’adopter une stratégie globale.
L’Europe, une puissance globale ?
La faiblesse institutionnelle de l’Union européenne
Une Union divisée
Face à deux États-puissances dont la stratégie internationale apparaît cohérente bien qu’elle puisse être discutable, les pays européens ne sont pas en mesure d’opposer une résistance suffisante, eu égard à leur faible poids relatif dans l’équilibre géoéconomique mondial. Bien sûr, l’Union européenne pourrait constituer un ensemble de taille critique crédible pour faire valoir ses intérêts, si le consensus n’était pas si ardu à trouver entre États-membres.
L’actualité vient une nouvelle fois illustrer ce constat par le dossier proposé par la France de la taxation des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), sur la base de leur chiffre d’affaires réalisé en Europe. Ce sujet divise l’Europe sans parvenir à faire consensus. La perspective du Brexit a fragilisé la cohésion européenne, par ailleurs battue en brèche par les chefs d’État du groupe de Visegrád (47) ainsi que par le renouveau des partis souverainistes et populistes en Europe, notamment à la faveur de la crise migratoire de 2015. Les citoyens de l’UE ne se sentent pas réellement représentés par le Parlement européen ou par la Commission européenne. En outre, la lourdeur institutionnelle de l’Union ne favorise pas sa réactivité, le compromis étant souvent le déterminant de la décision. La volonté du président de la République Emmanuel Macron de réformer l’UE n’est aujourd’hui pas entièrement partagée par les chefs d’États réunis en Conseil européen malgré certains succès concernant l’architecture européenne de sécurité. En somme, la division semble encore l’emporter sur l’adhésion, ce que reflète l’absence de réelle stratégie pour l’Union européenne.
Jouant sur cette vulnérabilité, la Chine adopte une stratégie de négociation avec l’UE depuis 2012 qui vise à saper la coordination communautaire par un dialogue dit « 16 + 1 ». Ce forum de discussion s’adresse aux pays d’Europe centrale et de l’Est tout en contournant les instances de l’Union. Globalement, la Chine exploite systématiquement les facteurs de division et privilégie les négociations au sein de forums informels tels que le Forum Chine-Afrique (2000), le Forum Chine-Pays arabes (2004), le Forum Chine-Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (2015).
De son côté, le président Donald Trump multiplie les rodomontades à l’égard de l’Union européenne (48), accusée de vouloir affaiblir l’Alliance atlantique par le développement d’initiatives telles que l’Initiative européenne d’intervention (49) ou le Fonds européen de défense (50) dont l’objet est de consolider les structures de la Politique de sécurité et de défense commune (51). Bien que cet effort budgétaire de défense des pays de l’Alliance concoure à une plus juste répartition du burden sharing (« partage du fardeau »), longtemps demandée par les États-Unis, l’Administration américaine accueille avec peu d’entrain une capacité susceptible de concurrencer leur industrie de l’armement vis-à-vis de clients parfois captifs comme la Pologne, les pays baltes, la Roumanie ou encore le Royaume-Uni.
Les États-Unis jouent habilement de la peur atavique des pays qui ont connu le joug soviétique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Quant au Royaume-Uni, sa sortie probable de l’Union européenne, la préservation de sa special relationship avec son cousin outre-Atlantique, sa dépendance technique en matière de renseignement et de technologies spatiales expliquent une inféodation marquée. L’UE, une fois de plus, apparaît fragmentée et peine à affirmer sa volonté d’autonomisation technologique et industrielle pour renforcer sa souveraineté stratégique.
L’Europe : l’union sacrée comme remède au déclassement
« Unie dans la diversité » (52)
Pour sauvegarder le modèle multilatéral et son rang à l’international, l’Europe n’a d’autre choix que de se redéfinir, de décider d’une stratégie de long terme afin de jouer un rôle à la mesure de son histoire, de sa culture et de sa puissance potentielle. Elle doit saisir l’opportunité des bouleversements à venir pour consolider sa place sur l’échiquier mondial. Ensemble démographique de plus de 500 millions d’âmes, riche de la diversité de ses cultures et de ses langues, forte de son outil industriel et de ses territoires et ressources naturelles, l’Union européenne doit valoriser les leviers dont elle dispose : sa diplomatie et son soft power (force de conviction) pour imposer sa volonté, sa puissance normative et sa déontologie pour réguler les nouveaux champs de compétition (spatial, cyberespace, Big Data, etc.) et protéger son marché intérieur.
L’unilatéralisme américain : une fenêtre d’opportunité pour l’Europe
La France dispose d’atouts pour être force de propositions de ce projet ambitieux. Diplomatiquement, Paris doit tenir bon face aux États-Unis quant à l’effectivité de l’Accord de Vienne (le JCPoA) pour espérer maintenir l’Iran en conformité avec les exigences du Traité et éviter une dégradation de la situation au Moyen-Orient. Comme l’illustre la genèse du Special Purpose Vehicule (SPV (53)), la solidarité européenne sur ce dossier est aujourd’hui exemplaire. Elle pourrait, parmi d’autres, devenir un catalyseur d’une émancipation de l’Union européenne en matière de stratégie diplomatique vis-à-vis de son allié parfois envahissant, en dépit des incertitudes entourant le Brexit. L’UE et la France pourraient se positionner avec pragmatisme en contrepoids efficaces de l’approche extraterritoriale américaine.
Sur le champ diplomatique encore, l’UE doit se souvenir qu’elle demeure le premier partenaire économique de la Chine, avec laquelle elle enregistre un déficit commercial abyssal (54) : elle a toutes les raisons d’exiger la réciprocité des règles régissant les accès aux marchés intérieurs européens et chinois, facteurs de croissance pour les deux puissances, quitte à fragiliser l’OMC pour mieux la restructurer à terme avec l’aide des États-Unis et du Japon. Cette organisation supranationale est devenue incapable de garantir le respect de la propriété intellectuelle et la législation sur les brevets. L’Union peut envisager de rétablir en équité les droits douaniers vis-à-vis de la Chine, quitte à fragiliser temporairement ses importations.
Sur le plan bancaire, l’UE abrite nombre d’actifs chinois : elle dispose donc des leviers pour faire fléchir la position du partenaire oriental. Enfin, il serait déterminant que l’Europe se dote enfin d’une vision politique industrielle, d’un budget à la hauteur de son PIB global (2e du monde après celui des États-Unis) en appui de l’innovation et à plus long terme, d’un système plus homogène de régulation sociale et fiscale entre pays membres.
Sécurité et défense, premières briques d’une plus grande autonomie stratégique
L’Europe n’est pas une puissance militaire. Pourtant, comme l’a rappelé Emmanuel Macron dans son discours de la Sorbonne du 26 septembre 2017 (55), elle a besoin d’une PSDC forte. Il lui appartient de rechercher une convergence dans les volontés politiques, économiques et industrielles pour consolider la Base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) et s’affranchir du carcan des normes américaines de type International Traffic in Arms Regulation (ITAR) (56) qui avantagent considérablement les firmes américaines. L’établissement de coopérations européennes équilibrées de taille critique suffisante pour se mesurer aux firmes américaines, chinoises ou indiennes est un préalable au fondement d’une politique européenne d’équipement.
L’entretien d’une BITDE crédible, performante et innovante, compétitive à l’échelle mondiale est l’une des conditions essentielles de la souveraineté européenne par essence partagée entre pays membres. À terme, l’Europe pourrait proposer un système de normes et de standards industriels opposables à l’hégémonie américaine dans ce domaine, pour assumer davantage sa propre sécurité et poursuivre le développement d’outils ad hoc afin de converger vers des stratégies communes et une BITDE partagée.
Du point de vue doctrinal, la France pourrait à terme étudier l’opportunité d’ancrer les intérêts vitaux de tout ou partie des pays membres de l’UE avec les siens propres, comme suggéré en creux dans le discours d’Istres sur la dissuasion nucléaire du président François Hollande en 2015. Bien qu’une telle hypothèse soit sur le principe très discutable, elle n’en constitue pas moins une offre de garantie de sécurité complémentaire à la solidarité de l’Otan.
Souveraineté des données numériques
La recherche d’une plus grande autonomie stratégique passe par le rapatriement d’une partie des serveurs informatiques en Europe et par le développement d’outils d’hébergement de données sensibles à grande échelle. Aujourd’hui, beaucoup de firmes françaises ou européennes archivent leurs données sensibles sur des serveurs installés aux États-Unis en accès à distance (Cloud). Elles sont donc soumises au Cloud Act, loi qui dispose que tous les fournisseurs de services Cloud américains, de Microsoft à IBM en passant par Amazon, doivent, lorsqu’ils en reçoivent l’injonction du FBI ou de la justice, fournir des données stockées sur leurs serveurs aux autorités américaines, quels que soient leurs emplacements. Autrement dit, cette loi confère un droit d’accès quasi illimité à des informations privées appartenant à des firmes ou des ressortissants européens, en contradiction avec la législation européenne portée notamment par le Règlement général sur la protection des données (RGPD) (57).
La Chine revendique également l’accès extraterritorial aux données. La loi sur le renseignement national que la Chine a mise en place en 2017 exige en effet que tous les citoyens aident les autorités à accéder à l’information où qu’elle se trouve. C’est en partie pourquoi il semble opportun de bien considérer les vulnérabilités potentielles que constituerait l’apport de technologies chinoises d’échange de données numériques et de télécommunication sur les réseaux nationaux, à l’instar de la 5G proposée par Huawei (58). Il est primordial que l’Union européenne accélère sa propre offre souveraine dans le secteur des données, à condition qu’elle parvienne à montrer un front commun. Il nous appartient en outre de développer des architectures de protection cybernétique plus performantes contre le pillage des données sensibles gérées par les firmes européennes et de systématiser l’usage de moteurs de recherche nationaux ou européens (comme Qwant). Cela pourrait se coupler avec un usage plus répandu de suites logicielles ouvertes (Libre Office, logiciels sur une base Linux…), au détriment d’entreprises monopolistiques telles que Windows, Microsoft Office ou Apple.
Vers des normes juridiques européennes
L’extraterritorialité du droit américain exerce des pressions intolérables sur les firmes européennes. S’il n’y a pas de panacée juridique pour contrecarrer les positions et les sanctions unilatérales américaines, des dispositifs doivent cependant être envisagés sérieusement, et leur possible mise en œuvre est une première étape nécessaire de la réplique. La Commission européenne a d’ores et déjà débuté la mise sur pied d’instruments de contournement, de blocage, voire de coercition, afin de mieux défendre les intérêts des entreprises européennes. À ce jour, la principale parade européenne existante contre l’extraterritorialité reste le règlement UE n° 2271/96 du 22 novembre 1996, dit règlement « de blocage ». Ce mécanisme a été mis en place en réponse à deux réglementations américaines de 1996, les lois Helms-Burton et d’Amato-Kennedy, instituant des embargos contre Cuba, la Libye et l’Iran. Fondamentalement, ce règlement de blocage dispose que les opérateurs de l’Union ne doivent se conformer ni aux décisions, ni aux sanctions prononcées par les autorités américaines, l’UE ne reconnaissant pas son applicabilité aux opérateurs de l’UE pas plus que ses effets sur ceux-ci.
Selon les termes de ce règlement, tout ressortissant d’un État-membre de l’Union européenne ou toute personne morale enregistrée dans un État-membre doit en substance informer la Commission européenne de l’existence d’une sanction extraterritoriale qui impacterait ses intérêts économiques ou financiers, dans les 30 jours à compter de la date à laquelle il prend connaissance de cette mesure. Il lui est aussi fait interdiction de se conformer à toute injonction ou interdiction résultant d’une sanction extraterritoriale, sous peine de se voir infliger des pénalités par la Commission. La mise en œuvre de ce type de dispositif est donc possible et même souhaitable. L’intérêt de cet instrument juridique vise à dissuader les autorités américaines, en particulier l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) du Département du Trésor, de prononcer des sanctions à l’encontre des opérateurs de l’Union européenne.
Les sanctions financières et judiciaires américaines forment un puissant instrument de domination des États-Unis. BNP Paribas, la Société Générale, Volkswagen, Deutsche Bank, Total, Alstom et bien d’autres firmes encore ont dû s’acquitter d’amendes colossales mettant en péril leurs résultats nets. Les groupes européens ne sont pas les seuls à subir des pressions. Par exemple, Huawei est poursuivi pour 23 chefs d’accusation par le DoJ alors que la directrice financière (59) du groupe a été arrêtée le 1er décembre 2018 à Vancouver, soupçonnée d’avoir violé l’embargo américain sur l’Iran.
Il apparaît impératif de répondre à ces pressions par des méthodes comparables. Une voie complémentaire est le recours à la Cour internationale de justice, organe judiciaire des Nations unies saisi pour avis afin de mettre diplomatiquement la pression sur les États-Unis. Dans le cadre de l’OMC, la possibilité de l’Union européenne de poursuivre les États-Unis devant l’Organe de règlement des conflits doit également être sérieusement étudiée. Cette action aurait pour fondement l’article V de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), ainsi que l’article XI du General Agreement on Trade in Services (GATS), son équivalent sur le commerce des services. Ces initiatives pourraient arguer de l’entrave à la liberté de commerce des entreprises européennes. Bien sûr, dans le contexte actuel – les États-Unis ne respectant pas la règle Pacta sunt servanda (littéralement « Les conventions doivent être respectées ») – les arguments juridiques restent de portée limitée. Toutefois, la puissance se mesure aussi en termes de capacité de nuisance.
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État-puissance inféodé à un Parti omnipotent qui conjugue habilement capitalisme pragmatique et participation à la gouvernance économique et politique mondiale, la Chine de Xi Jinping exerce un pouvoir autoritaire qui rejette jusqu’à présent toute ouverture démocratique. Pour autant, si le régime renforce son contrôle sur l’élite chinoise et instrumentalise un nationalisme exacerbé voilé par un communisme de façade, il peut s’enorgueillir d’un essor économique et technologique sans équivalent. En apparence à l’opposé des valeurs occidentales, la Chine jouit d’une double dynamique positive sur la scène mondiale : tirant parti de son statut de pays émergent à l’OMC, elle bénéficie de conditions favorables pour ses exportations vers les marchés occidentaux. Dans le même temps, elle est un pays riche qui investit massivement à l’étranger pour assouvir une soif de puissance.
Les États-Unis, et plus modérément l’UE, se montrent fort préoccupés par le retour saisissant du géant asiatique sur la scène mondiale : « Nouvelles routes de la soie », revendications territoriales et maritimes, guerres commerciale et technologique, conquête spatiale, modernisation de l’armée, affirmation de puissance. Par effet de ricochet, l’essor de la Chine modifie en profondeur la posture stratégique des États-Unis. À l’inverse, pour les pays en voie de développement, la « solution chinoise » ouvre une opportunité alternative au modèle occidental qui connaît une réelle crise de sens, caractérisée notamment par la montée des populismes. L’expansion de la Chine se conjugue au repli relatif des États-Unis des affaires internationales. Les deux géants se jaugent et se confrontent dans tous les champs de la puissance, précipitant le délitement du système de gouvernance mondial, potentiellement au détriment de l’Europe.
Incontestablement, les puissances européennes se sont affaiblies et font face en ordre dispersé aux deux hyperpuissances. Le moment européen est-il passé ? L’histoire ne s’écrit pas à l’avance et l’Europe et la France peuvent encore mobiliser leurs forces pour imposer l’Union européenne comme troisième acteur de portée réellement globale. À l’initiative des prémices d’une émancipation européenne, la France a compris que la souveraineté de l’Europe est la condition de sa force. Cette relative autonomie doit se bâtir sur une architecture de sécurité et de défense en devenir, sur une base technologique et industrielle large, sur un socle juridique et normatif à inventer. La force appelle la force. Face à la Chine et aux États-Unis, l’Europe ne sera un compétiteur crédible que si elle parvient à former une union sacrée, comprenant que l’intérêt collectif dépasse la somme des intérêts nationaux.
Éléments de bibliographie
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Commont Barthélémy, Chine, la grande séduction : Essai sur le soft power chinois, Choiseul, 2009, 196 pages.
Dabas François-Régis, Quelle stratégie pour la Chine ?, Éditions NUVIS, 2013, 161 pages.
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Haski Pierre, Géopolitique de la Chine : 40 fiches illustrées pour comprendre le monde, Eyrolles, 2018, 183 pages.
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Rousseau Yann, « Cette nuit en Asie : comment les pays asiatiques écrasent l’Occident dans la course à l’innovation », Les Échos, 19 mars 2019 (www.lesechos.fr).
Les Carnets du CAPS, Centre d’analyse, de prévision et de stratégie, été-automne 2018 (www.diplomatie.gouv.fr).
« La Chine, une volonté de puissance », Challenges n° 587 du 22 novembre 2018, p. 56-58.
Dossier « Chine, un temps de cochon », Courrier international, n° 1472 du 17 janvier 2019, p. 24-30.
Revue Défense Nationale n° 811 (« L’Empire du Milieu au cœur du monde »), juin 2018, p. 9-126.
Interview de l’économiste Jean-Raphaël Chaponnière par Stéphanie Debruyne in « Chine – États-Unis : vers la troisième guerre mondiale ? », Futuribles n° 427, novembre-décembre 2018, p. 105-107.
Entretiens
De Treglode Benoît, directeur de recherche et responsable du domaine « Questions régionales Sud » à l’Institut de recherches de l’École militaire (Irsem) – 22 janvier 2019.
Escorcia Alexandre, directeur adjoint du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie/Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères – 14 janvier 2019.
Genevaz Juliette, chercheuse sur la Chine à l’Irsem – 4 février 2019.
Kandel Maya, chargée de recherche sur les États-Unis à l’Irsem et chercheuse associée à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle – 1 février 2019.
Razoux Pierre, directeur de recherche et responsable du domaine « Questions régionales Nord » à l’Irsem – 22 janvier 2019.
(1) Trump Donald, président des États-Unis, discours sur l’état de l’Union du 30 janvier 2018 (www.whitehouse.gov/). Il y décrit la Russie et la Chine comme des rivaux qui menacent les valeurs, l’économie et les intérêts américains.
(2) En 1937, profitant de la guerre civile entre partisans de Tchang Kaï-chek et partisans de Mao Zedong, les Japonais lancent une offensive pour la conquête de la Chine. Ils massacreront plus de 100 000 personnes, exécutant les civils et violant systématiquement les femmes. L’Histoire attribuera à ce crime contre l’humanité (mais qualifié de « crimes de guerre » lors du procès de Tokyo) le nom de « viol de Nankin ».
(3) Lamigeon Vincent, « La Chine, une volonté de puissance », Challenges n° 587 du 22 novembre 2018 : la Chine a triplé son Produit intérieur brut (PIB) en une décennie. Elle est ainsi passée de 4 600 milliards de dollars US en 2008 à 14 092 Mds $ en 2018.
(4) BATX : Baidu (le « Google chinois » pèse 86 Mds $), Alibaba (l’« Amazon chinois », 486 MDS $ contre 601 Mds $ pour Amazon), Tencent (propriétaire de WeChat, le « Facebook chinois », sa capitalisation boursière de 530 Mds $ avoisine celle de Facebook), Xiaomi (l’« Apple chinois », 50 Mds $ mais dont le taux de croissance en fait la 3e entreprise au monde pour son développement).
(5) N° 2 mondial en août 2018 avec 15,8 % de parts de marché, derrière Samsung à 20,9 % mais désormais devant Apple qui se situe à 12 % selon un article de Capital du 1er août 2018 (www.capital.fr/).
(6) Rousseau Yann, « Cette nuit en Asie : comment les pays asiatiques écrasent l’Occident dans la course à l’innovation », Les Échos, 19 mars 2019 : avec plus de 4 500 brevets en 2018, le géant des télécommunications Huawei bat tous les records de dépôts de brevets selon le dernier classement de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle.
(7) Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.
(8) Fondée en 1967 par l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande, elle a intégré le Brunei, le Vietnam, le Laos, la Birmanie et enfin le Cambodge. Elle prévoit une réduction de 90 % des droits de douane.
(9) Bougon François, Dans la tête de Xi Jinping, Actes Sud, octobre 2017. Solution chinoise : dans ses discours, Xi Jinping reprend souvent l’élément de langage « les étrangers ont à apprendre de la Chine ».
(10) Ekman Alice, La Chine dans le monde, CNRS Éditions, 2018. Le gouvernement a investi près de 6 Mds € sur le développement des médias chinois en langue étrangère depuis 2006. Aujourd’hui, China Global TV Network – la branche internationale de la télévision d’État – regroupe six chaînes, en langues anglaise, russe, française, espagnole et arabe. Elle est diffusée dans près de 180 pays.
(11) L’OCS regroupe la Chine, la Russie, l’Inde, le Pakistan, ainsi que l’Iran comme observateur.
(12) Ce traité attribuait les comptoirs chinois de l’Allemagne vaincue au Japon.
(13) Accusé de corruption, Bo Xilai, ancien membre éminent du PCC et rival de Xi Jinping, a été condamné à la prison à vie en 2013 à l’occasion d’un procès à huis clos. La condamnation a été confirmée à hauteur d’appel.
(14) Dossier « Chine, un temps de cochon », Courrier international, n° 1472 du 17 au 23 janvier 2019.
(15) Bougon François, op. cit.
(16) Dabas François-Régis, Quelle stratégie pour la Chine ?, Éditions NUVIS, 2012. Le père de Xi Jinping a été victime des purges des années 1950 sous le règne de Mao Zedong, durant la Révolution culturelle (1966-1976). Bien que réhabilitée par Deng Xiaoping, cette réputation de traître au Parti a été vécue comme une infamie par Xi Jinping.
(17) Haski Pierre, Géopolitique de la Chine : 40 fiches illustrées pour comprendre le monde, Eyrolles, 183 pages.
(18) Site Internet de l’ambassade de France à Pékin (https://cn.ambafrance.org).
(19) 115 à 120 hommes pour 100 femmes.
(20) Les Tibétains sont au nombre de 6 millions environ. Ils peuplent majoritairement le Tibet actuel et minoritairement les provinces voisines en Chine.
(21) La population Ouïgour avoisine les 10 millions d’habitants.
(22) Dabas François-Régis, op. cit.
(23) « La Chine, une volonté de puissance », Challenges n° 587 du 22 novembre 2018.
(24) Notion apparue dans Clinton Hillary, « America’s Pacific Century », Foreign Policy, octobre 2011 (https://foreignpolicy.com/2011/10/11/americas-pacific-century/).
(25) Raharimbolamena Éric (chargé d’étude), Note du Cerpa n° 203, Centre études, réserves et partenariats de l’Armée de l’air, février 2019 [intradef].
(26) Frémont Antoine et Frémont-Vanacore Anne, « Les flottes et les bases militaires navales américaines dans le monde en 2015 » (carte), Documentation photographique, n° 8104 (« Géographie des espaces maritimes »), La Documentation française, mars 2015 (www.ladocumentationfrancaise.fr/)
(27) Cf. l’article du colonel de Montenon dans ce volume, p. 64-74.
(28) Le Joint Comprehensive Plan of Action, accord relatif au dossier du nucléaire iranien a été signé le 14 juillet 2015 à Vienne par la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Union européenne, les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Iran.
(29) Partie du corpus de l’Arms Control (lutte contre la prolifération), ce Traité signé par Reagan et Gorbatchev en 1987 et ratifié en 1988 vise au démantèlement d’une catégorie de missiles emportant des charges nucléaires ou conventionnelles dans les arsenaux américains et russes. Les portées sont comprises entre 500 et 5 500 km. La procédure de retrait exige une période de six mois entre la date de la dénonciation et la sortie du pays membre.
(30) Le Trans-Pacific Partnership visait à contrebalancer l’influence économique grandissante de la Chine, en jouant sur l’obligation de progrès des conditions de travail dans les pays signataires et prévoyait notamment l’interdiction de subventions d’États déguisées aux entreprises privées. Le TPP permettait en outre aux pays de la région de ne pas tomber complètement dans l’orbite chinoise.
(31) Le Transatlantic Free Trade Agreement ou TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) est un accord de commerce et d’investissement bilatéral entre les États-Unis d’Amérique et l’Union européenne, en cours de négociation ; il vise à développer le commerce et les investissements entre les États-Unis et l’Union européenne, et ouvre réciproquement un meilleur accès aux marchés.
(32) Accord de libre-échange nord-américain datant de 1994, renégocié par Trump en 2017-2018. L’AEUMC – Accord États-Unis–Mexique–Canada – est signé en novembre 2018, en marge du G20. Surnommé « Alena 2 », il protège en partie les emplois américains du secteur automobile, limite les échanges transfrontaliers via e-commerce, accentue les obligations de conformité aux règles de propriété intellectuelle et au droit des travailleurs.
(33) Laïdi Ali, Le droit, nouvelle arme de guerre économique - Comment les États-Unis déstabilisent les entreprises européennes, Actes Sud, 2019.
(34) Leclerc Jean-Marc, « La DGSI s’alarme de l’offensive américaine contre les entreprises françaises », Le Figaro, 14 novembre 2018. Dans une note à l’exécutif du 12 avril 2018, la DGSI s’inquiétait déjà, au sujet d’Airbus, « de l’accès privilégié à des données stratégiques » du constructeur européen lors d’audits de conformité confiés à des cabinets américains.
(35) Lellouche Pierre et Berger Karine, L’extraterritorialité du droit américain (Rapport d’information n° 4082), octobre 2016, Commission des affaires étrangères et Commission des finances, Assemblée nationale (www.assemblee-nationale.fr).
(36) Haski Pierre, op. cit.
(37) En avril 2016, le porte-avions chinois Liaoning a longé les côtes de Taïwan avant de croiser en mer de Chine méridionale. En novembre 2018, les États-Unis ont envoyé deux destroyers dans le détroit de Formose, comme ils l’avaient déjà fait à deux reprises dans le courant de l’année, malgré les avertissements de Pékin. En avril 2018, la marine chinoise a réalisé un exercice de grande ampleur non loin des côtes taïwanaises. L’US Navy a rapporté avoir emprunté le détroit de Formose en février dernier (le destroyer USS Stethem et le cargo USNS Cesar Chavez), en pleine guerre commerciale entre États-Unis et Chine.
(38) Le 31 mars 2001, lors de l’incident de l’île de Hainan, un patrouilleur de l’US Navy a dû atterrir en Chine à la suite d’une collision en vol avec un avion d’interception chinois au-dessus des eaux territoriales chinoises.
(39) Revue Défense Nationale n° 811 (« L’Empire du Milieu au cœur du monde »), juin 2018. Modernisation de l’APL : de 11 régions en 1949, l’APL a réduit ses commandements opérationnels territoriaux à 7 puis à 5 régions. L’APL promeut l’interarmisation, mais reste largement inféodée aux intérêts de l’Armée de terre issue de l’armée maoïste. Elle a réduit de plusieurs centaines de milliers de soldats ses effectifs pléthoriques, tout en conduisant la réforme complète des quatre départements généraux (logistique, politique générale, armement, état-major), en les remplaçant par une quinzaine d’agences directement placées sous la tutelle de la Commission militaire centrale. Parallèlement, Xi Jinping a purgé le haut encadrement militaire et pris la haute main sur la Commission militaire centrale. L’APL est actuellement totalement absorbée par sa réforme qui devrait se poursuivre au-delà de 2020 et qui concentre les efforts sur la modernisation de la force navale (force qui représente aujourd’hui la troisième du monde en tonnage), de l’aviation, des systèmes A2/AD ainsi que sur la digitalisation par le soutien numérique aux armées.
(40) Chittagong au Bangladesh, Kyaukpyu en Birmanie, Hambantota au Sri Lanka, Gwadar au Pakistan mais aussi Djibouti, le Pirée en Grèce, port géré par la firme chinoise COSCO depuis 2008. COSCO a racheté le terminal de Zeebruges, deuxième plus grand port belge en 2018.
(41) L’expression désigne les points d’appui portuaires à l’étranger pour les bâtiments de la marine chinoise. Ils visent à garantir la sécurité des voies maritimes de la Chine continentale jusqu’au Moyen-Orient afin de sécuriser l’approvisionnement énergétique.
(42) C’est notamment le cas de la République de Djibouti.
(43) À titre de comparaison, la DGSE comprend 6 000 agents, la NSA en comprend 40 000 et le ministère de la Sécurité extérieure chinois 150 000 !
(44) Archives publiques de la Maison-Blanche (https//obamawhitehouse.archives.go/).
(45) Déficit de la balance commerciale des États-Unis vis-à-vis de la Chine : 375 Mds $ en 2018, à comparer avec le déficit de 140 Mds $ en 2018 vis-à-vis de l’Union européenne.
(46) Malgré la rhétorique de Donald Trump, le levier de la dette américaine détenue en partie par la Chine est toutefois à relativiser : la Chine et le Japon détiennent respectivement 1 100 Mds $ et 980 Mds $ sur un total de 11 000 Mds $ (soit environ 20 % de la dette américaine à eux deux).
(47) Fondé en 1991 dans la ville hongroise, le groupe rassemble la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque.
(48) À titre d’exemple, les vives critiques du Président américain à l’encontre de l’Allemagne, accusée d’être trop proche du Kremlin – l’ennemi héréditaire – dans la perspective de l’accord Northstream 2 en mer Baltique.
(49) Prise en 2018 à l’instigation de la France, elle regroupe neuf pays européens (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et France) et vise au développement d’une culture stratégique commune. Elle entend ainsi créer les conditions préalables pour de futurs engagements coordonnés et préparés conjointement sur tout le spectre de crise.
(50) Instrument communautaire lancé en 2017 et approuvé par le Parlement européen en 2018, le Fonds européen de défense vise à mieux coordonner et renforcer les investissements nationaux des pays membres de l’UE en matière de recherche, de développement de prototypes et d’acquisition d’équipements et de technologies de défense.
(51) Elle donne à l’UE la possibilité d’utiliser des moyens militaires ou civils destinés à la prévention des conflits et à la gestion des crises internationales. Ses objectifs sont détaillés par l’article 42 du Traité sur l’Union européenne.
(52) En mai 2000, « In varietate concordia » a été choisie comme devise de l’UE et intégrée au Traité de Rome en 2004.
(53) Le SPV est un instrument juridique et financier européen proposé par la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni pour contourner l’embargo décidé par les États-Unis sur l’Iran et permettre la poursuite des échanges commerciaux en évitant les transactions financières en dollar. Le mécanisme de ce SPV est dénommé Instex et s’apparente à une chambre de compensation dans le cadre d’un troc entre importateurs et exportateurs entre l’Iran et l’Europe.
(54) Le déficit commercial de l’UE à l’égard de la Chine est de 176 Mds € en 2018.
(55) Macron Emmanuel, « Initiative pour l’Europe - Discours pour une Europe souveraine, unie, démocratique », La Sorbonne, 27 septembre 2017 (www.elysee.fr/).
(56) Ensemble de règlements du droit américain qui permet de contrôler les importations et exportations de matériels et de services liés à la défense nationale. C’est en réalité un outil dans la guerre commerciale puisque la plupart des entreprises européennes font usage de composants américains dans leurs équipements de pointe.
(57) Règlement général n° 2016/679 du 27 avril 2016 du Parlement européen et du Conseil européen sur la protection des données personnelles.
(58) Orange a d’ailleurs renoncé pour l’heure à collaborer avec Huawei sur la 5G.
(59) Mme Meng Wanzhou, fille du fondateur de Huawei.