Un monde en turbulence - Regards du CHEM 2019 - 68e session
Ce Cahier de la RDN ouvre ses colonnes aux auditeurs de la 68e session du Centre des hautes études militaires (CHEM).
Introduction - Jean-Christophe Bechon - p. 9-9
Cette année encore, la Revue Défense Nationale ouvre ses pages aux auditeurs du CHEM, qui sont heureux de partager leurs regards pour stimuler le débat d’idées sur les questions de défense. Lire la suite
Un contexte géopolitique instable
Malgré les nombreux défis à surmonter, Xi Jinping est en passe de faire de la Chine une hyperpuissance capable de rivaliser avec les États-Unis. Résolus à conserver le leadership, ces derniers ont lancé une offensive économique et diplomatique, dénonçant les traités, renégociant les accords passés, usant de l’extraterritorialité du droit américain comme d’une arme géoéconomique. Cette guerre d’une nouvelle forme entre les deux titans précipite le délitement du système de gouvernance international et se fait au détriment de l’Europe qui peine à trouver sa juste place sur l’échiquier mondial. Face au risque de déclassement, il lui appartient désormais de se redéfinir, afin de devenir un acteur global qui pèse lui aussi sur les règles du jeu des puissances. Lire la suite
Une des dernières frontières de la Planète, l’Arctique, aujourd’hui soumise au réchauffement climatique, devient le terrain de jeu stratégique de l’avenir alors que les superpuissances prennent conscience de son potentiel. Avec des ressources naturelles inexploitées considérables, auparavant emprisonnées sous la glace, et la possibilité de faire du commerce sur les nouvelles routes maritimes du Nord, la Russie et la Chine sont en train d’élaborer des stratégies globales de supériorité dans la région, au titre de l’anticipation stratégique. L’Occident, quant à lui, est largement concentré ailleurs et ne considère l’Arctique comme un futur espace contesté que depuis peu de temps. Lire la suite
Dans un contexte international en profonde mutation, l’Union européenne est confrontée à des défis sans précédent depuis 1945. Alors qu’elle vit une période de blocage politique, l’UE court le risque de l’insignifiance (1) si elle ne parvient pas à exister en tant que puissance politique. Le projet porté par la France peut lui permettre de construire son autonomie stratégique, dans le respect de ses alliances, pour défendre ses valeurs et ses intérêts lorsqu’elle l’estime nécessaire. Ce projet, fondé sur la construction d’une solidarité et d’une conscience stratégique communes et sur des principes innovants, sera pleinement partagé par nos partenaires si notre pays parvient à en démontrer la crédibilité, en apportant notamment de solides garanties de sécurité. Lire la suite
L’Amérique fascine. Selon les jours, elle envoûte, irrite ou obsède. Après avoir dominé l’essentiel du XXe siècle, elle voit son leadership remis en cause, mais est assurée de rester pour quelque temps encore au centre du jeu. Malgré ses efforts pour assurer son autonomie stratégique, la France connaît en matière de défense une certaine dépendance aux États-Unis, avec lesquels ses intérêts ne sont pas toujours alignés. À l’heure du bouleversement de l’ordre mondial, il est essentiel que la France sache mieux vivre sa relation avec ce grand allié plus différent de nous que nous ne le pensons. Nous devons pour cela mieux connaître son fonctionnement et accepter le jeu normal de négociations où toute affectivité doit rester absente. Lire la suite
La nature complexe des crises contemporaines rend quasi-insoluble leur résolution à un horizon politique visible en dépit de la débauche d’énergie des organisations internationales et des États. Pour autant, sans être la panacée, l’approche globale fait consensus. Dans ce cadre, une meilleure coordination des acteurs de la diplomatie, de la défense et du développement, appelée approche 3D, est possible. Sans sécurité, il ne peut y avoir de développement. Réciproquement sans résoudre tous les problèmes, le développement peut apporter une alternative aux trafics et à l’insécurité. Se nourrissant l’un et l’autre, l’anticipation des projets de développement doit être recherchée. L’exemple du Sahel peut être vu comme un laboratoire de cette approche au regard de la densité de l’aide apportée, mais il illustre aussi les difficultés d’une intervention extérieure, comme celle de la France, dans la gestion et la résolution des crises. Lire la suite
L’objectif poursuivi ici est de fournir un schéma explicatif des relations politico-militaires dans la République fédérale d’Allemagne aux officiers français travaillant étroitement avec la Bundeswehr. Dans ce cadre sont examinées les responsabilités de plusieurs institutions et entités des ministères et de leurs administrations organiques, la structure de l’échelon suprême de la Bundeswehr ainsi que d’autres particularités et compétences du système politique allemand. Les éléments présentant une différence par rapport au système politique français font l’objet d’une attention spécifique. Lire la suite
La Tunisie, comme d’autres pays, n’a pas pu échapper au terrorisme. En effet, et dès les premiers jours qui ont suivi la révolution du 14 janvier 2011, la société tunisienne a été confrontée à ce phénomène. L’armée s’est engagée d’une manière effective depuis 2013 et s’est vue confier l’effort principal. D’une manière générale, son approche consiste à renforcer la capacité opérationnelle par l’acquisition de nouveaux moyens, et à engager judicieusement des unités spécialisées bien entraînées, tout en utilisant les moyens de renseignement nécessaires. Aussi, l’adoption de mesures opératives et stratégiques a renforcé la réussite de l’engagement militaire contre le terrorisme. Lire la suite
Des défis stratégiques renouvelés
Théorisé durant la guerre froide, le concept de guerre nucléaire limitée – fondé sur un emploi sélectif et limité de l’arme nucléaire – semble aujourd’hui faire l’objet d’un certain renouveau doctrinal illustré par l’expression de postures nucléaires ambiguës, voire désinhibées, vis-à-vis d’un emploi potentiel. Dans un paysage nucléaire multipolaire et marqué par le recours à certaines formes de sanctuarisation agressive, les réponses que notre dissuasion pourrait apporter à ces nouvelles stratégies nucléaires pourraient passer par le maintien de l’adaptabilité et de la flexibilité de nos deux composantes, la conduite d’une réflexion sur la gestion de l’escalade, ainsi qu’une complémentarité renforcée entre manœuvres conventionnelle et nucléaire. Lire la suite
Avec la fin de la guerre froide, chacun espérait toucher les dividendes de la Paix, reléguant l’intervention militaire à la gestion de crises, pour quelques Nations encore en capacité d’intervenir. Face à des capacités défensives performantes qui prolifèrent, associées à des stratégies d’intimidation et des modes d’actions paralysant la volonté adverse, avec l’apparition de nouveaux champs d’affrontements permanents dans lesquels s’effacent les États, la notion de puissance militaire conventionnelle disparaîtrait-elle ? Dans ce contexte de guerre « hors-limite », la puissance militaire doit au contraire être entendue dans une acception beaucoup plus large, capable de contourner la paralysie stratégique et englobant les moyens d’action dans de nouveaux espaces de confrontation, agile dans des coalitions de circonstance et soutenue par une volonté d’engagement éprouvée. Lire la suite
Après une trentaine d’années de parenthèse, l’histoire est de retour ! Elle est marquée par une inversion de tendance majeure dans les relations internationales avec des États-puissances cherchant à remodeler les équilibres géopolitiques et une remise en cause de la liberté d’action des armées occidentales. Ce constat correspond à l’entrée dans un nouveau paradigme de la guerre : celui du conflit 6.0 qui se déroulera simultanément dans tous les milieux ; terre, air, mer, cyber, information et espace, sur tout le spectre des effets, avec des technologies de rupture. Les armées françaises doivent entrer dans le modèle 6.0 en s’appuyant sur des concepts à réinventer : stratégie du faible au fort, prépositionnement, furtivité, létalité à distance, masse, deception, commandement renouvelé… Lire la suite
L’intelligence artificielle est une composante inséparable de l’innovation. Ses applications sont multiples, duales, et peuvent servir dans la plupart des domaines militaires, principalement en dehors du champ létal. La ministre des Armées a décrit les principes de la doctrine militaire en matière d’IA, posant en particulier un cadre éthique. Deux champs de réflexion méritent une attention particulière : les conséquences potentielles de l’importance grandissante de l’IA sur certains outils et équilibres stratégiques entre puissances. Face à celles qui auraient la tentation d’utiliser l’IA sans s’embarrasser des mêmes contraintes éthiques, la France possède les outils doctrinaux, la volonté d’investissement capacitaire et la légitimité pour répondre au mieux à ces enjeux stratégiques, entraîner ses partenaires et conserver ainsi l’initiative. Lire la suite
L’avènement des nouvelles technologies tend à autonomiser toujours plus les systèmes, dans les airs, sur terre mais également désormais sur mer. La marine marchande voit ainsi naître des projets de navires autonomes, qui pourraient révolutionner le monde du transport maritime. La « dronisation » a également abouti à des réalisations concrètes prometteuses. La dualité de ces avancées technologiques permettra aux marines de combat de se doter de nouvelles capacités, avec pour corollaire une évolution majeure des stratégies navales. Plusieurs pistes ont déjà été explorées par de grandes Nations maritimes. Pour la France, il s’agit de poursuivre l’acquisition de drones et de penser à la meilleure intégration de ces nouveaux vecteurs dans une Marine nationale du futur de rang mondial. Lire la suite
Plus de trente années d’hégémonie opérationnelle ont éloigné les enjeux énergétiques des réflexions stratégiques menées par les armées françaises. L’absence de doctrine ou de stratégie militaire traitant de la lutte dans le domaine de l’énergie en témoigne. Le contexte géopolitique, qui se charge de tensions que l’on croyait révolues, nous encourage pourtant à construire de façon durable notre supériorité dans ce domaine. Celle-ci passera en premier lieu par un renforcement de nos capacités de « renseignement énergétique » afin de mieux maîtriser la complexité énergétique moderne. Cette supériorité devra également s’appuyer sur la construction d’une fonction opérationnelle « énergie » en ordre de bataille et connectée à l’industrie de l’énergie. Lire la suite
L'humain au cœur de la transformation
En 2019, le ministère des Armées devra recruter 21 600 militaires et 3 700 civils. Or, les nouvelles générations, appelées Z, semblent a priori bien éloignées des profils dont ont besoin les armées. Perçues comme instables et incapables de s’engager sur le long terme, elles apparaissent pour autant passionnées, en quête de sens, de reconnaissance et d’authenticité. Réputées et reconnues pour leur aptitude à s’adapter aux évolutions sociétales, les armées, pour qui le recrutement, la fidélisation et donc l’attractivité constituent des enjeux stratégiques majeurs pour leur avenir et leur niveau très exigeant de performance, doivent fondamentalement repenser leur politique des ressources humaines. Il s’agit de répondre au double défi d’attirer les jeunes par choix et de les garder suffisamment longtemps pour rentabiliser leur formation. Lire la suite
La Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 se veut « à hauteur d’homme ». Au-delà des aspects budgétaires et des équipements, elle porte l’ambition d’une augmentation des effectifs militaires. Cela constitue un défi d’envergure pour les armées et services dans un contexte économique et sociétal qui deviendra de plus en plus concurrentiel pour attirer et retenir les talents de demain. Les aspirations individuelles de ces talents imposent à notre institution d’évoluer pour demeurer au moins aussi attractive qu’aujourd’hui. Au regard de ces attentes, il s’agit ici d’identifier des pistes excluant d’emblée les aspects liés aux rémunérations. Elles porteront donc sur des aspects qui peuvent constituer des évolutions ou de nouvelles interrogations plus profondes. Lire la suite
Marqueur identitaire et statutaire, la disponibilité du militaire se confronte dans la pratique aux évolutions sociétales actuelles, l’enjeu demeurant la préservation du service et la priorité à donner aux impératifs opérationnels. Le contexte de banalisation de l’état militaire, illustré par l’irruption du droit européen et sa volonté de réguler le temps de travail, combiné aux nouvelles aspirations des personnels exprimant un besoin d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, vient en effet bouleverser les repères. Du fait des incidences fortes en termes de fidélisation et de gestion des ressources humaines, des stratégies existent déjà au sein des différentes armées et services pour organiser la disponibilité des personnels. Toutefois, pour accompagner ces transformations, il apparaît indispensable de réaffirmer le sens de cette singularité militaire, en étudiant la manière dont le rapport à l’activité et à l’engagement pourrait évoluer. Lire la suite
Régulièrement érodées depuis 15 ans et faisant face à des menaces croissantes, nos armées n’ont plus la masse, ni l’épaisseur organique suffisantes. La Loi de programmation militaire votée en 2018 ne comblera qu’une partie de ce déficit. Il paraît donc indispensable d’identifier et de mobiliser les moyens nécessaires en dehors des forces armées. Des dispositifs à fort potentiel existent dans les autres services de l’État ou dans les entreprises, mais jusqu’à présent, ils intéressent peu les armées. Un rapprochement vers ces capacités duales paraît donc nécessaire. Leur intégration au sein des forces n’est concevable qu’avec une anticipation forte permettant de préparer leur interopérabilité avec les moyens existants. Ce système « plug and fight » ne se conçoit qu’avec l’emploi de personnels sous statut militaire, ce qui implique de ne plus limiter la réserve à une démarche vers les individus, mais à l’élargir à une approche collective, vers l’entreprise. Si la défense élargit ainsi son réservoir de forces, les partenaires doivent aussi pouvoir y trouver un intérêt. Lire la suite
Pour un service des officiers hors les murs - Nicolas Chabut - p. 267-282
Les armées font face à des défis opérationnels et organiques complexes dont les solutions n’appartiennent pas au seul registre militaire. Cette institution, comme la société civile, gagnerait à favoriser le service temporaire d’officiers auprès de partenaires privés ou de l’administration civile afin de favoriser la connaissance mutuelle et de gagner en efficacité. Or, les militaires ne représentent aujourd’hui qu’une frange marginale des effectifs totaux des agents publics. Des statuts trop différenciés dans leurs modalités, notamment, restent un frein aux échanges. Sous contrainte d’effectif, les armées doivent conduire une politique de gestion volontariste pour satisfaire cette ambition d’interaction. Cette démarche impose de définir un modèle de ressources humaines strictement adapté aux besoins militaires, permettant alors de viser une plus grande ouverture. Lire la suite
La réforme des armées de 2009 a bousculé une organisation séculaire, profondément imprimée dans les esprits. Héritée du XIXe siècle, cette organisation est idéalisée, au gré d’amalgames successifs. Le rapport parlementaire dont elle est issue est porté au pinacle pour critiquer les transformations récentes. Il est pourtant frappé de caducité : la tension engendrée est une réalité, mais imputable à la diminution des ressources des armées. Cependant, le rapport Bouchard exprime des principes invariants pour des fonctions support ajustées à la singularité de la guerre, dont on peut déduire des axes de progrès pour les conflits du futur. Lire la suite
Plaidoyer pour l’intuition en gestion de crise - Ghislain Rety - p. 297-315
L’intelligence intuitive, couramment appelée intuition, fait appel aux ressources insoupçonnées du cerveau à bâtir spontanément des raisonnements, à imaginer des réponses et des solutions hors logique prédictible en connectant instantanément toutes les informations enfouies au plus profond de chacun. En gestion de crise, elle constitue un levier souvent plus puissant que l’intelligence rationnelle. En effet, par sa capacité à s’affranchir de certains biais cognitifs et du brouillard inhérent à toute crise, par sa puissance de calcul et sa facilité à traiter une multitude de données avec immédiateté, elle permet de faire émerger sans délai des options complémentaires et des pistes nouvelles qu’une analyse discursive n’aurait pas permis. Pour autant, elle est souvent méprisée par les décideurs. Elle mérite donc d’être réhabilitée. Lire la suite
Soumises à de multiples tensions – sécuritaires, sociétales, transformationnelles, politiques, budgétaires – qui vont jusqu’à remettre en question leur essence – faire la guerre – les armées peinent à préserver leur singularité forgée à l’aune d’une histoire riche en combats, mais qui apparaît en décalage avec les réalités des conflits modernes et les exigences de la société qu’elles servent. Notion complexe, la singularité militaire est ici schématisée en un édifice conceptuel pour mieux en cerner les différentes facettes, en mesurer les fragilités, et identifier les pistes à mettre en œuvre pour relever les deux défis principaux auxquels elle est confrontée : la conservation d’un socle de valeurs et de pratiques essentielles pour garantir l’aptitude du militaire français à faire la guerre, et l’acceptation de modifier certains piliers de cet édifice pour mieux l’adapter aux contraintes du XXIe siècle. Lire la suite
« Faire face » - Le leadership sous tension - Alexis Rougier - p. 335-351
« Nous sommes entrés dans une ère de grande turbulence » (Emmanuel Macron, « Préface » de la Revue stratégique, 2017). Le contexte géopolitique, économique et social devient, en effet, de plus en plus tendu. Les cadres, dirigeants ou responsables, sont au cœur de ces tensions et doivent aujourd’hui affronter l’inconfort de ce mauvais temps. Mais naviguer dans ces conditions difficiles est délicat et ne s’improvise pas. Cela nécessite d’acquérir, d’une part des outils d’aide à la décision dans l’incertitude du brouillard ambiant, et d’autre part des outils de résilience face à la rudesse des conditions. Ceux fournis ici cherchent à permettre au décideur de « faire face » à l’adversité avec discernement. Lire la suite