La Tunisie, comme d’autres pays, n’a pas pu échapper au terrorisme. En effet, et dès les premiers jours qui ont suivi la révolution du 14 janvier 2011, la société tunisienne a été confrontée à ce phénomène. L’armée s’est engagée d’une manière effective depuis 2013 et s’est vue confier l’effort principal. D’une manière générale, son approche consiste à renforcer la capacité opérationnelle par l’acquisition de nouveaux moyens, et à engager judicieusement des unités spécialisées bien entraînées, tout en utilisant les moyens de renseignement nécessaires. Aussi, l’adoption de mesures opératives et stratégiques a renforcé la réussite de l’engagement militaire contre le terrorisme.
La stratégie de lutte antiterroriste adoptée par la Tunisie après la Révolution de 2011
Le terrorisme est un phénomène social à la base. Il n’a cessé de se développer pour devenir une menace réelle pour tous les pays du monde. En effet, les dernières années ont été marquées par la montée fulgurante de ce phénomène qui s’est enraciné avec des changements à la fois rapides et variés au niveau des concepts et des procédés, des objectifs, des modes opératoires et des structures. Chaque pays est concerné : le terrorisme frappe d’une façon sauvage et imprévue tous les organes vitaux de toute société. Il est devenu le mode opératoire préférentiel et efficace de groupes extrémistes islamistes qui visent la propagation d’un climat d’insécurité, la création et l’instauration d’un État islamique sous le régime du « Califat » (1) appliquant les préceptes de la Charia (2).
La Tunisie n’a pas pu échapper à cette menace. Elle a subi plusieurs attentats terroristes. Ce phénomène s’est accentué après la révolution (3), et un climat d’insécurité s’en est suivi. Dès 2012, cette menace a profité de certains facteurs structurant la scène intérieure du pays et de la situation dans les États voisins pour évoluer et prendre des formes et des dimensions préoccupantes. Les pertes matérielles, économiques et humaines, ont rapidement confirmé la gravité de cette menace.
Face à cette situation inquiétante, la lutte contre le terrorisme est devenue une priorité nationale et la neutralisation des groupes armés la mission principale de l’armée nationale. L’engagement militaire en Tunisie a abouti à des résultats encourageants, grâce aux mesures de renforcement des capacités opérationnelles et stratégiques.
Dans ce cadre précis, comment l’armée tunisienne a-t-elle pu faire face à cette nouvelle menace et prendre les mesures nécessaires pour maîtriser la situation ?
Les dernières interventions de l’armée tunisienne contre les groupes terroristes ont permis d’arrêter l’expansion de ce fléau, grâce à l’amélioration des engagements militaires et la prise de mesures d’ordre opératif et stratégique visant le renforcement du dispositif militaire, la bonne conduite des opérations et la préparation des forces.
Cette étude présente une analyse de la menace terroriste en Tunisie, de l’engagement militaire contre les groupes terroristes actifs sur le territoire, ainsi que les mesures prises au regard des enseignements tirés des opérations, pour garantir l’efficacité de l’action militaire dans ce cadre.
Analyse de la menace terroriste en Tunisie
Le terrorisme après la Révolution
La Tunisie postrévolutionnaire se trouve face à une menace terroriste qui ne cesse de s’accroître. Cette menace a connu une évolution dans le temps allant de la propagande avec le slogan « terre de prédication » (4) aux affrontements armés avec les forces sécuritaires et militaires. L’analyse montre que le terrorisme en Tunisie a suivi une stratégie en trois étapes :
- Propagande et prédication : Le 14 janvier 2011, date de la révolution de la dignité et de la liberté, coïncide avec une situation sécuritaire précaire et marque le début de cette phase, qui ira jusqu’au 18 mai 2011, date du premier accrochage armé avec les militaires (5). Dès la création de l’organisation Ansar Al-Charia (6), les salafistes djihadistes ont lancé des actions de propagande par l’intermédiaire de contacts directs avec les citoyens, la mise en place d’actions sociales et la diffusion d’informations via les réseaux sociaux. Pendant cette période, ils ont pu mettre la main sur plusieurs mosquées dans les différentes régions du pays.
- Création d’une branche armée : Pendant la première étape, Ansar Al-Charia a dénoncé la violence et a déclaré rejeter le djihad en Tunisie, qui était, selon elle, une terre de prédication et non une terre de combat. Toutefois, les informations qui circulaient à cette époque, et qui se sont avérées justes ultérieurement, évoquaient des camps d’entraînement de djihadistes au mont Chaambi (7). Cette mise en place de camps constitue le début de la deuxième étape : former une branche armée tout en exploitant la situation sécuritaire en Libye pour faire naître des groupes terroristes en Tunisie avec les compétences et les moyens de nuisance nécessaires, en coordination avec les groupes djihadistes armés algériens. L’organisation a pu faire entrer sur le territoire tunisien des armes et des explosifs, en provenance de Libye. De plus, elle a envoyé des salafistes djihadistes en Libye pour combattre ou s’entraîner avant de revenir en Tunisie.
- Clandestinité : Une série d’incidents explique le passage d’Ansar Al-Charia à la clandestinité. D’abord, l’assassinat de l’opposant de gauche Chokri Belaïd, le 6 février 2013. Ensuite, la détonation de plusieurs engins explosifs dans la région du mont Chaambi le 29 avril 2013, qui a marqué l’enracinement du terrorisme en Tunisie. Enfin, l’assassinat de Mohamed Brahmi, un autre opposant de gauche, le 25 juillet 2013. Au cours d’une conférence de presse tenue le 26 juillet 2013, le ministre de l’Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, confirme l’implication de Ansar Al-Charia qui, le 27 août 2013, est déclarée comme étant une « organisation terroriste à l’échelle nationale ». À cette date, le terrorisme prend un nouveau tournant en Tunisie et devient une menace majeure pour la sécurité nationale.
- Les conséquences de l’intervention en Libye
La situation sécuritaire en Libye est à l’origine des menaces les plus graves auxquelles la Tunisie est confrontée. La prolifération des armes après l’effondrement du régime de Mouammar Kadhafi constitue, aujourd’hui encore, un danger sur la sécurité nationale, d’autant plus qu’une grande partie des frontières du côté libyen sont contrôlées par la coalition Fajr Libya (8), constituée de groupes armés parmi lesquels se trouvent des milices extrémistes. Cette situation favorise la porosité des frontières tuniso-libyennes et a ouvert la voie à un trafic plus dangereux, et une convergence d’intérêt entre contrebandiers et terroristes.
La présence de l’État islamique en Libye attire des centaines de jeunes Tunisiens, qui seront formés dans ses camps, ou d’autres Tunisiens revenus de Syrie soit pour combattre au sein de cette organisation, soit pour rentrer dans leur pays. Les attentats terroristes les plus sanglants en Tunisie ont été commis par des jeunes Tunisiens passés par la Libye.
Étude des groupes terroristes actifs en Tunisie
L’armée tunisienne fait face à deux groupes terroristes qui paraissent structurés et lourdement armés (mitrailleuses collectives, lance-roquettes type RPG, grenades à main, etc.), en plus de leurs capacités à fabriquer des engins explosifs improvisés. Ils sont également dotés de moyens de vision nocturne et de communication.
Le premier groupe est la katiba (unité combattante) Okba Ibn Nafaa (9), groupe islamiste sunnite radical de tendance salafiste. Il relève de l’organisation terroriste Ansar Al-Charia en Tunisie, mais certains le considèrent comme une branche d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Le groupe est apparu en 2011 et a commencé à opérer en 2012. Les montagnes frontalières avec l’Algérie à l’ouest constituent sa zone d’action privilégiée.
Le second groupe est Jund Al-Khilafa (« Les soldats du Califat »), dissident du premier et qui a prêté allégeance à l’État islamique. Ce groupe est actif dans la zone montagneuse de Kasserine (localisation). Il a revendiqué un certain nombre d’actions terroristes dont les attentats perpétrés dans le Musée du Bardo, à Tunis, le 18 mars 2015, et dans le secteur touristique de Sousse, le 26 juin 2015.
À ces deux groupes terroristes actifs en Tunisie s’ajoute la menace des cellules terroristes dormantes, commandos prêts à intervenir sur ordre du groupe terroriste auquel ils sont liés. La majorité de leurs membres ont reçu des entraînements en Libye et communiquent avec leur organisation via Internet.
D’une manière générale, le terrorisme vise à contraindre ou intimider les gouvernements et les sociétés afin d’atteindre des objectifs politiques, religieux ou idéologiques en utilisant la violence. D’après l’analyse de ces actions terroristes, il est clair que le but recherché de ces groupes en Tunisie est l’instauration d’un climat d’insécurité et la création d’un État islamique tout en appliquant la théorie décrite dans le livre d’Abou Bakr Naji, Gestion de la barbarie (10). Publié en 2004, il constitue le guide idéologique des terroristes.
Pour atteindre ledit objectif, il semble que les terroristes actifs en Tunisie suivent trois lignes d’opérations complémentaires. La première, militaire, consiste à user et à disperser les forces militaires et sécuritaires. La deuxième, économique, a pour objectif l’affaiblissement des capacités financières de l’État. La troisième, médiatique, vise la propagande et la production d’un effet psychologique et symbolique supérieur même à l’effet physique de l’action commise.
Ces groupes terroristes continuent à se cacher dans les massifs montagneux et réussissent à échapper aux militaires grâce aux cellules de soutien qui leur assurent un appui logistique et leur fournissent des informations sur la position des forces sécuritaires et militaires. Sans cet appui, les terroristes ne pourraient pas résister aussi longtemps dans des zones reculées hostiles. Ces cellules constituent un réservoir de renseignement et de soutien logistique pour les groupes terroristes.
Les groupes terroristes actifs en Tunisie sont financés par des associations caritatives à caractère religieux qui reçoivent directement des fonds de l’étranger. La collecte de cotisations et la contrebande représentent aussi une source importante de financement selon un rapport de l’International Crisis Group (11).
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Après la Révolution de 2010-2011, la Tunisie s’est trouvée confrontée à la prolifération de la menace du terrorisme qui a su profiter de certains facteurs structurant la scène interne du pays et le voisinage tunisien pour évoluer et prendre des formes et des dimensions préoccupantes. L’armée tunisienne est engagée depuis 2013 pour faire face aux groupes terroristes actifs, tout en empêchant les infiltrations terroristes à travers les frontières terrestres et maritimes.
L’engagement militaire contre les groupes terroristes
L’armée tunisienne, qui avait correctement rempli ses missions de préservation de l’État de droit et de protection de ses institutions durant la révolution, s’est engagée résolument contre ces groupes terroristes lourdement armés et retranchés dans des espaces montagneux qu’ils connaissaient parfaitement. Elle a d’abord rencontré des difficultés dans les premiers affrontements en 2012. Depuis le dernier trimestre 2013, convaincue que cet engagement nécessite des unités bien préparées et équipées, ainsi qu’une connaissance approfondie de l’ennemi via un renseignement militaire efficace, l’armée a adopté une nouvelle approche qui comprend :
- L’acquisition de nouveaux moyens : Lutter contre le terrorisme exige des moyens modernes et performants permettant d’optimiser le degré opérationnel des unités. Dans cette optique, les mesures adoptées ont remédié aux faiblesses et ont accéléré la modernisation de l’armée. Les trois armées ainsi que l’Agence des renseignements de la sécurité pour la défense (ARSD) (12) ont obtenu des nouveaux moyens pour renforcer leurs capacités opérationnelles. À titre indicatif, des véhicules blindés anti-mine KIRPI (13) ont été livrés en urgence aux forces terrestres à partir du 26 janvier 2014, en plus de moyens individuels de protection et de combat. Les forces aériennes ont été renforcées avec des avions de transport C-130J Super-Hercules, des hélicoptères de combat de type OH-58 Kiowa et des hélicoptères de manœuvre UH-60 Black Hawk. Ces aéronefs ont permis d’améliorer significativement les capacités de déploiement rapide des forces et de renforcer les capacités de reconnaissance et d’attaque. L’armée tunisienne continue à prendre les mesures nécessaires pour développer ses capacités en matière de renseignement, de surveillance et de reconnaissance d’une manière déterminée, en coopération avec des pays amis.
- La lutte conjointe (les actions combinées) : Trois centres de commandement militaire conjoint ont été créés avec pour mission principale de planifier et exécuter conjointement avec les forces de sécurité, des opérations dans le cadre de la lutte antiterroriste. Le premier est au Nord du pays, le deuxième au centre et le troisième au Sud-Ouest. Une Force d’intervention rapide (QRF) a été créée au sein de chaque centre, incluant des forces spéciales de l’Armée, de la Garde nationale et de la Police.
- Maintenir une pression sur les groupes terroristes : Les trois centres de commandement traquent d’une manière quasi permanente les groupes terroristes retranchés dans les hauteurs frontalières de leur zone respective. Ils interdisent ainsi la libre circulation des terroristes et les privent de soutien.
- Le renseignement : L’approche de l’Armée tunisienne en matière de renseignement consiste à développer la capacité militaire dans le domaine du renseignement stratégique et opérationnel. Sur le plan stratégique, la création de l’ARSD, le 20 novembre 2014, vient renforcer le dispositif de la lutte antiterroriste. Sa mission consiste à assurer la protection des agents, des installations, du matériel et des secrets du ministère de la Défense nationale ; à collecter des renseignements à propos des menaces potentielles pour la sécurité des forces armées et du pays en général ; à contribuer à la prévention et à la lutte antiterroriste ; et à fournir l’expertise nécessaire au commandement militaire et au ministre.
Sur le plan opérationnel, les états-majors de chaque armée ont donné l’ordre aux unités combattantes de participer activement à la recherche du renseignement auprès des habitants aux alentours des zones montagneuses suspectes et de s’inscrire dans l’environnement socioculturel pour établir des ponts de communication entre l’unité et les habitants.
Préparation des forces : L’Armée nationale a orienté son effort vers l’amélioration des capacités opérationnelles de ses unités dans le domaine du tir et des techniques de combat afin d’agir convenablement. La création de deux centres d’excellence, de lutte contre les mines et les Engins explosifs improvisés (IED) et pour la qualification des forces, illustre l’effort fourni en matière de formation et la qualification des forces.
La création des nouvelles unités spécialisées en lutte antiterroriste : à titre indicatif, l’armée de terre a mis en place un bataillon d’intervention au niveau de chaque brigade ; quant à l’armée de l’air, elle a créé une unité de type commando. Pour sa part, la marine a pris des mesures très avancées pour renforcer les capacités des régiments de commandos marins et la création d’un troisième régiment de commandos.
Par ailleurs, les armées ont adapté leurs modes d’action à cette nouvelle menace :
Les opérations de réaction : Les opérations de bouclage et ratissage constituent la méthode de base pour réagir contre les agressions terroristes. Ces opérations sont aussi utilisées pour le contrôle des zones susceptibles de servir de zones refuge pour les terroristes. Les forces militaires ont effectué d’importantes opérations de ce type depuis 2011.
Les opérations de harcèlement : Elles consistent à effectuer des tirs d’artilleries et des bombardements aériens pour obliger les groupes terroristes réfugiés dans les zones montagneuses à dévoiler leurs positions. En dehors des opérations interarmes et interarmées, les tirs d’artillerie constituent aussi un moyen de réponse immédiate et de prévention contre les activités terroristes.
Les opérations spéciales : L’armée nationale utilise les opérations spéciales comme méthode opérationnelle proactive. Elle les a utilisées lorsque les forces spéciales de l’armée tunisienne ont atteint leurs capacités opérationnelles complètes (Full Operational Capability) en termes de formation et d’équipements. Ces opérations sont planifiées au niveau de l’État-major de l’armée de terre en coordination avec le groupement des forces spéciales et les centres de commandement militaires. Elles bénéficient d’un appui significatif d’unités aéromobiles et d’unités conventionnelles, qui interviennent dès le début de l’accrochage des unités infiltrées avec les terroristes.
Les résultats enregistrés
Les opérations militaires menées dans le cadre de la lutte antiterroriste ont obtenu des résultats encourageants. En effet, tous les experts s’accordent à dire que la situation sécuritaire s’est améliorée par rapport aux années précédentes. Les opérations ont abouti au démantèlement de plusieurs camps et de zones refuge, ainsi qu’à la neutralisation et à la capture de plusieurs terroristes, comme les opérations à Ben Gardane le 7 mars 2016 (14), durant lesquelles les forces militaires ont pu en neutraliser 47 et saisir une quantité importante d’armement.
D’une manière générale, l’approche adoptée par l’armée nationale pour renforcer ses capacités face à la menace du terrorisme a permis de faire basculer la situation et d’assurer la montée en puissance des forces militaires. Les résultats obtenus par cette approche ont été particulièrement tangibles entre 2015 et 2018.
Des mesures d’ordres opératif et stratégique
Face à une menace qui n’est plus considérée comme circonstancielle, il a été jugé primordial de préserver et de mutualiser le niveau opérationnel atteint, par d’autres mesures d’ordres opératif et stratégique.
Des mesures d’ordre opératif
- La plupart des opérations, notamment antiterroristes, menées par les forces armées tunisiennes sont de nature interarmées, avec des références communes qui comportent les principes, les règles et les modalités d’exécution et de coordination (approuvés et prescrits par le commandement) entre les différentes composantes de l’armée nationale. Cela a représenté un élément essentiel pour l’efficacité, la cohérence et la complémentarité des opérations.
- Renforcement du Centre de Retour d’expérience (Retex) interarmées : Dans le but d’améliorer l’efficacité et les capacités interarmées, le Retex contribue aux progrès de l’outil de défense. Il évalue l’efficacité des actions et l’adéquation des équipements. Il identifie et valide les points positifs afin de les exploiter et de les pérenniser. Il signale les dysfonctionnements et les lacunes observés lors des engagements opérationnels afin de pouvoir y remédier.
- La coordination et la coopération internationales : Afin d’isoler les groupes terroristes opérant dans les hauteurs frontalières tuniso-algériennes, les armées renforcent la coordination et la coopération dans les missions opérationnelles et dans le domaine du renseignement, mais aussi durant les réunions périodiques entre responsables militaires tunisiens et algériens, en ajoutant la coopération et la coordination avec d’autres pays comme le France et les États-Unis (renseignement, instruction et formation).
- La création d’un Centre de fusion ISR (Intelligence, Surveillance and Reconnaissance) : L’armée tunisienne a renforcé ses capacités grâce à de nouveaux moyens de surveillance et de reconnaissance. La création d’un Centre de fusion ISR a représenté une avancée très significative dans la lutte antiterroriste, en permettant d’optimiser l’emploi de nouvelles capacités, de regrouper les moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance, ainsi que les analystes du renseignement pour l’exploitation des informations provenant de multiples sources.
- Le contrôle rigoureux des frontières : Afin d’isoler les groupes terroristes actifs en Tunisie et de les priver de flux d’armements et de combattants provenant en particulier de la Libye, une zone frontalière d’exclusion a été déclarée en 2013, dont la responsabilité a été confiée à l’armée nationale. Cette zone comporte un système d’obstacles renforcé par un système de surveillance électronique. Dans ce contexte, l’armée de l’air appuie fortement les forces terrestres déployées dans la zone ainsi que les patrouilles de la Marine effectuées à partir de la nouvelle base au Sud dans le but de faire face aux tentatives d’infiltration par voie maritime. Il est à noter que le décret républicain sur la déclaration d’une zone frontalière d’exclusion protège l’action militaire dans la zone et confère un cadre légal solide aux opérations.
- La déclaration de zones militaires : Pour renforcer le dispositif militaire antiterroriste, des zones montagneuses suspectes dans la région ont été déclarées zones militaires fermées et zones d’opérations militaires (15) le 7 juillet 2015. L’accès à ces zones est soumis à l’obtention d’une autorisation préalable des autorités militaires présentes sur les lieux. Cette procédure facilite grandement la conduite des actions militaires.
Des mesures d’ordre stratégique
- Une Stratégie nationale de lutte antiterroriste (16) : Depuis 2016, la Tunisie articule sa stratégie de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme autour de quatre piliers : la prévention, la protection, la poursuite et la réponse. Cette approche a été déterminante pour pallier l’absence d’une vision globale pour prévenir, contrecarrer et réprimer la menace terroriste qu’affronte le pays. L’ensemble des plans d’action est mis en cohérence, validé et appliqué avec une évaluation et un rééquilibrage périodiques par la Commission nationale de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme.
- Une Stratégie nationale de sécurité des frontières (17) : La sécurité des frontières est d’une importance primordiale dans la lutte antiterroriste. Isoler les groupes actifs en Tunisie passe concrètement par la sécurisation des frontières terrestres et maritimes. Priver les terroristes de soutien en armement et en combattants provenant de Libye, ainsi que contrôler la circulation dans les zones frontalières tuniso-algériennes sont des conditions déterminantes, avec des mesures de coordination entre les différents intervenants.
- Une stratégie de contrôle financier (18) : Les groupes terroristes ne comptent pas uniquement sur l’aspect purement militaire de leurs actions, mais aussi beaucoup sur des multiplicateurs d’efficacité, en l’occurrence l’assise financière. De ce fait, la stratégie de contrôle mise en œuvre par les autorités tunisiennes concerne les associations suspectes à caractère religieux, l’argent douteux qui rentre par le biais de la Banque centrale et la contrebande. Cette stratégie spécifique est articulée autour de certains axes d’ordres juridique, sécuritaire, opérationnel et économique. La Tunisie a adopté les instruments et les mécanismes adéquats et a produit des efforts axés sur la coopération et sur la coordination internationale, qui permettent de contrôler et de prévenir le financement des groupes terroristes.
- Des conditions financières et sociales des militaires : Les forces armées sont chargées de défendre le pays contre toutes les agressions. Les militaires, comme les autres citoyens, doivent pouvoir vivre correctement et doivent bénéficier d’une prise en charge sociale spécifique pour leur famille. Malgré une conjoncture économique difficile, le gouvernement a mis au premier plan l’amélioration des conditions financières et sociales des militaires ainsi que de leur famille, pour adresser un message positif à la sphère familiale, qui est considérée comme l’un des facteurs clés pour l’équilibre du militaire et pour son efficacité opérationnelle. Les blessés et les familles des tués font l’objet d’une attention particulière et bénéficient de mesures additionnelles pour mieux honorer l’héroïsme de ces victimes.
- Un budget adéquat pour l’institution militaire (19) : Pas de développement sans sécurité. Les responsables politiques ont mis à disposition des armées les ressources nécessaires pour permettre aux forces militaires d’accomplir leurs missions avec succès. L’objectif affirmé est de préserver de manière continue la sécurité intérieure par une politique de défense appropriée en disposant de forces armées constamment prêtes à intervenir, grâce à un équipement adéquat et à une préparation opérationnelle soutenue, inscrite dans la durée et adaptée aux menaces.
* * *
Les opérations et les efforts portés par les forces militaires dans le cadre de la lutte antiterroriste ont abouti à l’amélioration de la situation sécuritaire en Tunisie. Elle confirme la pertinence des choix effectués par l’armée nationale. Malgré les difficultés rencontrées lors des premiers affrontements, l’armée tunisienne a su adopter une approche pragmatique de renforcement capacitaire, qui a permis d’améliorer le rendement opérationnel et par conséquent la maîtrise de la situation.
Sur le plan stratégique, l’adoption de la politique de défense et de sécurité s’est révélée essentielle. Attaquer l’assise financière des groupes terroristes, indispensable à la conduite de leurs actions et à l’organisation des attentats, a permis de réels progrès. L’amélioration des conditions financières et sociales des militaires, et le renforcement des mesures additionnelles pour mieux honorer les blessés et les tués a accru l’adhésion et l’esprit de corps des unités engagées dans ce combat essentiel.
Sur le plan opératif, des mesures importantes et primordiales ont été prises, relatives à la doctrine d’emploi des forces interarmées, grâce au Centre de Retex. Elles ont directement contribué à l’amélioration de l’efficacité et des capacités interarmées.
Sur le plan opérationnel, l’effort des armées tunisiennes a permis d’isoler des groupes terroristes retranchés dans les hauteurs montagneuses, sans oublier la coopération essentielle avec l’armée algérienne sur la base de la convention bilatérale.
Sur le plan de la préparation des forces, la création d’un Centre d’excellence de déminage et de traitement des engins suspects a contribué à diminuer les dégâts causés par les mines improvisées. Il a joué un rôle très important pour améliorer le niveau opérationnel des unités ainsi que leurs savoir-faire, et a permis la formation des nouvelles unités d’intervention créées dans les brigades.
La lutte antiterroriste sera certainement de longue haleine. Elle nécessitera la mobilisation dans le temps de toutes les forces nationales et exigera beaucoup de sacrifices. Avec la conjugaison des compétences, de la solidarité et de la détermination des unités, la sécurisation durable du pays passera également par l’intégration et la participation des autres ministères concernés par la lutte antiterroriste et contre la radicalisation des jeunes (Éducation ; Jeunesse et Sports ; Affaires religieuses). Toutefois, il est nécessaire de continuer à conduire une réflexion prospective afin de construire l’armée tunisienne de demain, une armée moderne et à la hauteur des défis à venir.
Éléments de bibliographie
Général de brigade (r) Nafti Mohamed in Collectif, Invincible Tunisie, Éditions Leaders, 2016.
Général de brigade (r) Meddeb Mohamed, Défense et Sécurité nationale ; Quelles réformes pour l’ère démocratique ?, Éditions Leaders, 2015, 67 pages.
Meddeb Mohamed, « Lutte contre le terrorisme et la contrebande, quelle stratégie ? », Leaders, 2 février 2014 (www.leaders.com.tn/article/13415-lutte-contre-le-terrorisme-et-la-contrebande-quelle-strategie).
International Crisis Group, « La Tunisie des frontières (II) : terrorisme et polarisation régionale », Briefing Moyen-Orient et Afrique du Nord n° 41 du 21 octobre 2014, 18 pages (https://d2071andvip0wj.cloudfront.net/tunisia-s-borders-II-terrorism-and-regional-polarisation-french.pdf).
International Crisis Group, « La Tunisie des frontières : jihad et contrebande », Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord n° 148 du 28 novembre 2013, 45 pages (https://d2071andvip0wj.cloudfront.net/).
International Crisis Group, « Tunisie : violences et défi salafiste », Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord n° 137 du 13 février 2013, 58 pages (https://d2071andvip0wj.cloudfront.net/).
Entretiens
Général de brigade (r) Nafti Mohamed, ancien inspecteur général des Forces armées.
Colonel major commandant de la 3e Brigade mécanisée.
Les commandants des Forces.
(1) Le terme vient de calife (khalife), romanisation de l’arabe khalifa, littéralement « successeur » (sous-entendu du Prophète).
(2) Application des prescriptions coraniques et des traditions prophétiques de façon littérale et anachronique.
(3) Après des manifestations durant plusieurs semaines à partir du 17 décembre 2010, la révolution tunisienne a abouti au départ du président Ben Ali, le 14 janvier 2011.
(4) « Doctrine » de quelques groupes salafistes qui, au début de leurs activités, entendaient diffuser les règlements de l’islam dans cette zone en refusant les actes de violence.
(5) Détection d’infiltration d’armes venant de la Libye et confrontation armée avec une unité de l’armée.
(6) Littéralement « Partisans de la Charia », groupe islamiste salafiste actif en Tunisie, placé sur la liste tunisienne des organisations terroristes.
(7) Mont (1 544 m) situé dans l’Ouest du pays, près de la frontière algérienne.
(8) Certaines de ses milices ont combattu les hommes du colonel Mouammar Kadhafi lors de la guerre civile de 2011. Fajr Libya est notamment très présente dans la ville de Misrata (à 200 km à l’est de Tripoli).
(9) Son nom renvoie à Oqba Ibn Nafi (622-683), gouverneur et général arabe au service du califat rachidoun puis omeyyade, qui a mené la conquête musulmane du Maghreb à partir de 670.
(10) Dans ce livre de 200 pages, Abou Bakr Naji indique la stratégie des djihadistes, répartie par phases et basée sur la violence.
(11) L’ONG internationale, indépendante et à but non lucratif, a publié le 28 novembre 2013 son rapport n° 148, « La Tunisie des frontières : jihad et contrebande ».
(12) L’ARSD a remplacé la Direction générale de sécurité militaire.
(13) Véhicules Mine Resistant Ambush Protected (MRAP) de type KIRPI, de fabrication turque. Protégés contre les mines et les embuscades, ils ont été conçus par le fabricant de véhicules blindés BMC pour répondre aux exigences des forces terrestres.
(14) La bataille de Ben Gardane, à la frontière libyenne, a opposé les forces de sécurité et de l’armée tunisiennes aux djihadistes. C’est le début de la chute de l’État islamique en Tunisie.
(15) Un décret a été publié dans le Journal officiel de la République tunisienne (JORT), en date du 7 juillet 2015. Il porte sur les zones militaires fermées et les zones d’opérations militaires, sur décision du président de la République.
(16) Elle est fixée par la Commission nationale de lutte contre le terrorisme qui a été créée par l’article 66 de la loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015 relative à la lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent.
(17) Signée par le président de la République le 15 décembre 2017, elle donne pouvoir au ministère de la Défense nationale pour élaborer les actions et coordonner les différentes parties prenantes sur ce sujet.
(18) Le règlement intérieur relatif aux mesures pratiques pour la répression du blanchiment d’argent et la lutte contre le financement du terrorisme a été publié dans le JORT le 19 janvier 2017.
(19) Budget de l’État pour les années 2015, 2016, 2017 et 2018.