Théorisé durant la guerre froide, le concept de guerre nucléaire limitée – fondé sur un emploi sélectif et limité de l’arme nucléaire – semble aujourd’hui faire l’objet d’un certain renouveau doctrinal illustré par l’expression de postures nucléaires ambiguës, voire désinhibées, vis-à-vis d’un emploi potentiel. Dans un paysage nucléaire multipolaire et marqué par le recours à certaines formes de sanctuarisation agressive, les réponses que notre dissuasion pourrait apporter à ces nouvelles stratégies nucléaires pourraient passer par le maintien de l’adaptabilité et de la flexibilité de nos deux composantes, la conduite d’une réflexion sur la gestion de l’escalade, ainsi qu’une complémentarité renforcée entre manœuvres conventionnelle et nucléaire.
Vers un retour des stratégies de guerre nucléaire limitée : défis et enjeux pour la dissuasion française
Le 6 août 1945 voit le monde basculer dans une nouvelle ère stratégique marquée par un rapport désormais fondamental à l’atome. Attribut de puissance mais également facteur de supériorité stratégique, l’arme nucléaire constitue depuis l’avènement de ce « premier âge nucléaire » un élément déterminant des relations interétatiques.
Principalement instrument de dissuasion, mais pouvant aussi être envisagé à des fins de coercition ou d’action, l’arme atomique a donné lieu depuis à des doctrines variées, illustratives des tensions traversant l’échiquier géostratégique. Ainsi, parmi les stratégies développées par certains pays détenteurs (1), le concept de guerre nucléaire limitée – fondé sur un emploi sélectif et limité de l’arme nucléaire – semble faire aujourd’hui l’objet d’un renouveau doctrinal illustré par l’affichage de postures nucléaires ambiguës, voire potentiellement tournées vers l’emploi.
Dans un contexte marqué par une désinhibition accrue de certains États vis-à-vis de l’atome, quelles réponses notre dissuasion nucléaire – adossée aux notions d’intérêts vitaux, de circonstances extrêmes de légitime défense, d’ultime avertissement et de dommages inacceptables – peut-elle apporter à ces nouvelles postures ?
L’analyse de cette problématique passe par un rappel historique du concept de guerre nucléaire limitée, la mise en exergue de l’ambiguïté actuelle de certaines postures nucléaires et la proposition de réponses adaptées.
La guerre nucléaire limitée, un concept né de la guerre froide
Un concept objet de plusieurs débats doctrinaux
Défini par l’analyste Jeffrey Larsen comme « un conflit dans lequel des armes nucléaires sont utilisées en faible quantité et de manière restreinte afin de poursuivre des objectifs limités » (2), le concept de guerre nucléaire limitée est théorisé à partir du milieu des années 1950 par les stratèges américains Bernard Brodie, Robert Osgood et Henry Kissinger. Dans un contexte marqué par une part accrue de l’arme nucléaire dans les arsenaux des deux Grands, le concept d’une guerre volontairement restreinte en ambitions, amplitude et moyens, apparaît vite comme une alternative possible à un conflit « illimité », fruit d’une ascension incontrôlée aux extrêmes. Pour échapper au dilemme entre inaction et anéantissement mutuel, des réflexions sur un emploi limité de l’arme nucléaire se font alors jour, la pertinence d’une dissuasion fondée sur la menace de frappes massives conduisant à d’âpres débats. Cette réflexion doctrinale se traduit par une littérature abondante, visant à élaborer les contours d’une stratégie nucléaire fondée sur la limitation des objectifs, l’emploi d’armes à énergie réduite et la maîtrise permanente de l’escalade.
Pour autant, si la guerre nucléaire limitée semble apparaître comme une alternative possible au risque d’anéantissement réciproque, les limites conceptuelles et pratiques de cette forme de stratégie nucléaire ne manquent pas d’être rapidement soulignées, tant par ses détracteurs que par ceux mêmes qui en ont établi le concept. Les interrogations liées au présupposé d’une retenue mutuelle dans l’emploi de l’arme, le risque de confusion quant à la nature (tactique ou stratégique) des frappes mais surtout l’absence de toute expérience de cette nouvelle forme de conflictualité (« both sides would be operating in the dark » (3) – Henry Kissinger), apparaissent comme autant de défis pour conserver à la guerre nucléaire un caractère limité, donnant ainsi lieu à diverses approches doctrinales.
Les États-Unis, de la riposte graduée aux options nucléaires limitées
Après une décennie marquée par une supériorité nucléaire incontestée des États-Unis, le milieu des années 1950 voit se dessiner le risque d’une possible parité avec l’URSS. La crainte d’une érosion du monopole américain en matière de missiles balistiques (4) et d’énergie des armes (5) conduit ainsi certains stratèges à s’interroger sur la crédibilité d’un concept jusqu’alors fondé sur la notion de représailles massives, face à une Union soviétique potentiellement en mesure de procéder à une frappe en second.
Ce besoin d’évolution doctrinale se trouve renforcé par les crises de Berlin (1961) et de Cuba (1962), qui mettent en exergue la nécessité d’une approche stratégique permettant de marquer la détermination tout en maîtrisant l’escalade (6). La prise de conscience de la possibilité désormais avérée d’un échange nucléaire massif – avec le risque d’auto-dissuasion induit – amène ainsi l’Administration américaine à envisager une revue de sa posture nucléaire. Cette réflexion aboutit à l’adoption en 1962 de la doctrine de Flexible Response (7), les premières options nucléaires limitées intégrant un ciblage « contre-forces » (8). Les interrogations quant à l’efficacité de frappes limitées contre des moyens militaires soviétiques numériquement supérieurs, conduisent néanmoins les Administrations Kennedy puis Johnson à maintenir la priorité sur les capacités nucléaires de destruction mutuelle assurée, perçues comme un atout de stabilité réciproque.
Une nouvelle inflexion intervient en 1974 sous l’impulsion du secrétaire à la Défense James Schlesinger : le besoin d’une plus grande diversité des options nucléaires est exprimé dans le National Security Decision Memorandum 242 (9), avec une planification comprenant des frappes massives à vocation anti-cités, des frappes « sélectives » (échelonnées dans l’espace et le temps), des options « limitées » (Limited Nuclear Options) avec un ciblage contre-forces et des options « régionales » (Regional Nuclear Options) focalisées sur les théâtres d’opérations potentiels (10).
L’approfondissement du concept de frappes nucléaires limitées se poursuivra sous les Administrations Carter et Reagan, avec un effort porté sur la résilience des moyens et sur la réactivité de la planification nucléaire. Cette optimisation des options se traduira ainsi par l’adoption en 1988 du Single Integrated Operational Plan 6E avec des plans de frappes visant à limiter l’escalade, la nature « limitée » de cette planification nucléaire apparaissant cependant comme relative au regard du nombre d’armes nucléaires potentiellement mises en œuvre (11).
L’URSS, entre théorie de la victoire et guerre nucléaire limitée
Parallèlement au développement de ces différentes options stratégiques, le concept de guerre nucléaire limitée fait également l’objet en URSS de plusieurs réflexions.
Initiés dès la seconde moitié des années 1950, les travaux relatifs au rôle de l’arme nucléaire dans la stratégie de défense soviétique trouvent une première formalisation en 1962 avec le manuel de stratégie militaire du maréchal Sokolovski (12)(13). Bien que réfutant les notions de guerre nucléaire limitée et de riposte graduée, le discours officiel soviétique inscrit l’arme nucléaire dans une logique d’emploi potentiel, selon une approche combinant manœuvre conventionnelle et frappes nucléaires massives éventuellement précédées de frappes préemptives. Instrument de la victoire, l’arme nucléaire vise alors moins à établir les conditions d’une stabilité stratégique qu’à remporter un conflit dont le caractère limité semble difficile à maintenir : « Dans les conditions actuelles de la technique militaire, tout conflit armé se transformera inévitablement en conflit nucléaire généralisé si les puissances nucléaires se trouvent engagées dans ce conflit » (Sokolovski (14)).
L’année 1977 voit se cristalliser une inflexion doctrinale illustrée par la publication de la doctrine Ogarkov (15). Abandonnant un concept fondé sur le recours à des frappes nucléaires massives dès les premières phases du conflit, la stratégie nucléaire soviétique intègre désormais la possibilité d’une guerre limitée, affichant – sans pour autant l’admettre officiellement – le principe d’une certaine forme de riposte graduée. Le franchissement du seuil nucléaire s’inscrit ainsi selon une logique d’escalade, avec un conflit essentiellement envisagé sur le sol européen (16).
L’arrivée de la « perestroïka dans les affaires internationales » consacrera cependant en 1987 le choix d’une doctrine nucléaire à vocation essentiellement défensive, entraînant de facto l’abandon de la doctrine Ogarkov pour une certaine forme de dissuasion minimale (17).
La France et l’Arme nucléaire tactique
Au cours de cette période de guerre froide, la France ne reste pas absente des réflexions liées à un éventuel emploi limité de l’arme nucléaire. Si le refus de toute forme de riposte graduée constitue une ligne directrice de la politique nucléaire gaullienne, la période s’étendant du milieu des années 1950 aux années 1990 voit cependant éclore diverses réflexions liées aux armes nucléaires de théâtre.
Faisant suite à des travaux initiés dès le milieu des années 1950, la décision de doter la France de l’Arme nucléaire tactique (ANT) trouve sa formalisation capacitaire dans la Loi de programmation militaire (LPM) 1965-1970. Celle-ci prévoit le développement d’une capacité nucléaire tactique aéroportée (armes AN52 sur Mirage III-E et sur Jaguar) (18) et le lancement du programme de missile Pluton, en remplacement des bombes aéroportées américaines et du système sol-sol MGR Honest John mis en œuvre depuis 1959 par les forces françaises stationnées en Allemagne pour leur contribution à la mission nucléaire tactique de l’Otan. La place de l’ANT dans la stratégie de défense est officiellement exposée en mars 1969 par le général d’armée aérienne Fourquet – alors Chef d’état-major des armées – lors d’un discours prononcé à l’IHEDN ; la notion de test de la détermination de l’adversaire par des moyens conventionnels puis nucléaires tactiques, ainsi que le rôle central des armes nucléaires tactiques sur le champ de bataille, y sont notamment mentionnés (« … une nouvelle discontinuité dans le processus de l’épreuve de force en en changeant la nature : c’est l’ouverture du feu nucléaire tactique » « L’arme nucléaire tactique est l’arme autour de laquelle s’ordonne la manœuvre ») (19). L’ANT s’inscrit cependant toujours dans une logique de dissuasion, en appui de la composante nucléaire stratégique.
Le Livre blanc de 1972 vient confirmer la place des armes nucléaires tactiques au sein de la stratégie nucléaire française (20). L’idée est alors, par une manœuvre conventionnelle éventuellement suivie d’une frappe nucléaire de théâtre, de tester la volonté de l’adversaire et de lui signifier qu’il s’approche du seuil d’emploi des armes stratégiques (21).
L’année 1976 voit cependant surgir une évolution sémantique, que d’aucuns perçoivent comme une possible inflexion doctrinale. Le rôle que les ANT (missiles Pluton, aéronefs de l’Armée de l’air et de l’aéronavale) pourraient jouer dans le cadre d’une frappe nucléaire de théâtre, est exposé par le général d’armée Méry, nouveau chef d’état-major des armées. Les ANT y sont présentées comme « … des armes anti-forces, c’est-à-dire destinées au champ de bataille et à son environnement, et dont l’emploi éventuel doit en conséquence s’accompagner de la recherche d’une efficacité militaire » (22). D’une stratégie de dissuasion visant à éviter le dilemme du « tout ou rien », l’ANT semble ainsi apparaître comme glissant vers une logique d’emploi, voire de guerre nucléaire limitée. L’allocution présidentielle de juin 1976 à l’IHEDN, au cours de laquelle l’ANT est présentée comme n’étant « (…) pas seulement un instrument de dissuasion, c’est aussi un instrument de bataille » (23), ne clarifie pas cette ambiguïté doctrinale.
Les années 1980 marquent progressivement la fin de la tentation d’un emploi limité de l’arme nucléaire, avec un recentrage vers une dimension stratégique.
Au vocable d’armes nucléaires tactiques, est substitué en 1984 celui d’armes « préstratégiques », alors que la fonction d’ultime avertissement vient supplanter celle de frappes anti-forces. Si la notion d’un avertissement nucléaire « en cas de besoin, diversifié et échelonné dans la profondeur » (24) est évoquée en 1986 par Jacques Chirac, alors Premier ministre, la nature purement stratégique de l’arme nucléaire et le caractère unique de l’avertissement nucléaire sont confirmés en 1988 par François Mitterrand. La mise sous cocon en 1992 des missiles Hadès, successeurs des Pluton, viendra in fine entériner l’abandon de l’ANT.
Caractérisée par une centralité de l’arme atomique, la guerre froide aura donc vu naître puis se développer le concept de guerre nucléaire limitée. Si les décennies 1990 et 2000 – marquées par l’espoir des dividendes de la paix – ont pu ensuite laisser croire à une diminution du rôle de l’atome, la possibilité d’un emploi sélectif et limité de l’arme nucléaire semble cependant aujourd’hui faire l’objet d’un certain renouveau doctrinal.
Un renouveau doctrinal illustré par l’affichage de nouvelles postures nucléaires
Une multipolarité nucléaire, source d’instabilités stratégiques
Faisant suite à une période d’hégémonie des puissances nucléaires historiques, l’ouverture du « club de l’atome » à de nouveaux acteurs constitue désormais une donnée intangible du paysage stratégique. Dans ce nouvel âge nucléaire caractérisé par le développement de stratégies indirectes « sous la voûte nucléaire » et par un couplage fort entre jeu stratégique des grandes puissances et conflits régionaux (25), la diversité des acteurs donne lieu à l’émergence de nouvelles dynamiques.
La première d’entre elles est incontestablement une modification profonde des rapports de force entre États. Dans ce que Thérèse Delpech qualifiait de « monopoly de la piraterie stratégique » (26), la multipolarité nucléaire vient bousculer l’ordre international : la possession du feu nucléaire apparaît plus que jamais comme un facteur régalien de la puissance, entre volonté de combler une asymétrie conventionnelle et affirmation d’ambitions régionales. Le rôle de l’arme nucléaire dans le développement de stratégies d’intimidation ou d’action se dessine ainsi depuis peu sous un angle nouveau : possible outil de menace ou de contrainte, l’arme nucléaire – qu’elle soit adossée à des capacités conventionnelles « haut du spectre » ou par sa seule possession – constitue une pièce maîtresse de ces nouvelles manifestations de la puissance. Dans un environnement stratégique caractérisé par une érosion de la norme, une remise en cause des mécanismes de maîtrise des armements (27) et l’apparition de nouveaux « nationalismes nucléaires », l’arme nucléaire semble ne plus se limiter à la seule fonction dissuasive mais constituer un outil de coercition potentielle.
Cette modification de la nature des rapports de force entre États s’accompagne d’une difficulté accrue à gérer les dynamiques d’escalade. À un paysage stratégique bipolaire, la multiplicité des acteurs nucléaires vient substituer une scène plus confuse, au cœur de laquelle la poursuite d’objectifs moins lisibles se traduit par une incertitude renforcée. L’absence d’intérêts partagés ou de culture stratégique commune, une propension accrue à la prise de risque selon des rationalités parfois incertaines, les interrogations quant aux processus décisionnels et aux chaînes de sécurité des arsenaux nucléaires de certaines puissances régionales, mais aussi une plus grande difficulté à établir des mécanismes de déconfliction et des canaux de dialogue fiables entre acteurs (28), sont autant de freins à l’établissement d’un dialogue stratégique efficient. La gradation de la violence ne se limite ainsi plus aux seules dimensions géographiques, temporelles ou capacitaires ; celle-ci doit dorénavant intégrer le risque, subi ou délibéré, d’une escalade pouvant se propager à d’autres acteurs de la crise.
Des acteurs combinant ambiguïté et opacité des postures
Dans ce paysage nucléaire diversifié, le risque d’un emploi limité de l’arme atomique – à des fins de coercition, voire à la suite d’une incompréhension liée au brouillard de la crise – se trouve renforcé par l’affichage de postures nucléaires ambiguës.
Les interrogations suscitées par une doctrine russe désormais moins lisible vis-à-vis d’un emploi limité de l’arme nucléaire illustrent cette nouvelle forme d’ambiguïté assumée. Malgré l’affirmation du caractère central de la notion de dissuasion et la négation officielle de tout concept de frappes préventives (« Nous n’avons pas dans notre concept d’emploi de l’arme nucléaire de frappe préventive », Vladimir Poutine (29)), les conditions d’un éventuel emploi par la Russie de l’arme nucléaire font l’objet d’avis partagés. Si la doctrine nucléaire de décembre 2014 n’envisage officiellement l’emploi des armes nucléaires qu’« … en riposte à l’utilisation d’armes nucléaires et autres types d’armes de destruction massive contre [la Fédération de Russie] et/ou ses alliés, et en cas d’agression impliquant l’utilisation d’armes conventionnelles où l’existence même de l’État est menacée » (30), l’hypothèse d’un recours à des frappes nucléaires limitées selon une logique de coercition, voire d’« escalade pour la désescalade » (31) ne peut être totalement écartée, à l’aune d’une posture déclaratoire russe désormais plus confuse (32) et surtout désinhibée dans l’affichage de la force (33).
De même, si le principe de non-emploi en premier (no first use) reste officiellement le socle de la doctrine nucléaire chinoise, les efforts que Pékin fournit actuellement pour le développement d’une triade nucléaire affermie (montée en puissance de la composante nucléaire océanique, lancement du programme de bombardier furtif H-20, mise en service des nouveaux missiles DF-31), associés au déploiement de moyens de déni d’accès et d’interdiction de zone (A2/AD), peuvent interroger quant à la réalité du concept de « dissuasion minimale » officiellement affiché. À cet égard, une future évolution doctrinale vers une posture nucléaire plus opaque combinant dissuasion et sanctuarisation agressive ne peut être exclue.
L’opacité peut également faire partie intégrante d’une posture déclaratoire affichée. Tel est le cas d’Israël, qui bien que crédité d’un arsenal supposé compris entre 80 et 200 têtes vectorisées sur avions d’armes, missiles balistiques Jericho, et potentiellement missiles de croisière, n’infirme ni ne confirme officiellement la possession de l’arme nucléaire, adoptant en cela une doctrine d’« ambiguïté délibérée » (34).
Enfin, et de manière plus générale, ces ambiguïtés doctrinales peuvent se voir renforcées par une intrication forte des moyens nucléaires et conventionnels. Qu’il s’agisse du développement d’armes à capacités duales (missiles balistiques Iskander-M russes et DF-26 chinois ; missiles de croisière 9M729 russes et CJ-20 chinois ; missile hypersonique russe Kinzhal ; projets de vecteurs hypersoniques Avangard russe et Wu-14 chinois) ou du regroupement opérationnel et organique de certaines capacités conventionnelles et nucléaires (colocalisation des vecteurs, des capacités de soutien et de Command & Control [C2] (35)), cet enchevêtrement assumé contribue à l’établissement d’un véritable « brouillard stratégique ».
Des doctrines nucléaires davantage désinhibées vis-à-vis d’un emploi potentiel
L’affirmation de doctrines n’excluant pas, voire envisageant, un emploi en premier et limité de l’arme nucléaire lors d’un conflit régional, constitue également une caractéristique marquante de ce nouveau paysage stratégique.
Nonobstant une absence de formalisation doctrinale et les incertitudes quant à ses capacités de vectorisation nucléaire, la posture nord-coréenne est à cet égard une source de préoccupations certaines. Sans préjuger des résultats du dialogue stratégique initié entre Washington et Pyongyang, l’analyse de la communication jusqu’à présent mise en œuvre par la Corée du Nord met en effet en exergue une rhétorique forte, n’excluant pas la possibilité d’un recours à des frappes préemptives en cas de risque majeur sur la survie du régime (36). Face à une menace perçue comme imminente, notamment vis-à-vis de son arsenal nucléaire, l’emploi éventuel par Pyongyang de frappes nucléaires préemptives tactiques ou de contre-valeur pourrait ainsi participer d’une posture d’« escalade asymétrique » (37) reposant sur l’emploi en premier.
Dans une moindre mesure, l’évolution de la doctrine nucléaire pakistanaise, marquée par le passage d’une notion de Credible Minimum Deterrence (« dissuasion minimale crédible ») à celle de Full Spectrum Deterrence (« dissuasion large spectre »), pourrait également s’inscrire dans une logique d’emploi potentiel. Présentée comme une réponse à la doctrine indienne Cold Start (38), le concept de Full Spectrum Deterrence n’exclurait en effet pas le recours à des frappes nucléaires tactiques, y compris sur le sol pakistanais, et ce dès le début d’un conflit (39). Cette évolution doctrinale s’est accompagnée d’un effort capacitaire visant à développer une composante nucléaire tactique crédible : officiellement affichée comme un outil de dissuasion, la capacité nucléaire tactique pakistanaise repose désormais sur un arsenal diversifié (missiles balistiques Abdali, Ghaznavi, Shaheen-1 et Nasr, missiles de croisière Ra’ad et Babur-3), ainsi que sur des capacités de C2 souples et résilientes. Si la recherche d’une certaine retenue stratégique semble être la voie actuellement privilégiée par Islamabad dans ses rapports avec l’Inde, les armes nucléaires tactiques pakistanaises occupent néanmoins une place clé au sein de la stratégie de défense du pays, avec une ambiguïté interrogeant quant à leur véritable seuil d’emploi.
Face à ces évolutions, la pertinence du maintien par l’Inde d’une posture fondée sur la notion de no first use fait l’objet de vifs débats au sein de la communauté stratégique du pays (40). Ainsi, selon certains analystes dont Vipin Narang, l’hypothèse que l’Inde puisse recourir à d’éventuelles frappes nucléaires préemptives contre-forces en cas d’emploi imminent par le Pakistan de ses armes nucléaires (déploiement de lanceurs nucléaires tactiques sur le théâtre d’opérations ou autres indices précurseurs), ne pourrait être totalement exclue (41). Bien qu’une telle interprétation ne soit pas reconnue par l’Inde, le développement d’une version mobile du missile Agni I offrant une capacité de lancement sous faible préavis pourrait, selon certains experts, constituer l’indice d’une éventuelle future évolution doctrinale (42).
Les mutations de ce paysage stratégique, désormais marqué par des règles du jeu davantage contestées et au sein duquel tendent à se brouiller les frontières entre action conventionnelle et pression nucléaire, appellent une réflexion capacitaire et doctrinale.
Une dissuasion adaptable et adaptée pour gérer le dialogue dissuasif
Maintenir l’adaptabilité et la flexibilité des moyens
Face à des stratégies potentielles d’intimidation ou de coercition nucléaires, la crédibilité opérationnelle et technique de notre dissuasion doit, en premier lieu, continuer de reposer sur l’adaptabilité de nos deux composantes aux évolutions de la menace. Dans un contexte stratégique changeant et marqué par des postures n’excluant pas un emploi limité de l’arme nucléaire, il s’agit d’affirmer la pertinence de notre stratégie de dissuasion. Outre une politique déclaratoire forte et une capacité opérationnelle avérée, cette crédibilité passe par une évolution régulière des moyens, en cohérence avec le besoin opérationnel et la durée de vie des systèmes.
La garantie de la frappe en second représente sur ce point un élément clé du dialogue dissuasif. Adossée à la complémentarité des composantes nucléaires océanique et aéroportée, la capacité permanente à pouvoir infliger des dommages inacceptables à un adversaire qui s’en prendrait à nos intérêts vitaux – et ce, quelles que soient la nature et la forme de l’agression – constitue le socle de cette crédibilité stratégique.
Pour la composante nucléaire océanique – dont le concept d’emploi repose sur la permanence à la mer, la dilution et la discrétion du SNLE – la crédibilité de cette frappe en second passe par la préservation de l’invulnérabilité de nos plateformes sous-marines et par l’adaptation des missiles balistiques aux enjeux de portée, de précision et de pénétration. Dans un environnement qui verra se développer une diversification et un durcissement de la menace (43), la poursuite des améliorations capacitaires de nos SNLE dans les domaines de la furtivité, de la discrétion, de la détection acoustique et de la mise en œuvre des armes tactiques, constituera un élément clé de cette invulnérabilité. Le programme de SNLE de troisième génération – associé aux évolutions incrémentales du missile balistique M51 – vise à répondre à cette imprévisibilité stratégique, selon une logique d’évolutivité et de juste besoin.
Pour la composante nucléaire aéroportée dont la démonstrativité représente un atout fort, l’enjeu principal pour les prochaines décennies sera celui du maintien du triptyque portée/pénétration/précision face à des « bulles A2/AD » de plus en plus performantes. Face aux évolutions prévisibles de la menace antiaérienne et à la prolifération des systèmes antiaériens et anti-balistiques, l’acquisition d’une capacité crédible dans le domaine de l’hypersonique sera sur ce point capitale.
Associée à cette adaptabilité des moyens, la flexibilité (44) constitue une autre facette des réponses permettant de contrer l’ambiguïté de ces nouvelles postures nucléaires. Il ne s’agit pas tant du recours à une forme de réponse flexible ou graduée que de la capacité à mettre en œuvre des moyens participant à la communication stratégique. Si la composante nucléaire océanique constitue un élément clé du « dialogue dissuasif » (45), les impératifs de dilution et de discrétion inhérents au SNLE n’en font a priori pas le vecteur privilégié de cette communication stratégique. La dualité et la visibilité des moyens de la composante nucléaire aéroportée (46) s’inscrivent davantage dans cette logique de « démonstration nucléaire ». Face à des stratégies de coercition ou d’intimidation ouvertement adossées au fait nucléaire, la capacité à diversifier les modes d’action en associant visibilité des moyens et modification rapide des postures, permet de préserver la liberté d’action du président de la République et participe directement de l’efficacité du « messaging » stratégique.
Repenser la gestion du processus d’escalade
La maîtrise permanente de l’escalade apparaît comme un autre élément primordial de ce dialogue dissuasif. Dans un contexte marqué par une incertitude accrue quant aux objectifs poursuivis par des acteurs désormais moins lisibles, la capacité à contrer la tentation d’un emploi limité de l’arme nucléaire milite pour une réflexion renouvelée.
Largement développée pendant la guerre froide par certains stratèges américains, la notion de domination de l’escalade, visant à la recherche d’une « contrôlabilité » de la guerre nucléaire par l’établissement d’une supériorité conventionnelle et nucléaire à tous les niveaux d’un conflit, a pendant longtemps constitué un modèle de référence (47). Le concept d’escalade délibérée – avec les notions de seuil, de dynamique de réponse, de capacité de perception par les protagonistes de la crise et d’imprédictibilité afférentes – a été en particulier théorisé par Hermann Kahn par une « échelle de l’escalade » (48) dont les barreaux constituaient les possibles étapes d’un conflit avec ses seuils associés (action cinétique limitée, conflit conventionnel, guerre nucléaire limitée, etc.). Considérée comme une étape de la dynamique d’escalade, la guerre nucléaire limitée apparaissait ainsi comme graduée en différents paliers – de la démonstration nucléaire aux frappes limitées – faisant de l’arme atomique un véritable outil militaire de gestion des conflits.
L’adoption d’une telle stratégie de domination de l’escalade – par nature étroitement liée au concept de riposte graduée et à la garantie d’une supériorité conventionnelle et nucléaire sur l’ensemble des segments – ne pourrait raisonnablement pas constituer pour la France une option crédible et adaptée. Face à un État tenté
de recourir à un emploi limité de l’arme nucléaire à des fins militaires ou politiques (reprise de l’avantage tactique par le « traitement » d’objectifs durcis, conduite de frappes de théâtre à fort effet de létalité ou à effet IEM (49) ; recherche d’une sidération par une hausse brutale de l’intensité du conflit, etc.), l’approche du processus d’escalade ne doit pas tant viser à dominer militairement l’adversaire sur l’ensemble du spectre qu’à générer une incertitude sur la nature de la réponse et sur les risques induits d’ascension aux extrêmes.
Il s’agit donc, par une posture dissuasive combinant une politique déclaratoire forte et le message opérationnel associé, de pouvoir dénier à l’adversaire la capacité à évoluer librement sur les différents paliers de la violence – dont celui de la coercition nucléaire – en lui faisant redouter une escalade pouvant l’entraîner au-delà des bornes qu’il s’est fixées pour un conflit limité. À cet effet, le discrédit de l’adversaire dans le champ de la rhétorique peut contribuer à maximiser ce dialogue dissuasif. La négation de toute distinction – parfois artificiellement affichée – entre les natures tactiques et stratégiques d’un usage de l’arme nucléaire (distinction fondée sur la portée du vecteur, la puissance de la charge, les effets de l’arme et la nature des objectifs, éléments par nature subjectifs), la réfutation du caractère potentiellement contrôlable d’une guerre nucléaire limitée et la réaffirmation de l’effet de seuil que représenterait tout emploi, même limité, de l’arme nucléaire, pourraient en former les éléments sémantiques. La capacité à appuyer cette rhétorique d’une « démonstration globale » dans les champs diplomatique, économique, médiatique et militaire (manœuvre de démonstrativité des moyens nucléaires, conventionnels et cyber ; modification ostensible de la posture, etc.) constituerait un élément majeur de cette gestion de l’escalade, signalant par là même le changement de paradigme qui découlerait de tout franchissement du seuil nucléaire.
Dans ce cadre, la pertinence de la notion d’avertissement, option nucléaire destinée à rétablir la dissuasion face à un adversaire qui se serait mépris sur la nature de nos intérêts vitaux et sur notre détermination à les défendre, constitue un élément déterminant du dialogue dissuasif. Outil de dissuasion et non arme du champ de bataille, sa nature par définition nucléaire l’inscrit dans la continuité du dialogue stratégique et de la maîtrise de l’escalade, tout en affirmant la détermination politique et la crédibilité d’une possible frappe en second.
Renforcer la complémentarité entre manœuvres conventionnelle et nucléaire
Face à des acteurs cultivant l’incertitude et susceptibles d’employer l’arme nucléaire dans le cadre de stratégies de coercition, la maîtrise du dialogue dissuasif passe également par une complémentarité étroite entre action conventionnelle et dissuasion nucléaire, la capacité à intégrer la manœuvre des forces conventionnelles dans le maniement politique de la dissuasion étant consubstantielle de cette gestion de l’escalade.
L’appui des moyens conventionnels à la crédibilité de la posture de dissuasion, en particulier en termes de protection des moyens et d’appréhension de la menace, représente le premier élément de ce couplage stratégique. Outre le soutien opérationnel et logistique indispensable à nos deux composantes, l’anticipation et la connaissance approfondie de la menace constituent en effet un élément majeur du dialogue dissuasif. La capacité à déterminer très en amont les intentions d’un adversaire potentiel, la détection des changements de posture éventuels, voire des indices préalables à la conduite d’une frappe limitée, mais aussi le positionnement tactique des moyens adverses, participent directement de la cohérence globale de la manœuvre de dissuasion. À cet effet, la tenue dans le temps long d’une posture de renseignement crédible passe par l’adaptabilité de nos capteurs et systèmes aux évolutions de la menace – notamment dans les domaines de l’imagerie, du recueil de renseignement d’origine électromagnétique et de la surveillance spatiale – couplée à une capacité accrue de traitement massif des données.
La contribution des forces conventionnelles au dialogue de dissuasion, avec la capacité de démonstration inhérente à la communication stratégique, constitue le deuxième pilier de cette nécessaire complémentarité des moyens. À cet égard, les déploiements démonstratifs et ostensibles de moyens conventionnels « haut du spectre » – combinés à l’entretien du savoir-faire opérationnel et technique associé – peuvent offrir un rendement stratégique élevé face à des stratégies de puissance ou de fait accompli. Les déploiements de moyens maritimes, aériens ou terrestres conduits dans le cadre de mesures de réassurance (50) ou de prévention des crises (51), représentent des vecteurs précieux pour une forme de « contre-pratique de l’intimidation » fondée sur l’affirmation de la volonté et la crédibilité des moyens.
Enfin, cette complémentarité appelle une réflexion renouvelée sur le rôle que pourraient jouer les forces conventionnelles dans la maîtrise de l’escalade. L’établissement d’une articulation renforcée entre action conventionnelle et dissuasion nucléaire pourrait en constituer le socle. Face à un agresseur susceptible de s’en prendre à nos intérêts vitaux et misant sur l’ambiguïté de la stratégie déployée (incertitudes quant à la nature absolue ou limitée des objectifs poursuivis, mise en œuvre de moyens duaux ou hybrides, menaces voilées de recours à l’arme nucléaire, etc.), la capacité à déployer une combinaison de moyens conventionnels adaptés pourrait contribuer à tester la volonté de l’adversaire, l’obligeant par là même à dévoiler ouvertement ses intentions par une élévation du niveau de l’agression.
Ainsi, sans pour autant reprendre à la lettre la formulation du Livre blanc de 1972 (52), il semble néanmoins judicieux d’en conserver l’esprit par une complémentarité renforcée entre action conventionnelle et dissuasion nucléaire, l’action cyber devant compléter cette combinaison stratégique. Le déploiement, à l’ombre de la dissuasion, de forces conventionnelles aéroterrestres et aéromaritimes robustes – dont la « masse critique » devra résulter d’un compromis entre crédibilité opérationnelle, contraintes capacitaires et réalités financières – pourrait maximiser cette maîtrise de l’escalade tout en repoussant d’autant le franchissement du seuil nucléaire.
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Dans cet environnement stratégique caractérisé par une multipolarité du fait nucléaire et une résurgence des politiques de puissance, le recours potentiel à un emploi limité de l’arme nucléaire semble ainsi faire l’objet d’un certain renouveau doctrinal. Sur une scène marquée par une perméabilité entre action conventionnelle et pression nucléaire, le recours à l’atome pourrait désormais ne plus se limiter à la seule fonction dissuasive mais constituer un outil de coercition.
Face à ces nouvelles postures ambiguës voire ouvertement tournées vers l’emploi, notre dissuasion dispose d’atouts majeurs, fruits d’une volonté politique forte et d’une crédibilité acquise en plus de cinquante années d’expérience. La préservation sur le long terme de cette crédibilité passe par le maintien de l’adaptabilité et de la flexibilité de nos deux composantes nucléaires, une réflexion renouvelée sur la capacité à gérer l’escalade et une complémentarité accrue entre manœuvres conventionnelle et nucléaire.
Par-delà le renouvellement de nos deux composantes nucléaires, il s’agira surtout de pérenniser un « esprit de dissuasion » garantissant sécurité et autonomie stratégique. Le maintien sur le long terme d’un modèle d’armée cohérent et équilibré, assurant une articulation rénovée entre action conventionnelle et dissuasion nucléaire – selon une dimension européenne qu’il conviendra d’explorer – devra en constituer l’essence doctrinale et l’ossature fonctionnelle.
Éléments de bibliographie
Allard Léonie, Duchatel Mathieu et Godement François, Les armes nucléaires nord-coréennes : l’émergence d’une doctrine d’emploi préemptif, décembre 2017 (www.ecfr.eu/page/-/2017_ECFR_Doctrinue_nucle%CC%81aire_Core%CC%81e_du_Nord.pdf).
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Delpech Thérèse, La dissuasion nucléaire au XXIe siècle, 2013, Odile Jacob, 304 pages.
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Facon Isabelle, « La communication dans le domaine de la dissuasion stratégique : le cas de la Russie », Note de la FRS n° 23/18, FRS, décembre 2018, 16 pages (www.frstrategie.org/web/documents/publications/notes/2018/201823.pdf).
Guisnel Jean et Tertrais Bruno, Le Président et la bombe, 2016, Odile Jacob, 336 pages.
Kartchner Kerry et Larsen Jeffrey (dir.), On Limited Nuclear War in the 21st Century, 2014, Stanford Security Studies, 312 pages.
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Roche Nicolas, Pourquoi la dissuasion ?, Puf, 2017, 562 pages.
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Sundaram Kumar Sundaram et Ramana M. V., « India and the Policy of No First Use of Nuclear Weapons », Journal for Peace and Nuclear Disarmament, vol. 1, n° 1, 2018 (https://doi.org/10.1080/25751654.2018.1438737).
Tertrais Bruno, La France et la dissuasion nucléaire : concepts moyens, avenir, La Documentation française, 2017, 176 pages.
Vandier Pierre, La dissuasion au troisième âge nucléaire, 2018, Éditions du Rocher, 108 pages.
Entretiens
M. Corentin Brustlein, directeur du Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri).
Capitaine de vaisseau Jacques Fayard, adjoint « mer » à l’État-major particulier du président de la République.
Lieutenant-colonel Jérôme de Lespinois, chercheur au Centre d’études, des réserves et des partenariats de l’Armée de l’air (Cerpa).
Vice-amiral Pierre Vandier, chef du cabinet militaire de la ministre des Armées.
Contre-amiral Marc Veran, chef de la division « Forces nucléaires » de l’État-major des armées (EMA).
(1) Les pays détenteurs de l’arme nucléaire comprennent à ce jour les cinq « États dotés » au sens du Traité de non-prolifération (États-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France), ainsi que l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël.
(2) Larsen Jeffrey, « Limited War and the Advent of Nuclear Weapons » in Kartchner Kerry et Larsen Jeffrey (dir.), On Limited Nuclear War in the 21st Century, Stanford Security Studies, 2014, p. 6.
(3) [Les deux protagonistes opéreraient dans le noir] Ross Andrew, « The Origins of Limited Nuclear War Theory », On Limited Nuclear War in the 21st Century, op. cit., p. 39.
(4) Les progrès enregistrés par l’URSS en termes de missiles balistiques font alors redouter un écart capacitaire (Missile Gap) entre URSS et États-Unis. Cette théorie du Missile Gap que l’Administration Eisenhower aurait laissé se creuser, sera largement instrumentalisée par J.F. Kennedy lors de la campagne électorale présidentielle de 1960 (cf. Roche Nicolas, Pourquoi la dissuasion ?, 2017, Puf, p. 178).
(5) L’URSS réalise son premier essai de bombe thermonucléaire en 1953.
(6) Tertrais Bruno, La France et la dissuasion nucléaire : concept, moyens, avenir, La Documentation française, 2017, p. 52.
(7) Doctrine fondée sur une manœuvre conventionnelle, une escalade délibérée sur le théâtre européen avec un emploi limité d’armes nucléaires tactiques, puis le recours éventuel à des frappes nucléaires massives en cas de poursuite de l’agression. Cette doctrine sera officiellement adoptée par l’Otan en 1967.
(8) Les frappes « contre-forces » consistent en des frappes ciblant des forces nucléaires adverses, contrairement aux frappes « contre-militaires » et aux frappes « contre-valeurs » visant respectivement des forces conventionnelles ou des infrastructures.
(9) Brustlein Corentin, « La guerre nucléaire limitée : un renouveau stratégique américain », Focus stratégique, n° 77, novembre 2017, Ifri.
(10) Colby Elbridge, « The U.S. and Discriminate Nuclear Options in the Cold War » in On Limited Nuclear War in the 21st Century, op. cit., p. 55.
(11) Brustlein Corentin, op. cit., entretiens avec l’auteur.
(12) Chef d’état-major général des forces armées d’URSS de 1952 à 1960.
(13) Roche Nicolas, op. cit., p. 188.
(14) Romer Jean-Christophe, « L’URSS et la guerre limitée », Institut de stratégie comparé (ISC), 2005 (www.institut-strategie.fr/strat_054_ROMER.html).
(15) Chef d’état-major général des forces armées d’URSS de 1977 à 1984.
(16) Roche Nicolas, op. cit, p. 189.
(17) Ibid., p. 189.
(18) Ibid., p. 95-102.
(19) Fourquet Michel, « Emploi des différents systèmes de forces dans le cadre de la stratégie de dissuasion », RDN n° 278, mai 1969, p. 763 et 764.
(20) « Il faut en effet pouvoir apprécier par des moyens adéquats la détermination d’un adversaire, donc le forcer à dévoiler rapidement ses intentions profondes et pour cela l’obliger à mettre en œuvre des moyens suffisamment importants (…) C’est bien là le rôle du corps de bataille aéroterrestre, doté de matériels conventionnels et d’armes nucléaires tactiques ». Livre blanc sur la Défense 1972, p. 5 (www.livreblancdefenseetsecurite.gouv.fr/pdf/le-livre-blanc-sur-la-defense-1972.pdf).
(21) Roche Nicolas, op. cit., p. 105.
(22) Mery Guy, « Une armée pour quoi faire et comment ? », RDN n° 356, juin 1976, p. 17.
(23) Giscard d’estaing Valéry, « Allocution du président de la République à l’IHEDN », RDN n° 357, juillet 1976, p. 15.
(24) Chirac Jacques, « Discours à l’IHEDN », RDN n° 470, novembre 1986, p. 12.
(25) Vandier Pierre, La dissuasion au troisième âge nucléaire, 2018, Éditions du rocher, p. 52-58.
(26) Delpech Thérèse, La dissuasion nucléaire au XXIe siècle, 2013, Odile Jacob, p. 174.
(27) Fin annoncée du traité sur les FNI, incertitudes quant à la prorogation du Traité New START après 2021.
(28) L’établissement de canaux de communications sûrs et redondants constitue une condition clé pour la limitation des risques de méprise et l’efficacité du « Crisis Management ».
(29) Interview donnée lors d’une conférence au cercle Valdaï en octobre 2018 : Facon Isabelle et Tertrais Bruno, « La Russie et l’emploi des armes nucléaires », Note de la FRS n° 21/18, Fondation pour la recherche stratégique, novembre 2018, 8 pages (www.frstrategie.org/web/documents/publications/notes/2018/201821.pdf).
(30) Delpech Thérèse, Ibid., p. 203.
(31) Le concept « escalade pour la désescalade », consistant en l’emploi de frappes nucléaires limitées afin de hâter la fin d’un conflit conventionnel, a été formalisé en 1999 par le général Levchine et les colonels Nedelin et Sosnovsky dans un article intitulé « L’utilisation de l’arme nucléaire pour la désescalade d’un conflit » (cf. Roche Nicolas, Ibid., p. 217).
(32) Déclaration en 2014 du général russe Iakoubov, chef des inspecteurs au ministère russe de la Défense, affirmant qu’« …il est nécessaire de concevoir les conditions dans lesquelles la Russie peut réaliser une frappe préventive au moyen de forces nucléaires stratégiques », diverses prises de position parfois contradictoires de la part de personnalités politiques ou médiatiques russes sur les conditions d’emploi de l’arme nucléaire etc. Cf. Facon Isabelle, « La communication dans le domaine de la dissuasion stratégique : le cas de la Russie », Note de la FRS n° 23/18, décembre 2018, FRS, 16 pages (www.frstrategie.org/web/documents/publications/notes/2018/201823.pdf).
(33) Communication associant rhétorique forte et haute visibilité de l’outil nucléaire (vols de bombardiers à long rayon d’action, déploiements de systèmes Iskander à Kaliningrad, médiatisation de lancements stratégiques etc.).
(34) Kristensen Hans et Norris Robert, « Israeli Nuclear Weapons, 2014 », Bulletin of the Atomist Scientists, vol. 70, n° 6, 2014, p. 97-115 (https://doi.org/10.1177/0096340214555409).
(35) La People Liberation Army Rocket Force regroupe sous une entité unique les lanceurs sol/sol nucléaires et conventionnels, ainsi que les capacités de C2 associées. Cf. Chase Michael, « PLA Rocket Force Modernization and China’s Military Reforms », The Rand Corporation, février 2018 (www.rand.org/pubs/testimonies/CT489.html).
(36) Allard Léonie, Duchatel Mathieu, Godement François, Les armes nucléaires nord-coréennes : l’émergence d’une doctrine d’emploi préemptif, décembre 2017 (www.ecfr.eu/page/-/2017_ECFR_Doctrinue_nucle%CC%81aire_Core%CC%81e_du_Nord.pdf).
(37) La notion de posture « d’escalade asymétrique », fondée sur des capacités et des procédures nucléaires permettant de procéder à un emploi en premier pour contrer une attaque conventionnelle, a été théorisée par Vipin Narang dans son ouvrage Nuclear Strategy in the Modern Era (Princeton University Press, 2014, 360 pages).
(38) La doctrine dite de Cold Start (« démarrage à froid »), dont la réalité de son adoption officielle par l’Inde fait débat, consisterait en le déclenchement d’une offensive conventionnelle « éclair » de forte intensité, destinée à bousculer les forces pakistanaises pour une prise de gage territoriale, tout en restant sous le seuil nucléaire. Cf. Khan Feroz, « Going Tactical: Pakistan’s Nuclear Posture », Proliferation Papers, n° 53, septembre 2015, Ifri (www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/pp53khan_0.pdf).
(39) Roche Nicolas, Ibid., p. 271.
(40) Sundaram Kumar et Ramana M. V., « India and the Policy of No First Use of Nuclear Weapons », Journal for Peace and Nuclear Disarmament, vol. 1, n° 1, 2018 (https://doi.org/10.1080/25751654.2018.1438737).
(41) Narang Vipin, « Beyond the Nuclear Threshold: Causes and Consequences », intervention prononcée lors de la Carnegie International Nuclear Policy Conference, en mars 2017 à Washington.
(42) Sundaram Kumar et Ramana M. V., op. cit.
(43) Montée en gamme de la menace sous-marine, autonomisation et prolifération des moyens de surveillance (nano-satellites, drones, radars SAR [Synthetic Aperture Radar], systèmes de détection sous-marine).
(44) La flexibilité doit ici s’entendre comme la souplesse d’emploi et la réactivité des moyens.
(45) Celui-ci pourrait notamment comprendre une modification ostensible de la posture opérationnelle de la Force océanique stratégique (FOST) avec une augmentation du nombre de SNLE en patrouille.
(46) Forces aériennes stratégiques (FAS) et Force aéronavale nucléaire (FANu).
(47) Kartchner Kerry et Larsen Jeffrey (dir.), On Limited Nuclear War in the 21st Century, op. cit., p. 157.
(48) Kahn Hermann, On Escalation: Metaphors and Scenarios, 1965, New York: Frederick Heger.
(49) Impulsion électromagnétique.
(50) La contribution de la France aux dispositifs Enhanced Forward Presence et Baltic Air Policing déployés dans les États baltes s’inscrit dans cette logique.
(51) Forces pré-positionnées, déploiements réguliers du Groupe aéronaval, de sous-marins nucléaires d’attaque et de frégates de premier rang.
(52) « … pouvoir apprécier par des moyens adéquats la détermination d’un adversaire, donc le forcer à dévoiler rapidement ses intentions profondes …c’est bien là le rôle du corps de bataille aéroterrestre… ». Livre blanc sur la Défense, op. cit., p. 5.