En 2019, le ministère des Armées devra recruter 21 600 militaires et 3 700 civils. Or, les nouvelles générations, appelées Z, semblent a priori bien éloignées des profils dont ont besoin les armées. Perçues comme instables et incapables de s’engager sur le long terme, elles apparaissent pour autant passionnées, en quête de sens, de reconnaissance et d’authenticité. Réputées et reconnues pour leur aptitude à s’adapter aux évolutions sociétales, les armées, pour qui le recrutement, la fidélisation et donc l’attractivité constituent des enjeux stratégiques majeurs pour leur avenir et leur niveau très exigeant de performance, doivent fondamentalement repenser leur politique des ressources humaines. Il s’agit de répondre au double défi d’attirer les jeunes par choix et de les garder suffisamment longtemps pour rentabiliser leur formation.
Recruter et fidéliser la génération Z : un défi stratégique majeur pour les armées du XXIe siècle
« Il ne s’agit pas de prévoir l’avenir mais de le rendre possible » (Antoine de Saint-Exupéry)
La nouvelle génération dite Z, née entre 1996 et 2008, est décrite par les sociologues comme instable, incapable de s’engager sur le long terme, mais aussi en recherche de sens, de reconnaissance, d’autonomie, de compétences, dans un environnement à dimension humaine.
Pour honorer leur besoin en recrutement qui, en 2019, s’élève à 21 600 militaires et 3 700 civils, pour la plupart dans la fourchette des 17-25 ans, il importe de se demander comment les armées pourront prendre en compte dans leur politique des ressources humaines ces données d’entrée. Leur modèle RH, même s’il est capable de s’adapter aux conjonctures actuelles, devra permettre de rentabiliser la formation coûteuse et longue de leurs recrues, notamment dans les spécialités techniques et complexes (mécaniciens aéronautiques, contrôleurs aériens, sous-mariniers, pilotes, officiers en général, spécialistes renseignement, cyber, spatial, etc.)
L’attractivité, la fidélisation et la valorisation des métiers de la Défense sont régulièrement remises en question tant, chaque année, le besoin en recrutement est conséquent. Attirer, c’est savoir séduire et capter les talents à l’externe ; fidéliser, c’est intégrer et développer les talents en interne. Afin de relever ces deux défis ambitieux, les armées du XXIe siècle doivent faire évoluer leur modèle RH. Sans tout remettre en cause, au risque de compromettre un équilibre garant du niveau opérationnel nécessaire à la réalisation de leurs missions, il s’agit de trouver des solutions visant à adapter le système existant en le rendant plus souple, plus adaptable aux profils des générations actuelles et futures, notamment Y et Z (1). Cette nouvelle politique RH devra intégrer les évolutions sociétales tout en conservant un cadre rassurant et clair pour le personnel déjà en cours de parcours, dans une approche intergénérationnelle.
Avant de répondre à cette problématique, il convient de dégager les grandes caractéristiques des générations actuelles et futures, afin d’en comprendre les ressorts essentiels et leurs aspirations, et de les confronter aux attentes des armées. Parmi les traits caractéristiques des nouvelles générations, il s’agit de distinguer ceux qui posent de réelles difficultés pour les intégrer et les fidéliser, en discernant les valeurs directement transposables aux armées (convergentes) et celles pour lesquelles une adaptation sera nécessaire (divergentes). Si les armées n’ont cessé d’évoluer afin de s’adapter aux changements sociétaux et de répondre aux besoins en recrutement annuel important, ces évolutions devront obligatoirement être portées par une approche à la fois intergénérationnelle et porteuse de sens. Elles pourraient reposer sur trois axes principaux : l’évolution du style de commandement (en réponse aux notions d’autorité choisie, de quête d’autonomie et de besoin d’affectif), celle du déroulement de la carrière (besoin de créativité, de compétence partagée et réciproque entre anciennes et nouvelles générations) et l’amélioration des conditions de travail (nécessité d’hyperconnectivité, d’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, et prise en compte de la notion de confort).
La génération Z face aux attentes des armées
Les nouvelles générations que les armées souhaitent recruter et fidéliser sont appelées, selon les écoles, « générations Y/Z », « génération perle » ou encore « génération zapping ». Afin de permettre ce recrutement, il importe de comprendre comment elles se caractérisent, quelles sont leurs aspirations, leurs valeurs et leurs moteurs, ce qu’elles attendent du monde du travail dans lequel elles s’apprêtent à entrer ou auquel elles se trouvent déjà confrontées. Puis il convient de regarder si ces aspirations sont compatibles avec les profils recherchés par les armées et, dans la négative, s’il est possible, par la formation et certaines évolutions, de pallier ces différences, tout en préservant la capacité opérationnelle des armées et la singularité militaire.
La génération Z : caractéristiques et points forts
De nombreuses études sociétales portent sur la génération Y, génération du « Why? » (« Pourquoi ? »), dont les spécificités sont parfaitement prises en compte dans les entreprises. En revanche, la nouvelle génération Z semble encore peu connue. Son comportement reste à décrypter.
À l’origine de cette génération Z, il y a la troisième révolution industrielle, celle de l’avènement des TIC (2), impliquant une mobilité et une dématérialisation des relations ainsi que des conditions de vie de la société postindustrielle (surinformation, hypermédiatisation, zapping). Nés après 1995, les hommes et femmes de la génération Z ont grandi à l’ère du numérique, dans une culture globalisée et collaborative. Aussi appelés « e-génération, digital natives, génération WTF (Wikipédia, Twitter, Facebook) », « génération C : connecter, communiquer, créer, collaborer » ou encore « génération perle » (en référence à leur quête d’héroïsme), cette population se veut authentique et passionnée, décidée à vivre pleinement l’instant présent, sans s’engager dans un avenir qu’elle sait incertain. Pour la comprendre, il importe de dépasser les stéréotypes par lesquels on la décrit un peu trop hâtivement : « zappeurs, rebelles, hyperconnectés, impatients, en quête de plaisir ». Si l’on veut bien prendre le temps de s’y intéresser, ces jeunes révèlent en fait un potentiel immense qu’il faut savoir appréhender correctement afin d’en exploiter la substantifique moelle.
En effet, ces préjugés reposent sur des comportements qui peuvent paraître contradictoires, mais qui illustrent en fait toute leur complexité et leur richesse (3). Quelques exemples illustrant ces antagonismes : les jeunes de la génération Z sont en recherche d’autonomie et de liberté tout en aspirant à une reconnaissance sociale ; ils sont en quête de sens, d’authenticité et de transparence, tout en baignant dans des mondes virtuels ; ils montrent de l’engagement et expriment une soif d’acquisition de compétences, tout en changeant continuellement de programmes d’apprentissage, d’activités, professionnelles, comme de loisirs.
Ces paradoxes ne sont en réalité que relatifs, la cohérence globale des comportements résidant ici dans la notion de choix. Confrontés aux notions de fidélité ou d’autorité, ou à la nécessité de se tenir à une orientation, ces jeunes ne les envisagent plus subies et absolues mais choisies.
Ils se distinguent en cela de la génération Y, en présentant des profils plus impliqués, plus passionnés, continuellement en recherche de sens, et plus imprégnés par l’humanisme et l’envie de s’engager, notamment pour la protection de l’environnement. Ils expriment le besoin d’avoir un travail « fun » tout en passant de l’ère du do-it-yourself (fais-le par toi-même) au do-it-together : coopérer, partager, faire ensemble, dans un esprit collaboratif.
Le besoin des armées : les profils recherchés au sein des nouvelles générations
Dans les armées comme dans tout autre environnement professionnel, l’intégration des nouvelles générations constitue un défi majeur, voire un enjeu stratégique. Et même s’il ne s’agit pas d’un fait nouveau, chaque nouvelle génération apportant son lot de questionnements et d’attentes, l’arrivée de la génération Z interroge par son profil très différent des générations précédentes (X et Y), avec notamment une quête de sens et d’autonomie.
Elle arrive sur le marché du travail au moment où les armées ont un besoin pressant de recrutement dans une phase de stabilisation et d’augmentation des effectifs depuis la dernière Loi de programmation militaire (LPM) (4), après avoir dû faire face à plusieurs décennies de déflation.
Les menaces grandissantes et variées recensées dans la Revue stratégique de défense et de sécurité 2017 (5) vont vraisemblablement entraîner des conflits plus violents, plus complexes à définir dans leurs limites, notamment par l’intégration des nouvelles technologies et champs d’action (cyber, espace, etc.). Ces évolutions vont inévitablement entraîner des changements sur les plans stratégiques, opératifs et tactiques, sans modifier pour autant la nature de la guerre et de la violence qu’elle engendre. Chaque armée a développé ses valeurs, reposant sur la finalité de la mission, la force de la cohésion, une confiance mutuelle, des principes moraux et éthiques ainsi que des compétences très spécifiques. De façon commune, le respect de la hiérarchie, du grade, de la fonction et l’acquisition de compétences poussées sont immuables et fondateurs de ce qui caractérise le métier de militaire. Ces valeurs sont évidemment complétées par des qualités plus individuelles qu’il faudra s’attacher à détecter et évaluer dès la phase de recrutement, notamment le potentiel de charisme et d’humanité du jeune engagé, son intelligence de situation et son jugement, des atouts dont il aura besoin dans les moments les plus critiques de sa carrière.
Les qualités de la génération Z : convergences et divergences par rapport aux besoins des armées
Dans un monde déstabilisé et inquiétant, fragilisé par des menaces d’un type nouveau, imprévisibles et violentes, l’institution militaire se positionne comme l’une des garantes des valeurs républicaines. Elle est attendue sur la préservation de celles-ci, quelle que soit la situation sécuritaire interne ou externe du pays. C’est ce que sont venues chercher les recrues des dernières décennies et ce qui anime les militaires en situation d’activité.
Ce socle de valeurs étant consubstantiel de l’existence des armées, on en vient naturellement à se demander pourquoi celles-ci devraient s’adapter aux profils des nouvelles générations, qui en paraissent si éloignées, et si le modèle qu’elles présentent suffira à attirer les jeunes de façon durable. L’honnêteté commande de reconnaître que si ce modèle n’est en fait pas si lointain de ce que recherchent les nouvelles recrues potentielles, il ne constitue en fait que l’un des moteurs de l’engagement, certes essentiel et primordial, mais insuffisant pour attirer ceux qui s’interrogent ou qu’il faudra fidéliser une fois recrutés. Il s’agit de rechercher parmi les qualités de la génération Z celles naturellement proches du besoin des armées ainsi que ce qu’il faudra compléter, voire développer.
Considérant que cette jeunesse est une chance et qu’elle possède de multiples facettes, il incombe à l’institution militaire de se montrer suffisamment attractive et de rechercher dans ces diamants bruts, les éclats dont elle a besoin.
Des convergences déjà fortes avec le besoin des armées
La plupart des valeurs portées par la génération Z sont en fait très proches de celles des armées. Dès lors, il ne semble pas insurmontable de les intégrer telles quelles ou de les faire évoluer à la marge, comme le montre l’inventaire qui suit.
• L’authenticité : La recherche de l’authenticité est primordiale pour ces jeunes qui fuient le superficiel et souhaitent adhérer à des valeurs en cohérence avec leurs croyances profondes. Souvent humaniste, le « jeune Z » a besoin pour s’épanouir de trouver un environnement qui sonne vrai, avec des relations aux collègues et à ses supérieurs directs basés sur la sincérité et le respect mutuel. Les armées offrent largement ce cadre de développement, la nature même de leurs missions exigeant justement l’authenticité, le don de soi et l’absence de masque.
• L’engagement : L’engagement souhaité par le « jeune Z » propose une évolution de taille. Il souhaite passer du principe du « donnant-donnant », à celui du « gagnant-gagnant », car même s’il attend quelque chose en retour, son investissement personnel est sincère et entier, sous condition qu’il croie en ce qu’il fait ; à charge des armées de lui donner ce cadre de réalisation personnelle.
• Fidélité/confiance : Les générations Z souhaitent avant tout à donner du sens à leur travail, condition sine qua non de leur implication dans un projet commun. Cela passe par la cohérence entre la parole et l’action, impliquant une exemplarité managériale et une communication bottom-up et top-down (ascendante et descendante). Toutes ces notions existent dans les armées ; elles sont même un élément essentiel de leur force et doivent être mises en avant lors du recrutement des générations Z, tout en recherchant les qualités inhérentes au savoir être.
• Quête d’identité : Le « jeune Z » a besoin de croire en une identité forte, capable de fédérer son énergie pour s’investir dans une voie professionnelle choisie. Les armées sont capables de répondre à cette attente, par la définition même du caractère singulier et militaire du statut qui constitue à lui seul un fondement d’identité, mais aussi par la spécialité proposée (commandos, pilotes, mécaniciens…) à laquelle le jeune va adhérer, s’identifier pour entrer dans une communauté forte et engagée.
• Compétences : La génération Z est née dans une société de la connaissance, avec un souhait de renouveler et d’élargir constamment ses compétences. « La génération alpha ou Z, n’est plus intimidée par l’érudition. […] Les alpha ont comme moteur social la passion qui permet de consacrer de l’énergie à quelque chose pendant un temps court. La seule chose qu’on ne peut pas apprendre par Internet c’est le savoir-faire, lequel s’apprend grâce à l’humain » (6). Cette citation illustre parfaitement la situation : cette génération est avide de savoir et attachée au renouvellement de ses compétences ; elle détestera stagner. Les armées ont également besoin de se renouveler face aux menaces en constante mutation vers des défis technologiques encore inégalés (cyberespace, spatial, drones, satellites, etc.).
Aussi, les générations actuelles et futures correspondent tout à fait à ce besoin d’innovation accru. La ministre des Armées en a fait une priorité pour le ministère, matérialisée notamment par la création de l’Agence de l’innovation de Défense (AID) (7).
Des divergences assumées qu’il conviendra de prendre en compte
Si les caractéristiques précédemment décrites paraissent tout à fait en phase avec le besoin des armées, d’autres peuvent sembler a priori incompatibles avec le statut de militaire et méritent d’être étudiées avec intérêt. De potentielles divergences, on pourrait en effet en faire une force au service des armées.
• Confort : Alors qu’ils vivaient jusque-là dans un confort sécuritaire certain, le traumatisme des attentats de 2015, notamment celui du Bataclan, a brutalement éveillé les jeunes à la menace terroriste réelle et violente. Ce drame a d’ailleurs provoqué parmi eux une vague d’engouement pour le métier des armes, démontrant ainsi, s’il en était besoin, leur attachement aux valeurs de la République et leur besoin de s’engager pour des causes relevant d’un idéal auquel ils croient.
Les engagements récents au Mali ont également largement démontré que malgré un attachement certain au confort matériel, aux technologies numériques hyperconnectées, les jeunes savent aussi s’adapter à un environnement plus spartiate et à une déconnexion imposée de fait. Il suffit d’aller au camp de Gao au Mali pour s’en rendre rapidement compte, ou encore interroger les jeunes marins servant dans les sous-marins.
Cette aspiration au confort peut donc être dépassée lorsque survient un choc de ce type.
• Besoin d’autonomie : Il ne représente pas pour autant un frein majeur à l’intégration militaire, régie par le besoin de discipline et le sens du devoir. Cet élan autonome porte avant tout sur le choix que les jeunes vont faire et rassure sur leur capacité à s’engager de façon réfléchie et non subie. Même s’il n’est que temporaire, cet engagement sera sincère et sérieux, car issu d’une réelle démarche d’interrogation et d’introspective.
• Ultra-connexion : Une nouvelle névrose est apparue parmi les jeunes : la nomophobie (8) (no mobile phobia), c’est-à-dire, l’angoisse ou la phobie de se retrouver sans son smartphone. Cette situation semble incompatible avec le métier de militaire qui peut imposer, parfois durablement, une déconnexion totale. Toutefois, si la génération Z est adepte des nouvelles technologies, elle a aussi besoin de retrouver des valeurs humaines et sociales : « ils recherchent des activités en lien avec la nature et maintiennent un besoin de sociabilité “réelle” avec leurs groupes de pairs » indique Frédéric Soussin (9). Ces besoins sont tout à fait compatibles avec le métier de militaire qui offre une socialisation accrue par rapport aux sociétés plus privatives et individualistes.
• Autorité choisie : Les jeunes de la génération Z ne remettent pas en cause l’autorité mais sa forme. Refusant une autorité de fait, ils recherchent une autorité de compétence, ce qui semble a priori complètement incompatible avec le modèle des armées reposant sur un système hiérarchique pyramidal et laissant peu de place aux remises en cause de l’ordre établi. On peut se demander, dès lors, comment attirer cette génération qui rejette tout modèle trop hiérarchique, bureaucratique pyramidal (10). En fait, les « jeunes Z » sont en attente d’un nouveau type de chef qui, confronté aux nouvelles générations, s’il veut en obtenir le meilleur, doit se montrer inspirant et influent. La seule imposition d’une autorité acquise de fait et non légitimée aux yeux de ces subordonnés ne saurait suffire (11).
• D’une culture sociale à une culture du partage : La génération Z incite les organisations à repenser leurs valeurs, pour tendre vers une culture de la collaboration centrée sur la confiance et la clarté des rôles et des responsabilités. Le « jeune Z » n’est plus simplement le récepteur de la transmission des compétences mais il est aujourd’hui l’initiateur et le transmetteur de la compétence auprès des autres membres de sa génération. Cela peut paraître au premier abord incompatible avec les modes de fonctionnement des armées où le plus ancien est souvent le seul sachant, donc capable de transmettre ses compétences, et où le culte de l’ancien prime encore. Il conviendra donc pour les armées d’apprendre à impliquer la génération Z dans les décisions, mais aussi de la responsabiliser pour permettre cette nouvelle forme de transmission du savoir.
• De l’utilitaire à l’affectif : l’entreprise est devenue un lieu de vie pour les jeunes. C’est pourquoi leur affect est particulièrement développé dans ce qu’ils entreprennent. Cette dimension impacte même fortement la façon dont ils choisissent l’entreprise dans laquelle ils travailleront. La reconnaissance du travail effectué est essentielle à leurs yeux et constitue une brique importante de leur fidélisation et de leur motivation. Les armées devront le prendre en compte, ce qui n’est pas incompatible puisque la reconnaissance est déjà une valeur particulièrement exacerbée dans les armées.
Cette étude ciblée de l’éloignement relatif des valeurs de la génération Z et de celles des armées démontre qu’il est tout à fait possible, en adaptant les modes de fonctionnement actuels, de satisfaire la plupart des velléités des jeunes tout en conservant l’âme et les fondements du métier militaire, gage de performance des armées et de leur ancrage en tant que pilier de la Nation.
Des évolutions à accélérer dans le modèle des RH des armées
L’enjeu de ces évolutions est tel qu’il serait illusoire de se dire que l’effort sur le recrutement suffira et qu’ensuite les jeunes s’adapteront… En effet, ils ne s’investissent plus aujourd’hui que dans ce en quoi ils croient et n’hésitent pas à remettre une situation de confort matériel en cause s’ils ne s’y retrouvent pas en termes de développement personnel. C’est parce que nos armées ont besoin d’eux qu’elles devront s’adapter et faire évoluer leurs structures de recrutement, de formation et d’emploi afin de les attirer et les fidéliser, au moins le temps de rentabiliser l’investissement consenti dans leur formation, dans le cadre d’une relation « gagnant-gagnant ». Elles n’échapperont pas à cette problématique car la nier, voire l’ignorer serait mettre profondément en danger leur efficacité opérationnelle.
La génération Z montre de nouveaux besoins par rapport à la génération Y : ceux de co-création, d’authenticité, de nouveau rapport au savoir. Pourtant, il ne s’agit pas de tout bousculer et de tout remettre à plat, car ces besoins ne constituent en fait qu’une évolution naturelle par rapport à ceux de la génération Y, que les armées avaient su intégrer et fidéliser. Après avoir identifié précédemment les convergences et les divergences, il convient de s’interroger sur la façon de les prendre en compte dans le parcours du jeune militaire afin de lui donner des perspectives de carrière susceptibles de l’attirer et de le fidéliser.
Les armées ne doivent pas pour autant renoncer à leurs valeurs profondes au nom d’un besoin en effectifs accru. Dans toute évolution envisagée, elles devront même se montrer garantes de la singularité militaire. Il s’agit d’un défi majeur à relever pour le XXIe siècle – peut-être le plus important depuis la professionnalisation – qui doit être réalisé dans le cadre d’une approche intergénérationnelle et portée par le sens donné aux évolutions mises en place.
Une évolution permanente du modèle des RH
De tout temps, les armées ont cherché à évoluer pour garantir un recrutement quantitatif et qualitatif permettant de répondre à leurs besoins organiques et opérationnels.
Que ce soit en raison de contraintes budgétaires (déflation, Révision générale des politiques publiques (12)), d’aléas historiques (pertes importantes des effectifs et des jeunes générations pendant les deux grandes guerres), de l’évolution de la nature des missions (lutte contre le terrorisme, intervention dans le cadre des organisations internationales type ONU et Otan), les armées se sont toujours adaptées et ont cherché des solutions innovantes pour répondre à ces multiples défis tout en restant efficaces et performantes. Elles se sont aussi adaptées aux évolutions sociétales afin d’intégrer celles-ci dans leur modèle, tout en conservant leurs socles de valeurs qui font leur culture, et leur identité.
Ainsi, l’Armée de l’air, dans ce contexte exigeant de conquête de ressources humaines, a poussé cette réflexion en développant le projet baptisé : « Génération Z : une Armée de l’air réactive qui a su s’adapter », et a récemment édité une feuille de route intitulée « Fidélisation ». Afin de coller aux profils de recrues hyperconnectées, elle a fait évoluer ses modalités de recrutement et de formation en école, en intégrant des outils modernes comme la Smart School (13), en modernisant les sites Internet de recrutement de la Direction des ressources humaines de l’Armée de l’air (DRHAA) (14), et en repensant complètement sa politique RH avec le projet DRHAA 4.0.
Les armées ont également créé leur chaîne Youtube, ainsi que des comptes dédiés à chaque armée sur Twitter, Instagram, Snapchat, Linkedn ou encore Facebook. De plus, afin de répondre au besoin de « confort » de la nouvelle génération, des efforts sont faits pour adapter les conditions de travail aux habitudes des jeunes, notamment en créant des passerelles entre les réseaux informatiques du ministère et les sites Internet publics, tout en respectant les contraintes de sécurité inhérentes à leur poste de travail.
Le besoin de stabilité, quant à lui, qui pourrait s’avérer un réel frein au choix d’un métier connu pour imposer un fort taux de mobilité, est abordé de façon ouverte avec les intéressés. Une évolution est en cours dans l’Armée de l’air sur ce sujet depuis quelques années, faisant suite aux « États généraux de la mobilité 2013-2014 » conduits par la DRHAA : limiter les mobilités au juste besoin de l’institution et dans tous les cas donner une visibilité sur celles-ci en ciblant des créneaux où la mobilité est possible (15).
La formation et le management de ces générations représentent également des défis majeurs pour les armées, car il en va de leur fidélisation et de leur motivation à remplir la mission. Dans le cadre de la formation, il faut pouvoir répondre à leur besoin d’autonomie. À ce titre, la formation par le tutorat et le mentoring, mis en place dans les différentes écoles de formation constitue un élément de réponse. Les cours par alternance sur des périodes courtes sont privilégiés à des séances longues qui ne correspondent plus à leur mode d’apprentissage. Dans les unités, le commandement privilégie peu à peu le travail en « mode projet » et en réseau lorsque c’est possible, et l’esprit d’innovation est encouragé à tous les postes et à tous les niveaux.
De son côté, l’Armée de terre a inclus dans son plan stratégique « Au contact » un volet sur la refonte de sa politique de recrutement, visant une approche plus individualisée et mettant en place un système de coaching personnalisé de la jeune recrue tout au long de son parcours d’intégration.
Enfin, leur besoin de feed-back régulier a poussé les gestionnaires RH des armées à avoir des contacts plus fréquents avec leurs personnels, quels que soient leur grade et leur statut, en s’appuyant principalement sur le commandement de proximité, répondant en ce sens au besoin de légitimité et de sincérité attendu par les jeunes. Ce qui est recherché, c’est un langage de vérité et une possibilité de réorientation à tout moment, compatible avec le souhait des jeunes de ne pas être cloisonnés dans une voie qu’ils ne souhaiteraient plus suivre.
Ces exemples démontrent que les armées ont mis en place de nombreuses mesures afin de répondre à l’attente de la génération Z, cible de la politique de recrutement, mais aussi à celles de la génération Y, déjà insérée dans les unités, afin de la fidéliser.
Une évolution à accélérer
Si des mesures concrètes pour répondre aux aspirations de la génération Z sont bien intégrées dans les politiques RH respectives des armées, la chute d’attractivité constatée ces dernières années et l’augmentation des besoins de recrutement commandent d’accélérer ces évolutions afin d’atteindre les objectifs cibles.
Une politique de recrutement à réviser : avec la génération Z, les rôles en matière de recrutement sont inversés, les armées devant à présent séduire les candidats et devenir attractives. Les méthodes de recrutement doivent donc évoluer pour répondre aux nouvelles demandes des jeunes. Il s’agit de parler vrai, de ne pas mentir sur la nature des postes à pourvoir et de donner du sens aux métiers proposés. Ainsi, dans le domaine du numérique, il s’agit de montrer que les armées continuent de déployer des efforts afin d’intégrer les nouvelles technologies dans le quotidien des militaires (environnement connecté, offre d’hébergement militaire incluant des conditions numériques d’un niveau correspondant à celui des hôtels civils, facilitation des démarches administratives…).
Des méthodes pédagogiques à adapter aux aspirations des jeunes générations : une des pistes d’accélération dans ce domaine passe par le numérique, par une approche « à la carte » de l’enseignement, en utilisant notamment les nouveaux outils de type MOOC (16). Il s’agira également d’intégrer la notion d’hygiène numérique dans la formation initiale comme dans la formation continue, par la mise en place de sensibilisations fortes à la Sécurité des systèmes d’information (SSI). Ainsi, en sus de la prise en compte de situations numériques dégradées dans le programme de la formation et de l’entraînement au combat, il faudra aussi enseigner la déconnexion par rapport au cercle des proches, et la façon de se prémunir de la surinformation. Bien entendu, il faudra veiller à donner du sens à toute étape de la formation afin de fixer un cap et une raison d’être à chaque cursus entamé par un jeune pour justifier son investissement personnel et entretenir sa motivation.
Aspirant à plus d’autonomie et d’initiative, la jeune génération va rechercher dans son parcours de carrière et son choix de vie professionnelle des postes dans lesquels elle trouvera ces deux éléments. Comme dans l’imaginaire commun, les armées ne répondent pas a priori à ces aspirations, il est nécessaire, pendant la phase de recrutement, comme lors de la formation, de lui donner des gages de prise en compte de ces exigences.
Pour ce faire, il est primordial de faire évoluer également la formation des cadres, en développant des méthodes innovantes, afin de leur apprendre à promouvoir chez leurs subordonnés la prise de décision individuelle, l’expression de la pensée critique et le courage intellectuel. Les cadres devront apprendre à mieux consentir à la subsidiarité et à offrir à leurs subordonnés une certaine autonomie à tous les échelons, tout en instaurant une relation de confiance et en évitant les pièges du micromanagement consubstantiels des nouvelles technologies.
L’organisation du travail doit aussi répondre à ces besoins, en instaurant un environnement favorisant la transparence des actions, le partage de l’information, et la compréhension pluridisciplinaire des problématiques, et donnant du sens à l’action commune. Plus que jamais dans l’exercice du commandement, le chef sera responsable de donner ce liant entre les actions individuelles et souvent sectorisées de chacun de ses subordonnés, en sachant les raccrocher à l’objectif visé en commun. Cela sera tout particulièrement valable en état-major, où l’officier traitant, souvent pleinement absorbé par son domaine de compétences, perd parfois le sens général de son travail.
Une gestion encore plus individualisée des carrières : des mesures supplémentaires sont envisageables pour favoriser une dynamique de gestion plus importante, en élargissant notamment les plages de passage au grade supérieur pour permettre des parcours plus différenciés, moins cadencés et donc moins cloisonnés.
Dans le même esprit, on pourrait revoir l’adaptation de la durée des contrats afin de mieux coller aux besoins conjugués des armées et des aspirations des jeunes à ne pas s’engager durablement. Une piste supplémentaire pourrait être la possibilité d’être affecté à l’extérieur du ministère des Armées pour une durée choisie et modulable, sans impact négatif sur la carrière.
Favoriser la diversification des parcours : déjà existantes mais peu mises en œuvre, les passerelles entre armées pourraient être encouragées afin de diversifier les parcours, enrichir la connaissance mutuelle entre armées, mais également permettre à ceux qui se seraient éventuellement mal orientés au départ de continuer à servir au sein du ministère dans un métier plus proche de leurs compétences et aspirations.
Il s’agira aussi de permettre les permutations de postes, cette mesure répondant à la fois au besoin de diversification des compétences recherchée par les « jeunes Z » et de lutte contre une routine qu’ils fuient comme la peste. De même, il s’agit de continuer à intégrer la notion de reconversion possible dès l’intégration de la jeune recrue, afin de lui donner à tout moment le choix d’orientation qu’il souhaite : rester dans le métier des armes par choix et non de façon subie.
Faire évoluer les conditions de travail : à l’ère du numérique, il est temps d’entreprendre une vraie réflexion sur l’intégration du télétravail au sein des armées. S’il faut bien entendu mener cette réflexion de façon mesurée et pour des métiers qui le justifient, il ne faut pas l’écarter, au risque de perdre de nombreux cadres, notamment officiers, dont la situation personnelle (célibat géographique…) pourrait les inciter à rechercher un métier devenu non compatible avec leurs contraintes. De même, la notion de disponibilité doit être révisée, en tendant par exemple vers une exigence liée à la nature de la mission et donc adaptable et réfléchie plutôt que systématique.
Prise en compte des aspirations au dialogue et à la concertation : conscientes de la nécessité de prendre en compte les évolutions sociétales et les aspirations des militaires à vivre en harmonie avec la société civile, les armées ont fait évoluer dernièrement les textes régissant les statuts des militaires (17) en intégrant la concertation, notamment par la création des APNM (18) et du HCECM (19) et la prise en compte du risque judiciaire, en opération comme sur le territoire national. Ces évolutions récentes doivent encore être mieux connues de la société civile mais aussi expliquées aux armées pour être adoptées par les militaires plus anciens qui pourraient faire preuve d’une certaine méfiance à leur égard.
Besoin d’une approche intergénérationnelle
L’ambition consiste donc à s’adapter aux évolutions de profil des nouvelles générations, évoquées précédemment mais aussi aux profils des générations déjà intégrées, sans aller dans les extrêmes qui provoqueraient plus de rejets parmi les militaires engagés que d’attractivité chez les futures recrues. Par exemple, rechercher une parité absolue ou adopter sans discernement une forme de discrimination positive en vue de privilégier la mixité sociale sont des pièges à éviter absolument. Il importe au contraire de maintenir les principes de justice et d’équité parmi les militaires, car sinon le risque est grand de fragiliser les valeurs de cohésion et de camaraderie chères aux armées. Il s’agit d’intégrer avec intelligence, modération et de façon dépassionnée ces évolutions qu’il ne faut pas non plus rejeter au risque de ne pas réussir à s’inscrire dans la dynamique des évolutions sociétales actuelles et de ne plus attirer qu’une infime partie de la population, ce qui ne correspond pas non plus au souhait de diversité intellectuelle et sociétale souhaitée.
Ainsi, sans ignorer l’enjeu majeur que représente une évolution de leur modèle d’organisation RH afin d’augmenter leur attractivité face à la génération Z, les armées doivent absolument y associer les autres générations, sous peine de creuser des écarts incompatibles avec les nécessités de cohésion et de transmission des savoirs qui représentent un des marqueurs forts des armées. C’est en effet « dans l’interaction entre deux générations que se crée la valeur » (20). Les nouvelles générations portant beaucoup d’attention aux relations humaines et s’avérant en recherche d’un « mieux vivre ensemble », il importe aussi que les autres générations les comprennent afin d’éviter les heurts et les conflits.
Les générations Y et Z se montrent aussi très attachées à la parité hommes-femmes avec une réelle évolution des comportements des garçons vis-à-vis des filles. Les jeunes hommes sont plus présents dans leur famille et plus engagés dans l’éducation des enfants, tandis que pour les jeunes femmes le travail ne représente plus un instrument d’émancipation, même si elles ont conscience qu’il reste encore du chemin à parcourir notamment dans le domaine de la parité salariale. Le distinguo entre les deux sexes s’estompe dans la vie professionnelle, avec une convergence des enjeux liés au travail et des aspirations de carrière comparables. Les jeunes garçons n’éprouvent plus aucune difficulté à être managés par une femme.
Si les armées veulent attirer plus de jeunes filles dans leurs rangs, à tous les niveaux de grade et pour tous les métiers, elles doivent continuer à faire de la parité un message fort des campagnes de recrutement, notamment suite aux faits divers qui salissent régulièrement l’image de l’intégration des femmes dans les armées. Ce sujet est particulièrement porté par la ministre des Armées, qui a récemment présenté le plan « Mixité » (21), le 7 mars 2019 à Balard : « Ce n’est pas le plan de la féminisation, mais celui d’une plus grande mixité. C’est un plan qui profitera à tous, dont les mesures profiteront à tous, hommes comme femmes, en veillant à ce que chacun trouve sa place au sein des armées. C’est aussi un plan qui profitera au ministère puisque, en tout cas c’est son objectif, il lui permettra d’attirer les talents ». Si les armées veulent rester en phase avec les évolutions sociétales, elles doivent prendre ce sujet très au sérieux, tout en gardant leur singularité de métiers exigeants et physiques qui pour y accéder ne sauraient souffrir d’iniquité et de passe-droit dans la sélection.
La transmission du savoir est dans les armées un facteur clé du maintien de l’efficacité opérationnelle. Les nouvelles générations bousculent un peu l’organisation de cette transmission. Les plus anciens, détenteurs du savoir, se trouvent aujourd’hui bousculés dans la reconnaissance de l’expérience qu’ils ont acquise, tant par l’accélération du changement technologique que par le constant besoin d’innovation. Et même s’il ne s’agit pas d’aller vers un tout collaboratif, il est possible d’avancer dans les pratiques et de faire l’apprentissage du partage et de la coopération. Il importe en effet de limiter le knowledge crash (22), et la perte massive des savoirs : « Le savoir est la seule ressource qui prend de la valeur en la partageant » (23).
Les cadres de contact doivent également s’adapter à un besoin d’affect plus poussé de la génération Z. Cela se traduit par un appel plus intense à la reconnaissance, sous toutes ses formes et de façon régulière. Les armées ne sont pas en reste sur ce sujet. Elles ont su préserver la culture de la remise sur le front des troupes des décorations lors de faits d’armes particuliers ou en récompense d’une carrière, des lettres et témoignages de satisfaction. Des cérémonies dédiées et marquantes sont organisées lors de prises de commandement, de passage au statut de sous-officier de carrière, d’honneurs pour les morts et blessés au combat, de remises de décoration, d’adieux aux armes… Au-delà de ces manifestations visibles et culturelles propres aux armées, celles-ci devront également prendre en compte de façon plus marquée les aspirations nouvelles à la reconnaissance manifestées par les jeunes, notamment au travers de la rémunération.
Ce besoin accru d’affect se traduit également par une désinhibition des jeunes dans la façon de montrer leurs émotions, ce qui peut potentiellement perturber leurs cadres de proximité, plus habitués à masquer leurs émotions qu’à les manifester ouvertement. Il ne s’agit pas de se laisser dépasser et de laisser libre cours à un déversement d’émotions, mais de montrer plus d’écoute et d’observation du comportement de ses collègues et subordonnés, dans le but d’anticiper les tensions ou problèmes personnels. Afin d’éviter des conflits inutiles et engendrés par une méconnaissance de l’autre, ces notions pourraient être enseignées dans les stages de formation au commandement, à tous les niveaux et moments de la carrière.
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Si le modèle des armées du futur doit s’adapter aux attentes des nouvelles générations pour savoir les recruter, les fidéliser, les valoriser et répondre ainsi à l’enjeu stratégique majeur de disposer des meilleures recrues pour conserver leur efficacité opérationnelle, cette adaptation ne doit pas s’opérer à n’importe quel prix. Il y a à cela deux raisons principales : la nécessité de conserver les valeurs profondes des armées qui participent directement de leur valeur opérationnelle et garantissent la souveraineté de l’État, et le rejet de la part des nouvelles générations de toute forme de démagogie ou de mensonge qu’elles sauraient rapidement démasquer.
La génération Z n’est au final pas si éloignée dans ses caractéristiques des besoins intrinsèques des armées, notamment dans sa quête d’authenticité, de fidélité, d’engagement, de sens, d’identité et de compétences. Pour d’autres aspirations de cette génération, telles que l’autonomie, le confort, l’ultra-connexion, un rapport renouvelé à la hiérarchie, la culture du partage et le lien à l’affectif, des adaptations sont néanmoins nécessaires.
Aussi, s’il est indispensable de penser une profonde évolution du modèle des ressources humaines des armées couvrant l’ensemble du parcours d’un engagé (recrutement, fidélisation, accompagnement pendant la carrière, comme au moment d’un départ pour une reconversion), il est également indispensable de prendre en compte les divergences les plus criantes entre le profil attendu dans les armées et les générations Z.
En fonction de l’attendu du candidat à l’intégration au sein des armées, il faudra donc faire un effort très important dans l’entretien de recrutement afin de cibler les qualités et défauts personnels de l’individu en plus de la connaissance générale du profil de ces générations. Il ne s’agit pas de chercher l’homogénéité, ce qui serait une erreur. En plus des méthodes actuelles de sélection qui restent valables et indispensables (niveau scolaire, parcours professionnel, ambitions, CV, tests de personnalité ou psychotechniques éventuels, tests physiques), il faut orienter les candidats vers des métiers plus susceptibles de leur convenir en prenant en compte leur expérience de vie et leur savoir être, tout en leur définissant clairement les attendus des armées, en n’hésitant pas à aborder des sujets habituellement jugés évidents voire tabous (disponibilité, horaires de travail, équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, tenues, hygiène de vie, etc.). À tout moment et dans toute évolution menée, il est indispensable de donner du sens et de l’aborder sous le prisme intergénérationnel afin de garantir les fondements d’une nécessaire réussite.
Éléments de bibliographie
Babinet Gilles, Ollinier Daniel et Tanguy Catherine, Générations Y & Z, De Boeck, 2017, 276 pages.
Ballay Jean-François, Tous managers du savoir, Éditions d’Organisation, 2002, 429 pages.
Cespedes Vincent, Oser la jeunesse, Flammarion, 2015, 76 pages.
Gentina Élodie et Delecluse Marie-Êve, Génération Z : des Z consommateurs aux Z collaborateurs, Dunod, 2018, 202 pages.
Levy Georges, Génération Z, mode d’emploi, Vuibert, 2018, 198 pages.
Loi de programmation militaire 2019-2025, 2018, 63 pages (www.defense.gouv.fr/).
Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, 2017, 111 pages (www.defense.gouv.fr/).
Wided Batat, Comprendre et séduire la génération Z, Ellipses, 2017, 328 pages.
Yildrim Caglar et Correia Ana-Paula, « Exploring the dimensions of nomophobia: Development and validation of a self-reported questionnaire », Computers in Human Behavior, août 2015, p. 130-137.
(1) Générations Z : personnes nées entre 1996 et 2008, générations Y : nées entre 1980 et 1995. Cf. Babinet Gilles, Ollinier Daniel et Tanguy Catherine, Générations Y & Z, De Boeck, 2017, 276 pages.
(2) TIC : Technologies de l’information et de la communication (transcription de l’anglais Information and communication technologies, ICT). Expression principalement utilisée dans le monde universitaire pour désigner le domaine des techniques de l’information.
(3) Gentina Élodie et Delecluse Marie-Ève, Génération Z, des Z consommateurs aux Z collaborateurs, Dunod, 2018, p. 3.
(4) La dernière LPM 2019-2025 prévoit une augmentation de 6 000 postes sur cette période, dont 3 000 sur la période 2019-2023, portant les effectifs du ministère des Armées à 274 936, hors service industriel aéronautique, au terme de la LPM (www.defense.gouv.fr/).
(5) Publiée le 13 octobre 2017, la Revue stratégique 2017 est destinée à fixer le cadre stratégique de l’élaboration de la prochaine Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, qui doit porter l’effort de défense à 2 % du PIB à l’horizon 2025. Elle tire les leçons de l’évolution, depuis le Livre blanc de 2013, d’un contexte stratégique instable et imprévisible, marqué par une menace terroriste durablement élevée, la simultanéité des crises, l’affirmation militaire de puissances établies ou émergentes, l’affaiblissement des cadres multilatéraux et l’accélération des bouleversements technologiques. Placée sous l’autorité de la ministre des Armées, cette revue a été conduite par un comité de rédaction composé de 18 membres, représentants des institutions civiles et militaires et de personnalités qualifiées, notamment issues de la société civile et présidé par Arnaud Danjean, député européen (www.defense.gouv.fr/dgris/presentation/evenements-archives/revue-strategique-de-defense-et-de-securite-nationale-2017).
(6) Entretien avec Cespedes Vincent, philosophe et essayiste, auteur de Oser la jeunesse (Flammarion, 2015) ; Gentina Élodie et Delecluse Marie-Ève, op. cit., p. 143.
(7) Rattachée au Délégué général pour l’armement (DGA), l’AID a été officiellement créée le 1er septembre 2018 avec à sa tête Emmanuel Chiva. Cette agence est l’acteur central de la nouvelle stratégie d’innovation du ministère des Armées : « Elle va rassembler tous les acteurs du ministère et tous les programmes qui concourent à l’innovation de défense. Elle sera le phare de l’innovation du ministère, ouverte sur l’extérieur. Elle sera tournée vers l’Europe, visible à l’international. Elle permettra l’expérimentation, en boucle courte avec les utilisateurs opérationnels. » a déclaré Florence Parly, ministre des Armées, le 28 août à l’Université d’été du Mouvement des entreprises de France (Medef).
(8) Yildrim Caglar et Correia Ana-Paula, « Exploring the dimensions of nomophobia: Development and validation of a self-reported questionnaire », Computers in Human Behavior, août 2015, p. 49 et 130-137 (www.researchgate.net/).
Des chercheurs de l’université d’Iowa ont développé un outil de mesure afin d’estimer à quel point un individu est accro à son smartphone. Il repose sur quatre dimensions : ne pas être en mesure de communiquer, perdre sa connexion, ne pas pouvoir accéder à l’information, renoncer au confort. 76 % des jeunes de 18 à 24 ans déclarent être angoissés à l’idée de perdre leur smartphone.
(9) Ce consultant spécialisé dans les nouveaux usages du numérique intervient auprès de collectivités territoriales et d’associations. Il est également expert auprès du réseau APM (Association pour le progrès du management : un groupe de plus de 5 000 dirigeants d’entreprises) et cofondateur du Club des consultants altruistes. Il se définit comme accompagnateur numérique de dirigeants et d’équipes. Gentina Élodie et Delecluse Marie-Ève, op. cit., p. 16, 25-26 et 156.
(10) Cette description de l’entreprise a été exposée par Max Weber, économiste et sociologue allemand (1864-1920), inventeur de l’organisation bureaucratique. C’est l’entreprise telle que la voit la génération Z, reposant sur le respect total des règles de fonctionnement, avec des statuts, des fonctions précises et une hiérarchie stricte. Elle ne répond plus aux attentes des nouvelles générations, ni aux évolutions de la société. Ces formes d’organisation sont aujourd’hui remplacées par trois autres, correspondant à la transformation de notre société : l’entreprise libérée, l’entreprise agile et l’entreprise ouverte.
(11) Hamel Gary, professeur à la London School of Economics : « La plupart des managers ont le réflexe d’étouffer l’enthousiasme de leurs collaborateurs, plutôt que d’en attiser les flammes. Pourquoi acceptons-nous que nos systèmes de management aient plus de chance de contrecarrer un exploit que de le faciliter ? ». Cf. Jasor Muriel, « Les cinq conseils de Gary Hamel pour manager autrement », Les Échos, 23 novembre 2012 (https://business.lesechos.fr/).
(12) Engagée en 2007, la Révision générale des politiques publiques (RGPP) visait une mise à plat de l’ensemble des missions de l’État afin d’identifier les réformes susceptibles de réduire les dépenses tout en améliorant l’efficacité des politiques publiques. La première vague de la RGPP a consisté en des réformes structurelles et une simplification des procédures administratives. Cela s’est traduit pour les armées par une mise en œuvre d’un plan de déflation, dès 2009, prévoyant une diminution de 54 000 personnels jusqu’à 2020.
(13) Formation à la carte, grâce à la communication par Internet, dans toutes ses écoles de formation, à Saintes, Rochefort, Salon-de-Provence et Grenoble. « Je suis persuadé que des applications numériques peuvent aider les aviateurs à mieux faire fonctionner leur base aérienne […] des applications modernes peuvent beaucoup nous apporter en la matière en accélérant les cycles de formation et surtout en les rendant plus attractifs. » Commission de la défense nationale et des forces armées, « Audition du général Lanata (Chef d’état-major de l’Armée de l’air), sur le projet de LPM », Assemblée nationale, 15 février 2018 (www.assemblee-nationale.fr/15/cr-cdef/17-18/c1718033.asp).
(14) Site dédié au recrutement (https://devenir-aviateur.fr/vous-informer/nos-metiers).
(15) Répondant à une demande du personnel de l’Armée de l’air d’avoir plus de visibilité sur leur mobilité et relayée par les instances de concertation, les travaux, validés par le CEMAA, ont concerné toutes les catégories du personnel de l’Armée de l’air : officiers, sous-officiers et militaires du rang. Pour les sous-officiers, par exemple, les mesures sont les suivantes :
– en Île-de-France : principe d’un mandat de 4 ans, soit une réduction à 4 ans du temps de présence nécessaire avant une étude de mobilité pour les aviateurs qui le souhaitent au lieu des 7 ans qui prévalaient avant 2015 ;
– autres affectations métropole : principe d’échéances privilégiées pour la mobilité lorsque le temps de présence atteint 6 ans, puis tous les 3 ans, donc à 6, 9 et 12 ans.
Référence : Circulaire n° 10116/DEF/DRH-AA/SDGR/BGC du 13 mai 2016, relative à la gestion de la mobilité du personnel militaire de l’Armée de l’air pour 2017.
(16) Massive Open Online Courses ou cours en ligne ouverts au plus grand nombre : cet outil, né au sein des universités américaines, permet aux étudiants – et à tous ceux qui le souhaitent – de se former en ligne et d’interagir avec d’autres, même à l’autre bout de la planète, le tout gratuitement.
(17) Droit de vote en 1945, premier statut général en 1972, mise en conformité avec le droit européen, notamment sur le droit d’association professionnel en 2014, mécanismes de concertation particuliers.
(18) Création des APNM (Associations professionnelles nationales de militaires) : tirant les conséquences des deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) du 2 octobre 2014, le législateur français a levé l’interdiction faite aux militaires de s’organiser afin de préserver et promouvoir leurs intérêts en ce qui concerne la condition militaire, en toute indépendance et dans le respect des obligations qui s’imposent à eux.
La loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015 actualisant la LPM 2015-2019 et portant diverses dispositions concernant la Défense modifie le Code de la défense et accorde le droit aux militaires de créer et d’adhérer à des Associations professionnelles nationales de militaires ou APNM (www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030943133&categorieLien=id).
Le décret n° 2016-1043 du 29 juillet 2016 relatif aux APNM vient compléter le Code de la défense (www.legifrance.gouv.fr/).
(19) Article 1er de la loi du 24 mars 2005 du statut général des militaires, créant le Haut comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM), intitulée à présent L. 4111-1 du Code de la défense (www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000808186&categorieLien=id).
(20) Citation de Marc Raynaud, expert de l’interculturel et de l’intergénérationnel, président de l’Observatoire du management intergénérationnel (OMIG) et fondateur du cabinet InterGénérationnel©.
(21) Élaboré par l’amiral Anne de Mazieux et présenté par la ministre des Armées, il compte 22 mesures réparties selon trois thèmes : recruter, fidéliser et valoriser (www.defense.gouv.fr/).
(22) Expression inventée par Jean-Louis Ermine, directeur de l’innovation au sein de l’école de management de l’Institut Mines-Télécom d’Évry. Il est dû à une perte, souvent soudaine, d’une capacité stratégique de l’organisation. C’est un risque majeur pour l’entreprise. Un exemple emblématique est donné par la très récente faillite de la société Kodak, fleuron de l’industrie du XXe siècle, qui n’a pas su utiliser à bon escient son portefeuille de connaissances (notamment sur le numérique). Cf. Jost Clémence, « La capitalisation des connaissances comme prévention du risque », Archimag.com, 4 février 2013 (www.archimag.com/article/la-capitalisation-des-connaissances-comme-pr%C3%A9vention-du-risque).
(23) Ballay Jean-François, Tous managers du savoir, Éditions d’Organisation, 2002, 429 pages.