De la guerre du Vietnam aux opérations militaires des deux premières décennies des années 2000 en passant par la guerre du Golfe, nous assistons à une dronisation croissante dans le ciel et depuis le ciel. Les drones aériens, sous l’impulsion de nombreuses technologies de rupture et surtout de l’Intelligence artificielle (IA) appliquée aux machines de guerre, sont destinés à changer radicalement la façon dont les forces aériennes combattent, plus encore qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent. Avec des performances et des capacités difficilement imaginables pour un chasseur piloté, les drones aériens autonomes pourraient conduire à la marginalisation du rôle du pilote, voire à sa disparition définitive. Cette brève réflexion tente d’imaginer quelle pourrait être l’utilisation la plus efficace des drones aériens autonomes et quels défis les forces armées seront amenées à gérer dans ce domaine.
Pilotes et drones : les défis du combat collaboratif au XXIe siècle
Pendant la guerre du Golfe, pour la première fois dans l’histoire de la guerre, un groupe de soldats irakiens s’est rendu à un drone qui survolait le champ de bataille pour recueillir des renseignements (1). À l’époque, les drones aériens n’étaient qu’aux premiers stades de leur développement en tant que machines de guerre réellement efficaces et, depuis lors, leur rôle dans les batailles modernes n’a cessé de s’amplifier.
La robotisation du ciel de bataille a commencé il y a longtemps et ne pourra que s’accroître davantage sous l’impulsion du développement de l’Intelligence artificielle (IA) (2) et d’autres technologies de rupture qui ouvrent de nouvelles possibilités dans le domaine militaire. Les drones aériens seront en mesure de collecter, analyser et fusionner d’énormes quantités de données pour fournir au décideur militaire les meilleures solutions tactiques dans un délai de plus en plus court.
Un jour ces décisions pourraient même être prises directement par les drones eux-mêmes, y compris celle d’ouvrir le feu sur une cible. La technologie permettra aux drones d’avoir des performances extraordinaires, inaccessibles à un avion classique, et l’autonomie appliquée aux machines changera la donne, entraînant la possibilité que le pilote devienne inutile en guerre.
Définitions, problématique et question
Un robot autonome est un système capable de percevoir son environnement, communiquer, prendre des décisions sur la base d’algorithmes prédéfinis et de son expérience et d’agir en conséquence. Puisqu’il est autonome, il n’est pas ou peu supervisé. Il possède trois composantes essentielles : des capteurs pour surveiller l’environnement, une IA pour s’y adapter et des effecteurs pour le modifier (3). Les robots militaires permettent aux opérateurs d’écouter, voir et agir en sécurité tout en accélérant la boucle OODA (4) par rapport à celle de l’adversaire. Ils présentent l’avantage politique de protéger l’opérateur (5), et à l’avenir, grâce au progrès technologique, il est très probable qu’ils mèneront des opérations militaires de manière complètement autonome.
À ce stade, il n’est pas inutile de rappeler des définitions du niveau d’autonomie d’une machine par rapport à sa capacité à opérer sans ou avec une supervision réduite (6):
– Level 1—Non-autonomous : l’opérateur contrôle chaque mouvement de la plateforme.
– Level 2—Supervisory Autonomy : l’opérateur spécifie des mouvements ou des actions de base que le système se charge ensuite d’exécuter. L’opérateur fournit au système des informations fréquentes et le supervise avec diligence.
– Level 3—Task Autonomy : l’opérateur spécifie la tâche générale et la plateforme élabore un plan d’action et l’accomplit. L’opérateur a les moyens de superviser le système.
– Level 4—Task Autonomy : le système réagit et réalise ses tâches sans aucune intervention humaine, face aussi aux actions pour lesquelles il n’a pas été programmé.
La dépendance des armées à la technologie les conduira sur une voie où les règles du combat seront profondément modifiées : grâce à des systèmes capables de combattre de façon autonome et avec une rapidité inaccessible à l’être humain, la place du facteur humain et la prise de risque sur le champ de bataille seront largement réévaluées (7). La multiplication des drones aériens de combat et leur autonomisation redéfiniront aussi de nombreuses professions militaires, avec des impacts significatifs notamment sur le rôle et les responsabilités du pilote. À cet égard, la désignation actuelle de Remotely Piloted Air System (RPAS) en lieu d’Unmanned Aerial Vehicle (UAV) apparaît déjà comme une tentative de réaffirmer le rôle primordial du pilote. Dans ce contexte où il semble acquis que le pilote disparaîtra très bientôt, en limitant ma réflexion aux drones de la taille d’un chasseur et en faisant des recommandations, j’ai voulu fournir un cadre de la situation, pour essayer de comprendre si à l’avenir, on pourra encore imaginer le pilote au cœur de la bataille aérienne, tel qu’il est aujourd’hui et quels pourront être les éventuels défis pour les armées. Il ne s’agit pas d’une tentative nostalgique d’un pilote pour défendre son espèce, mais plutôt de réaffirmer la centralité, à l’avenir, d’un professionnel essentiel pour les opérations militaires depuis 1911.
Une brève histoire : de bizarrerie à composante indispensable de la bataille
Nonobstant ce qui s’est passé dans le domaine des avions sans pilote avant cette période, la guerre du Vietnam (1955-1975) a été la première occasion d’utilisation des drones aériens à grande échelle : tout au long du conflit, les Américains emploient le AQM-34 Firebee pour la reconnaissance et le renseignement, tant de jour que de nuit. Puis Israël, en 1973 (guerre du Kippour) et ensuite en 1982 (intervention au Liban : opération Paix en Galilée), utilise largement des drones aériens pour cibler la défense sol-air des adversaires. Au cours des mêmes années, d’autres pays, comme la Grande-Bretagne et la France, s’intéressent également à l’utilisation des drones pour des missions de reconnaissance en appui des troupes au sol. Plus tard, pendant la guerre du Golfe (1991), les drones de reconnaissance sont largement utilisés par les Américains. Enfin en 1994, le Predator, sans doute le plus connu des RPAS, effectue son premier vol. Initialement utilisé pour des opérations de renseignement, il est rapidement modifié pour être équipé de missiles Hellfire.
À partir de ce moment, le Predator devient un protagoniste indispensable dans toutes les opérations militaires occidentales. En décembre 2002, au cours d’une mission de surveillance dans une zone d’exclusion aérienne imposée à l’Irak, un Predator tire deux missiles sur un avion irakien MiG-25, ce qui constitue le premier combat aérien entre un drone et un chasseur piloté. Pour comprendre l’essor vertigineux connu par les drones aériens depuis, il suffit de considérer qu’au début des années 2000, l’US Air Force ne pouvait faire voler qu’un seul Predator en Afghanistan, alors que 15 ans après, elle était en mesure d’effectuer simultanément des missions de surveillance armée, 24 heures/24, dans le ciel de plusieurs pays. La France, l’Italie et le Royaume-Uni disposent aussi de leurs flottes de Reaper et la Russie déploie massivement ses drones en Ukraine après les avoir utilisés en Syrie et en Libye où, pendant la guerre civile, plusieurs nations ont lancé des attaques de ce type (8).
Enjeux moraux et éthique
Des drones capables de percevoir la situation et d’agir en conséquence de manière autonome réduisant considérablement le temps de prise de décision (9), pourraient également prendre des décisions erronées, parfois avec des conséquences dramatiques ou même tragiques, si leur logique les conduit à ouvrir le feu dans des circonstances inadéquates. En fait, le processus de fabrication d’un drone autonome implique l’utilisation de milliers de pièces différentes et de millions de lignes de code dont personne ne pourra jamais garantir le fonctionnement sans faille face à toutes les variables du champ de bataille (10).
Le chemin vers des systèmes autonomes est désormais tracé par le progrès technologique et le point de basculement entre ce qui est éthiquement correct et l’inacceptable en guerre sera précisément dans le degré maximum d’autonomie que nous leur accorderons, dans cette zone encore grise où la morale est ambiguë et la responsabilité des erreurs des drones est extrêmement dissipée, alors qu’aujourd’hui elle est clairement un fardeau qui pèse sur le commandant militaire. En effet, ce dernier affronte le combat conscient de ses moyens et de la préparation de son personnel, en sachant que, grâce à leurs expérience, conscience et sens de la discipline, ils couvriront les zones d’ombre échappées à la planification et à l’entraînement, dans le respect des règles d’engagement et des ordres reçus. Cependant, lorsqu’un drone autonome commettra une erreur, qui en sera responsable ? Il n’aura aucune conscience et il ne pourra être tenu pour moralement responsable de ses actions, alors que sa complexité technologique empêchera le commandant militaire de maintenir un niveau de responsabilité adéquate, puisqu’il est peu probable qu’il soit pleinement conscient du potentiel de ses drones. La responsabilité d’une erreur commise par un drone doit-elle alors incomber au programmeur des algorithmes ou au développeur du système, qui en revanche ne connaissent pas les opérations aérospatiales ? Entre les développeurs, les programmeurs, les entreprises d’armement et le commandant militaire, qui est responsable des actions des drones autonomes et de leur comportement au combat ? Il devient absolument impossible de tenir quelqu’un pour responsable d’une erreur parce que la responsabilité deviendra trop diffuse (11). Il est évident que seul le commandant peut être tenu pour responsable des erreurs commises par son unité, qu’il s’agisse d’êtres humains ou des drones, mais dans ce dernier cas le dilemme éthique lié à la machine autonome doit être résolu bien à l’avance grâce à des règles claires et une chaîne de commandement où la responsabilité pour les activités réalisées sans la supervision humaine ne soit pas ambiguë. En revanche, les implications morales liées à l’utilisation des drones autonomes aujourd’hui semblent avoir été assumées, ou du moins apaisées (12), et personne ne prétend explicitement qu’il serait souhaitable de laisser le champ de bataille à des drones de plus en plus autonomes jusqu’à une situation où le militaire en serait finalement exclu (13).
Le niveau d’autonomie acceptable pour les drones est donc une question éthique, politique et juridique à laquelle il faudra répondre avant même d’aborder l’impact de la technologie sur les armes.
Les drones aériens sur le futur champ de bataille
Dans l’histoire des batailles, l’un de deux adversaires a toujours essayé de frapper rapidement l’autre tout en minimisant la possibilité d’être attaqué à son tour. De la fronde au missile hypersonique, cet objectif a été atteint en augmentant autant que possible la distance de la cible sans compromettre la précision de l’engagement. Les drones aériens rendent cela possible en permettant d’appliquer une puissance de feu sélective et précise sur des distances extraordinairement étendues, garantissant la sécurité de l’opérateur, tout en ajoutant une forte pression psychologique sur l’ennemi. Les drones aériens ne sont pas simplement une nouvelle machine pour la guerre, ils représentent la pierre angulaire d’une nouvelle approche de la guerre.
Aucun document du US Department of Defence sur le développement à long terme et l’utilisation des drones aériens ne mentionne la nécessité d’avoir des drones autonomes pour le combat aérien sans le contrôle du pilote : « we don’t think to take the human out of the loop, but we do think it’s time to redefine where the human fits in that loop » (14). Pourtant, rien n’arrête le développement de ces systèmes vers l’acquisition de capacités de plus en plus autonomes pour la surveillance et l’engagement de précision en profondeur sous la conduite d’IA et d’autres technologies de rupture, qui pourraient amener progressivement le système à ne plus avoir besoin du pilote dans le combat.
À l’avenir, les drones apprendront à interagir avec l’environnement, les humains et les réseaux. Ils seront tous temps et auront une large palette de capteurs et d’effecteurs, ce qui leur procurera une agilité, une vitesse et une adaptabilité inégalées dans le Multi-milieux/multi-champs (M2MC) et réduira la boucle OODA à quelques microsecondes. Le paradigme actuel du renseignement, où les drones relaient les informations collectées vers le segment terrestre pour l’interprétation et la prise de décision, changera et un drone sera en mesure de transmettre en temps réel les résultats mêmes du processus d’interprétation des données effectué à bord ou de prendre ses propres décisions. Les drones autonomes voleront en formation pour effectuer des missions coordonnées sur des cibles multiples et un haut niveau d’autonomie s’appliquera également à des opérations comme le ravitaillement et l’entretien, ou bien le drone effectuera lui-même des réparations en vol lorsque l’entretien de routine sera accompli par d’autres machines. Le contrôle sur le drone exercé par l’homme évoluera jusqu’au point où l’opérateur sera relié au drone à distance par son propre système neuromusculaire et les signaux électriques qu’il enverra à ses muscles se traduiront en des commandes instantanées au drone, alors que la réalité augmentée et la réalité virtuelle amélioreront l’interaction pilote-machine (15).
Toutefois, les IA ne sont pas aussi performantes que l’homme dans toutes les circonstances, en particulier dans l’environnement dynamique et changeant du combat. En effet, afin que les IA puissent apprendre efficacement, elles doivent disposer d’un grand nombre de données fiables avec des variables qui ne changent pas continuellement et qui leur permettent de réaliser les processus décisionnels à bord. Or, l’environnement du combat aérien change en permanence et rapidement ; de plus, il est extrêmement difficile de réaliser ce processus de façon fiable dans un petit avion. Si les problèmes liés à la navigation et à la reconnaissance des cibles peuvent déjà être résolus avec de l’IA, il est encore complexe pour un drone de s’orienter et de prendre des décisions dans un environnement extrêmement dynamique comme celui d’un combat aérien, ce qu’un pilote entraîné est en mesure de faire de manière presque instinctive.
De plus, et il s’agit là peut-être du plus important, à la différence de la machine, le pilote ne combat pas uniquement en faisant appel à des manœuvres standardisées, des figures imposées, il est capable de prendre des décisions irrationnelles, parfois fatales pour lui-même, au niveau tactique sur la base de l’évaluation de l’importance qu’il donne à des éléments exogènes à l’engagement tactique comme l’évaluation de l’importance de son action au niveau opératif, stratégique, politique ou même moral et éthique. Il y a donc dans son action une part d’irrationalité qui est imprévisible et inaccessible à la machine. Bref, l’IA peut faire face à des situations stables et bien définies qui nécessitent des solutions standards ; la guerre, en revanche, est complexe, chaotique, controversée et imprévisible et, donc, encore peu favorable à l’utilisation de drones autonomes pilotés par des IA (16).
Dans cette perspective, les études en cours visent à rendre plus efficace l’interaction homme-machine, afin que le pilote soit également capable de commander son avion tout en supervisant son drone, qui multiplie ses capacités de combat, en l’aidant à filtrer, organiser, gérer, fusionner, distribuer l’information et décider, accroissant la létalité, la capacité de survie et la situational awareness. Néanmoins, l’autorité finale sur les décisions de haut niveau reste entre les mains du pilote. Un exemple concret est celui du concept de l’ailier loyal (loyal wingman). Il s’agit d’un drone qui accompagne un avion piloté et agit de concert avec le pilote, augmentant ainsi les effecteurs à sa disposition. Un autre concept, celui de l’essaim (swarm), permet à plusieurs drones d’opérer en réseau, sous la supervision d’un opérateur, pour frapper différentes cibles dans le cadre d’une même mission, saturant ainsi la défense aérienne de l’adversaire avec de multiples dilemmes tactiques. Il n’est pas anodin que Paul Scharre (17) affirme que la collaboration manned-unmanned, avec l’homme aux commandes, présente l’avantage supérieur de combiner les capacités cognitives souples et le jugement de l’homme avec la vitesse de réaction, les capteurs et les performances de la machine (18). Dans les études sur la coopération homme-machine, grâce aux capacités évolutives de l’IA, « on est amenés à imaginer de nouveaux modes d’interaction, où nous ne serons plus simplement sur l’utilisation des systèmes en tant qu’outils mais potentiellement sur une interaction artificielle-humaine. Cette philosophie se retrouve dans de nombreux programmes opérationnels, notamment au sein des programmes SCAF et Scorpion (19). »
S’agissant de la collaboration avion piloté–drone autonome qui soulève la question de la charge cognitive du pilote pendant sa mission, il convient de souligner que la technologie des avions pilotés les plus avancés allège déjà la charge cognitive du pilote dans les phases de vol de base pour permettre au pilote de se concentrer sur la gestion des systèmes qu’il contrôle. De même, à l’avenir, les drones seront certainement aussi faciles à gérer et on peut imaginer qu’un pilote pourra gérer à la fois un chasseur classique et un drone.
Les drones autonomes auront aussi un impact significatif sur la gestion des ressources humaines des armées. D’une part, le nombre de pilotes nécessaires sera plus faible et d’autre part, le nombre d’experts tels que les développeurs de logiciels et les spécialistes en nanotechnologies sera accru. La conséquence immédiate de la diminution du nombre de pilotes sera de voir l’expertise aérospatiale, habituellement portée par les pilotes, se tarir dans les états-majors et les chaînes de commandement alors même qu’il serait justement nécessaire d’en disposer d’une plus robuste. Alors que les armées auront à leur disposition des capacités extraordinaires, entraînant à leur tour des responsabilités extraordinaires, il n’est pas envisageable que ces tâches puissent être confiées à des professionnels qui n’auront pas les compétences pour les mener à bien.
Enfin, les opérations des drones autonomes dépendront fortement des technologies de l’information (IT). « Dans le cyberespace, la sûreté est très complexe à garantir compte tenu de l’existence dans les systèmes ou les logiciels de vulnérabilités dites Zero Days, c’est-à-dire des failles qui n’ont pas encore été identifiées ou pour lesquelles il n’existe pas de parade connue. Elles permettent à l’adversaire de s’introduire subrepticement sur les réseaux, les serveurs, les routeurs ou les ordinateurs (20). » La dépendance et la vulnérabilité des systèmes militaires des réseaux informatiques constituent un problème de plus en plus croissant et la clé pour vaincre sera la cyber-résilience ainsi que l’impénétrabilité, c’est-à-dire la capacité des réseaux à se reconstituer rapidement ou à continuer à fournir des services même après une attaque.
Quelques projets concrets
General Atomics Aeronautical Systems LongShot
Le LongShot est un drone chasse-bombardier furtif qui augmenterait la distance d’engagement au-delà de la portée des armes ennemies, réduisant ainsi le risque pour les avions pilotés. Le LongShot serait largué d’un chasseur : le pilote de ce dernier ne contrôlerait le drone que jusqu’au moment du lancement à partir de distances de sécurité éloignées des menaces ennemies (21).
Northrop Grumman X-47B
Le X-47B a été utilisé en 2013 pour tester les premiers catapultages et appontages sur porte-avions par un avion sans pilote. En avril 2015, le X-47B a réalisé avec succès le premier ravitaillement en vol par un drone. Le projet a pour but le développement d’une flotte d’avions sans pilote intégrée sur les porte-avions aux côtés de la flotte d’avions pilotés (22).
Projet Medieval de l’Onéra
Portée par l’Office national d’études et de recherches aérospatiales, cette étude vise à « quantifier et maîtriser le coût cognitif associé au contrôle des drones par l’un des membres d’équipage d’un hélicoptère qui doit assurer sa propre mission tout en contrôlant des drones avec un certain niveau d’autonomie » (23).
Dassault nEUROn
Il s’agit d’un démonstrateur de technologies comme la furtivité, l’autonomie, le commandement et le contrôle d’un drone intégré dans un réseau sécurisé (24). Le Délégué général de l’armement (DGA), Emmanuel Chiva, a expliqué que « les capacités du nEUROn sont intégrées dans notre feuille de route sur le futur de l’avion de chasse. Celui-ci concerne un avion de nouvelle génération doté d’un cloud de combat et intégrant des ailiers dronisés. Ceci implique de travailler sur les capacités de robotisation d’un avion sans pilote et d’interaction avec un avion piloté et le pilote lui-même » (25).
XQ-58A Valkirie - Air Force Research Laboratory et Kratos Inc
Ce drone furtif, capable de voler sur des longues distances et à des vitesses subsoniques élevées, peut servir d’ailier loyal, mener des opérations en solitaire ou opérer en essaim. Il s’agit également d’une technologie visant à vérifier l’efficacité du soutien autonome aux avions avec équipage, tout en continuant à explorer les capacités de teaming homme-machine (26).
Conclusion
L’avenir sera un mix d’avions pilotés et de drones autonomes avec un comportement collaboratif et complexe entre les machines, les avions pilotés et les pilotes eux-mêmes. Malgré le nouveau tempo ultrarapide imposé par l’automatisation et l’autonomisation, le pilote jouera encore un rôle dans l’espace de bataille aérien, interagissant avec la machine dont la vitesse et la précision compenseront les limites de l’homme. Les drones autonomes pourront mieux « prendre la place de l’homme dans des missions à très haut risque et à très haute friction, mais dans des scénarios complexes, imprévisibles pour un algorithme et denses en fausses informations, seul le pilote pourra avoir l’instinct supérieur capable de remettre en cause la vérité apparente » (27). La guerre envisagée par le fantasque entrepreneur américain Elon Musk, où les drones s’affronteront au lieu des avions pilotés (28), demeure encore lointaine et, dans l’attente du moment où cette technologie se concrétisera, afin que nos armées soient préparées à mieux l’exploiter, je recommande de :
• Intensifier le dialogue mondial sur la question éthique des drones de combat autonomes avant l’arrivée de cette technologie, en renforçant le rôle de l’ONU avec la transformation du Governmental Group of Experts on Lethal Autonomous Weapons Systems (GGELAWS) (29) en un observatoire international pour le contrôle des technologies appliquées aux armes.
• Développer une campagne de communication visant à faire connaître les précautions mises en œuvre dans l’utilisation des drones et à favoriser une compréhension éclairée du sujet.
• Développer des drones autonomes seulement sous la direction des armées, sur la base des besoins opérationnels réels, en fonction des disponibilités budgétaires et du temps nécessaire pour que le système soit opérationnel.
• Rester en mesure de fixer le niveau d’autonomie en fonction de l’évolution du scénario, allant de la conduite par un pilote aux actions autonomes sous la supervision humaine.
• Dès la conception des systèmes, identifier clairement toutes les exigences spécifiques du pilote de manière à être en mesure d’en tenir compte tout au long du processus de développement de l’interface homme-machine dont dépendra l’efficacité du système.
• Développer des drones polyvalents et rapidement reconfigurables, en mesure de mieux s’intégrer dans le M2MC et stimuler la collaboration internationale pour réduire les coûts.
• Développer un processus d’acquisition et de soutien de la plateforme et de son intégration dans le réseau qui soit basé sur une architecture ouverte et commune, avec des standards partagés pour assurer l’interopérabilité et l’intégration de plusieurs systèmes et leur mise à jour.
• Concevoir des méthodologies innovantes pour tester les systèmes autonomes, qui s’appuient sur l’IA, afin de vérifier leur sûreté et déployer des drones autonomes seulement après une phase approfondie d’essais, d’évaluations et de validations.
• Recruter de nouveaux professionnels, en les attirant par des offres de poursuite d’études, des opportunités de recherche, des incitations financières et la perspective d’un développement de carrière équitable. Garantir, de plus, un mix adéquat de compétences pour la conduite des opérations aériennes, aussi autonomes, parmi ces professionnels, les pilotes et une chaîne de Commandement et contrôle (C2) où les décisions sont clairement attribuables et les responsabilités définies sans ambiguïté.
• Adapter et axer la formation des pilotes d’avion sur l’intégration et la gestion de plusieurs systèmes complexes qui interagissent avec lui, entre eux-mêmes ainsi qu’avec d’autres plateformes et en ayant qu’un seul pilote en mesure de guider à la fois un chasseur ou des drones.
• Créer les escadrons et les flottilles avec un mix des chasseurs pilotés et de drones.
• Développer la cyber-résilience pour la sécurisation des réseaux informatiques avec l’État propriétaire « d’un socle numérique souverain », sécurisé dans des infrastructures pour la création, le stockage de masse et le traitement des données de ses agents IA. L’architecture ouverte et commune aidera contre les tentatives des propriétaires des données, une fois le système vendu, de ne rendre les mises à jour accessibles que sous certaines conditions.
Malgré tout cela, l’humanité pourra décider, un jour, de déléguer complètement la guerre aux robots autonomes capables d’apprendre et de décider aussi bien que l’homme. Ce jour-là, la machine remplacera l’homme au sommet de la pyramide du pouvoir : « Il ne manque qu’un passage : reconnaître que la technique s’est transformée en métaphysique. Je ne sais pas combien de temps cela prendra, mais la voie est tracée (30). »
Éléments de bibliographie
Ouvrages
Barnes Michael et Jentsch Florian, Human-Robot Interactions in Future Militari Operations, Ashgate, 2010.
Colon David, La Guerre de l’information, Tallandier, 2023, 480 pages.
Collectif, Black Trends : Un monde en rupture, Équateurs, 2023, 240 pages.
Empoli (da) Giuliano, Le mage du Kremlin (roman), Gallimard, 2022, 288 pages.
Frantzman Seth J., La guerre des drones : L’incroyable révolution technologique qui a totalement bouleversé les combats sur terre, air et mer, Le jardin des Livres, 2023, 320 pages.
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Pflimlin Édouard, Drones et robots : La guerre des futurs, Studyrama, 2017, 95 pages.
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Riza M. Shane, Killing Without Heart: Limits on Robotic Warfare in an Age of Persistent Conflict, Potomac Books, 2013, 256 pages.
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Articles
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« General Atomics va présenter un prototype de chasseur furtif sans pilote capable de tirer des missiles air-air et air-sol », Avion de chasse, 5 août 2023 (https://www.avion-chasse.fr/).
Lagneau Laurent, « Un drone issu du programme nEUROn accompagnera le Rafale standard F5 », Zone militaire-Opex 360.com, 20 mai 2023 (https://www.opex360.com/).
Lindsay Jon R., « War is from Mars, AI is from Venus: rediscovering the institutional context of Military Automation », Texas National Review, vol. 7, n° 1, Hiver 2023/2024, p. 29-47 (https://tnsr.org/).
Oakford Samuel, « Libya Lawless Skies », Airwars, 20 juin 2018 (https://airwars.org/news/libya-lawless-skies/).
Sparrow Robert J. et Henschke Adam, « Minotaurs, Not Centaurs: The Future of Manned-Unmanned Teaming », The US Army War College Quarterly: Parameters, vol. 53, n° 1, printemps 2023.
Entretiens & Conférences
Col. di Loreto Gianmarco, ancien commandant de l’Escadron d’essais de l’Aeronautica Militare.
Cycle de conférences au CHEM sur « La Guerre de demain ».
(1) « The Gulf War–Weapons-drones (RPV) », Frontline (https://www.pbs.org/).
(2) À cet égard le Joint Robotics Master Plan FY 2005 du US Department of Defense parle de la programmation et la capacité d’un robot à exécuter des fonctions normalement associées à l’intelligence humaine.
(3) Riza M. Shane, Killing Without Heart: Limits on Robotic Warfare in an Age of Persistent Conflict, Potomac Books, 2013, 256 pages.
(4) Il s’agit de l’enchaînement classique des tâches nécessaires à l’engagement armé : Observation, Orientation, Décision, Action. Dans le système anglo-saxon, on peut aussi rencontrer le concept équivalent mais plus explicite de « Kill Chain ».
(5) Mansbach Richard W. et Pirro Ellen B. (dir.), War and Warfare, Cognella Academic Publishing, 2024, 308 pages.
(6) Galliot Jai, Military Robots: Mapping the Moral Landscape, Ashgate, 2015, 280 pages.
(7) Ibidem.
(8) Oakford Samuel, « Libya Lawless Skies », Airwars, 20 juin 2018 (https://airwars.org/news/libya-lawless-skies/).
(9) US Air Force, Unmanned Aircrafts Systems Flight Plan 2009-2047, 18 mai 2009 (https://irp.fas.org/).
(10) Galliot J., op. cit.
(11) Riza S.M., op. cit.
(12) Ibid.
(13) Krishnan Armin, Killer Robots: Legality and Ethically of Autonomous Weapons, Ashgate, 2009, 216 pages.
(14) US DoD, Unmanned Systems Integrated Roadmap 2017-2042, 2018 (https://ntrl.ntis.gov/).
(15) US DoD, Unmanned Aircraft Systems Roadmap 2005-2030.
(16) Lindsay Jon R., « War is from Mars, AI is from Venus: rediscovering the institutional context of Military Automation », Texas National Review, vol. 7, n° 1, Hiver 2023/2024, p. 29-47 (https://tnsr.org/).
(17) Vice-président exécutif et directeur des études au Center for a New American Security (CNAS), Paul Scharre est l’auteur de livres à succès comme Four Battlegrounds: Power in the Age of Artificial Intelligence et Army of None: Autonomous Weapons and the Future of War. Avec ce dernier ouvrage, il gagne en 2019 le Colby Award et The Economist l’a nommé dans son « top cinq » pour comprendre la guerre moderne.
(18) Sparrow Robert J. et Henschke Adam, « Minotaurs, Not Centaurs: The Future of Manned-Unmanned Teaming », The US Army War College Quarterly: Parameters, vol. 53, n° 1, printemps 2023.
(19) Angrand Anthony, « Medieval Étudie : L’interaction homme-systèmes automatisés », Air & Cosmos, n° 2846, octobre 2023.
(20) Motte Martin, Soutou Georges-Henri, Lespinois (de) Jérôme et Zajec Olivier, La Mesure de la force, Traité de stratégie de l’École de Guerre, Tallandier, 2023, 480 pages.
(21) General Atomics, « GA-ASI Poised to Begin LongShot Flight Testing Phase », 11 septembre 2023 (https://www.ga.com/ga-asi-poised-to-begin-longshot-flight-testing-phase).
(22) Northrop Grumman, « X-47B UCAS » (https://www.northropgrumman.com/what-we-do/air/x-47b-ucas).
(23) Angrand A., op. cit.
(24) Dassault Aviation, « nEUROn » (https://www.dassault-aviation.com/fr/defense/neuron).
(25) Lagneau Laurent, « Un drone issu du programme nEUROn accompagnera le Rafale standard F5 », Zone militaire-Opex 360.com, 20 mai 2023 (https://www.opex360.com/).
(26) Kratos, « Tactical UAVs » (https://www.kratosdefense.com/).
(27) Entretien avec le colonel Gianmarco di Loreto, ancien commandant de l’Escadron d’essais de l’Aeronautica Militare, novembre 2023.
(28) Lors du 2020 Air Warfare Symposium, Elon Musk a déclaré : « The fighter jet era has passed ». Conklin Audrey, « Elon Musk says military drones will outlive fighter jets », Fox Business, 29 février 2020 (https://www.foxbusiness.com/).
(29) En 2013, la Convention on Certain Conventional Weapons (CCW) a chargé le United Nations Governmental Group of Experts on Lethal Autonomous Weapons Systems (GGELAWS) d’examiner les questions liées aux technologies émergentes dans le domaine des Armes légères et de petit calibre (ALPC) dans le contexte de ses objectifs et buts.
(30) Da Empoli Giuliano, Le mage du Kremlin, Gallimard, 2022, 288 pages.