Les prises d’otages ont joué un rôle important dans les rapports interétatiques. Désormais, avec la pression médiatique et des opinions publiques, les prises d’otages pèsent sur les décideurs politiques, particulièrement dans les régimes démocratiques. Face à des revendications qui ne peuvent normalement pas être satisfaites, ils sont en réalité très souvent contraints à faire des compromis, car l’opinion publique opère un transfert de responsabilité des preneurs d’otages vers les décideurs, qui ont désormais la vie d’innocents entre leurs mains. Ces situations d’exception leur font prendre des risques opérationnels pour les otages et les forces engagées, mais surtout des risques politiques pour eux-mêmes. Les 240 otages israéliens emmenés à Gaza après l’attaque du 7 octobre 2023 témoignent de la persistance de cette menace.
Comment les otages pèsent sur la politique des États
Les attaques complexes perpétrées par le Hamas le 7 octobre 2023 ont fait prendre un nouveau tournant au conflit israélo-palestinien : près de 1 200 personnes ont été assassinées et 240 otages ont été ramenés à Gaza. Les terroristes ont soigneusement planifié ces captures pour les utiliser comme des boucliers humains face aux bombardements de Tsahal. Avec le précédent Gilad Shahit, soldat israélien libéré après cinq ans et demi de captivité contre 1 027 prisonniers palestiniens, le Hamas savait pertinemment que l’un des buts politiques du gouvernement israélien serait de libérer les otages. Les éléments constitutifs de la prise d’otages tels que définis dans la Convention internationale contre la prise d’otages de 1979 sont bien réunis : une capture et une détention, la menace de tuer ou de blesser, afin de contraindre un tiers à faire ou ne pas faire une action (1).
En s’intéressant à ce mode d’action dans le champ des relations internationales, nous pouvons nous interroger sur l’influence réelle des prises d’otages sur les décideurs politiques et sur leurs stratégies. Avant de répondre à cette question, rappelons que cette étude exclut les affaires intérieures et criminelles pour s’intéresser aux situations ayant trait aux relations internationales avec des prises d’otages dans le champ diplomatique, dans les guerres, ainsi que les prises d’otages terroristes visant les États. Il convient aussi de distinguer les prises d’otages localisées et les détournements des enlèvements. Dans ce dernier cas, les otages n’étant pas localisés, les preneurs d’otages sont moins exposés, le facteur temps est très différent et la question de la négociation devient centrale.
Les prises d’otages restent un mode d’action efficace contre les États, surtout dans les démocraties modernes, car la multiplication des médias radio et télévisés et l’avènement des réseaux sociaux ont renforcé la pression des opinions publiques sur les décideurs politiques. Elles peuvent en revanche devenir des opportunités politiques lorsqu’elles sont résolues, surtout à l’approche des échéances électorales. Dans un contexte de conflictualité asymétrique et débridée, l’actualité montre que la menace demeure et que les États démocratiques doivent se préparer à y faire face.
Après avoir étudié l’évolution historique du statut des otages, nous mesurerons l’influence des prises d’otages sur les opinions et sur les décideurs politiques. Enfin nous rappellerons la persistance de cette menace.
L’évolution du statut d’otage
« Il n’est pas de roi celui qui n’a pas d’otages dans ses chaînes »Din Techtugat [De la possession], Code de droit irlandais du VIIe siècle.
Les prises d’otages font entrer les individus dans le champ des relations internationales. Les otages ont d’abord été utilisés dans un cadre diplomatique en temps de paix, puis en temps de guerre, le plus souvent dans un rapport du fort au faible. L’avènement du droit international a ensuite permis de revenir progressivement sur cette pratique multiséculaire. Cependant, depuis la seconde moitié du XXe siècle, avec la montée du terrorisme, les prises d’otages sont désormais perpétrées contre les États, dans un rapport inversé du faible au fort. Quels que soient leurs statuts, les otages ont toujours été utilisés pour imposer la volonté d’une puissance à une autre.
Un outil diplomatique entre États : une coutume largement répandue et longtemps acceptée
Dans l’Antiquité et au Moyen-Âge, les otages étaient souvent présentés comme étant des hôtes, le plus souvent volontaires, confiés par une puissance à une autre pour garantir un traité ou un accord. Les otages étaient alors des outils diplomatiques permettant de se prémunir contre la violation des traités. Négociés à l’issue de conflits, ils étaient imposés par les vainqueurs. Dans notre compréhension contemporaine du statut d’otage, ce rapport du fort au faible semble contre-intuitif, mais dans le champ des relations internationales naissantes, sans règles de droit, cette coutume a permis de réguler les relations entre les puissances. Le sort des otages était d’ailleurs très différencié : si certains hôtes de choix étaient bien traités, en semi-liberté avec familles et serviteurs, beaucoup subissaient une captivité parfois violente et souvent longue. Des témoignages historiques montrent que cet usage s’est répandu dans de très nombreuses civilisations (2).
Dans la Grèce antique, les otages, souvent choisis pour leur rang, étaient utilisés pour garantir un accord de paix, une alliance, pour traverser sans risque un territoire, libérer un captif ou s’assurer de la soumission du vaincu. Le vainqueur voulait aussi affaiblir durablement son adversaire. Thèbes a ainsi cherché à diminuer la résistance d’Athènes en exigeant de se voir remettre un millier de combattants comme otages. Rome a aussi beaucoup utilisé ces méthodes, dans une stratégie de conquête et de pacification, avec des otages remis comme gages de paix, afin d’éviter toute agression future sous la menace d’exécutions. Les élites adverses prises en otages pouvaient ainsi être acculturées et devenir des alliés. La dynastie des Carolingiens a étendu le pouvoir franc et constitué un empire avec la pratique des otages. D’ailleurs, Charlemagne conseilla à ses trois fils qui se le partageront, de se concerter avant de libérer des otages. Il existe de nombreux témoignages de la pratique des otages chez les Scandinaves, les Byzantins, les Chinois et les Japonais. Outil diplomatique, l’otage était aussi utilisé en politique interne entre un vassal et son suzerain pour asseoir la souveraineté de ce dernier.
Le meilleur moyen d’affaiblir une puissance étrangère était de capturer un roi. Edouard II d’Angleterre s’est assuré de la paix avec l’Écosse après avoir capturé le roi d’Écosse David II, ce qui lui permit de se concentrer sur la France. Il parvint ensuite à faire capturer Jean II le Bon et 3 000 chevaliers, dont le fils du Roi, à la bataille de Poitiers en 1356. La France fut contrainte de céder en 1360, par le Traité de Brétigny, des territoires et des otages, dont deux fils du Roi et 40 bourgeois issus des principales villes du royaume, chargées de les entretenir. Lorsque François Ier fut détenu par l’empereur Charles Quint, il fut contraint par le Traité de Madrid en 1526 de laisser ses deux fils aînés en otages, de céder la Bourgogne, de renoncer à ses droits sur les villes de Milan, Naples et Gènes, et de verser 3 millions d’écus. Même s’il est revenu sur ses engagements, refusant de céder la Bourgogne et réévaluant la rançon à 2 millions d’écus, il n’est parvenu à faire libérer ses enfants que trois ans plus tard.
Les juristes du XVIIe siècle qui ont écrit sur la souveraineté ont d’abord justifié la pratique des otages. Le Néerlandais Grotius, père du droit international moderne, a consacré des articles sur les « otages et gages » (3), dans lesquels il a cherché à donner un cadre légal et moral mais réaliste aux relations internationales. La pratique des otages est pour lui légitime, s’agissant de garantie pour assurer le respect des traités et accords internationaux. Il ajoute que les otages doivent être traités avec humanité et respect, et que leurs droits fondamentaux doivent être respectés. En 1672, l’Allemand Samuel von Pufendorf a reconnu à son tour la pratique courante des otages comme moyen d’assurer le respect des engagements pris dans les traités (4). Néanmoins, pour les deux juristes qui ont influencé leurs pairs et les philosophes du XVIIIe siècle, les représailles s’opposent à la loi naturelle. Le premier juriste qui s’opposa fermement à la pratique des otages fut l’abbé de Mably (5) qui estimait qu’au-delà de l’aspect moral, les otages sont innocents quand le prince est infidèle : ils sont en fait inefficaces et ne garantissent pas le respect d’un traité. Par ailleurs, la mise à mort des otages en représailles ne permettrait pas de respecter ledit traité, mais soumettrait les parties aux passions et conduirait à nouveau à la guerre.
Les otages en temps de guerre : un usage finalement condamné
Au XVIIIe siècle, des juristes ont distingué les otages diplomatiques des otages en temps de guerre. Ils justifiaient la pratique des otages dans ce second cas (6). L’usage des otages a ensuite été reconnu par le droit dans les périodes troublées telles que les révolutions et les guerres civiles. C’est ainsi qu’a été votée en France la loi du 12 juillet 1799 relative à la répression du brigandage et des assassinats de l’intérieur : la situation d’exception permettait au régime de constituer des otages parmi la population civile, en représailles à un assassinat ou un enlèvement. Le célèbre juriste Portalis parlait alors de « terrorisme ». Bonaparte y mit fin et créa des tribunaux spéciaux en novembre 1799. Cependant, il ne se priva pas d’user de la pratique des otages, avec le pape Pie VII (7) puis en temps de guerre avec le décret du 4 août 1811.
Avec les guerres totales des XIXe et XXe siècles, les sociétés civiles ont été plus impliquées dans les conflits armés et la frontière entre civils et militaires s’est réduite. Lors de la guerre de 1870, des notables français ont été utilisés par les Prussiens comme boucliers humains pour lutter contre les sabotages de trains. Ce furent des otages d’accompagnement, plus connus sous le terme « d’otages des locomotives ». Cette pratique a perduré lors des Première et Seconde Guerres mondiales, et a été intégrée dans les règlements de campagne de l’armée allemande. Des listes de notables étaient dressées préventivement pour protéger les chemins de fer et les lignes télégraphiques. Au-delà de ces otages d’accompagnement, la guerre de 1870 et la Première Guerre mondiale ont vu la constitution de déportations de notables dans des camps, les juristes allemands évitant soigneusement d’employer le mot « otages », lui préférant celui d’« internés ».
Le principe de l’interdiction des prises d’otages en droit international humanitaire a été posé dans la Convention de La Haye de 1907 (8) et la Convention de Genève de 1929 (9). Cependant, ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que les prises d’otages ont été considérées comme des crimes de guerre avec la 4e Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (10). Sous l’Occupation, avec la justification du rétablissement de l’ordre, la Wehrmacht a mené de façon assumée une politique de représailles sur des civils. Lors des procès de Nuremberg, les officiers allemands se sont défendus en se référant à des normes, telles que les règlements militaires de campagne allemands qui encadraient cette pratique, à l’instar des manuels britanniques et américains. Malgré le tournant de 1949, les prises d’otages se sont ensuite multipliées dans la seconde moitié du XXe siècle, mais cette fois en prenant les États pour cibles, avec un rapport de force inversé : du faible au fort.
Un objet de chantage contre les États
Des luttes révolutionnaires au terrorisme djihadiste, de nouveaux acteurs se sont immiscés entre les États et les individus : des groupes ou entités défiant les États ainsi que les médias et les opinions publiques. La généralisation de la radio et surtout de la télévision a offert une nouvelle caisse de résonance à des groupes minoritaires leur permettant de défier les États en s’adressant directement aux peuples. Puis le terrorisme 2.0 a vu le jour avec Internet et la généralisation des réseaux sociaux.
C’est en Amérique latine que les mouvements révolutionnaires ont commencé à utiliser les enlèvements pour faire libérer des prisonniers, avec en Uruguay le Mouvement de libération nationale-Tupamaros. Cette pratique s’est ensuite répandue dans le reste du continent (11). En Colombie, les Forces armées révolutionnaires (FARC) et l’Armée de libération nationale (ELN) ont détenu 40 000 otages en quatre décennies. Des leaders révolutionnaires ont théorisé les prises d’otages comme le « manuel de guérilla urbaine » du brésilien Carlos Marighella en 1969. Le but des otages était de faire de la propagande en recherchant l’adhésion de l’opinion publique, sans utiliser le mot « otages ». Pour cela, il fallait identifier comme otages des personnes publiques ou des policiers, symbolisant la lutte politique contre l’impérialisme américain ou contre des gouvernants autoritaires et corrompus. Les détenus étaient alors en captivité dans des prisons révolutionnaires légitimes bien qu’illégales. En réalité, avec la nécessité de financer la guérilla, ces mouvements sont entrés dans une logique de commerce des otages et se sont progressivement coupés des opinions publiques.
Ces courants ont inspiré les mouvements révolutionnaires européens des années 1970, en Allemagne avec le Mouvement du 2 juin et la Fraction armée rouge (RAF), et en Italie avec les Brigades rouges. Le but des enlèvements était de libérer les prisonniers politiques en ciblant d’abord des magistrats et des hommes politiques pour les placer dans des « prisons du peuple ». La mort du Président du conseil italien Aldo Moro, retrouvé exécuté à Rome le 9 mai 1978 après 55 jours de captivité malgré les appels du pape Paul VI, du secrétaire général de l’ONU et d’Amnesty international, marqua un tournant et le rejet de ces méthodes par la population. Désarçonnés, les États européens étaient partagés entre politique de fermeté et de concession avec des libérations de prisonniers et des versements de rançons. Néanmoins, des opérations de libérations d’otages ont pu être menées avec efficacité et elles ont très certainement eu un rôle de dissuasion : la section antiterroriste suédoise a libéré les diplomates détenus par la RAF à l’ambassade allemande le 24 juin 1975, et le général américain Dozier, affecté à l’Otan, a été libéré par une unité antiterroriste italienne le 28 janvier 1982.
Avec la prise d’otages des Jeux olympiques de Munich en 1972 par le commando palestinien Septembre noir, médiatisée par les caméras de télévision du monde entier, le terrorisme est alors devenu international. Inspiré et en lien avec les mouvements révolutionnaires d’extrême-gauche, le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) a été créé en 1967 et s’est spécialisé dans les détournements d’avions pour faire libérer des prisonniers. Les premiers détournements leur ont permis de parvenir à leurs fins (12). Le raid d’Entebbe mené par Israël en Ouganda le 27 juin 1976 (13), a signé la fin de ces actions menées par le FPLP. Le Groupe islamique armé (GIA) algérien a repris ce mode opératoire en 1994 avec le détournement du vol Alger–Paris, les otages ayant été libérés par la célèbre intervention du Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN) à Marignane.
Les années 2000 ont vu le développement d’Al-Qaïda puis de Daech. L’écrivain et universitaire Mathieu Guidère explique comment ces deux organisations se sont inspirées des auteurs de la guerre révolutionnaire pour développer « l’image d’organisations révolutionnaires visant à renverser l’ordre établi en ayant recours à la violence politique » (14). La France a été confrontée à de nombreux enlèvements de ses ressortissants en Afrique avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) qui s’est livré au commerce des otages. Avec Daech, la propagande a pris un nouveau tournant, les otages ayant été utilisés non seulement pour obtenir des rançons ou exiger des mesures politiques, mais aussi pour sidérer l’opinion publique avec des exécutions filmées, comme celle de l’Américain James Foley le 18 août 2014.
Les otages ont donc changé de statut : utilisés dans le champ diplomatique, puis dans les guerres, ils ont été depuis exploités par les mouvements révolutionnaires et les organisations terroristes. Il est désormais intéressant de voir pourquoi et comment ils sont actuellement utilisés en tant que moyen de pression dans les États modernes.
L’influence des otages sur la politique et la stratégie
« Est-ce que je mets la bonne politique en place ? Est-ce que je protège les citoyens américains ? Est-ce que je fais tout ce qui est nécessaire ? »Barack Obama, le 7 septembre 2014, après l’exécution du journaliste James Foley.
Les prises d’otages ne se résument désormais plus à la relation entre des États et des individus. Avec les médias et les réseaux sociaux, les opinions publiques pèsent davantage sur les décideurs et peuvent orienter une stratégie voire l’infléchir. Les décideurs sont écartelés entre plusieurs choix possibles.
Le dilemme des décideurs politiques : entre fermeté et négociations
Lors des affaires de détournements et de prises d’otages localisées, les terroristes savent qu’ils n’ont presque aucune échappatoire, et qu’ils vont certainement mourir ou être arrêtés, ces situations ne durant généralement que quelques heures ou quelques jours. Le docteur en droit public sur les prises d’otages Arnaud Emery observe une différence de traitement entre les régimes dits autoritaires, pour qui la priorité est la neutralisation des preneurs d’otages, et les États démocratiques qui placent les otages au centre de la stratégie de lutte antiterroriste (15). Cette distinction ne signifie pas pour autant que les États démocratiques n’utilisent pas la force face à des terroristes déterminés. Selon le chercheur Étienne Dignat (16), l’usage de la force permet, lorsqu’il est possible, de répondre à une urgence vitale vis-à-vis d’otages menacés de mort, de sanctionner les preneurs d’otages, de dissuader et enfin d’affirmer la souveraineté d’un État et, en France, le pouvoir du président de la République (17). La négociation ne doit pas non plus être perçue comme une alternative à la fermeté mais plutôt comme un moyen complémentaire. En effet, dans de nombreuses prises d’otages, à l’instar de celle du détournement d’un avion Air France à Marignane en décembre 1994, l’assaut du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) intervient après des négociations. Et la perspective de l’emploi de la force peut aussi favoriser des négociations.
Avec les situations d’enlèvements, les décideurs sont confrontés à un cruel dilemme : étant dans l’impossibilité d’intervenir par la ruse ou par la force, la négociation est souvent leur seul lien avec les otages, ce qui impose de choisir entre une politique priorisant la survie des otages ou une politique de fermeté. Étienne Dignat parle de doctrine de solidarité qui s’oppose à une approche sacrificielle (18).
Dans le premier cas, les États acceptent de négocier et accèdent à tout ou partie des revendications des auteurs, qu’il s’agisse de la libération de prisonniers, et/ou de rançons. Encore faut-il qu’il y ait des revendications et une réelle volonté de négocier, les terroristes pouvant chercher avant tout à terroriser les opinions publiques en filmant et en mettant en scène des exécutions. Toutefois, derrière des demandes inaccessibles, d’autres revendications peuvent être réalistes. Ce travail est celui de négociateurs, qui s’adaptent aux profils et aux exigences de l’adversaire (19). Les enlèvements ont été multipliés par dix en quelques décennies (20). AQMI aurait ainsi récolté 125 millions de dollars de rançon entre 2008 et 2013 ! L’ancien chef d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique Al-Wahishi aurait d’ailleurs déclaré que « grâce à Allah, la plupart des coûts de la bataille sinon tous, ont été payés par le butin. Près de la moitié du butin provenait des otages ». Les États qui payent des rançons, même si ce n’est pas assumé publiquement, sont critiqués par ceux qui refusent de céder.
Les États-Unis et le Royaume-Uni sont des nations très fermes et refusent officiellement de payer pour plusieurs raisons. D’abord, un État ne peut pas négocier avec des organisations criminelles ou terroristes au risque de les crédibiliser. Ensuite, négocier revient à faire des concessions inacceptables, comme des livraisons d’armes ou des libérations de criminels. Enfin, céder revient à être complice et à encourager le terrorisme. Le refus systématique serait donc la meilleure des dissuasions. Pour autant, derrière cette politique de fermeté, les négociations sont parfois déléguées à des pays tiers ou à des négociateurs privés financés par les polices d’assurance « kidnap and ransom », sauf pour les cas de terrorisme. Dans ces situations, restent les pays tiers. De plus, le volet dissuasif est discutable dans la mesure où tous les pays ne s’alignent pas derrière cette stratégie de fermeté.
La personnalité des chefs d’État et leur légitimité sont fondamentales car les décisions cruciales sont prises à leur niveau, avec des conséquences lourdes et difficiles à assumer politiquement. Lorsque James Foley a été exécuté, Barack Obama a dû s’expliquer dès le lendemain devant les médias américains afin de rassurer son opinion publique et garantir que cet acte ne resterait pas impuni. D’un chef de l’État à l’autre, la stratégie peut évoluer. Israël en est un bon exemple. Même s’il existe des cultures nationales, des chefs d’État peuvent être amenés à faire des concessions pour répondre à une forte pression locale ou pour obtenir un gain politique.
Le poids des opinions publiques et des médias
Nous pouvons nous demander pourquoi la vie des otages importe tant, par rapport à d’autres vies menacées dans un contexte différent. Il peut être légitime de se demander s’il faut engager des moyens coûteux ou faire prendre des risques à des agents de l’État pour obtenir leur libération. La réponse est des plus complexes et se range derrière de multiples dimensions.
La première est philosophique et éthique. Les otages, qu’ils soient ciblés pour leur statut particulier ou non, sont innocents et sont victimes d’une injustice. Selon la culture des pays concernés, la valeur de la vie humaine est plus ou moins sacralisée. En Israël, le caractère sacré de la vie des ressortissants trouve son fondement dans le fait religieux, avec la volonté d’empêcher la conversion d’un otage, et elle est liée au poids de l’histoire du peuple juif. Les femmes, qui portent la judéité, ont donc une valeur très forte. Une doctrine religieuse ancienne justifie donc le rachat des captifs. Dans l’Église catholique, l’Ordre des Trinitaires a été fondé au XIIe siècle pour se consacrer spécifiquement aux otages, ce qui pouvait aller jusqu’à organiser un échange de religieux contre des otages innocents (21).
Une deuxième explication tient à la souveraineté et au rôle protecteur d’un État à l’égard de ses ressortissants. C’est ce qui a conduit le président Macron à affirmer que « la France n’abandonne pas ses enfants » (22). En effet, la raison d’être d’un État est d’abord de protéger ses nationaux, sur leur sol comme à l’étranger. Le fait de s’attaquer à des ressortissants revient à s’attaquer à l’État, lequel ne peut pas rester insensible, au risque de perdre en crédibilité tant en politique interne que dans le champ des relations internationales.
Ensuite, les situations de prises d’otages ont une dimension psychologique particulière, liée au fait que l’otage est au centre du jeu. Les preneurs d’otages ont pris l’initiative et imposent une situation qui dure dans le temps, à la différence d’un attentat, qui sidère, mais qui est terminé. Avec ce mode opératoire, l’issue est incertaine et la tension psychologique est à son comble, surtout lorsque le déclenchement a été fait dans la violence. L’enlèvement, à la différence de la prise d’otage localisée, ajoute encore plus d’incertitude et donc de pression sur les proches des otages. Les tortures physiques et psychologiques, les viols comme armes de guerre sont absolument insupportables. Les dirigeants doivent gérer les familles, les corporations, les courants religieux, comme victimes indirectes. Dans le processus de la prise d’otages, cette dimension psychologique est centrale : dans les relations entre preneurs d’otages et captifs (23), et par l’intérêt de l’opinion publique pour les otages et leurs histoires personnelles. Jusque-là inconnus, ils deviennent des personnages publics aux noms et aux visages désormais connus de tout un peuple.
Cette dimension psychologique est renforcée par le rôle joué par les médias. Dès les années 1960, les courants révolutionnaires avaient parfaitement saisi que les radios et les chaînes de télévision constituaient de nouveaux acteurs et qu’ils pouvaient leur servir à légitimer un combat politique et à susciter l’adhésion d’une partie de l’opinion publique. Parfois, ils sont allés jusqu’à ternir l’image de l’otage en diffusant des informations privées pour le rendre impopulaire (24). Puis, avec Internet et les réseaux sociaux, et la puissance des images diffusées en direct par les terroristes eux-mêmes, Daech a su diffuser sa propagande de terreur. Les médias sont aussi le moyen qui permet aux familles d’humaniser les otages, de les faire connaître du grand public, afin qu’ils ne soient pas oubliés, et ainsi faire pression sur les pouvoirs publics.
Les responsables politiques doivent affronter leur propre opinion publique, mais ils reçoivent aussi la pression des autres chefs d’État lorsque les affaires comportent des otages de différentes nationalités ou binationaux. C’est le cas avec la prise d’otages du 7 octobre en Israël : Benjamin Netanyahou doit non seulement absorber une très forte attente interne, mais il doit aussi composer avec les demandes, voire les pressions venues des autres pays qui doivent aussi libérer leurs otages.
Surtout la prise d’otages impose aux yeux de l’opinion publique un transfert de responsabilité des terroristes vers les décideurs politiques. L’opinion peut avoir tendance à oublier la cause initiale de la prise d’otages pour se focaliser sur la réaction des décideurs qui ont le choix d’agir ou non pour sauver des otages, car ils ont le devoir de protéger leurs concitoyens. C’est ce qu’Étienne Dignat appelle la « transitivité » (25). Cette pression morale de l’opinion publique peut être renforcée lorsque des agents de l’État commettent des erreurs graves. C’est ce qui s’est produit lorsque trois otages ont été tués par erreur par des soldats de Tsahal le 16 décembre 2023. L’épisode « L’hymne national » de la série fiction britannique Black Mirror montre comment un chef de gouvernement anglais peut être amené à céder à la pression de son opinion publique dans le cadre de l’enlèvement de la princesse. Alors qu’il était fermement déterminé à résister à des demandes irréalisables, à savoir pratiquer un acte sexuel avec un porc en direct à la télévision, la population lui impute la responsabilité de la mort de l’otage s’il ne donne pas suite aux revendications, ce qui le pousse à accepter. Par nature, les opinions publiques sont irrationnelles (26). Ronald Reagan, qui a été très populaire en début de mandat suite à la libération des otages détenus en Iran, a par ailleurs été très critiqué au moment de l’« Irangate », lorsque l’opinion publique américaine a découvert les dessous des livraisons d’armes à l’Iran qui avaient permis cette libération. Dans l’épisode précité de Black Mirror, l’opinion publique pousse d’abord l’homme politique à céder aux revendications, puis elle exprime son dégoût pour ce qu’il a fait.
L’inévitable prise de risque des décideurs
Le cas des prises d’otages fait partie des situations d’exception qui contraignent les chefs d’État à prendre des risques. Derrière l’enjeu des vies humaines, le risque politique lié à un potentiel échec est souvent important. Au final, la réaction des opinions publiques est essentielle et influe sur le processus décisionnel.
Quelles que soient les stratégies adoptées, et les priorités données à la neutralisation des auteurs ou à la libération des otages, les situations de prises d’otages revêtent une très haute importance et le facteur temporel est essentiel. Les États qui ont tendance à négocier sont rattrapés par la nécessité de ne pas favoriser de nouvelles prises d’otages, et ceux réputés fermes sont sujets aux critiques de leurs opinions publiques. C’est souvent le pragmatisme qui domine, en fonction des intérêts et de la pression interne et externe. D’ailleurs, les affaires d’otages, lorsqu’elles ne sont pas crapuleuses et ont trait au terrorisme, ou lorsqu’elles ont lieu sur des théâtres de guerre, ne se délèguent pas et sont traitées directement par les diplomates et les services secrets, en contact direct avec les chefs d’État, en raison de l’extrême sensibilité du sujet et des risques politiques liés. Chaque cas exige un traitement sur mesure, en fonction par exemple du statut des otages, de la médiatisation, de la pluralité des otages et de leurs nationalités, du pays dans lequel ils sont détenus et des organisations qui les détiennent.
Dès lors qu’une libération par la force est possible, la prise de décision est extrêmement difficile à prendre, parce que l’issue est incertaine et qu’il faut intégrer la réaction des opinions publiques. Lorsque l’armée française a saisi une opportunité et libéré des otages au Burkina Faso en mai 2019, deux marins (Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello) du commando Hubert ont trouvé la mort. La ministre des Armées, Florence Parly, et le Chef d’état-major des armées, le général d’armée Lecointre, ont dévoilé les circonstances de l’opération en conférence de presse le lendemain. La communication était alors essentielle car il importait que l’opinion publique française comprenne le sens de cette prise de risque. Les honneurs militaires rendus aux Invalides contribuent à valoriser le sacrifice des militaires français ayant donné leur vie pour libérer des otages.
Parfois, des négociations ont pu être accélérées pour obtenir un gain politique et faire de la libération des otages une victoire, surtout après une alternance. Suite à la prise d’otages à l’ambassade américaine en 1979, impliquant 66 ressortissants américains, le président américain Carter a perdu les élections après avoir autorisé l’opération de libération Eagle Claw qui a été un désastre (27). Son successeur, Ronald Reagan, a quant à lui profité de l’effet positif de la libération des otages huit mois plus tard, le jour de son investiture. Le 5 mai 1988, trois jours avant le second tour de l’élection présidentielle française, le Premier ministre candidat Jacques Chirac a accueilli à Villacoublay les trois derniers otages détenus au Liban, mais il sera tout de même battu par le Président sortant François Mitterrand. Au même moment, la prise d’otages d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie s’achevait par un assaut. La libération des otages du vol Air France à Marignane est aussi survenue en décembre 1994, lors d’une nouvelle cohabitation et à quelques mois de la présidentielle de 1995. La pression ressentie par les hommes politiques se répercute sur « les chefs opérationnels [qui] peuvent absorber une très forte pression », selon le général d’armée Denis Favier (28). « Le temps politique n’étant pas celui des chefs militaires, ces derniers doivent avoir le courage de faire valoir leurs arguments en présentant différentes options au politique, qui in fine décidera. »
Avec la multiplication des tueries de masse qui émanaient de doctrines élaborées sur le « djihad global » (29), les prises d’otages semblaient révolues. Le 7 octobre 2023 rappelle que ce mode d’action demeure.
Les prises d’otages, une menace persistante
« Votre sacrifice, Arnaud Beltrame, nous oblige »Emmanuel Macron, le 28 mars 2018, lors de l’hommage national au colonel Beltrame.
Le droit international n’est pas parvenu à empêcher les prises d’otages, et le contexte d’asymétrie et d’hybridité favorise ce type de mode d’action. Les États doivent donc s’organiser pour faire face à cette menace.
Un droit international défié
Avec l’avènement du droit international, la pratique des otages aurait pu être contenue. Les relations internationales restent néanmoins régies par les intérêts des puissances qui s’expriment souvent par des rapports de force. Dans les faits, l’existence de normes n’empêche pas la commission des prises d’otages.
Dans le champ des conflits armés, il a fallu attendre les Conventions de Genève de 1949 pour que les prises d’otages soient prohibées (30) et qualifiées de crimes de guerre (31). Lors de la Seconde Guerre mondiale, en dépit des premières interdictions nées en 1907, les prises d’otages étaient autorisées par les normes produites par le régime nazi, mais elles l’étaient également dans les règlements militaires alliés. Depuis 1949, force est de constater que les prises d’otages sont encore d’actualité, à l’image de celles perpétrées par le Hamas depuis le 7 octobre 2023. Dans le conflit ukrainien, Reporter sans frontières (RSF) dénonce des prises d’otages de journalistes commises par l’armée russe (32).
En dehors des conflits internationaux, pour répondre aux nouvelles menaces, les prises d’otages ont été condamnées par les conventions de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) dans le cadre des détournements d’aéronefs (33), par l’Organisation maritime internationale (OMI) dans le domaine maritime (34), et par la Convention de New York pour le cas des personnes protégées internationalement (35). Pour tous les autres cas, elles ont été prohibées par la Convention internationale contre la prise d’otages de 1979. Cependant, de très nombreux États ont refusé de la ratifier et d’autres ont émis des réserves (36), quant au refus d’extrader leurs nationaux ou sur la légitimation des luttes des mouvements de libération nationale. Des États se sont parfois permis de contourner la Convention de 1979. C’est le cas des États-Unis qui ont escorté, le 10 octobre 1985, un avion de ligne égyptien qui transportait des terroristes palestiniens et l’ont contraint à atterrir en Sicile pour que ces derniers soient interpellés. La France avait, quant à elle, détourné un avion le 22 octobre 1956, certes avant les conventions de La Haye et Montréal, pour interpeller 5 dirigeants du Front de libération nationale (FLN) algérien (37).
Lorsque le droit est en échec, la diplomatie peut prendre le relais. C’est ainsi que le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté de nombreuses résolutions pour lutter contre Al-Qaïda et Daech au cours des vingt dernières années, afin de geler les avoirs financiers des groupes terroristes (38), de recommander de ne pas leur verser de rançons (39), et de forcer les États à coopérer (40). Le Secrétaire général des Nations unies peut aussi agir comme médiateur ou nommer des envoyés spéciaux pour négocier. Kofi Annan a joué un rôle clé dans les négociations et la coordination entre les gouvernements péruvien et japonais lors de la prise d’otages de l’ambassade du Japon au Pérou en 1996. Cependant, dans les conflits actuels, le rôle de l’ONU et de son Secrétaire général est manifestement beaucoup plus limité.
Les nouvelles menaces
Le contexte international actuel ouvre le champ aux modes d’actions hybrides, tels que la guerre du droit (Lawfare), la désinformation, l’utilisation d’intermédiaires (proxys), la menace cyber, l’imbrication entre criminalité, terrorisme et lutte armée, etc. Un phénomène d’entraînement encourage des États à agir de façon décomplexée sans se soucier du droit ni des condamnations des autres États. Inspirés par des modes opératoires éprouvés dans la criminalité de droit commun, aidés par des nouvelles technologies, des puissances ou des groupes terroristes peuvent innover et utiliser des otages pour servir leurs intérêts.
Les enlèvements restent une menace très importante, notamment sous forme de marché dans les États en crise ou faillis. Des otages sont aussi parfois choisis pour leur statut ou leur fonction. Le « tiger kidnapping » ou « kidnapping express », qui vise à prendre en otage la famille ou les proches d’un responsable pour le forcer à réaliser une action, est un mode d’action élaboré de la criminalité organisée qui pourrait aussi être utilisé pour faire pression sur des décideurs politiques. La protection des personnalités implique donc d’étendre la mission à leurs familles.
Dans le domaine de la cybercriminalité, les ransomware ou rançongiciels explosent en droit commun. Ils peuvent également être un mode opératoire très efficace dans le domaine du terrorisme. Il est d’ailleurs très facile de basculer d’un champ à l’autre, des criminels pouvant monnayer des otages à des groupes terroristes ou à des États. Sans prendre en otage des personnes, les cyber prises d’otages peuvent permettre de prendre le contrôle de systèmes informatiques critiques, comme des réseaux de santé ou des infrastructures urbaines, en échange de rançons ou de concessions politiques. Les données sensibles ne sont certes pas des vies humaines, mais leur destruction peut néanmoins causer la mort de nombreuses personnes. Indirectement, des patients ou des administrés peuvent devenir des otages sans le savoir. Sans s’exposer, des terroristes pourraient aussi intervenir à distance et menacer de provoquer une catastrophe comme un accident. Dans la course technologique entre les forces de sécurité étatiques et les terroristes et criminels, ces derniers ont généralement un temps d’avance.
Ils peuvent utiliser l’intelligence artificielle (IA) pour imaginer de très nombreux scénarios. L’un des plus probable est d’inventer de fausses prises d’otages parfaitement réalistes. Ce bluff joué dans un temps extrêmement bref, en jouant sur le stress de décideurs, peut très bien fonctionner. La démultiplication des réseaux sociaux peut être également exploitée pour manipuler et forcer des personnes à agir. Il est aussi tout à fait envisageable de manipuler des foules par de fausses informations et de les inciter à agir, comme l’a fait Daech avec sa propagande en ligne pour des individus isolés. Jouer sur la colère et la peur peut permettre par exemple d’envoyer une foule prendre d’assaut un bâtiment symbolique. À l’étranger, nos ambassades sont vulnérables et le cas de la prise d’otages de l’ambassade américaine en Iran en 1979 montre qu’une foule peut prendre des otages et être à l’origine d’une grave crise internationale.
Le droit peut aussi être utilisé par les États pour servir leurs propres intérêts. À l’occasion de tous les conflits, les juristes s’affrontent et interprètent différemment le droit international. Des États l’utilisent pour retenir des prisonniers en se fondant sur des normes juridiques internes. L’Iran retient des otages occidentaux qui sont accusés d’espionnage et utilisés pour faire pression sur leur État. La libération du journaliste irano-américain Jason Rezaian le 16 janvier 2016, le jour même de la mise en place de l’Accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), pose question. En Israël, la Cour suprême a validé le statut de « combattant illégal », distinct de celui de prisonnier de droit commun et de prisonnier de guerre, pour permettre de retenir des combattants de groupes armés terroristes dans une possible logique de marchandage. Elle a aussi validé la conservation de corps de Palestiniens pour permettre de les négocier contre des dépouilles de soldats israéliens (41). Le droit interne peut également être utilisé dans le cadre de compétitions économiques. C’est ce qui a fait dire à Carlos Ghosn, ancien PDG de Renault et Nissan, qu’il n’était « plus l’otage d’un système judiciaire japonais partial » après son évasion rocambolesque du Japon. C’est aussi la ligne de défense de Frédéric Pierucci, cadre supérieur d’Alstom, arrêté en avril 2013 par le FBI (42). Il faut néanmoins distinguer l’otage, menacé de mort généralement sans aucune procédure, du prisonnier, fut-il détenu de façon arbitraire.
Préparer la riposte des États démocratiques
Face à un risque manifestement toujours présent, avec un droit de moins en moins respecté, les États démocratiques doivent continuer à s’organiser sur les plans technique et organisationnel, et ils peuvent aussi préparer les opinions.
Depuis 1972, les unités spécialisées n’ont cessé d’évoluer en fonction de la menace, à l’image du GIGN qui fête ses 50 ans en 2024. Dans une lutte asymétrique, la grandeur des démocraties est de parvenir à adapter l’ensemble de leurs moyens de réponse en respectant le droit et leurs valeurs. En France, le Secrétariat général de la défense et la sécurité nationale (SGDSN) élabore et met à jour les plans d’interventions contre les actions terroristes. Des évolutions législatives et réglementaires ont permis de progresser dans le domaine du renseignement et du contrôle d’Internet et des réseaux sociaux. Un Coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) a été créé en 2008. Le terrorisme dépassant les zones de compétences et les frontières, une des clés de réponse est la coordination entre les États, par le renforcement des liens entre les services de renseignements et par la coopération policière et judiciaire. Au niveau tactique, les unités ont davantage cherché à travailler ensemble, tant au niveau interne, avec par exemple le schéma national d’intervention, qu’au niveau international (43). En effet, l’opinion publique peut comprendre qu’une prise d’otages terroriste n’ait pas pu être empêchée, mais elle ne peut pas accepter des hommes d’État qu’une désorganisation, ou pire des luttes intestines, soient à l’origine d’une mauvaise gestion de crise. « Les décideurs politiques doivent donc engager toutes les meilleures capacités (44). » C’est la raison pour laquelle les unités d’intervention françaises se sont organisé très en amont des Jeux olympiques et paralympiques de Paris. Cette coordination entre le GIGN pour la Gendarmerie nationale et le Raid (Recherche, assistance, intervention, dissuasion) et la BRI (Brigade de recherche et d’intervention) pour la Police nationale a été un facteur clé dans la gestion des prises d’otages le 9 janvier 2015 à Dammartin-en-Goële et à Vincennes. Cependant, les négociations menées par plusieurs pays pour parvenir à un accord de libération des otages détenus à Gaza montrent toute la complexité d’une crise internationale mêlant des intérêts divergents.
Sur un plan plus psychologique, la force de caractère des décideurs et le fait qu’ils soient bien éclairés et conseillés sont essentiels, tout comme la préparation de l’opinion publique. Il est tout à fait envisageable de préparer les esprits en amont des prises d’otages. Par une bonne communication en amont et pendant la crise, un discours de vérité de la part des autorités publiques peut être entendu. Une crise peut d’ailleurs renforcer l’unité nationale à l’instar de la marche républicaine du 11 janvier 2015 à Paris (45). Des plans de communication peuvent aussi permettre de donner des informations aux organes de presse tout en leur expliquant qu’il peut être dangereux de donner des renseignements sur les otages, et qu’il est contre-productif de chercher à les contacter, au risque d’entraver l’action des forces d’intervention. En Israël, la directive Hannibal (46), qui vise à donner la possibilité au commandement militaire de prendre toutes les mesures jugées utiles pour empêcher que des soldats soient capturés, est désormais connue du grand public. Elle est source de polémique si elle s’entend comme étant le choix d’assumer des pertes plutôt que de gérer des soldats otages, mais elle peut aussi être admise s’il s’agit plutôt d’accepter de choisir de risquer une libération plutôt que de subir une détention longue et tout aussi risquée.
Conclusion
Les prises d’otages peuvent être un levier efficace et influencer des décideurs, surtout dans les démocraties occidentales soumises à la pression des opinions publiques. Face à cette menace actuelle, les États démocratiques se doivent donc d’être prêts et d’anticiper des scénarios futurs.
Dans le cadre du conflit entre Israël et le Hamas, la diplomatie menée autour des otages confirme bien que ces derniers pèsent sur la stratégie israélienne, dont les buts de guerre sont d’éradiquer le mouvement terroriste, libérer les otages et empêcher Gaza de demeurer une menace pour la sécurité d’Israël.
Récemment en France, une prise d’otage a marqué l’opinion publique : le 23 mars 2018, un officier de gendarmerie, Arnaud Beltrame, a pris la décision de se substituer à un otage. Alors que les otages sont victimes d’une situation qu’ils n’ont pas voulue, lui l’a acceptée par un acte volontaire et héroïque. Plus de 500 lieux portent aujourd’hui son nom. Cet article lui est dédié.
(1) Convention internationale contre la prise d’otages adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies à New York, le 17 décembre 1979, entrée en vigueur le 3 juin 1983 (https://whatconvention.org/fr/convention/304).
(2) Ferragu Gilles, Otages, une histoire. De l’Antiquité à nos jours, Gallimard, 2020. De nombreux exemples donnés sont tirés de ce livre.
(3) Groot (de) Huig ou Grotius Hugo, De Jure Belli ac Pacis [Du droit de la guerre et de la paix], 1625.
(4) Pufendorf (von) Samuel, De jure naturae et gentium [Du droit de la nature et des gens], 1672.
(5) Bonnot de Mably Gabriel, Droit public de l’Europe fondé sur les traités, 1748, augmenté en 1764.
(6) Rayneval (de) Mathias Joseph Gérard, Institutions au droit de la nature et des gens, 1772.
(7) Excommunié, Bonaparte le fait enlever et emprisonner pour lui imposer le Concordat de 1801.
(8) Articles 49 et 50 du règlement annexe à la Convention de La Haye de 1907 relative aux lois et coutumes de la guerre sur terre (https://ihl-databases.icrc.org/fr/ihl-treaties/hague-conv-iv-1907).
(9) Article 2 de la Convention de Genève de 1929 relative aux prisonniers de guerre (https://ihl-databases.icrc.org/fr/ihl-treaties/gc-pow-1929/article-2).
(10) Article 34 (https://ihl-databases.icrc.org/fr/ihl-treaties/gciv-1949).
(11) Au Brésil avec le Mouvement révolutionnaire du 8 octobre (MR8), le Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR) au Chili, l’armée de libération nationale (ELN) en Bolivie, l’Armée révolutionnaire du peuple argentin (ERP) en Argentine, mutualisés en une Junte de coordination révolutionnaire (JCR).
(12) Détournement du vol Paris–Tel Aviv du 23 juillet 1968, du vol Tel Aviv–Rome du 29 août 1969, de 4 avions du 6 au 12 septembre 1970.
(13) Le raid a permis de libérer les 105 passagers et membres d’équipage. Un membre des forces spéciales israéliennes y laisse la vie :Yonatan Netanyahou, frère de l’actuel Premier ministre d’Israël.
(14) Guidere Mathieu, « La guerre révolutionnaire islamiste », Stratégique, n° 128, 2022/1, p. 139-162.
(15) Emery Arnaud, « L’otage : un choix délicat entre protection et sacrifice », Sécurité et stratégie, n° 22, 2016/2, p. 51-61 (https://www.cairn.info/revue-securite-et-strategie-2016-2-page-51.htm).
(16) Enseignant à Science Po et à l’Université Panthéon-Assas, il a consacré sa thèse en science politique ainsi que de nombreux articles sur le sujet des otages.
(17) Dignat Étienne, « Otage : le prix de la force », Esprit 2019/7-8, p. 19-22.
(18) Dignat É., La rançon de la terreur. Gouverner le marché des otages, PUF, 2023, 440 pages.
(19) Faure Guy-Olivier et Zartman Ira William, « Négocier avec les terroristes ? », Négociations, n° 16, 2011/2, p. 135-156 (https://www.cairn.info/revue-negociations-2011-2-page-135.htm).
(20) Gilbert Danielle, « How a Decade of the iphone changed global kidnapping », War on the rocks, 4 janvier 2018 (https://warontherocks.com/2018/01/decade-iphone-changed-global-kidnapping/).
(21) Deslandres Paul, L’ordre des Trinitaires pour le rachat des captifs : Tome Ier, Éditions Privat, 1903, 735 pages.
(22) Macron Emmanuel, dans une vidéo postée sur X (ex-Twitter) le 13 janvier 2024.
(23) Les syndromes de Stockholm et de Lima ne sont pas traités ici mais ils ont fait l’objet de nombreuses études.
(24) Lorsque Peter Lorenz, candidat CDU à la mairie de Berlin-Ouest est enlevé le 27 février 1975, le Mouvement du 2 juin fait fuiter son salaire et un courrier dans lequel il refusait d’aider un enfant handicapé.
(25) Entretien avec Étienne Dignat le 26 mars 2024.
(26) Le Bon Gustave, Psychologie des foules, 1895.
(27) Trop ambitieuse, l’opération va accumuler les problèmes conduisant à la destruction d’appareil et la mort de 8 militaires américains sans même avoir été au bout.
(28) Entretien avec le général d’armée Denis Favier réalisé le 21 mars 2024. Le général Favier commandait le GIGN en 1994 lors de l’assaut de Marignane et lors de la prise d’otages du Ponant en 2008 (opération Thalathine), et il était Directeur général de la Gendarmerie nationale lors des attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo.
(29) Al-Souri Abou Moussab, Appel à la résistance islamique mondiale, mise en ligne en 2014 et depuis retiré, et Naji Abu Bakr, Gestion de la barbarie, Édition de Paris, 2007, 248 pages.
(30) Article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949, article 34 de la IVe Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles.
(31) Article 147 de la IVe Convention de Genève (https://ihl-databases.icrc.org/fr/ihl-treaties/gciv-1949) et article 85 du Protocole I de 1977 (https://ihl-databases.icrc.org/fr/ihl-treaties/api-1977).
(32) « Russians use abduction, hostage-taking to threaten Ukrainian journalists in occupied zones », RSF, 25 mars 2022 (https://rsf.org/en/russians-use-abduction-hostage-taking-threaten-ukrainian-journalists-occupied-zones).
(33) Convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs signée à La Haye le 16 décembre 1970 (https://www.mcgill.ca/) et Convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile signée à Montréal le 23 septembre 1971 (https://treaties.un.org/).
(34) Convention sur la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime adoptée le 10 mars 1988 à Rome (https://www.imo.org/fr/about/Conventions/pages/sua-treaties.aspx).
(35) Convention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale, y compris les agents diplomatiques, signée à New York le 14 décembre 1973 (https://legal.un.org/).
(36) Convention internationale contre la prise d’otages : ratification, adhésion, déclarations et réserves (https://www.unodc.org/documents/treaties/Special/Document%20STE%20French%20Convention%201979.pdf).
(37) Delmas Claude, « La rébellion algérienne après l’arrestation des chefs du FLN », RDN, n° 142, décembre 1956, p. 1463-1474 (https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=1021&cidrevue=142).
(38) Résolutions 1267 en 1999 (https://www.un.org/), 1373 en 2001 (https://undocs.org/), 2161 en 2014 (https://www.un.org/), 2462 en 2019 (https://www.un.org/).
(39) Résolutions 2199 (https://www.un.org/) et 2253 (https://www.un.org/) en 2015.
(40) Résolutions 1904 en 2009 (https://www.un.org/) et 2610 en 2021 (https://www.un.org/).
(41) Décision de la Cour suprême de l’État d’Israël du 9 septembre 2019. Voir Dignat É., « L’intérêt des vivants contre l’honneur des morts ? Retenir les corps ennemis à des fins de négociation », Raisons politiques, n° 83, 2021/3, p. 121-137.
(42) Perucci Frédéric et Aron Mathieu, Le piège américain. L’otage de la plus grande entreprise de déstabilisation économique raconte, J.-C. Lattès, 2019, 396 pages.
(43) Gea Manuel, « La coopération entre unités d’intervention européennes : enjeux, perspectives et rôle des forces armées », RDN, n° 801, juin 2017, p. 184-189 (https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-6-page-184.htm).
(44) Entretien avec le général Favier.
(45) INA, « “Unis contre le terrorisme”, la marche républicaine du 11 janvier 2015 », 7 janvier 2020 (https://www.ina.fr/).
(46) Machecourt Clément, « Attaque du Hamas contre Israël : à quoi correspond la directive Hannibal », Le Point, 9 octobre 2023 (https://www.lepoint.fr/).