Tout comme le soldat, le sportif s’augmente en permanence et relève, grâce à cela, des défis de plus en plus importants. La créativité dont il fait preuve en ce domaine est sans limite. Cependant, l’éthique et la déontologie des professionnels qui les entourent tentent de sauvegarder l’esprit du sport.
Augmentation individuelle du sportif et comparaison avec le monde militaire
Tout comme le militaire, le sportif peut être augmenté de diverses manières. On peut lister ces approches mais il nous semble qu’il faut auparavant se poser les questions suivantes : par rapport à quoi, par rapport à qui, le sportif est-il augmenté ?
L’« augmentation », une pratique historique
Le sportif, comme l’homme, ne supporte pas la castration originelle et tente d’y échapper en « s’augmentant » en permanence. Augmenté le sportif ? Bien sûr, il en a été toujours ainsi, comme le précisent Xavier Bigard et Alexandra Malgoyre (Études de l’Irsem n° 42) : « aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de l’Antiquité, on trouve de très nombreuses évocations de dopage dans des écrits comme l’Iliade et l’Odyssée » ou dans l’histoire de l’Olympisme de l’époque antique. Passons rapidement sur la mythologie grecque où les dieux de l’Olympe ne lésinaient pas pour ingérer force doses de nectar et d’ambroisie qui auraient pu figurer, en leur temps, sur une liste de produits dopants. Plus encore, ils employaient souvent des moyens peu recommandables pour arriver à leurs fins, la plupart du temps rapter et s’unir (violer ?) à une belle déesse (cf. Europe) ; on se déguise, on se dote de pouvoirs suprêmes… Pas très regardant ni fair-play les dieux, non ?
Dès le VIe siècle avant J.-C., les athlètes grecs ingéraient différentes viandes en quantité plus ou moins importantes selon la discipline sportive qu’ils exerçaient afin d’améliorer leurs performances. Les sauteurs mangeaient de la viande de chèvre, les boxeurs et lanceurs de la viande de taureau, les lutteurs de la graisse de porc. L’exemple du célèbre Milon de Crotone, 6 fois champion olympique de lutte de l’époque antique, qui consommait jusqu’à 20 livres de viande par jour, illustre bien le besoin de l’homme de recourir à d’autres moyens que l’entraînement pour exceller dans sa discipline. Les substances supposées dopantes sont multiples dans l’Histoire. On peut citer ainsi les feuilles de sauge des Romains, celles de coca des Mayas et Incas, le ginseng des Chinois, le khat des Yéménites, jusqu’au cannabis fumé par les « haschachin » pour ses propriétés euphorisantes, désinhibantes et stimulantes. Le but de ces pratiques, là comme dans le monde militaire, est d’être le meilleur, meilleur que l’adversaire, voire l’ennemi. La généralisation et l’engouement de ces pratiques au XXe siècle ont été tels qu’il a fallu réglementer les compétitions et contrôler les participants.
Les soldats, pour leur part, n’échappaient pas à la règle du dopage : la consommation d’alcool durant la « Grande Guerre » avant de monter au front, nous a été largement rapportée, notamment en littérature, par Céline, Blaise Cendrars, Jacques Perret et tant d’autres.
En sport aussi, des pays ont institué ces pratiques dopantes au service de l’idéologie politique des gouvernants. Au sein des pays de l’Est, l’ex-RDA et l’URSS furent parmi les plus actifs à l’époque de la guerre froide. Des pays dits « émergents » arrivent également dans ce concert foisonnant des pratiques douteuses liées au monde du sport de compétition. La lutte, sans fin, entre tricheurs et agence de lutte contre le dopage n’est pas près de s’arrêter tant l’évolution de la science permet la fuite en avant.
Les possibilités en « augmentation » du sportif
Nous disions précédemment : augmenté par rapport à qui, par rapport à quoi ? Prenons l’exemple de l’athlète malvoyant qui porte des lunettes, est-il un sportif augmenté ? Celui qui n’en porte pas est-il diminué par rapport à lui ?
Voyons maintenant dans cet inventaire les autres possibilités d’augmentation : après la pharmacologie dont on vient de parler, on peut citer tout ce qui a trait au matériel susceptible de favoriser la performance :
• Matériel relatif à l’athlète lui-même : chaussures de course à pied dont les caractéristiques nouvelles permettent une meilleure performance, par exemple. Maillots ayant des vertus particulières ; ainsi, certains sont dotés de capteurs qui signalent l’état de fatigue du corps de l’athlète ; le système est connecté à un ordinateur où l’observateur, en tribune, pourra alerter l’entraîneur pour qu’il procède au changement du joueur en temps utile. Dans un passé récent est apparu l’exosquelette pour la pratique du ski permettant d’absorber les chocs et allégeant ainsi la fatigue. On se souvient aussi des combinaisons Speedo grâce auxquelles les records en natation tombaient comme à Gravelotte, pour rester dans la métaphore militaire.
• Les installations sportives elles-mêmes : des pistes d’athlétisme sont renommées pour faciliter les records (celle du stade Letzigrund de Zurich par exemple compte 25 records du monde à son actif) et les sportifs connaissent bien celles qui avantagent leur performance. On peut ajouter dans ce registre le matériel de communication, ainsi les cyclistes qui communiquent, via une oreillette, avec leur directeur sportif, suiveur en voiture, est une forme d’augmentation qui influe sur la performance. Ou encore les panneaux de communication fournis par l’organisation elle-même (ardoisier du Tour de France par exemple) peuvent modifier la stratégie des athlètes au regard des renseignements diffusés.
• La chirurgie liée à la technologie : elle offre, elle aussi, un éventail de possibilités. Où commence et où finit « l’augmentation » du sportif ? L’idée d’un athlète « réparé » via une intervention doit-elle être considérée comme une augmentation ou pas ? Et la réparation jusqu’où va-t-elle ? Oscar Pistorius est-il un sportif augmenté ? Rappelons que le Sud-Africain privé de ses deux jambes, les a remplacées par des extensions en fibre de carbone qui lui ont permis de concourir, en athlétisme, sur 400 m, avec les athlètes dits « normaux » au terme de débats enflammés. Bénéficiait-il d’un avantage technologique ou pas, les avis des experts restent partagés sur ce point.
• La technologie incorporée au matériel du sportif qui facilite la performance transformant celle-ci en tricherie pure et simple : une championne néerlandaise junior, Femke van den Driessche, avait équipé son vélo d’un moteur électrique caché dans le cadre. Elle fut découverte et radiée par sa fédération.
• Après la technologie qui aide le sportif, voyons à présent le secteur biotechnologique qui rejoint le médical, le para-médical – « auprès de » donc kiné, ostéo, etc. – voire le péri-médical – activité qui dépasse le corps et s’intéresse à l’âme et la relation corps/psyché comme la sphère psy dans son ensemble (cf. Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey). Dans la mesure où il va au-delà de la réparation de la blessure ou du handicap initial, il augmente le sportif. De l’innocente éponge miracle en rugby, jusqu’aux pratiques les plus suspectes dans des sports « réputés » pour cela (cyclisme, lutte, etc.) mais sans aucune exhaustivité, le rugby ayant lui aussi à faire face à ces pratiques contestables (autotransfusion sanguine après oxygénation dudit sang, par exemple).
• La génétique offre l’essence même du sportif augmenté et simplement de l’homme augmenté dans la mesure où l’on peut par des manipulations in vitro donner des qualités, des caractéristiques choisies au futur humain. Il pourrait s’agir, par exemple, de l’inhibition de l’expression d’un gène, lequel serait en mesure de secréter une hormone néfaste à la performance. À l’inverse, tel autre gène secrétant une hormone bénéfique serait « boosté » favorisant ainsi les records.
En revanche, il est plus discutable de ranger dans la même catégorie les sportifs dotés naturellement d’avantages comme la résistance physiologique à des phénomènes climatiques extrêmes. Sont-ils augmentés les footballeurs boliviens par rapport à des adversaires moins bien habitués, alors qu’ils reçoivent leurs adversaires à La Paz à plus de 3 630 m d’altitude au stade Hernando Siles ? Sont-ils augmentés au regard d’adversaires venant de la plaine ? L’habituation à la raréfaction de l’air est une donnée qui procure un avantage incontestable aux Boliviens mais « l’augmentation » est simplement due à des phénomènes d’acclimatation. Les mêmes qualités naturelles d’endurance et de récupération sont aussi l’apanage de certains corps mieux dotés que d’autres (par exemple Africains de l’Est en athlétisme de fond). En ce cas également, le terme d’augmentation nous semble abusif.
• Les neurosciences sont également une possibilité d’augmentation à travers le cognitivisme afin notamment de développer la faculté d’attention, l’optimisation de la mémoire, la motricité, le langage, la faculté d’engranger des connaissances et des apprentissages. Les programmes actuellement développés à l’intention des sportifs les préparent au mieux. Ces derniers appartiennent aux fédérations les plus puissantes en terme financier, lesquelles sont susceptibles de passer des accords de partenariat avec les laboratoires scientifiques impliqués dans la recherche. Ces laboratoires ayant eux-mêmes des accords avec les grands groupes industriels et commerciaux relatifs au domaine sportif. Nous développerons un exemple criant de ces connivences plus loin.
• La psychologie est un autre moyen de dépasser ses limites, notamment dans la gestion des émotions et du stress. De nombreux programmes sont fournis aux athlètes afin qu’ils développent leurs habiletés dans ce domaine. Des techniques variées parmi lesquelles nous citons, au hasard, la préparation mentale, l’hypnose, les diverses thérapies comme la sophrologie, la PNL (Programmation neurolinguistique), etc. permettent un dépassement des capacités naturelles du sportif de base. Notre connaissance des différents types d’hypnose, de la PNL et des thérapies par la parole (psychanalyse et psychothérapie) offre un vaste champ d’amélioration des performances en débloquant tous types de problématiques telles que le manque de confiance en soi, les stress, les Tocs (Troubles obsessionnels compulsifs) la mésestime de soi ou encore le plafonnement des performances sans cause connue. Apprendre à un sportif à gérer ses émotions au moment crucial, lui donner l’opportunité de vaincre ses doutes est une réelle satisfaction qui m’accompagne quotidiennement.
• Les croyances en une transcendance quelle qu’elle soit – religieuse ou autre –, les valeurs héritées ou acquises, la certitude de pouvoir y arriver sont une augmentation en soi. Être « habité » le jour de la compétition est un plus incontestable. L’exemple du champion olympique de saut à la perche de Rio en 2016 en est le témoignage récent : Thiago Braz da Silva semblait sur une autre planète et vint cueillir la médaille d’or le plus simplement du monde face à tous les favoris.
• L’alimentation est un des grands classiques en vue d’améliorer la performance et même si le régime du lutteur Milon de Crotone n’est plus vraiment la tendance du jour, les diététiciens du sport ont de beaux jours devant eux, tant il est vrai qu’une nourriture saine et adaptée à la discipline est une condition majeure de bonnes performances.
Un exemple médiatique : le projet Breaking 2
Un exemple récent combine beaucoup de domaines précédemment énoncés (cf. L’Équipe et Le Parisien du 5 mai 2017). L’équipementier Nike a conçu un programme qui vise à ce qu’un ou des athlètes choisis pour leurs performances antérieures (et appartenant audit groupe) réussissent la gageure de courir un marathon (42,195 km) en moins de deux heures, barrière mythique de la distance. Nom du projet : Breaking 2. Le record homologué étant actuellement de 2 h 2 min 57 s, la performance recherchée consistait à abaisser le record de plus de 2’57 soit un kilomètre en distance… un doux rêve, une utopie ou mieux une uchronie. Entrons-nous dans une ère où la raison est abandonnée ? Science-fiction pure ? À voir…
Deux ans et demi d’études et de recherches, 30 millions de dollars investis plus tard, des scientifiques, des diététiciens, des préparateurs physiques et mentaux, et des médecins ont calculé qu’à 5 h 45 du matin, à l’heure la plus fraîche de la journée pour limiter la sudation du coureur qui favorise la fatigue, serait donné le départ. Le parcours choisi serait celui de Monza en Italie, bien connu des amateurs de sport automobile, parfaitement lisse, sans virages tordus, au revêtement non abrasif, avec des arbres qui font barrage au vent. La piste est surnommée « magique » par les tifosis de F1. Une vingtaine de lièvres sont prévus pour se succéder et donner la cadence, la bonne foulée. Un véhicule prévu doit précéder les trois coureurs retenus (Kényan, Éthiopien et Érythréen…). Des chaussures spéciales profilées dotées d’une lame de carbone doivent permettre un gain de performance. Les semelles renvoyant vers l’avant étant supposées plus efficaces de 4 %, des vêtements stylés noir mais surtout aérodynamiques et rafraîchissants et une alimentation spécifique, peut-être à base de boulettes nutritives vite assimilables, auront été concoctés pour accomplir l’improbable.
En attendant, un faux départ avait été donné par les nouvelles chaussures comme l’explique l’athlète Bekele (non retenu dans le projet) « j’ai commencé, entre le 15e et le 20e kilomètre, à avoir des ampoules, mon pied n’était pas dans sa position habituelle et j’ai dû changer ma façon de courir pour le protéger. »
Malgré toutes les initiatives prises et les soins les plus opportuns apportés à la tentative, le record n’a pas été battu et le vainqueur a fini en 2 heures et… 25 secondes… le sportif augmenté, s’il peut beaucoup, ne peut pas encore tout !
Parallèle soldat-sportif augmentés
En ce qui concerne le parallèle entre soldat et sportif augmentés, comprenons qu’ils se ressemblent beaucoup dans la préparation et l’exécution de l’acte. Cependant, une première différence tient, selon nous, au fait de fixer des limites de type déontologique et éthique. Entendons que l’armée d’un pays obéit à une hiérarchie et que celle-ci est tenue dans un cadre juridique strict. Le chef des armées (le chef de l’État) est soumis à la Constitution de la Nation, mais aussi à des textes législatifs et réglementaires élaborés par les différentes instances élues et/ou nommées en ces circonstances. Le fait d’appartenir à un ensemble européen double, si nous osons dire, les cadres de sécurité au sein des armées et constituent des remparts à d’éventuelles dérives collectives. Ces précautions d’approche ne concernent pas, hélas, les bandes armées, groupuscules terroristes et autres électrons libres et sanguinaires, ce qui peut inquiéter légitimement nos responsables politiques et militaires.
On pourra nous opposer que le Droit du Sport et ses instances représentatives instaurent des règles contraignantes pour le sportif dans sa quête de performance. On constate du reste des efforts non négligeables de ces structures pour tenter de juguler l’esprit créatif des tricheurs en tous genres. Mais parce qu’elle peut ne concerner qu’un athlète individuel, la tentation du « pas vu pas pris » est plus forte pour l’électron libre que pour le monde militaire national voire européen.
La seconde différence tient au but de la performance bien sûr, mais aussi aux enjeux de sa réalisation. Le fait est que le soldat risque le plus souvent sa vie quand le sportif ne joue que son estime de soi, voire son image.
Mentionnons deux accidents graves concernant des sportifs, ce qui en soulignera paradoxalement le caractère très rare.
Le 13 juillet 1982, Vladimir Smirnov tire, au fleuret, contre Matthias Behr en quart de finale du championnat du monde. La lame de l’Allemand touche la poitrine du Russe, glisse vers le masque qu’elle transperce, va se ficher dans l’œil du champion et atteint le cerveau du malheureux. Il en mourra la semaine suivante. Les lames en acier seront supprimées et plus aucun accident grave ne sera à déplorer depuis.
L’autre exemple est celui de l’agression dont a été victime la tenniswoman Monica Seles le 30 avril 1993, poignardée dans le dos lors d’un changement de côté. L’auteur de cet attentat se disait « supporter » de Steffi Graf et fut reconnu déficient mental. Il y a donc peu de risques physiques létaux pour un sportif dans l’exercice de son métier à l’inverse du soldat.
* * *
Et demain ? La nature humaine est ainsi faite que « l’augmentation » lui est « naturelle ». Toujours en recherche d’amélioration visant à remporter le combat ou la partie, soldats comme sportifs sont dans cette même quête absolue de la victoire. La génétique permet déjà de sélectionner le sexe, la couleur des yeux et d’autres caractéristiques du futur bébé. À ce titre, on peut penser que l’augmentation de demain rendra vite obsolète nos interrogations d’aujourd’hui. Les « réplicants » (cf. le film Blade Runner) sont techniquement prêts…
La recherche d’augmentation relève, selon nous, du pulsionnel et, en ce sens, durera autant que le genre humain.
Éléments de bibliographie
L’Hermitte Stéfan, « Moins de deux heures au marathon : dans quelles conditions ? », L’Équipe, 5 mai 2017 (www.lequipe.fr/).
Charpentier David, « Un marathon en moins de deux heures ? », Le Parisien, 5 mai 2017 (www.leparisien.fr/).
Bigard Xavier et Malgoyre Alexandra, « Le dopage sportif, quelles évolutions récentes et quelles conséquences pour les militaires ? », Études de l’Irsem n° 42 « L’homme augmenté, réflexions sociologiques pour le militaire », mars 2016 (www.irsem.fr/). ♦