Les conditions de l’optimisation de la résilience du soldat augmenté sont doubles : l’acquisition d’une aptitude individuelle résiliente originelle est un socle préalable à l’apprentissage des outils et des effets capacitaires de l’augmentation.
Résilience du soldat augmenté
« Un système militaire aussi sophistiqué soit-il, ne vaut que par la qualité des hommes qui le mettent en œuvre ? » CGA François Cailleteau in Les hommes de la défense, juin 1981
De la même façon qu’avaient été traitées lors d’un colloque déjà consacré au « soldat augmenté » le 8 juin 2015 (École militaire, Paris) des hypothèses sur le traumatisme psychologique et le soldat augmenté, cet article présente celles concernant la résilience du soldat augmenté. Les outils et nouvelles fonctionnalités apportés au soldat augmenté vont-ils venir renforcer le socle et le potentiel de résilience des combattants ?
Dans un premier temps revenons rapidement sur le traumatisme psychologique. Il survient là où on ne l’attend pas, il pénètre et effracte le pare-excitation, déstructurant la psyché, investie par l’image réelle de la mort, qui lui inflige une blessure indélébile, C’est l’effroi, voir sa propre mort ou celle de ses camarades. Les capacités cognitives et existentielles du sujet sont alors saturées, il y a un blanc de la pensée, qui se trouve dans l’incapacité de réagir. Les liens interindividuels sont déstructurés, qui font du traumatisé un être stigmatisé, rejeté hors de la communauté humaine. Cette déstructuration entraîne une désorganisation de l’équilibre de fonctionnement du système et le dépassement des mécanismes d’adaptation usuels.
Cependant, à côté de la voie du traumatisme, des travaux récents, conduits par un des membres de l’IRC – le docteur Michel Grappe –, montrent qu’il peut exister, autour du traumatisme une voie positive, pour l’individu, qui pourrait être d’une importance capitale pour la suite en développant des « gestes de Résilience ».
La résilience est définie par l’IRC comme la capacité d’une entité – individu ou groupe humain – à se fixer – reconstituer – une nouvelle finalité, ainsi que les moyens adaptés à sa réalisation, après qu’un événement, naturel ou provoqué directement ou indirectement par les hommes, n’ait remis en question sa raison d’être, en vue de procurer un avantage stratégique. Les moyens sont les outils cognitifs et affectifs mobilisés par l’entité.
Explicitons ici les fondamentaux de la « résilience ». Elle nécessite :
• Un organisateur puissant : la volonté de combattre, de gagner sur l’adversaire, sur l’ennemi, de protéger les siens – la fraternité d’armes.
• Un socle de résilience, constitué préalablement, parfois des années auparavant, voire beaucoup plus tôt dans l’enfance, avec la constitution d’une base sécure d’attachement : nous pensons pour les armées à l’esprit de corps, au rôle des traditions, de la formation, de l’entraînement et il faut souligner ici le rôle capital des sous-officiers. C’est ce socle qui va permettre à la Résilience de s’installer. C’est une base dans sa fonction et un trépied dans sa structure :
– cohésion ;
– confiance ;
– capacité à agir en situations dégradées.
• Un potentiel de résilience : nous savons qu’on ne connaît la Résilience qu’une fois qu’elle s’est manifestée, nous parlons donc de potentiel de Résilience qui permet de qualifier, d’évaluer l’aptitude probable d’un sujet à se reconstruire et à constituer un sens. À savoir :
– Protester (protestare), témoigner pour sa foi, ses convictions, se défier des institutions établies – pensons aux résistants de la première heure en 1940.
– S’engager en posant des actes engageant définitivement sa vie.
– Trouver en soi des ressources insoupçonnées.
Enfin, rappelons-le, on n’est pas résilient tout seul, la résilience n’est ni une aptitude, ni une qualité, ni un état acquis une bonne fois pour toutes, il s’agit d’un processus dynamique, qui évolue selon le schéma suivant « Résister, Se projeter, Consolider ».
Ce Cahier de la Revue Défense Nationale nous présente quelles peuvent être les augmentations (outils, fonctionnalités) dont pourraient bénéficier les combattants augmentés. Analysons maintenant l’influence que pourraient avoir ces outils et fonctionnalités sur les fondamentaux de la résilience précédemment décrits.
Il n’est pas certain, compte tenu de la force de résilience des armées françaises par construction – traditions et esprit de corps – que les outils et fonctionnalités d’augmentation du combattant auront une influence sur l’organisateur de résilience, qualifié d’organisateur puissant ci-dessus. Les tableaux suivants permettent de lister les pistes possibles d’amélioration du socle et du potentiel de résilience :
Améliorer le socle de résilience | Améliorer le potentiel de résilience |
Fonctions cognitives à augmenter • Mémoire et apprentissage. • Gestion du stress. • Choix et décision. • Gestion des émotions. |
Fonctions cognitives à augmenter • Analyse et compréhension de la situation. • Perception de l’environnement • Représentation de la perception image mentale. • Récupération et régénération physique et mentale (fatigue, sommeil…). |
Fonctions physiques à augmenter |
Fonctions physiques à augmenter • Perception de l’environnement : données brutes. • Récupération et régénération physique et mentale (fatigue, sommeil…). • Polyvalence, autonomie et modularité • Mobilité pédestre intrinsèque de l’individu. • Endurance physique. • Protection face aux agressions cinétiques |
Améliorer le socle de résilience | Améliorer le potentiel de résilience |
Solutions cognitives les plus prometteuses • Améliorer les mécanismes d’apprentissage de toute nature. • Gérer l’intensité du stress. • Se connaître (potentiel actuel, limites, cycles, mode de fonctionnement…). • Préparer au stress chronique. |
Solutions cognitives les plus prometteuses • Disposer facilement d’une information contextualisée et adaptative (profil, état de l’utilisateur, mission, environnement, situation instantanée…). • Améliorer le recueil des perceptions. • Améliorer la représentation mentale • Préparer mentalement aux missions • Aider au choix entre plusieurs options. • Alerter les proches d’une scène traumatique. |
Solutions physiques les plus prometteuses |
Solutions physiques les plus prometteuses • Améliorer la récupération du combattant • Accroître la force physique du combattant • Adapter (manuellement ou automatiquement) • Améliorer la facilité d’utilisation des équipements (encombrement, poids, IHM, ergonomie, • Utiliser des substances nouvelles permettant • Utiliser des substances nouvelles permettant • Doter le combattant de dispositifs d’aide au franchissement (horizontal et vertical ; sec et humide). • Utiliser des substances nouvelles permettant • Accroître la capacité à durer du combattant • Accroître la mobilité (hors obstacle) intrinsèque |
L’analyse de ces tableaux montre que les améliorations du socle de résilience seront plus particulièrement obtenues grâce à des solutions cognitives, alors que celles du potentiel de résilience se feront principalement à partir d’améliorations physiques, mais aussi d’améliorations cognitives qui porteront sur les informations, la perception donc l’amélioration de la représentation mentale, et la préparation mentale aux missions potentiellement traumatiques.
Que dire des facteurs d’anti-résilience ? Les outils et fonctions d’augmentation du combattant permettront-ils de faire évoluer ou de transformer certains facteurs d’anti-résilience en facteurs de résilience :
Facteur d'anti-résilience | Rôle transformant de l'augmentation |
Isolement | Oui, certainement |
Individualisme | Oui |
Peur | Oui / Peut-être |
Honte | ? |
Perte de sens | Amélioration |
* * *
En conclusion, les outils et fonctions dont sera doté le soldat augmenté vont permettre de consolider son potentiel de résilience, de transformer des facteurs d’anti-résilience en facteurs de résilience et donc de procurer au soldat augmenté un avantage stratégique. Mais posons-nous maintenant une question à la manière de Jacques Chancel « Et la résilience de l’ennemi dans tout cela ? ». En effet, cette piste à considérer consiste à s’interroger sur les éventuelles augmentations dont pourrait bénéficier l’ennemi. S’il était autrefois évident que guerre et technologie allaient de pair, dans le sens où le belligérant le plus technologiquement avancé possédait un avantage souvent décisif sur l’autre, cette assertion se heurte aujourd’hui à la multiplication des conflits asymétriques et aux menaces intérieures auxquelles les armées doivent faire face. ♦