Le « miracle » de la victoire allemande ?
Ces dernières années, notre connaissance des tragiques événements du printemps 1940 s’est considérablement enrichi. À cet égard, les travaux menés depuis maintenant plus de trente ans par des historiens anglo-saxons ou français ont grandement fait progresser la compréhension que nous pouvons avoir de la complexité du drame alors vécu par notre pays. Pourtant, ces nombreux, souvent imposants et parfois excellents travaux, qui ont si bien et si heureusement renouvelé l’historiographie de cet épisode, mettent surtout l’accent sur sa partie « française » (ou, au mieux, franco-britannique). Et l’on peut ajouter qu’ils ne portent généralement que sur ses aspects stratégiques, diplomatiques et politiques, au détriment de ses aspects purement militaires. Or, il est au moins aussi intéressant de revisiter tout autant l’action de la partie « allemande » de cette campagne, y compris dans ses aspects opérationnels et tactiques, et de remettre en cause la doxa acceptée par tous depuis soixante-dix ans : celle d’une excellence sans faille et d’une supériorité absolue de la Wehrmacht.
C’est ce que certains historiens anglo-saxons, allemands et israéliens de la chose militaire se sont, de leur côté, employés à faire depuis une vingtaine d’années. Ces travaux sont importants à au moins deux titres : ils font voler en éclats le mythe de la « guerre-éclair », mais, surtout, ils s’inscrivent le plus souvent dans une perspective historique bien plus large de déconstruction de mythe de l’excellence militaire allemande dans les deux guerres mondiales. Car, par-delà la campagne de mai-juin 1940 en tant que telle, il ressort de tous ces travaux que ça n’est pas un hasard ni le fait de la malchance si « l’école » militaire allemande a été battue à plates coutures dans ces conflits titanesques. Restée figée sur des paradigmes stratégiques issus du XVIIIe siècle frédéricien ou, au mieux, de la période napoléonienne, la pensée militaire allemande n’est jamais parvenue à comprendre jusqu’au bout la guerre industrielle moderne et ses conséquences stratégiques, économiques et sociales. Elle s’est en outre avérée incapable de dépasser le paradigme de la bataille décisive en un point unique sur lequel toute la pensée et toute la pratique de la guerre étaient fondées en Occident depuis des siècles. Au final, elle s’est révélée totalement incompétente dans le domaine stratégique et largement ignorante de l’importance de l’art opératif, même si elle sut – très souvent, mais pas toujours – briller dans le domaine tactique et, surtout, posséder une excellence quasi-absolue dans le domaine du professionnalisme (discipline, entraînement, agressivité, utilisation du terrain, savoir-faire micro-tactique, capacité à mettre en œuvre de façon optimale les systèmes d’armes qui lui étaient confiés, etc.).
Pour en revenir au cas particulier de la campagne de France du printemps 40, nous savons maintenant que le terme même de
Blitzkrieg (« guerre-éclair ») est largement le produit de tours de passe-passe historico-théoriques. Lorsque les historiens tentent d’en faire l’archéologie, ils peinent à en retrouver des traces solides dans les textes doctrinaux tactiques de l’armée allemande de l’entre-deux-guerres. Rien, en tout cas, qui soit pensé de façon globale et cohérente, pouvant s’insérer dans une doctrine stratégique nationale. Si quelques auteurs isolés ont employé timidement l’expression, ils ne représentaient en rien la doctrine officielle d’un état-major allemand qui restait profondément hostile à ce qu’il considérait comme de l’aventurisme militaire.
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