Les engagements de demain verront l’apparition de systèmes d’armes terrestres « de rupture » sur les théâtres d’opérations extérieures comme intérieures. La fulgurance des innovations technologiques doit pourtant s’inscrire dans une logique d’« ethic by design ». Pour remplacer ou appuyer le fantassin du futur, les drones terrestres armés devront alors compter sur leur capacité de précision et de maîtrise par l’humain, à distance.
Drone de neutralisation chirurgicale à réponse graduée
Tête du Snibot®
L’utilisation de robots ou drones armés, sur le champ de bataille ou pour des opérations dites « de police » sur le territoire national, pose de nombreuses questions éthiques et légales. Elle interroge également le public et génère des inquiétudes légitimes lorsque l’on évoque une forme d’autonomie de l’usage de la « violence légitime ». De nombreux films à spectacles, études ou projections futuristes, évoquent des machines pouvant devenir incontrôlables voire qui se retournent contre les humains. Un véritable tabou pèse sur cette perspective, alors même que l’évolution de la technologie, des capacités en robotisation, mécatronique et en transmission de données explosent. Il n’y a aucune raison pour que cette révolution technologique ne touche pas le monde de la défense et les futurs systèmes d’armes. D’ailleurs, des drones volants sont venus prendre une place de plus en plus importante dans les capacités aériennes des armées. Progressivement, l’US Air Force a imposé une nouvelle capacité de destruction à partir d’engins pilotés à distance. La France, avec retard certes, a compris tout l’intérêt de ces moyens et vient d’autoriser l’armement des drones d’observation. Des tabous tombent et des nouvelles technologies avancent permettant, demain, de déployer de nouveaux systèmes d’armes sur le sol.
Mais encore faut-il pour ces derniers, convaincre à la fois l’opinion publique, les décideurs et les futurs utilisateurs de l’immense progrès qu’ils véhiculeront, et de leur conformité avec un cadre éthique qui exprime nos limites infranchissables dans notre manière de faire la guerre et d’user de la force. Il faut donc à la fois intégrer le cadre éthique et démontrer qu’une certaine technologie intégrant des capacités novatrices puisse apporter une plus-value indiscutable par rapport à notre arsenal actuel. L’exemple du projet de drone de neutralisation chirurgicale à réponse graduée démontre que l’hyperprécision, répond non seulement à un besoin opérationnel des forces, mais aussi au cadre éthique et légal qui encadre l’usage des armes.
En préalable, rappelons la distinction cruciale pour le débat, entre deux types de « machines » et écartons la version la plus emblématique et inquiétante, à savoir le robot de type « Système d’arme létale autonome » (Sala). Il existe en effet :
• D’un côté des drones (aériens, terrestres, marins ou sous-marins, équipés d’effecteurs) intégrant la présence humaine « permanente » dans la boucle décisionnelle et garantissant ainsi le lien de commandement ; les Américains parlent de « Human in the Loop ». Le lien de commandement est ainsi maintenu, l’opérateur gardant la responsabilité aussi opérationnelle que juridique. C’est cette catégorie qui nous paraît être la plus accessible autant d’un point de vue technologique que d’un point de vue éthique.
• Et, d’un autre côté, les fameux robots de type Sala pouvant contrôler, détecter, sélectionner et attaquer des cibles sans contrôle humain (1).
Or, le parti pris de la société SD4E est d’écarter volontairement ces systèmes d’armes autonomes (robots) qui nous semblent hors de portée des cadres éthiques actuels et encore trop confus d’un point de vue technologique. Si nous ne faisons volontairement pas appel à l’Intelligence artificielle (IA) pour la partie effecteur, l’assistance programmatique reste permanente, maîtrisée et limitée à des briques d’algorithmes d’aide au traitement chirurgical des cibles, sous contrôle « total » et « intégral » de l’humain. Elle est donc qu’une assistance au tir, permettant de discriminer des zones (létales/non létales, amies/ennemies).
Quant à l’autonomie, celle-ci est limitée à la plateforme mobile pour sa propre logistique et pour le contournement des obstacles, le rattrapage de cap par positionnement GPS, la gestion des obstacles sur des itinéraires programmés à l’avance, le déplacement en mode « le chien suit son maître » (la plateforme se déplace dans le sillage du chef de section et s’arrête quand celui-ci s’arrête…).
Toute autonomie même partielle de la plateforme mobile et de la séquence de tir, s’entend donc en mode exclusivement « asservi » ; c’est l’humain qui décide, toujours.
Snibot® SCAR308 - calibre 7,62 x 51 mm - versions à roues
Cette distinction entre robots et drones, nous permet ainsi d’éviter de buter sur l’obstacle de l’IA et de l’autonomie, alors même que des systèmes télé-opérés ultra-efficaces et répondant au cahier des charges du droit – ce que nous allons voir –, pourraient voir le jour rapidement.
Fort de ce premier choix stratégique, nous pouvons dérouler une analyse simple sur l’adéquation de l’effecteur de précision avec la contrainte éthique et juridique, sans pour autant faire appel à des subtilités légales, techniques et de doctrines. Il s’agit de comprendre « l’esprit » de l’éthique et s’inscrire dans cette démarche. Il convient ensuite de montrer les plus-values apportées par ces technologies par rapport à notre arsenal actuel, et comprendre pourquoi elles pourraient demain se substituer en partie, à l’humain.
Que disent l’éthique et le droit ?
En tant que participant à un projet de développement de drones armés, nous avons commencé par nous poser les questions suivantes : Que disent l’éthique et le droit ? Sommes-nous compatibles avec ce cadre ? En reprenant de multiples textes sur le droit de la guerre et le droit international humanitaire, nous sommes finalement arrivés à la conclusion que l’esprit des textes ouvre la voie à de nouvelles technologies sous réserve de respecter son principe supérieur : imposer un principe de préservation de la vie humaine autant que possible et, ne pouvant empêcher les conflits, chercher à réduire l’impact des armes en termes de dégâts, surtout sur les populations civiles. Ainsi de l’Article 35 du DIH qui décrit sa règle fondamentale : « Il est interdit d’employer des armes, des projectiles et des matières ainsi que des méthodes de nature à causer des dégâts superflus ».
Nous constatons que ce qui est interdit est finalement ce qui ne sert pas à neutraliser précisément l’ennemi. D’un point de vue tactique et technique, cette norme pourrait se traduire par la nécessité de développer des systèmes d’armes toujours plus précis et capables d’optimiser la distinction entre l’ami de l’ennemi, entre le militaire et le civil, pour réduire les dégâts collatéraux.
D’un point de vue de la légalité, nous avons interrogé la compatibilité de l’usage des armes d’un UGV (Unmanned Ground Vehicule) de catégorie télé-opéré, sur le sol national, avec la Loi sur la légitime défense. En effet, si nous prenons ce cadre juridique des plus contraignants tel qu’il est appliqué sur le territoire français, nous constatons que leur usage, manœuvré par un opérateur, ne s’opposerait à aucune des obligations légales. Si c’est le cas pour la France, on peut penser que leur engagement sur un théâtre d’opérations serait également conforme, juridiquement parlant, en légitime défense de soi-même ou d’autrui.
Ainsi, que ce soit le Droit commun applicable à tout citoyen (art. 122-5 ou 122-7 du Code pénal) ou l’Ordre de la loi (Article 122-4 du CP) et les conditions complémentaires énumérées dans le cadre du Code de la sécurité intérieure (L435-1) ou du Code de la défense (L4123-12), il s’agit de respecter systématiquement deux principes fondamentaux issus du droit européen et repris par le droit national :
• Le respect de l’absolue nécessité, c’est-à-dire la mise en danger de soi-même ou d’autrui, autorisant un opérateur, en dernier recours, à faire usage du feu alors qu’il n’est pas lui-même menacé directement.
C’est le cas, par exemple, d’un tireur d’élite placé à plusieurs centaines de mètres d’un terroriste et caché de ses vues. Que son arme de précision soit entre ses mains, ou posée à quelques mètres de lui avec un système de surveillance et de pointage par caméra « zérotée », un moniteur « multifenêtres » de suivi d’images (en poste fixe sur PC ou sur tablette) ainsi qu’une mise à feu sécurisée de type « MDTD » par impulsion électronique (Module de déclenchement de tir déporté) ne changera rien aux obligations légales : ce n’est pas le moyen qui compte mais bien sa justification.
• La règle de la proportionnalité, c’est-à-dire « des buts légitimement recherchés », imposant que l’usage de la force doit être proportionnel à l’atteinte ou la menace sur une personne. Là encore le moyen pour atteindre ce but, c’est-à-dire faire cesser une atteinte ou une menace sur l’intégrité d’un otage par exemple, n’est pas précisé et reste à la discrétion de l’opérateur.
Notons que la robotisation permettra également d’intégrer diverses autres contraintes, par exemple les obligations imposées par l’article L435-1 du code de la Sécurité intérieure, à savoir la transmission de sommations réglementaires, en intégrant des moyens audio et d’identification ou des marquages de type « Police ».
De même, les phases d’engagement seront enregistrées par les moniteurs de commandes, mises à la disposition de la Justice afin de déterminer des conditions d’usage de la force létale. Ce choix de l’option « drone » aura été en amont validé par les autorités judiciaires, administratives et politiques. Ces dernières bénéficiant d’options variées avec engagement ou non d’effecteurs armés, permettant de limiter les conséquences parfois létales des opérations d’intervention.
À gauche, Mini-Snibot® MS90 - cal. 5,7 x 28 mm - versions à roues et à chenilles
À droite, prototype « 2018 » de la Pièce-feu du Mini-Snibot® MS90
Snibot® intégrant un système d’identification multicritères
De plus, l’intégration de systèmes d’identification multicritères poussés (par exemple : reconnaissance faciale et vocale, biométrie, détection de chaleur, lecteur de signaux RFID, vision multi-Snibot…), s’ajoutant à l’optronique renforcée de dernière génération intégrée dans le système, aideront l’opérateur pour discriminer la bonne cible afin de la traiter avec fulgurance et précision. Ils réduiront les risques de tirs fratricides, de pertes humaines, d’erreurs de ciblages inhérents aux moyens actuels, augmenteront la capacité de distinction ou de discrimination ami/ennemi.
Aussi, il peut être démontré assez facilement que l’usage d’un drone terrestre armé télé-opéré paraît conforme à cette contrainte juridique et éthique, à partir du moment où, humainement opéré, il sera capable d’apporter une capacité de contrôle de la force supérieure à ce qui existe aujourd’hui. Mais beaucoup s’interrogent sur la possibilité qu’une machine puisse se substituer efficacement à l’humain.
Un opérateur « humain » armé parfois moins éthique qu’une machine télé-opérée ?
Si nous suivons ce fil conducteur de l’éthique, visant à tout faire pour préserver la vie, nous comprenons que, dans certaines situations tactiques, seule la machine sera satisfaisante. En effet, la guerre contre le terrorisme moderne, fanatisé et ultra-religieux, a montré les limites de notre arsenal terrestre. Que ce soit face à un combattant djihadiste dans un affrontement de type guérilla sur un théâtre d’opérations extérieur en combat urbain, ou l’affrontement avec un terroriste menant une action de chantage en espace clos, l’opérateur comme le politique peuvent se trouver uniquement face à de mauvais choix.
Dans les années 1990, le concept du « zéro » mort de l’Armée américaine avait été un échec. Il n’avait pas prévu l’émergence d’un nouveau type de combattants plus religieux que militaires et qui allaient mettre en œuvre de nouvelles doctrines de guérilla extrêmement efficaces dans le cadre de conflits asymétriques émergents : l’usage de l’arme humaine du Chahid (martyr), de l’Inghimassi (combattant djihadiste équipé d’une arme légère et d’une ceinture explosive), de bombes roulantes ou volantes pilotées (11 septembre 2001) renforcé par le développement intensif des Engins explosifs improvisés (EEI) a donné un avantage psychologique à l’ennemi, allant jusqu’à traumatiser durement les populations civiles, et à bousculer jusqu’à la première puissance militaire mondiale.
À la suite des attentats suicides du 11 septembre et les vagues qui ont suivi, j’ai souvenir au GIGN de nos préoccupations en tant qu’unités de contre-terrorisme, face à ces nouvelles formes de prise d’otages et d’attaques suicidaires. Alors que je commandais cette unité, j’avais à l’époque été interpellé par la résolution de la prise d’otages de Moscou en 2002 par les Forces spéciales russes. Ayant pu me rendre sur place et interroger des ex-otages, mais aussi des membres du groupe Alpha ayant participé à l’opération, ayant longuement échangé avec le docteur Rochal en charge des négociations, j’avais à l’époque pressenti que, face au chantage de la destruction et du suicide, seules des armes non conventionnelles pouvaient permettre d’ouvrir des options plus avantageuses.
Ce que ne comprirent pas les médias occidentaux et bon nombre d’experts, c’est que l’usage de gaz anesthésiants par les forces spéciales russes sur cette prise d’otages fut une réussite même si le bilan des morts fut encore dramatique. Car il était évident – pour ceux qui connaissaient l’impasse de la situation de départ (piégeage massif de l’espace, plus de 30 terroristes suicidaires, armement lourd, nombreuses femmes portant des ceintures d’explosifs, revendications inacceptables…) – que sans cette « arme » secrètement développée par les Russes, il aurait été fort probable que le chaos final se serait soldé par plusieurs centaines de morts supplémentaires. En réalité, aucune unité au monde, dotée uniquement d’armes conventionnelles, n’aurait pu proposer une solution tactique plus satisfaisante. La conclusion était simple : il fallait opposer aux armes à feu, aux explosifs et aux différents piégeages, non plus seulement des super-commandos mais des systèmes d’armes plus modernes, plus vifs, plus fulgurants, plus surprenants qui permettraient de contourner cette affreuse nécessité de confrontation d’homme à homme.
Car le terroriste fanatique et religieux a appréhendé notre instinct de protection de la vie : les otages deviennent des appâts pour nous attirer dans une confrontation mortelle où tout le monde doit mourir. Sur un théâtre d’opérations (Mossoul) la population civile est utilisée comme un bouclier humain ralentissant les opérations militaires, et les poussant à des tactiques de rouleaux compresseurs coûteuses en destruction. Une vie pour une ou plusieurs vies d’otages, policiers ou militaires, est la stratégie djihadiste du faible au fort dans cette forme de combat. Une impasse tactique dans laquelle aucune solution n’est valable pour les unités policières ou militaires et encore moins pour le Politique.
Dans cette confrontation à la « Bataclan », le terroriste gagne toujours car aucune manœuvre, aucune arme n’est capable d’apporter suffisamment de précision et de vélocité dans l’intervention, pour agir plus vite que l’ennemi, pour le prendre par surprise. Ainsi, le dilemme des forces spéciales est le suivant : intervenir en dernier recours, quand la situation du moment est devenue humainement inacceptable, mais il est souvent trop tard. Ou intervenir rapidement pour tenter quelque chose, au risque de faire prendre des risques énormes sur la vie des civils et des opérateurs. Mais à chaque fois, l’éthique supérieure visant à protéger la vie, à s’inscrire dans un calcul de « rationalisation » de la violence est vaine. Le combattant djihadiste que ce soit en mode guérilla ou terroriste, pousse les forces dans un retranchement en les obligeant, en quelque sorte, à bafouer leur propre morale. Il sait que l’engagement de l’État, poussé dans ses retranchements, risque d’occasionner des pertes collatérales qui seront difficilement acceptables par l’opinion ; il cherche à faire porter sur le Politique la responsabilité du chaos final. Ainsi, de l’opération de la police française au Bataclan qui, si elle réussit à neutraliser les derniers terroristes, ne put que constater que le massacre avait déjà été commis. Ce qui est vrai pour les opérations de contre-terrorisme est également pertinent dans le combat de contact en localité. De manière extrême, nous pouvons presque constater que l’engagement d’opérateurs humains dans ces situations peut s’apparenter à une victoire de l’ennemi : car c’est justement ce qu’il recherche en attirant des vies vers lui. Que ce soit sous la forme d’actions terroristes ou d’actions de guérillas, le combattant djihadiste conçoit des manœuvres en partant de ce constat : il a compris que l’humain était notre véritable fragilité. Sans cette opposition, il est fort probable que sa stratégie de la peur perdrait de son intensité.
Unité spéciale à l’assaut avec un drone à roues Snibot® SCAR308 - cal. 7,62 x 51 mm - idée de représentation
Alors, si l’éthique revient à une recherche permanente du moindre coût humain des opérations militaires ou de police, il devient une obligation morale de chercher de nouvelles technologies permettant de contrer cette stratégie de la terreur. Au fond, nous pourrions même nous demander si la population ne pourrait pas justement exiger davantage de « mécanisation » dans les engagements ? En fait, cela ne lui viendrait pas à l’idée pour la simple et bonne raison que le public ne connaît pas les avantages techniques et tactiques que pourraient apporter ces nouveaux systèmes d’armes. Dans la grande majorité l’opinion est que, dans l’action, l’humain sera toujours plus efficace et mieux contrôlé que la machine. En réalité, ce postulat ne sera bientôt plus une réalité.
Le drone d’hyper-précision : rêve ou réalité ?
Alors que j’étais commandant du GIGN, nous avions commandé une solution de test et de réglage de nos armes et munitions, pouvant faire office de banc « standard » d’évaluation et de test balistique de haute précision. Le créateur de cet outil novateur – M. Philippe Levilly – était venu nous installer son « stabilisateur de tir », toujours opérationnel aujourd’hui. Celui-ci est composé d’un bras mécanique doté d’un berceau à translation rectiligne avec absorption du recul et doté d’une articulation de pointage tridimensionnelle à jeux compensés permettant de brider n’importe quelle arme. Il permet ainsi de réaliser les micro-pointages nécessaires, afin de viser un point précis sur la cible et mesurer l’écart entre le point visé et le point de chute du projectile. Pour ce faire, le banc de test (la machine à tirer) doit garantir à l’ensemble accouplé (la machine à tirer et l’arme) le retour en position de référence dans l’espace après chaque coup de feu.
Banc de test et de réglage pour armes légères Stabilisator 3000 A1® (référence Otan : 1290-14-4834878-Stabilisator 3000 AEL-FA2N4)
En fait, la logique développée par cet ingénieur était simple : la balistique intérieure et extérieure des armes légères et de leurs munitions étant une science inexacte, il était indispensable de supprimer le paramètre humain particulièrement aléatoire, pour se recentrer sur les seules données fiables d’un dispositif de test balistique de technologie avancée (2). Par la suite, de nombreuses organisations et Armées étrangères se dotèrent de ce dispositif (3). En posant ce constat, Philippe Levilly ouvrit une réflexion pour la mécanisation du tir à partir d’armes légères ; ce qui existait déjà pour le tir avec armes lourdes (artillerie et cavalerie) : il suffisait de positionner son stabilisateur de tir sur un bras articulé, lui-même combiné à un ancrage qui pourrait être une plateforme mobile télé-opérée à roue ou à chenille, ou même à pattes, pour le transformer en drone de combat. Ce fut la naissance du projet de création d’un « drone snipeur » désormais appelé Snibot®.
Soulignons qu’en août 1999, cet ingénieur français rencontra aux États-Unis, un des responsables du « Close Combat Armaments Center » de l’US Army, M. Curtis Johnson véritable référence dans la R&D américaine. Celui-ci, en recevant les bancs de test portables et universels Stabilisator 3000 A1™, comprit également le potentiel opérationnel et confirma à son créateur l’intérêt d’étudier une « mécatronisation » de sa machine à tirer « unique au monde » en vue d’une possible utilisation spécifique à des besoins de l’US Army (4). Cette dernière accepta même de signer un accord de secret sur le sujet (décision assez rare vis-à-vis d’un ingénieur français). Hélas, les discussions avec les Américains concernant l’évolution de la machine à tirer devenue l’UGV Snibot® seront stoppées par les conséquences des attentats du 11 septembre 2001 obligeant l’US Army à faire face à d’autres priorités urgentes et plus classiques. Elles reprendront néanmoins en 2015 avec le Foreign Comparative Testing (FCT) de l’US DoD Development & Acquisition Programs.
En France, une première phase de l’étude de la « mécatronisation » et du « shooting rest » fût réalisée entre 2006 et 2013, puis une seconde phase entre 2014 et 2018, en étroite collaboration avec un ingénieur-mécatronicien (5).
Ce qui ressortait de cette première phase de l’étude est que l’humain, en mode tireur, est aussi une machine à tirer. Mais, comparé à une machine à tirer (que ce soit dans le cadre de la fonction « banc de test balistique » ou la fonction « drone effecteur »), l’humain est constitué d’une masse molle fragile en soi, et dont les caractéristiques (tonicité…) changent en fonction de la fatigue, du stress, de l’émotion, du moral, de la motivation, de la concentration… et aussi des données d’origine cérébrale. Même si cela semble être une « lapalissade », les machines à tirer en mode combat (exemple de l’artillerie) demeurent des dispositifs mécaniques et technologiques qui n’ont pas peur de mourir et qui sont moins vulnérables aux tirs (blindage). En fait, ce point évident n’est pas un détail quand il s’agit d’hyper-précision. Cela fait même toute la différence : la technologie apporte une précision supérieure à l’humain, parce que ce dernier est sujet à des paramètres sensoriels et psychologiques qui ne lui permettent pas, dans une situation d’affrontement, de mobiliser 100 % de ses capacités. Dans un engagement de combat, le stress des enjeux pour lui-même, réduit considérablement ses capacités cognitives et physiques, obérant de fait son efficacité au moment le plus crucial ou il devra cibler, exécuter et maîtriser son tir. Or, un drone est guidé par un opérateur qui est épargné du stress direct des tirs ennemis et qui sera beaucoup plus opérationnel dans cette phase critique offrant une véritable capacité chirurgicale d’intervention. En plus de son blindage, le système d’arme est conçu pour fonctionner avec des algorithmes permettant d’effectuer du Tir de précision assisté par ordinateur (TPAO) permettant une gestion du seuil de létalité des traitements supérieure à celle de l’humain. Elle consiste exclusivement en une assistance au tir, sous le contrôle permanent de l’opérateur, pour discriminer davantage les zones non-organiques à traiter (létales/non létales, amies/ennemies) par l’amélioration des contrastes, le rattrapage des écarts, le pixel tracking, l’exclusion des zones vitales, l’utilisation de la réalité augmentée (bibliothèque de réticules électro-positionnables…). Ils reposent sur 4 algorithmes principaux :
– algorithme d’aide à l’affinement du réglage de la visée durant les tirs ;
– algorithme d’aide au retour « en instantané » après chaque coup de feu ;
– algorithme d’aide au maintien du pointage par verrouillage de la cible et poursuite de pixels ;
– algorithme de traitement « gradué » des cibles organiques par « Exclusion des zones vitales ».
Snibot® SCAR308 - cal. 7,62 x 51 mm avec console de commande
Comme nous l’avons évoqué plus haut, un degré d’autonomie n’est envisagé que sur la plateforme mobile, permettant au drone un calcul d’itinéraire et d’évitement des entraves pouvant bloquer sa progression, mais aussi en termes de logistiques en zone de combat.
Aussi, concernant l’identification des cibles et l’ouverture du feu, le Snibot®, quelle que soit l’appellation ou la spécificité de la machine selon la version (drone effecteur statique, UGV armé ou drone armé mobile…), ne pourra en aucun cas être un « robot tueur » porteur d’armes autonomes, pouvant contrôler, détecter, sélectionner et attaquer des cibles sans contrôle humain au sens de l’article 36 du Protocole additionnel I de 1977.
Snibot® SCAR308 : deux en version « ancrage pour FOB » et un en version « UGV roues »
Remarquons que ces systèmes peuvent également fonctionner avec des tirs d’armes non létales en complément, permettant de régler des situations intermédiaires en réduisant le risque d’usage non proportionné de la force. Cela peut être le cas pour la protection des Opérateurs d’importance vitale (OIV) face à des groupuscules violents mais non armés. Ils pourront également être employés dans des zones contaminées ou piégées (centrales nucléaires, usines chimiques…), impossible d’accès pour les personnels, ou pour la protection de FOB (bases avancées) en territoire étranger. Différents modèles de Snibot® seront développés en fonction des spécificités des missions (du calibre 9 x 19 mm au cal. 12,7 x 99 mm).
Au final, si les drones effecteurs de type Snibot® sont conçus techniquement pour être des drones effecteurs (« Ethical by design » selon SD4E), leur capacité opérationnelle participe également à cette norme morale en offrant une force de frappe d’ultraprécision, suffisamment robuste et agile pour agir au cœur de la souricière tendue par l’ennemi, que ce soit en contre-terrorisme ou en combat urbain. Sans cet atout, le drone armé ne peut prétendre s’inscrire totalement dans l’esprit du droit international. C’est donc bien la haute précision et l’absence d’humain au contact qui apportent l’argument permettant de justifier cette rupture dans la manière de combattre du fantassin : l’arme pourra être dorénavant désolidarisée de son maître. Celui-ci gardera son contrôle et son usage, mais sans avoir à s’exposer aux mêmes conditions. Il pourra projeter le feu au contact, n’offrant à l’ennemi que des plaques de métal, ferrailles, un peu de technologie avancée et une valeur matérielle relative.
À gauche, Snibot® SCAR308 - cal. 7,62 x 51 mm – version à chenilles
À droite, prototype « 2015 » de la Pièce-feu du Snibot® SCAR308 (sans son carter carbone)
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Paradoxalement, et au contraire de ce qui peut venir à l’esprit de prime abord, les drones effecteurs terrestres de technologie avancée de type Snibot® sont destinés à devenir des standards éthiques à l’opposé des robots de type Sala.
De plus, ipso facto, ces drones disposeront d’une capacité de neutralisation « anti-Sala » particulièrement efficace de par leur capacité de traitement ultra-précis des zones ciblées (one sensor - one shot).
Les brevets, les technologies, les savoir-faire sont français. Reste à dépasser les blocages psychologiques et à faire preuve d’audace dans la pensée stratégique. Demain, l’ennemi devra comprendre que ce ne sera plus systématiquement une vie contre une vie. ♦
Tous droits de propriété industrielle réservés France et étranger :
US Patent No.: US 9,671,197 B2
US Patent No.: US 9,754,380 B2
(1) Ou, selon l’approche française, de systèmes qui se caractérisent par « l’absence de supervision humaine (recours à de l’intelligence artificielle, de capacités d’auto-apprentissage et de décisions conduisant au ciblage et à l’attaque avec un degré de prévisibilité) ».
(2) Notons que ce banc de test et approuvé et utilisé par les centres d’essais de la DGA, notamment par la DCE-ETBS à Bourges pour le ministère des Armées.
(3) Administrations et sociétés privées en France : Armée de l’air (DCMAA, Direction centrale de l’Armée de l’air), DGA-DCE ou direction générale de l’Armement-Direction des centres d’expertise et d’essais (Groupe d’études et de recherches en balistiques, armes et munitions ou GERBAM - Établissement d'expérimentation technique de Bourges ou ETBS), Armée de terre (STAT [Section technique de l’armée de Terre] - DCMAT [Direction centrale du matériel de l’armée de Terre] - CETID [Centre d’expertise des techniques de l’infrastructure de la Défense] - EI [École de l’infanterie] – Unités spécialisées), Gendarmerie nationale (GIGN), Marine nationale (Naval Group - Forfusco [Force maritime des fusiliers marins et commandos] - Unités spécialisées), ministère des Armées, Police nationale (CREL [Centre de recherche et d’expertise de la logistique] – CTSI [Centre technique de la sécurité intérieure ] - BAPN [Bureau armement de la Police nationale]).
Arsenaux, sociétés privées et administrations à l’étranger : Afrique du Sud, Allemagne, Belgique, Canada, Danemark, Émirats arabes unis (EAU), Finlande, Fédération de Russie, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Irlande, Luxembourg, Norvège, Suisse, Suède, etc.
États-Unis : FBI, INS (Immigration and Naturalization Service), US Marines Corps (USMC), US Army, FN-Herstal USA, USRAC-Browning USA, Winchester...
(4) Il s’agissait de l’intégrer à des programmes émergents de l’époque, tel que Land Warrior et le XM8.
(5) Jean-Jacques Topalian, directeur technique de la société Tecdron, puis de la société Shark Robotics.