Face au retour des stratégies de puissance, assumées de manière décomplexée par des États s’appuyant sur un roman national fort, les démocraties occidentales ont perdu toute l’assurance qu’elles avaient il y a vingt ans, au moment où la généralisation de leur modèle semblait aller de soi. L’ordre international bâti au cours du XXe siècle est remis en cause et on assiste à un retour au système classique d’équilibre des forces. Dans ce contexte d’instabilité, exacerbé par la compétition entre la Chine et les États-Unis, les démocraties européennes courent le risque de disparaître de l’échiquier mondial.
Les démocraties européennes face aux stratégies de puissance néo-impérialistes
« S’il n’y avait que de petites Nations et point de grandes, l’humanité serait à coup sûr plus libre ou plus heureuse, mais on ne peut faire qu’il n’y ait pas de grandes Nations. Ceci introduit dans le monde un nouvel élément de prospérité nationale, qui est la force. (…) La force est donc souvent pour les Nations une des premières conditions du bonheur et même de l’existence. » Alexis de Tocqueville
L’un des tournants majeurs du début du XXIe siècle restera probablement l’incroyable perte d’influence des démocraties sur la scène internationale qui va même jusqu’à ébranler leur confiance dans le modèle qu’elles incarnent. L’avènement de nouvelles stratégies de puissance, manifestées de manière éclatante par le comportement de la Chine et de la Russie, dans un contexte de compétition internationale exacerbée et d’affaiblissement du multilatéralisme, révèle leur difficulté à trouver une réponse adaptée aux enjeux de notre temps. En à peine vingt ans, les démocraties libérales, qui étaient sorties victorieuses de la guerre froide et étaient censées imposer leur modèle au monde entier, sont passées de l’assurance au doute. Elles se trouvent aujourd’hui singulièrement désarmées au moment où des acteurs désinhibés s’affranchissent des principes établis et ambitionnent d’établir de nouvelles règles pour les relations internationales. Les démocraties sont d’autant plus désarmées qu’en même temps elles subissent une forte contestation interne. La remise en cause par une partie de leurs populations des effets d’une mondialisation réputée « heureuse » en est la manifestation.
Pour les Occidentaux, c’est un réveil brutal : ils ne sont plus le modèle ! Pétris d’idéaux de liberté individuelle, de libre circulation des biens et portés par la noble ambition de la « paix perpétuelle » entre Nations, ils constatent pour la majeure partie d’entre eux l’échec des institutions qu’ils ont eux-mêmes instaurées et le retour à un monde brutal de compétition. A contrario la démocratie américaine s’en trouve forte aise. Ainsi le modèle démocratique-libéral-occidental est en crise existentielle. Les mots d’Alexandre Soljenitsyne déclarés à Harvard en 1978 dans son discours sur le déclin du courage en Occident, bien que prononcés dans un autre contexte, sont interpellant : « la pensée occidentale est devenue conservatrice : pourvu seulement que le monde demeure tel qu’il est, pourvu seulement que rien ne change ! Le rêve débilitant du statu quo est le signe d’une société parvenue au bout de son évolution ». Afin que ce discours ne reste pas comme celui d’une prophétie qui s’est vérifiée, un sursaut est nécessaire.
C’est dans ce contexte de fragilité que les démocraties occidentales ont abordé la crise mondiale du Covid-19. Véritable « cygne noir » redouté par les analystes (1), elle constitue déjà une rupture stratégique pour ce début de XXIe siècle. Il convient là aussi de ne pas s’illusionner : les choses ne continueront pas à l’identique à l’issue, le statu quo ne sera pas possible. Cette pandémie aura nécessairement des conséquences plus importantes en termes de relations internationales qu’une simple inflexion dans les principes de la mondialisation. Elle pourrait aussi être un accélérateur du déclassement des démocraties et, pour ce qui concerne l’Europe, son issue pourrait mettre en péril la solidité même de l’Union européenne. Ainsi, il importe de bien se préparer pour aborder un monde devenu instable alors même que le système des relations internationales, mis en place dans la seconde partie du XXe siècle, vacille. Un nouvel ordre est en gestation, beaucoup plus proche d’un système classique d’équilibre des puissances tel qu’il était à l’issue du Congrès de Vienne en 1815. Les questions sont finalement assez simples : faut-il s’accrocher coûte que coûte à un multilatéralisme bafoué par les principaux acteurs internationaux ? Les démocraties occidentales ont-elles encore une capacité d’influence sur l’ordre mondial en gestation ? Le régime de la démocratie libéral est-il encore attractif ? L’Europe et la France y auront-elles une place significative ? Regretter l’ancien monde ne sert à rien, il faut maintenant s’apprêter à affronter celui qui s’ouvre devant nous.
Cet article se propose de faire un rapide retour sur les stratégies de puissance à l’œuvre, de comprendre ce qui fragilise tant les démocraties dans la période actuelle, avant de soumettre une réponse inspirée du réalisme. Elle consiste, en premier lieu, à accepter l’évolution des relations internationales pour les accompagner et non plus les subir, puis en second lieu, à assumer une stratégie de puissance adaptée à l’échelle de la France et de l’Europe. À ce titre, les concepts de « souveraineté européenne » et de « puissance d’équilibre », promus par le président de la République dans ses récents discours de la Sorbonne et de l’École militaire (2), constituent les orientations claires qu’il convient de décliner. La crise du Covid-19 peut être l’électrochoc malheureux dont nos démocraties ont besoin pour se ressaisir. Espérons qu’elle ne sera pas un nouvel événement pour les affaiblir, un risque non négligeable.
Un monde en proie aux intérêts de puissance
Le début du XXIe siècle a vu s’accélérer le nombre des phénomènes capables de déstabiliser le monde : parmi eux, certains constituent de vraies ruptures dont les conséquences sont encore mal mesurées. Ils ont en commun de favoriser le déploiement de stratégies de puissance poussées par des États désinhibés et décidés à s’imposer sur la scène internationale. Il est important de commencer par rappeler ces grandes caractéristiques du monde d’aujourd’hui pour comprendre combien elles remettent la force au premier plan des relations internationales. Mondialisation débridée, affaissement du multilatéralisme, émergence de nouveaux espaces de conflictualité, persistance des périls sécuritaires et, bien sûr, retour de l’impérialisme, sont les cinq caractéristiques qui ont été retenues.
D’abord, il convient de s’arrêter sur la mondialisation, tant son évolution récente est probablement ce qui surprend le plus un observateur des relations internationales. Ce processus, porté par le libre-échange et la promesse d’une prospérité bénéficiant à l’ensemble de la planète, tourne, en ce début de siècle, à un affrontement économique impitoyable entre les deux plus grandes puissances économiques du moment : la Chine et les États-Unis. Au-delà des accords commerciaux qui sont contournés et des mesures de rétorsion réciproques, c’est toute l’économie qui en pâtit, car leur terrain d’affrontement se déroule à l’échelle mondiale. Ainsi, lorsque l’UE étudie la possibilité de déployer dans sa zone tout ou partie de la 5G avec l’entreprise chinoise Huawei, les États-Unis, qui s’y opposent, n’hésitent pas à menacer les Européens de droits de douane sur le secteur de l’automobile. Cependant, l’ère de compétition généralisée qui s’est ouverte par cette mondialisation débridée ne concerne pas uniquement les États. La mondialisation a, en effet, révélé la puissance de nouveaux acteurs que sont les entreprises internationales, dont les plus grandes ont des capitaux qui dépassent ceux de nombreux pays. La capitalisation cumulée des Gafa (3) en fait ainsi la troisième puissance financière mondiale. Elles peuvent alors se trouver en position d’imposer leur norme, ce dont elles ne se privent pas. N’agissant pas toujours uniquement pour leur intérêt propre, elles peuvent également servir de levier à la Nation qui les héberge. C’est évident pour les États-Unis s’agissant des Gafa, mais il en va de même pour la Chine dont les entreprises portuaires, par exemple, permettent une mainmise territoriale sur bon nombre de pays sous couvert d’assurer le déploiement d’infrastructures nécessaires au projet de « la route de la soie ». La mondialisation est clairement aujourd’hui le facteur principal qui redistribue les cartes de la puissance.
Le deuxième sujet est le plus préoccupant pour l’ordre international. C’est l’affaiblissement, voire la décomposition, du multilatéralisme et de ses principes, tels qu’ils avaient été élaborés au cours du XXe siècle. Portée par des institutions voulues par les Nations ayant remporté la Seconde Guerre mondiale, cette organisation des relations internationales repose sur l’ambition de régler collectivement les crises par l’emploi réglementé de la force armée, mais également d’assurer la paix et le bien-être de l’humanité par la défense des droits humains fondamentaux. L’ONU et l’UNESCO (4) portaient ces objectifs, mais au cours du temps, diverses institutions se sont multipliées, soit sous leur égide, soit de manière indépendante jusqu’à l’échelle régionale. Elles se sont néanmoins de plus en plus focalisées sur la sphère commerciale : Banque mondiale, FMI, OMC, G7, G20, OCDE, Aléna, ASEAN (5), UE… Cette multiplication des structures ainsi que leur focalisation sur les champs économiques ont contribué à affaiblir l’ONU dans son rôle de régulateur des relations internationales. Plus encore, sous l’impulsion notable de la Chine, certaines de ces organisations tendent à s’affirmer comme des alternatives crédibles voire purement concurrentes. C’est le cas de l’Organisation de la coopération de Shanghai (6), remise en avant par la Russie et la Chine comme une réponse régionale asiatique pour contrer ce qu’ils considèrent comme l’hégémonie occidentale sur les institutions internationales. C’est aussi le rôle assigné par la Chine à la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures afin de concurrencer le FMI et la Banque asiatique de développement.
Le cas le plus emblématique de l’affaiblissement du multilatéralisme au sein de l’ONU reste néanmoins le blocage complet du Conseil de sécurité par la pratique des veto russes et chinois depuis les interventions militaires occidentales des années 2000, empêchant de facto toute décision commune sur les crises actuelles. Ainsi, il est frappant de constater le silence des Nations unies à propos de la crise syrienne en dépit des nombreuses saisines. Pour l’illustrer d’un seul exemple récent, le Conseil de sécurité, bien que saisi, a été dans l’incapacité de produire une résolution contraignante lorsque la Turquie a envahi le nord de la Syrie, en octobre 2019, sans aucune concertation avec ses alliés (7). S’agissant de la Libye, le constat est encore plus navrant puisque l’émissaire de l’ONU est systématiquement écarté des négociations : il a même démissionné de ses fonctions sans que cela ne suscite de réaction (8). Les discussions et médiations relatives à cette crise sont orchestrées par Moscou et Ankara, qui souhaitent concurrencer le processus international mené par les Européens, et apparaître comme seules capables de régler le conflit en marge de l’ONU.
Enfin, le sujet le plus inquiétant concernant l’affaissement du multilatéralisme concerne la déconstruction de l’architecture de sécurité et des traités relatifs à la maîtrise des armements. L’abandon ou la non-reconduction, étape après étape, des différents traités régissant le déploiement et les volumes d’armes nucléaires, ainsi que des armes anti-missiles, se succèdent à l’initiative aussi bien des États-Unis que de la Russie. Le cas le plus significatif est celui du retrait du FNI (9) qui supprime à l’échelle mondiale la contrainte sur l’interdiction du déploiement des armes de moyenne portée et de faible puissance nucléaire. De la même manière, le retrait du JCPOA (10) par les États-Unis ouvre la porte à un réarmement de l’Iran. À bien des égards, on peut considérer que, du point de vue des armements nucléaires, les équilibres dissuasifs reviennent à la période des années 1950, c’est-à-dire sans aucun cadre international. À la différence majeure, qu’à cette époque, il n’y avait que deux pays dotés de l’arme nucléaire et que ces dernières étaient peu nombreuses et de conception basique : les techniques de « mirvage » et de miniaturisation, qui ont permis le déploiement de nombreuses armes et de têtes multiples, n’étaient pas encore abouties. Ainsi, la phase actuelle d’affranchissement unilatéral de tout le cadre de sécurité fait entrer le monde dans une fragilité des équilibres dissuasifs sans précédent. La décorrélation entre les négociations diplomatiques sur la maîtrise des armements et les stratégies nucléaires rend même plausible l’emploi des armes de faible puissance. Il devient donc important d’entamer des discussions pour faire évoluer des traités qui ont été signés à partir des années 1960 dans une logique bipolaire de guerre froide car leur abandon unilatéral est facteur d’instabilité.
La troisième grande caractéristique de ce début de siècle est l’émergence de ce que l’on nomme « les nouveaux espaces » et le lieu d’affrontement qu’ils constituent. Cette appellation regroupe l’ensemble composé par les réseaux informatiques, l’espace numérique physique et logique, l’espace exo-atmosphérique, mais également la sphère informationnelle créée par les échanges sur les réseaux. Apparaissant initialement comme des domaines purement immatériels, « nuageux » pour employer une traduction française, et donc inaccessibles physiquement, ces nouveaux espaces ont été longtemps considérés comme une sorte « d’éther » dans lequel il n’y avait pas possibilité d’intervenir en raison de sa virtualité. Il s’avère en fait que ces espaces s’adossent bien sur des principes physiques et qu’ils s’appuient sur des lieux et des équipements : réseaux de communications, serveurs, noyaux, câbles sous-marins, satellites, stations de contrôle…. En tant que tels, ils sont donc soumis à des lois concrètes et à des principes communs comme la délimitation de frontière et la propriété. La sphère informationnelle n’y échappe pas non plus. En effet, il existe un maillage physique des réseaux et des liens interpersonnels constitués : les données individuelles sont bien stockées quelque part, elles ne flottent pas dans le nuage ! Ainsi, cet espace en friche est tout à fait comparable à la terra incognita des premiers explorateurs car il n’y a quasiment aucune règle régissant les interactions des acteurs et, lorsqu’il y en a, elles sont minimalistes pour ne brider personne. C’est grâce à cela qu’il s’y déroule aujourd’hui le plus grand nombre d’affrontements mêlant intérêts des Nations, puissance des groupes industriels, appétits du crime organisé. Les cyberattaques peuvent tout bloquer, la captation des données devient un enjeu et les fausses informations peuvent enflammer les réseaux jusqu’à susciter des réactions déstabilisant les États eux-mêmes. La lutte est féroce, mais il serait faux de penser qu’elle n’est l’objet que d’individus ou de groupes constitués : comme ailleurs dans les luttes de puissance, les États ne sont jamais loin – et ce d’autant plus que ces nouveaux espaces permettent de développer des stratégies de puissance à faible coût et gain maximal. L’ayant parfaitement compris, la Russie les utilise aussi bien pour conduire des attaques informatiques non attribuables que pour manipuler les opinions (11).
Une quatrième caractéristique de ce début de siècle est la persistance des périls sécuritaires à l’échelle de la planète. Les défis environnementaux, leurs conséquences potentiellement dévastatrices, les phénomènes migratoires, la permanence des risques terroristes et de la criminalité organisée sont autant de sujets qui prouvent que le monde reste instable ! Il faut bien sûr y ajouter le risque des pandémies dont la puissance et la récurrence risquent de croître comme la crise du Covid-19 nous le rappelle. Face à ces multiples menaces sur la sécurité du monde, la capacité, mais surtout la volonté, des États diffèrent sensiblement – et ce d’autant plus que ces menaces peuvent aussi faire l’objet d’une exploitation pour servir des intérêts de puissance. La Turquie utilise ainsi la crise migratoire comme une « arme humaine » contre l’UE (12). Dans un autre registre, l’incapacité collective à régler la crise climatique, avec notamment le retrait de l’Accord de Paris par les États-Unis, montre que dans le domaine des périls sécuritaires, l’intérêt national l’emporte rapidement sur la solidarité. L’absence de coordination internationale au déclenchement de la crise du Covid-19 en est également une illustration.
Enfin, la dernière grande tendance recoupe toutes les précédentes. Il s’agit de l’affirmation de la puissance comme mode normal des relations internationales pour des pays souhaitant renouer avec un passé impérialiste. C’est l’application d’un principe de puissance classique tel que défini par Raymond Aron : « J’appelle puissance sur la scène internationale la capacité d’une unité politique à imposer sa volonté aux autres unités. (13) ». La Russie et la Chine sont évidemment dans ce cas, mais il convient aussi de citer la Turquie et l’Iran. Ces États, disposant d’une histoire ancienne, peuvent s’adosser sur un récit national fort ainsi qu’une tradition philosophique et religieuse alimentant facilement un discours unitaire : orthodoxie, confucianisme, ottomanisme ou chiisme et héritage perse pour ne citer que les principales. La particularité de ces États est également de s’adosser sur des régimes autoritaires qui savent s’insérer dans une économie capitaliste mondialisée. Ils tirent leur force du soutien qu’ils arrivent à obtenir de leur population grâce au contrôle qu’ils exercent sur elles et des succès qu’ils obtiennent en contestant un Occident réputé décadent et aux visées hégémoniques.
Sans avoir des intérêts impérialistes à proprement parler, il convient également de citer d’autres pays qui peuvent accéder au statut de puissance, au moins régionale, et qui souhaitent compter sur la scène internationale : l’Inde, le Brésil et, dans une certaine mesure, l’Égypte. Le panorama de ces États ne saurait être complet sans citer les États-Unis dont le rapport à l’impérialisme a toujours été ambivalent. Ne pouvant s’adosser sur un roman national disposant d’une profondeur historique aussi longue que les autres pays cités, on peut plutôt parler, s’agissant de la nation américaine, de « volonté hégémonique » ou « d’hyperpuissance ». Dans les deux cas, il s’agit tout de même d’étendre son influence le plus largement possible. Les États-Unis sont ainsi passés d’un impérialisme que l’on peut qualifier de « messianique », visant à imposer la démocratie et le libre-échange au monde entier, à un impérialisme beaucoup plus commun, centré sur l’extension de leur influence afin de défendre leurs intérêts nationaux. Le virage entamé par le président Trump, avec son slogan « America First », est significatif de cette inflexion majeure qui signe un repli sur soi et l’abandon de l’universalisme.
La démocratie ébranlée
Face aux enjeux d’un monde qui renoue avec des stratégies de puissances et qui s’affole, pour reprendre l’expression de Thomas Gomart (14), les Nations occidentales, à l’exception significative des États-Unis, semblent incapables de réagir, voire cèdent du terrain. Cette position de retrait, notamment des Nations européennes, nous interpelle sur les raisons qui en sont la cause, jusqu’à interroger la pertinence du modèle de la démocratie libérale en lui-même. En effet, ce modèle qui devait s’imposer comme une évidence et se répandre dans le monde à la fin de la guerre froide jusqu’à atteindre la « fin de l’histoire (15) », n’a plus vraiment le vent en poupe aujourd’hui. Le régime démocratique n’apparaît plus comme un idéal pour des pays aspirant à une transition politique. Ces derniers lui préfèrent souvent des modèles autoritaires qui donnent le sentiment d’une meilleure adéquation pour répondre aux attentes de la population. Ainsi, de nombreuses études, publiées tant par des journaux que par des observatoires indépendants (16), s’accordent pour dire que depuis une dizaine d’années la part des pays ayant des régimes démocratiques ou, tout au moins dans lesquels les libertés fondamentales sont maintenues, est en recul constant. On estime aujourd’hui que la moitié des États au monde sont des démocraties (soit environ quatre-vingt). Pourtant l’étude annuelle menée par le think tank Freedom House met en évidence le fait que depuis une dizaine d’années les principes démocratiques sont en recul quasiment partout y compris au sein des grandes Nations (17). C’est dans cet esprit qu’une lecture un peu rapide des premières réponses nationales à la crise du Covid-19 tend à présenter chez certains analystes le fait que les régimes non démocratiques s’en sortent mieux que les autres, et ont apporté des réponses plus adaptées. Ce propos est évidemment contestable, ne serait-ce qu’en regardant les résultats de la Corée du Sud ou, de l’autre côté, les doutes sérieux sur la transparence du régime chinois, mais il montre bien que la démocratie ne s’impose plus comme une évidence. Comment ce modèle a-t-il pu perdre aussi rapidement son pouvoir d’attraction ? Est-il condamné à disparaître face aux attaques des régimes autoritaires ?
La première raison pour expliquer ce renversement de tendance très rapide est liée au fait que le modèle de la démocratie libérale s’est discrédité à l’échelle internationale. Ce discrédit est à mettre au compte de deux causes principales. La première correspond à la crise financière de 2008 signant les limites du libéralisme économique. Et la seconde est la conséquence des échecs des interventions militaires extérieures des années 2000 pour imposer la démocratie à des États en faillite, sous couvert de lutter contre le terrorisme et d’apporter la paix et la liberté aux populations.
La crise de 2008 a mis en lumière le fait que le modèle libéral abritait aussi un capitalisme financier qui accentue le déséquilibre de richesse entre les Nations. Surtout, ce capitalisme a produit une crise financière dont le système international a mis du temps à se relever et dont il n’a pas tiré toutes les conséquences. Cependant, c’est surtout le second point qui a le plus discrédité le modèle de la démocratie libérale. En effet, pétris des idéaux de la « fin de l’histoire » puis de lutte contre le terrorisme, les États-Unis se sont investis dans la mission d’apporter la démocratie au monde, justifiant ainsi leur interventionnisme et entraînant dans leur sillage de nombreuses Nations européennes. Ces interventions, orchestrées par le courant néoconservateur, soit au nom de la guerre contre le terrorisme (Afghanistan), soit sous couvert de détruire des armes de destructions massives (Irak) ou encore pour les raisons invoquées dans le concept du « Grand Moyen-Orient » par le président George W. Bush (18), n’ont pas apporté les issues attendues et se sont transformées en véritables bourbiers. L’intervention en Libye (2011) a fini par achever ce tableau et a, en tout cas, signé définitivement, pour la Russie et la Chine, le rejet des méthodes occidentales jugées impérialistes. Il faut convenir que nous sommes passés, en un siècle, du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » au « droit d’ingérence démocratique ». Ainsi, alors même que l’on peut concevoir que le souhait d’étendre l’idéal démocratique est une bonne chose en soi, la manière de le réaliser a eu pour effet de discréditer le modèle lui-même. À cet égard, et au-delà des cas cités plus haut, il est patent de constater l’échec de cette stratégie jusque dans les printemps arabes, puisque la plupart des régimes qui ont émergé de ces transitions n’ont pas opté pour un choix démocratique au sens libéral du terme. Ce discrédit lié au comportement des Nations occidentales compte pour beaucoup dans le souhait de plusieurs pays de se tourner vers d’autres modèles comme ceux de la Chine ou de la Russie.
La deuxième raison est probablement la plus grave pour le modèle démocratique en lui-même. C’est celle de l’intense contestation interne dont il est l’objet. On sait que la démocratie repose sur la souveraineté populaire et le transfert de pouvoir qu’elle autorise à ses représentants, à travers un droit de vote exercé régulièrement et une liberté d’opinion qui se traduit par une presse sans entrave. Il est frappant de constater une nouvelle tendance à l’œuvre à l’intérieur des démocraties, porteuse d’un danger existentiel. De nombreux citoyens mettent au compte du caractère libéral de la démocratie occidentale leur paupérisation et leur déclassement, conséquence d’une mondialisation qu’on leur avait promise heureuse. Ce sont ces citoyens, de plus en plus nombreux, qui appellent à un retour des frontières, rejettent la libre circulation et forment le fond de l’électorat dit « populiste ». La crise des Gilets jaunes en France en est un bon exemple. Et c’est cette tendance de fond qui porte au pouvoir dans de nombreuses démocraties des dirigeants prompts à dénoncer les méfaits de la mondialisation et à protéger les intérêts nationaux. Ce faisant, ils prônent un discours de fermeté tous azimuts et s’orientent vers des dérives autoritaires. Cette tendance à la démocratie « illibérale » est personnifiée par le président Victor Orban en Hongrie. Il n’entre pas dans le champ de cet article de traiter plus avant ce sujet, mais il constitue actuellement une vraie fragilité pour le modèle démocratique qui devra obligatoirement se réinventer pour répondre aux attentes des citoyens.
Enfin, la dernière raison qui déstabilise les démocraties dans leur incapacité à répondre efficacement à la compétition est leur difficulté à adopter des postures de puissance. Ce n’est pas le moindre des paradoxes lorsqu’on regarde l’histoire européenne du XIXe siècle. En effet, les notions de démocratie et de puissance ne sont pas a priori antinomiques : les Nations européennes n’ont eu aucune difficulté à affirmer leurs intérêts de puissance en construisant puis étendant leurs empires coloniaux et même en conduisant des guerres. De la même manière, ce sont bien des Nations démocratiques qui ont conduit des guerres après la Seconde Guerre mondiale (Vietnam, Golfe, Afghanistan…). Ainsi, s’il est acquis que les démocraties ne cherchent pas à se faire la guerre entre elles, il faut bien reconnaître qu’elles sont capables d’user de la force militaire pour parvenir à leurs fins contre d’autres Nations non démocratiques. Pourtant, cette évolution guerrière a été sérieusement enrayée, en tout cas en Europe, depuis l’intervention en Irak en 2003. On peut dire que seule la France continue à assumer une position interventionniste. En fait, il faut bien reconnaître que les démocraties rechignent à la guerre par principe. Elles ne l’ont accepté ces dernières années que pour promouvoir des idéaux de liberté. Au bilan, elles se sont retrouvées impliquées dans des guerres insurrectionnelles qu’elles ne pouvaient pas traiter simplement avec des outils démocratiques, ce qui les a enlisées. Confrontées à ces échecs, elles en ont acquis une prudence encore plus forte par rapport à l’implication dans des conflits dans lesquels, de surcroît, elles ne disposent plus systématiquement du soutien de leur opinion publique.
Cependant cette évolution importante conduisant à ne pas réagir aux stratégies de puissance semble également liée au blocage constitué par l’obligation de respecter des normes internationales que les démocraties ont elles-mêmes créées. En effet, ces Nations se sont construites sur le droit et le libre-échange. Elles ont donc institué à l’échelle internationale un ensemble de règles (commerciales, maritimes, droits humains fondamentaux, gestion des ressources…) avec des tribunaux internationaux pour gérer les différends. La réalité est que ces normes sont bonnes si tout le monde les applique. Or, les Nations qui les ont créées se trouvent bien mal placées pour s’en affranchir. Ainsi, face à des États ou des groupes internationaux qui les bafouent délibérément et agissent pour leurs seuls intérêts, les Nations démocratiques se trouvent singulièrement désarmées et particulièrement affaiblies. Lorsque la Chine conteste la liberté de circulation sur la mer en annexant des zones maritimes entières, lorsque la Russie soutient des cyberattaques (19), est soupçonnée d’utiliser un neurotoxique sur le sol européen (20), ou encore lorsque des groupes armés utilisent des procédés barbares pour étendre leur influence en Afrique, il est compliqué de trouver une réponse par le droit. C’est le plus souvent peu efficace et surtout impossible à mettre en œuvre dans des délais pertinents. Et bien évidemment, répondre par les mêmes moyens, est incompatible avec les principes démocratiques. S’agissant de la norme internationale il faut aussi reconnaître qu’il existe une différence d’approche entre les démocraties européennes désireuses d’agir dans leur strict respect, ce qui les fait apparaître souvent comme impuissantes, et les États-Unis, qui ont toujours su s’en affranchir quand c’était nécessaire. Cela a été le cas bien entendu pour l’intervention militaire en Irak de 2003. Cependant, depuis la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer qu’ils n’ont jamais ratifiée, jusqu’à l’imposition de leur juridiction nationale à tous les pays effectuant des transactions en dollar (21), les États-Unis savent s’affranchir des règles internationales et imposer les leurs.
En ce début de XXIe siècle, la démocratie présente un bilan incontestablement contrasté. En recul dans de nombreux pays, discréditée par l’interventionnisme sans discernement de la plus puissante Nation démocratique, fragilisée par une contestation interne et, pour ce qui concerne les Nations européennes, empêtrée dans le respect des normes, la démocratie se trouve singulièrement écornée. Pourtant ses principes fondateurs ont permis l’épanouissement des libertés individuelles et donné une bonne prospérité à de nombreux pays. On pourrait la comparer aujourd’hui à un géant ligoté. Les démocraties européennes apparaissent clairement comme les plus affaiblies dans ce descriptif. Alors que le monde s’engage dans une compétition de puissance, il nous semble important que les Nations européennes dépassent cette crise de modèle pour pouvoir compter dans l’ordre international en cours de redéfinition.
Le système international en transition vers un nouvel ordre
Il faut bien reconnaître que le système international actuel, en proie aux intérêts de puissance, peine, de manière préoccupante, à répondre aux nombreux enjeux du moment. Cette crise du multilatéralisme, telle que nous l’avons décrite, est en fait beaucoup plus celle de la contestation de la domination occidentale sur les organisations en place, qu’une remise en cause de son principe même. Cette contestation est l’aboutissement d’un processus inexorable de « désoccidentalisation du monde » qui suscite de nombreuses réflexions et qui était le thème de la conférence annuelle sur la sécurité de Munich en février 2020 (22). La prédominance des Nations occidentales sur le système bâti au cours du XXe siècle est un fait historique qui s’explique largement, comme nous le verrons un peu plus loin. Cet ordre international a été porté et promu pendant un siècle complet par les États-Unis avec un double objectif : celui de faire disparaître les luttes de puissance des États européens qui ont culminé lors de trois guerres, dont deux mondiales, mais aussi celui de promouvoir la démocratie libérale comme seul système permettant d’obtenir la « paix perpétuelle », selon un idéal kantien. Ces belles intentions, comme on l’a vu, se sont heurtées à l’impossibilité de leur réalisation en raison des modalités unilatérales, et même brutales, de leur mise en œuvre. Ce paradoxe a été bien résumé par Pierre Hassner dont l’expression de « wilsonisme botté » (23), utilisée pour décrire la présidence Bush fils, montre bien l’ambivalence des actions visant à imposer la démocratie par la force.
Dans le même temps, les nouvelles puissances, en particulier la Chine et la Russie, contestent à l’Occident sa position dominante. S’agissant de la Chine, cela s’exprime clairement dans les déclarations de Xi Jinping qui n’hésite pas à présenter la domination occidentale comme une parenthèse de courte durée en comparaison d’un empire chinois millénaire. Il cherche en cela à laver l’humiliation subie par la période de colonisation européenne à partir du XVIIIe siècle et les conséquences des guerres de l’opium (1839-1842 et 1856-1860). Cette rhétorique, objectivement contestable dans bien des aspects, rencontre néanmoins un réel succès. D’autant que cette manière de contester la domination de l’Occident n’est pas uniquement celle de la Chine, elle s’exprime également par l’Inde ou le Brésil. Ils le font de manière moins provocante, mais convaincante dans leur demande répétée de prendre en compte leur influence régionale. L’Inde, forte de sa population et disposant de l’arme nucléaire, soutient ainsi les propositions visant à élargir le nombre des sièges permanents au Conseil de sécurité des Nations unies (24).
La position de l’Afrique mérite également d’être regardée. Le continent est actuellement en proie aux intérêts de puissance chinois et russe. La plupart des pays africains y voient l’opportunité de se défaire d’une emprise des anciens colonisateurs européens. Cette contestation de la domination des puissances occidentales a été décrite en détail par Bertrand Badie dans ses ouvrages et interventions décrivant « l’impuissance de la puissance ». Il appelle de ses vœux une refonte du système international pour mieux prendre en compte les particularismes des Nations non-occidentales dans le cadre d’une approche réaliste. Ainsi, la faiblesse actuelle du multilatéralisme n’est pas tant un problème de la démocratie, qu’une remise en cause de la suprématie des Nations occidentales sur le système international. Dans ce contexte, quelle évolution est possible ?
L’étude des différentes théories des relations internationales permet de constater qu’elles sont toutes bâties sur l’observation du modèle de l’État-nation tel que les Européens l’ont adopté à partir du XVIIe siècle. La plupart de ces théories s’appuient également sur le modèle des cités grecques dont le fonctionnement et l’affrontement est décrit par Thucydide dans La guerre du Péloponnèse. Dans les deux cas les principes sont les mêmes : il s’agit de la manière dont plusieurs acteurs étatiques arrivent à équilibrer leur puissance respective pour éviter la domination totale d’un seul. Ce qui frappe dans ces théories c’est qu’il n’est jamais question d’un modèle asiatique, américain ou africain, au sens continental ou civilisationnel du terme. C’est bien le modèle européen de « concert des Nations » et « d’équilibre des puissances » issu des traités de Westphalie (1648) et du Congrès de Vienne (1815), qui sert de base pour théoriser les modèles de relations internationales. Le modèle de la SDN (25), puis de l’ONU, en est la continuation : il a apporté la notion nouvelle de « sécurité collective » et s’est étendu sous l’égide de l’hyperpuissance américaine mais sa base reste européenne.
Ce condensé des relations internationales permet de tirer deux constats. Tout d’abord la progression du modèle s’est faite en cercles concentriques partis d’un noyau de pays européens jusqu’à l’échelle du monde. Le nombre d’États au sens juridique a augmenté de manière impressionnante, passant après la Seconde Guerre mondiale d’une quarantaine à quasiment deux cents sous le coup des effets successifs de la décolonisation et de la dislocation de l’empire soviétique. Toutefois ce qui est important, c’est que ces pays se sont agrégés à un système occidental, soutenu et porté par les États-Unis. Le second constat, c’est que les trois grands systèmes de relations internationales présentés ci-dessus se sont élaborés après des phases de rupture. Ces phases, plus ou moins longues, étaient en fait des périodes pendant lesquelles se sont déroulées d’intenses luttes de puissance entre États, dont les forces respectives ont fini par s’équilibrer. Il s’agit exactement de la phase dans laquelle nous sommes entrés en ce moment.
La « désoccidentalisation » du système des relations internationales, manifestée de manière évidente par le désengagement américain et l’avènement de stratégies de puissances, ne correspond donc pas forcément à un effondrement du multilatéralisme en tant que tel. Il correspond à la disparition d’une influence dominante, portée tout au long du XXe siècle par la démocratie la plus puissante du monde. La période que nous vivons actuellement est donc celle d’une transition vers moins d’influence occidentale. Le principe de réalité nous oblige à dire que cette période de transition ne pourra se faire que sous l’égide d’un système de lutte de puissance.
Ainsi, l’ordre international né de la prédominance occidentale est en train de s’achever. Il faut s’attendre à en voir émerger un nouveau qui devra prendre en compte avec réalisme les aspirations des nouveaux acteurs. La transition qui s’ouvre actuellement ressemble à s’y méprendre à une période classique « d’équilibre des puissances », telle que le continent européen en a connu régulièrement entre le XVIIe et le XIXe siècles. En ce sens, les Nations européennes peuvent jouer un rôle important au regard de leur expérience historique, en participant à la création d’un nouvel ordre multilatéral sans s’accrocher au système actuel. Pour ce faire, le réalisme impose d’assumer une compétition de puissance de laquelle un équilibre pourra naître. La France et l’Europe disposent d’atouts pour affronter ce nouvel ordre du monde en construction.
Une stratégie de puissance pour arriver à l’équilibre des forces
Forte de la protection américaine, soucieuse d’assurer la paix en son sein et s’étant construite dès le départ sur la coopération économique, l’Europe ne s’est jamais choisi une destinée de puissance. Quand il s’est agi de définir une politique étrangère commune, l’option retenue s’est plutôt apparentée à celle d’un Soft Power tel que théorisé par Joseph Nye (26). Cette stratégie, adaptée à une puissance économique ouverte et libérale, reste de mise, mais ne sera pas suffisante pour affronter la compétition qui s’installe. Aussi, sans emboîter le pas aux stratégies purement impérialistes telles que développées par la Chine, la Russie, mais aussi les États-Unis, il est indispensable de renforcer certains attributs de la puissance afin que l’Europe soit en mesure d’assumer un statut de « puissance d’équilibre » tel que l’entend le président Macron (27).
En considérant les leviers classiques qui permettent de s’affirmer comme une puissance internationale il est certain que l’Europe dispose de suffisamment d’atouts sur lesquels s’appuyer. Elle possède un territoire vaste et une population nombreuse (28) (plus importante que celle des États-Unis et de la Russie réunis), des territoires ultramarins conséquents apportés par plusieurs pays membres de l’UE donnant une portée mondiale et une profondeur stratégique. L’UE est par ailleurs la deuxième puissance économique du monde devant la Chine, elle dispose d’une industrie de pointe dans de nombreux domaines technologiques et une influence importante par la pensée, le patrimoine et la culture. La puissance militaire européenne reste ambivalente. Elle est attestée si on fait une simple addition des forces militaires en présence mais elle est sérieusement affaiblie par un manque d’ambition commune, la concurrence industrielle et une discussion souvent sémantique sur le rôle respectif de l’Otan et de l’UE. Après le départ du Royaume-Uni, la France est la puissance militaire incontestable de l’UE. Pour cela, elle s’adosse sur un modèle d’armée complet, une articulation particulièrement adaptée entre forces nucléaires et conventionnelles, et un système décisionnel réactif. Le rôle de puissance nucléaire historique lui confère une place essentielle comme membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Cette position partagée avec le Royaume-Uni est un facteur de force pour les intérêts européens.
Cependant de nombreuses fragilités existent qui affaiblissent ces atouts : la libéralisation commerciale, qui a ouvert les frontières sans limites, a rendu l’Europe extrêmement dépendante de l’extérieur pour les biens courants, les approvisionnements énergétiques et également pour des domaines stratégiques de plus en plus nombreux. Celui de la santé a été révélé par la crise du Covid-19 mais cette dépendance est extrêmement importante dans de nombreux domaines de l’électronique (téléphonie, réseaux et monde numérique au sens large). La vraie fragilité de l’Europe en termes de puissance reste son impossibilité à se penser comme une puissance militaire autonome et à assumer une défense qui dise son nom. L’une des raisons qui explique cela tient aux fondements de la construction européenne qui s’est développée sur un principe de paix entre Nations après deux guerres mondiales, avec un transfert implicite de la défense du continent vers les États-Unis par l’intermédiaire de l’Otan. La raison fondamentale reste néanmoins la difficulté à trouver une unité politique commune permettant de parler d’une seule voix sur un sujet éminemment régalien, alors que les États ont des approches et des cultures stratégiques très différentes. C’est cette différence importante d’approche entre la France et l’Allemagne, dont les budgets consacrés à la défense sont pourtant les plus importants de l’UE, qui empêche actuellement d’avancer sur le sujet. Le nouveau positionnement américain, tourné quasi exclusivement sur la compétition avec la Chine, et les sollicitations récurrentes du président Trump pour que les Européens assument une plus grande part du fardeau (29), pourraient faire changer les choses.
Renforcer les attributs de la puissance pour l’UE nécessitera donc de consolider ses forces mais surtout de compenser ses faiblesses afin d’être capable « d’imposer sa volonté aux autres (30) », au sens aronien de la puissance. La stratégie proposée devra se développer autour de deux axes. Le premier relève du champ politique afin d’assumer collectivement une stratégie de puissance que le réalisme impose d’adopter. Pour cela, il est urgent de s’engager sur la voie de l’autonomie stratégique telle que proposée par le président Macron et, d’autre part, d’accompagner l’évolution du multilatéralisme en étant moteur dans son évolution. La France, en tant que puissance nucléaire, a toute sa place comme force de proposition. En effet, sa position au sein du P5 et son approche unique d’une dissuasion nucléaire crédible reposant sur la stricte suffisance, doivent lui permettre de faire valoir une position d’équilibre face à la fuite en avant qu’entraîne la déconstruction de l’architecture de sécurité. Les propositions du Président français lors de son discours de l’École militaire (31) doivent servir de base pour avancer dans la construction d’une nouvelle architecture de maîtrise des armements à l’échelle mondiale. Il s’agit de redonner du poids au Traité de non-prolifération (TNP) face au Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) et d’inviter les autres puissances nucléaires à clarifier leur position en faveur d’un désarmement et à s’engager en faveur d’un traité pour l’interdiction de production de matière fissile. La France est quasiment la seule à porter ces sujets qui sont le reflet de sa position singulière de puissance nucléaire responsable. Ils doivent pouvoir faire l’objet de discussions au sein de l’Europe afin de renforcer cette parole d’équilibre à l’échelle internationale. Ces discussions au sein du P5 constitueraient une ouverture intéressante qui pourrait alors fournir l’occasion de rediscuter des blocages du Conseil de sécurité des Nations unies et de travailler à une évolution permettant de mieux prendre en compte la position des autres Nations.
Toutefois pour influer, il faut être écouté et, pour cela, il faut être fort. C’est le second axe. La France ne pourra être forte qu’au sein d’une Europe qui assume une position de puissance mondiale. Pour ce faire, il convient de développer les aspects essentiels à l’existence d’une véritable souveraineté européenne dans un certain nombre de domaines déjà parfaitement identifiés par les Européens : la sécurité des approvisionnements vitaux, le domaine spatial afin de disposer d’une autonomie suffisante, sans oublier la question essentielle de la souveraineté numérique, en particulier dans le domaine des données. Toutefois, la question fondamentale que devra trancher l’Europe, et que la crise du Covid-19 a mise en lumière, c’est celle de son rapport aux frontières. Avoir une économie ouverte constitue un atout, mais il faut assumer que, dans un monde de puissance, il est nécessaire de disposer de frontières pour se protéger et assurer son autonomie. C’est un sujet essentiel, dont le traitement permettra seul d’appuyer toute stratégie de puissance. Cela demandera une remise en question profonde de la manière dont l’Europe pense son ouverture au monde et nécessitera probablement de reprendre l’Accord de Schengen. Il faudra une volonté politique forte qui passera nécessairement par un accord franco-allemand.
Enfin, dans une logique d’équilibre des forces, l’Europe doit pouvoir adopter une position internationale qui la place en situation de contrebalancer les puissances dominantes. Ainsi, l’Europe doit pouvoir peser dans la compétition entre la Chine et les États-Unis en utilisant son espace économique comme un levier permettant d’écouler ou pas les produits des uns ou des autres, selon la situation. De la même manière, elle doit favoriser l’émergence de solutions équilibrées dans la désignation des postes clés au sein des instances internationales afin, là encore, de ne pas laisser libre cours à l’opposition sino-américaine. Vis-à-vis de l’Iran, l’Europe peut et doit continuer à servir de puissance d’équilibre dans le but de contribuer à la stabilité régionale. Enfin, toujours dans une logique d’équilibre, il s’avérerait utile pour l’UE de développer des partenariats avec d’autres puissances moyennes qui pourraient contrebalancer la puissance chinoise ou américaine : l’Inde et l’Australie semblent les partenariats à privilégier. Mais le sujet majeur de géopolitique pour l’Europe reste la relation avec la Russie. L’approche française consistant à renouer le dialogue avec cette grande puissance, incontournable sur le continent, est regardée pour l’instant avec circonspection par ses partenaires européens. Pourtant, elle pourrait servir, là aussi, à un rééquilibrage de la puissance au moment où les États-Unis se désengagent du Vieux Continent.
Pour terminer par ce qui relève plus spécifiquement de la stratégie militaire, adopter une position de puissance conduit à continuer à développer ses moyens en intégrant des armes nouvelles, y compris numériques. C’est tout l’enjeu de la construction d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne. Mais il s’agit également de faire la preuve de sa capacité à intervenir et se déployer. En ce sens, les initiatives européennes récentes sous différents cadres sont les vraies prémisses de la manifestation d’une entité qui souhaite montrer sa puissance : opération EMA-SOH (32) dans le golfe persique, opération de contrôle maritime de l’embargo sur les armes en Libye (33), task force Takuba en appui à la France au Mali (34).
* * *
Assumer un statut de puissance d’équilibre pour l’Europe selon les orientations proposées demande une forte unité politique et une ambition commune. À ce titre, rien ne pourra se faire sans coopération entre la France et l’Allemagne mais, bien au-delà, l’Europe devra faire face à un enjeu de cohésion alors même que son modèle est de plus en plus contesté par ses citoyens et que la coopération est mise à rude épreuve. À cet égard, le départ du Royaume-Uni, même s’il a permis une clarification utile, a été un très mauvais signal pour la puissance européenne. Cette Europe fragile a ainsi abordé la crise du coronavirus en ordre dispersé avec des tensions importantes liées à un manque de solidarité entre les Nations. En plein contexte de gestion de crise, il est difficile de faire des pronostics sur l’issue de cette pandémie au-delà de ses effets dévastateurs sur l’économie. Les conséquences géopolitiques seront sans doute très importantes également, mais restent, pour l’heure, difficiles à mesurer. La tendance à un repli identitaire et souverainiste de chacun des pays européens cherchant à sauvegarder ses propres intérêts est une inclinaison tentante mais qui pourrait se révéler fatale pour la solidité de l’Union. Dans un monde livré aux intérêts de puissance, c’est ce scénario qu’ont intérêt à pousser la Chine et la Russie pour affaiblir un compétiteur pouvant jouer un rôle d’équilibre. Ils l’ont bien compris, et c’est la stratégie qu’ils ont commencé à jouer en soufflant sur les braises de la discorde européenne, en affichant par exemple un soutien appuyé à l’Italie au pire moment de la crise sanitaire (35). Leur intérêt est de continuer à discréditer un modèle occidental, dont on a montré qu’il était en proie au doute, afin de faire grandir leur puissance.
Soixante-dix ans de paix et de prospérité sur leur continent ont fait perdre de vue aux Européens qu’autour d’eux le monde était devenu plus dangereux et plus instable, mais surtout que leur emprise sur sa destinée, via un système de relations internationales à leur main, était en train de passer. Ainsi, au moment où le monde fait face à des enjeux inédits et où le système de relations internationales actuellement en place s’efface, en laissant le champ libre à des stratégies de puissance néoimpérialistes, les Européens se retrouvent au milieu du gué. À la fois doutant de leur modèle et n’osant afficher une ambition de puissance, ils arrivent à l’heure du choix. Il importe qu’ils admettent qu’une transition s’installe dans l’ordre international et que le seul moyen d’y avoir une place est d’assumer avec réalisme un monde en proie aux luttes de puissance. Il ne s’agit pas de s’y lancer pour contribuer au désordre en cherchant à développer une stratégie impérialiste, mais il s’agit de tenir un rôle pour être capable d’influer positivement sur l’avènement d’un nouvel ordre mondial. Ce n’est d’ailleurs pas parce que le multilatéralisme dominé par l’Occident est en train de passer, que le modèle de la démocratie libérale doit être abandonné pour autant. La « fin de l’histoire » n’est certainement pas pour maintenant, mais l’idéal de « paix perpétuelle » sous-tendu, doit pouvoir rester un modèle à atteindre. L’Europe a montré de manière éclatante qu’elle était capable de l’obtenir pour elle-même à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, elle a donc une expérience à faire valoir mais pour ce faire, elle devra être forte et assumer un rôle de puissance qui soit celui d’une puissance d’équilibre dans un ordre international en transition. Le schéma proposé pour la France et l’Europe est celui d’une souveraineté européenne et d’une autonomie stratégique assumées qui passent par des choix importants notamment en termes de frontières matérielles et immatérielles. Cet objectif nous semble atteignable mais il convient de rester vigilant : l’équilibre peut se rompre à tout moment.
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(3) Acronyme reprenant le nom des quatre entreprises américaines géantes du numérique Google, Apple, Facebook, Amazon, auxquelles on ajoute parfois Microsoft (on parle alors des Gafam).
(4) Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture.
(5) Fonds monétaire international (FMI), Organisation mondiale du commerce (OMC), Groupe des sept et des vingt pays les plus industrialisés (G7 et G20), Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), Accord de libre-échange nord-américain (Aléna), Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN).
(6) L’OCS a été constituée à partir de 1996 par six pays comme une réponse géopolitique régionale à la modification des équilibres apportée en Asie par la dissolution de l’URSS.
(7) Nooten Carrie, « Le Conseil de sécurité de l’ONU très timoré face à l’offensive de la Turquie contre les Kurdes syriens », Le Monde, 11 octobre 2019 (www.lemonde.fr/).
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(9) Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire signé en 1987 visant le démantèlement par les États-Unis et l’Union soviétique des armes nucléaires ou conventionnelles de portée comprise entre 500 et 5 500 km. Dénoncé d’abord par la Russie puis par les États-Unis, il présentait en outre l’inconvénient de ne pas inclure la Chine.
(10) Joint Comprehensive Plan of Action ou Accord de Vienne sur le nucléaire iranien signé en 2015 par huit entités dont le P5 (les 5 membres permanents du Conseil de sécurité) et l’UE pour sortir de la crise nucléaire iranienne en permettant une levée des sanctions économiques.
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(13) Aron Raymond, Paix et guerre entre les Nations, Calmann-Levy, 2004, 832 pages.
(14) Gomart Thomas, L’affolement du monde – 10 enjeux géopolitiques, Tallandier, 2019, 318 pages.
(15) Fukuyama Francis, La fin de l’histoire et le dernier homme, Flammarion, 2018, 656 pages.
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(19) Szadkowski Michaël et Untersinger Martin, op. cit.
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(22) Munich Security Report 2020, Westlessness (https://securityconference.org/).
(23) Gounin Yves, « Pierre Hassner, États-Unis : l’empire de la force ou la force de l’empire ? » (compte rendu), Politique étrangère, vol. 68, n° 1, 2003, p. 197-198.
(24) « Barack Obama soutient l’Inde pour un siège permanent à l’Onu », L’Express, 8 novembre 2010 (www.lexpress.fr/).
(25) La Société des Nations a été instituée en 1919 par le Traité de Versailles comme organisation internationale de sécurité collective sous l’instigation du président américain Woodrow Wilson.
(26) Nye Joseph S., Soft Power: The Means to Success in World Politics, New York: Public Affairs, 2004, 192 pages.
(27) Macron Emmanuel, Discours de l’École militaire, op. cit.
(28) Europe (dont Royaume-Uni) : 10 millions de km2 (États-Unis et Chine 9 M km2, Russie 17 M km2) pour une population de 750 M d’habitants (350 M pour les États-Unis et 150 M pour la Russie).
(29) Pennetier Marine et Emmott Robin, « À l’Otan, Trump réclame de nouveau un meilleur partage du “fardeau” », Challenges, 25 mai 2017 (www.challenges.fr/).
(30) Aron Raymond, op. cit.
(31) Macron Emmanuel, Discours de l’École militaire, op. cit.
(32) European-Led Mission Awareness Strait of Hormuz. Opération sous initiative européenne de 8 Nations (France Nation cadre, Pays-Bas, Danemark, Grèce, Allemagne, Belgique, Italie et Portugal).
(33) Lagneau Laurent, « Libye : L’Union européenne lance une opération navale pour appliquer l’embargo de l’ONU sur les armes », Zone militaire Opex.360, 1er avril 2020 (www.opex360.com/).
(34) Ministère des Armées, « Task Force Takuba : déclaration politique des gouvernements allemand, belge, britannique, danois, estonien, français, malien, néerlandais, nigérien, norvégien, portugais, suédois et tchèque » (Communiqué), Dicod, 27 mars 2020 (www.defense.gouv.fr/).
(35) Lemaître Frédéric et Mandraud Isabelle, « La “politique de générosité” intéressée de la Chine et de la Russie en Italie », Le Monde, 25 mars 2020.