Plus de 70 ans après la création d’un État hébreu en Palestine et l’exode de milliers de ses habitants arabes vers la Cisjordanie, la bande de Gaza et les États voisins, le conflit israélo-palestinien demeure un foyer de tensions majeur aux portes de la Méditerranée orientale. Toutefois, le déséquilibre militaire total entre belligérants, l’émergence de questions socio-économiques au premier plan de la vie politique israélienne et les récentes normalisations arabes semblent remettre en cause le caractère structurant du conflit dans les équilibres moyen-orientaux. Tour d’horizon des raisons qui poussent les auteurs à parler de « marginalisation » de ce conflit.
Le conflit israélo-palestinien : une instabilité endémique aux portes de la Méditerranée orientale
Si la Méditerranée orientale est source de convoitises, c’est peu dire des terres qui la bordent. Des Croisades jusqu’à la Première Guerre mondiale, le Proche-Orient a fait l’objet d’incessantes luttes pour son contrôle. Sur le territoire historiquement couvert par la Palestine, Juifs (qui s’appelleront bientôt Israéliens) et Arabes palestiniens se déchirent depuis plus d’un siècle. Lorsqu’en 1948 un État hébreu est proclamé sur les rives de la Méditerranée orientale, les anciens habitants palestiniens sont chassés de la plupart de leurs terres et poussés vers les pays arabes voisins. Dès lors, les armes et les opinions ne cesseront d’être déployées afin de défendre des terres qui reviennent légitimement, pour les uns, aux Palestiniens habitant et détenant ces territoires avant la Nakba (« catastrophe ») et pour les autres, aux Juifs (devenus Israéliens) de retour en Terre promise. D’autres guerres israélo-arabes éclatent en 1967 (guerre des Six Jours) puis en 1973 (guerre du Kippour) et se soldent systématiquement par la victoire d’Israël, qui peut compter sur un soutien américain indéfectible. Ainsi enraciné, le conflit israélo-palestinien s’impose comme le principal clivage géopolitique du Proche et du Moyen-Orient, mobilisant un front d’États arabes contre le jeune État hébreu. Si cette opposition tend progressivement à perdre sa dimension structurante, les récents affrontements en Israël et dans les territoires palestiniens l’ont replacé au centre de l’actualité régionale (1). Un point sur le conflit s’impose alors, afin de reconsidérer l’impact, le poids et l’importance du conflit israélo-palestinien dans la région proche et moyen-orientale, et plus particulièrement en Méditerranée orientale.
Vers une marginalisation du conflit
Ces dernières années, de nouvelles dynamiques et alliances se dessinent et tendent à marginaliser le conflit israélo-palestinien, aussi bien en Israël et dans les territoires palestiniens qu’à l’échelle régionale.
Le conflit israélo-palestinien relégué au second plan
La vie politique israélienne est depuis longtemps polarisée autour des différentes positions adoptées par les partis politiques sur le processus de paix et la question palestinienne. D’un côté, les partis traditionnellement classés à droite revendiquent la pleine souveraineté du peuple juif sur la Palestine voire au-delà, sur Eretz Israël, un territoire dont les frontières dépassent de loin celles de l’actuel État hébreu et comprennent l’ensemble des territoires palestiniens jusqu’au fleuve du Jourdain (2). La réalisation de ce dessein appelle la colonisation de nouvelles terres et l’expulsion de ses habitants non-juifs. D’un autre côté, les partis traditionnellement classés à gauche reconnaissent le droit des Palestiniens à vivre sur une partie de la Palestine, sans pour autant faire de l’instauration d’un État palestinien une priorité. L’une ou l’autre de ces positions a pu servir de point de ralliement des alliances et des coalitions politiques au sein de la Knesset, le Parlement monocaméral israélien, ces trente dernières années, même si les partis de droite, notamment le Likoud, ont largement dominé.
Toutefois, les quatre dernières élections législatives (avril et septembre 2019, mars 2020 et mars 2021) reflètent, d’une part, les difficultés en Israël à former une coalition majoritaire et gouvernante, et d’autre part, la lente mutation du débat politique dont le cœur s’éloigne progressivement des questions relatives au conflit israélo-palestinien. En effet, la société israélienne est de plus en plus fragmentée et des enjeux comme la lutte contre la pauvreté deviennent prioritaires (3). Les questions socio-économiques prennent ainsi le pas sur la question palestinienne. Les difficultés de Benyamin Netanyahou à former un gouvernement après les derniers scrutins l’ont poussé à envisager de nouveaux partenariats politiques. Ses accords électoraux passés pour se maintenir au pouvoir ont largement participé à la montée en puissance de l’extrême droite israélienne et de ses idées, ainsi qu’à son entrée à la Knesset. Dès lors, il n’est pas étonnant que, lors des dernières élections législatives de mars 2021, seul le parti travailliste Meretz ait fait mention de la compétence que s’était octroyée la Cour pénale internationale (CPI) afin de mener l’enquête sur d’éventuels crimes de guerre commis dans la bande de Gaza en 2014 (Opération Bordure protectrice) ou dans le cadre de la colonisation juive en Cisjordanie. De manière générale, la question palestinienne a très largement été reléguée au second plan tout au long de la campagne électorale. Ce phénomène s’est même traduit par un rapprochement inattendu entre Benyamin Netanyahou et le chef du parti islamiste Ra’am, Mansour Abbas (4).
Du côté palestinien, la question du rapport à Israël divise les deux principaux partis que sont le Hamas (fondé en 1987 par des Frères musulmans), au pouvoir dans la bande de Gaza, et le Fatah (fondé en 1959 par Yasser Arafat), à la tête de la Cisjordanie. Le premier maintient une ligne dure de refus de compromis avec Israël quant au contrôle de la Palestine. En revanche, le second est ouvert à un partage des terres avec Israël, dans la lignée des accords d’Oslo et de la solution à deux États. Bien qu’antagonistes, ces deux formations politiques se sont accordées sur la condamnation des rapprochements entre pays arabes et Israël (voir infra) ainsi que contre la dynamique apparente d’éviction de la question palestinienne sur la scène internationale en fin d’année 2020. Mais leur division idéologique et géographique sert l’État hébreu. Les deux factions se sont tout de même entendues pour engager un nouveau processus démocratique. Des élections législatives et présidentielles sont effectivement prévues pour la première fois depuis 2006. Initialement annoncés au 22 mai et au 31 juillet, les deux scrutins ont finalement été repoussés sine die par Mahmoud Abbas (Fatah), le président palestinien depuis 2005. Ce dernier s’est saisi du prétexte de l’impossibilité d’installer des bureaux de vote dans certains quartiers de Jérusalem-Est pour reporter la tenue des élections (5). Si ce revirement peut trahir une peur du résultat à venir, il est en tout cas la preuve de l’incertitude qui entoure ces élections. La séparation vieille de quinze ans entre Gaza et la Cisjordanie semble trop ancrée dans la vie politique palestinienne pour qu’une hypothétique vague électorale en faveur d’une faction ou d’une autre puisse les remettre en cause. Une fois encore, la division interne des Palestiniens prend le pas sur la lutte contre l’ennemi commun qu’est Israël. Cette apparente marginalisation du conflit israélo-palestinien se reflète donc bel et bien sur les scènes politiques des deux belligérants, mais plus encore sur la scène régionale.
La restructuration des relations israélo-arabes
Le conflit israélo-palestinien ou israélo-arabe ne semble plus être central dans l’organisation des relations géopolitiques au Moyen-Orient. La mainmise israélienne sur la situation en Palestine et la division des Palestiniens ont fini par exaspérer la plupart des pays arabes. Alors qu’en 1948, beaucoup d’entre eux étaient intervenus militairement contre Israël (Égypte, Jordanie, Syrie, Liban, Arabie saoudite, Yémen du Nord et Irak) et qu’en 1967, à Khartoum, ils étaient encore nombreux à s’opposer à toute possibilité de paix (Égypte, Jordanie, Syrie, Liban, Irak, Maroc, Algérie, Koweït, Soudan), plusieurs se sont, petit à petit, rapprochés de l’État hébreu (6). À la suite de la défaite de 1973, l’Égypte se résout la première à faire un pas en direction de l’ennemi juré. Anouar el-Sadate signe un accord de paix avec Menahem Begin le 26 mars 1979, six mois après des négociations sous auspices américaines à Camp David. Vient ensuite la Jordanie qui, au moment même du processus d’Oslo, signe un traité de paix le 26 octobre 1994. Il faut également noter l’éphémère relation diplomatique israélo-mauritanienne qui dura de 1999 à 2009. Si aucune autre normalisation des relations entre un État arabe et Israël n’est intervenue avant 2020, des rapprochements ont eu lieu avec certains d’entre eux sur fond de redistribution des cartes au Moyen-Orient. La prise en compte grandissante du danger iranien par l’Arabie saoudite et ses alliés a poussé cette dernière à s’enticher de l’État hébreu qui partage avec elle une crainte viscérale de la République islamique et de ses séides du Hezbollah ou de l’Organisation Badr (7).
Pour schématiser, les alliances au Moyen-Orient ont basculé d’une ligne de confrontation construite sur le conflit israélo-arabe à une ligne de confrontation construite sur le rapport à l’Iran. En vertu de l’adage « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », l’Arabie saoudite et les autres pétromonarchies se sont rapprochées d’Israël. Ses victoires militaires et la longévité d’une lutte palestinienne relativement inefficace ont fini par convaincre de nombreux pays arabes que l’opposition traditionnelle à l’État hébreu n’avait plus aucun sens. Au-delà, des régimes aussi hostiles aux Frères musulmans que sont ceux du général Sissi (Égypte) ou du prince héritier Mohammed ben Salman (Arabie saoudite) se satisfont d’un Hamas restreint à Gaza dont les efforts militaires et propagandistes sont essentiellement tournés contre Israël.
Ces rapprochements avec l’État hébreu répondent également à des logiques économiques. Avec des affirmations américaine et russe dans le secteur des énergies, les pétromonarchies du Golfe voient leurs rentes diminuer depuis 2018. En ralentissant l’économie mondiale, la pandémie n’a fait qu’accélérer ce processus. Le prix du baril de pétrole est ainsi passé de 67,80 dollars fin 2019 à 15 $ au début du mois d’avril 2020 (8). Le besoin de se tourner vers de nouveaux secteurs d’avenir, tels que les hydrogènes verts et les nouvelles technologies, se fait alors ressentir. Or, Israël excelle dans ces deux secteurs (9). Plus généralement, le pays se trouve être un partenaire économique de plus en plus attrayant dans la région. La découverte de gisements gaziers dans sa Zone économique exclusive (ZEE) en Méditerranée orientale permet à Israël de se rendre indépendant énergétiquement et de devenir exportateur d’hydrocarbures. Un projet de gazoduc appelé EastMed est d’ailleurs mis en place entre Israël et Chypre vers l’Europe (10). La société israélienne se démarque également par la vigueur de son développement technologique. Véritable Start-up Nation, l’État hébreu émet quotidiennement de nouveaux brevets et adopte une dynamique hautement innovante. Cette attitude séduit particulièrement les Émirats arabes unis (EAU) qui se rêvent en alter ego arabe à Israël dans ces domaines. Au-delà, les rapprochements arabes se mettent en œuvre au travers de projets comme celui du canal de la Paix israélo-jordanien entre la mer Rouge et la mer Morte, de la liaison ferroviaire avec la Jordanie connectée au réseau saoudien, de l’oléoduc israélo-saoudien pour contourner Suez, ou encore du transfert de gaz vers l’Égypte (11).
Ces rapprochements se sont cristallisés autour d’une vague d’annonces de normalisation des relations avec Israël, commencée en août 2020 par les EAU. Rapidement rejoints par Bahreïn, ils signent tous deux les accords d’Abraham avec Israël sous auspices américaines à Washington, le 16 septembre 2020 (12). Suivirent le Maroc et le Soudan entre la fin 2020 et le début 2021 (13), même si la signature d’accords analogues se fait attendre. Si l’Arabie saoudite ne fait pas partie des pays mentionnés, tout ce processus n’aurait pu avoir cours sans son aval. Son statut de protectrice des lieux saints l’empêche pour l’instant de normaliser officiellement ses relations avec Israël. La monarchie saoudienne risque le discrédit dans de nombreux pays musulmans attachés à la cause palestinienne et veut donc procéder par étapes. L’expérience de ses alliés émirien et bahreïnien a été un moyen de tester l’opinion arabe et musulmane. Les réactions hostiles à la première vague de normalisation ont été très mesurées (14). Les dynamiques régionales ne semblent donc plus seulement se structurer autour de l’opposition arabe à Israël, lequel apparaît désormais comme un partenaire stratégique et économique potentiel. Marginalisé, le conflit israélo-palestinien et le sort des descendants des victimes de la Nakba passent au second plan.
Un conflit irrésolu encore catalyseur de tensions
Le constat de la marginalisation du conflit israélo-palestinien se heurte néanmoins aux récentes actualités en Israël et dans les territoires palestiniens (15). Le regain de tensions militaires et d’intérêt médiatique international qui les accompagne pousse effectivement à tempérer cette relégation progressive au second plan. Si Israël apparaît plus fort et plus intégré que jamais, la question palestinienne demeure non-résolue. Des réchauffements qui se traduisent en tensions régionales sont alors inévitables.
Un conflit au caractère cyclique
« Nous avons tendance à croire depuis quelques années que le conflit israélo-palestinien est marginal parce qu’il ne se passait plus grand-chose. Il y avait une espèce de désespérance du côté palestinien et du côté israélien une espèce d’assurance, surtout pendant les années Trump. Et puis, voilà que ça resurgit (16). » Cette analyse de Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des universités et président de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée–Moyen-Orient (Iremmo), dénote le caractère cyclique du conflit israélo-palestinien.
Depuis début mai, Israël et les territoires palestiniens sont de nouveau en proie aux violences. Face à l’immobilisme de ses représentants politiques, la société civile palestinienne se mobilise et manifeste. De nature conjoncturelle, ces manifestations n’en trahissent pas moins l’invariable peur des Palestiniens d’être définitivement laissés pour compte par la communauté internationale. La frustration palestinienne est d’autant plus décuplée qu’un espoir de changement était né avec l’engagement d’un nouveau processus électoral pour répondre à la crise de représentativité. Les élections législatives et présidentielles étaient très attendues par la population palestinienne. La conjugaison du report sine die des deux scrutins et de la situation toujours plus tendue autour des évictions de familles palestiniennes, notamment à Sheikh Jarrah (quartier à majorité palestinienne de Jérusalem-Est), justifie également cette mobilisation de la société civile (17). Néanmoins, une suite d’événements plus nombreux explique l’aggravation de la situation. Entre manifestations de Juifs extrémistes, provocations de part et d’autre, la « Journée de Jérusalem » qui célèbre la conquête de Jérusalem par Israël en 1967 et les heurts sur l’Esplanade des Mosquées à la fin du ramadan, les violences se sont exacerbées. Le conflit s’est réchauffé. Depuis Gaza, des roquettes sont tirées par le Hamas et le Jihad islamique, et visent même, pour la première fois, Jérusalem. L’armée israélienne a déployé chars et autres véhicules blindés le long de la barrière séparant Israël de l’enclave palestinienne (18). Ces événements relèvent alors d’un nouveau cycle de violence dans l’histoire du conflit.
Si ce dernier a bel et bien été marginalisé, il n’en reste pas moins vivace. La question palestinienne n’a pas été réglée. En temps de « paix », cette question peut désormais paraître résiduelle et marginale, « sauf quand apparaissent des irruptions de violence » (19) comme le souligne Joseph Bahout, directeur de recherche à l’Université américaine de Beyrouth. Israël peut bien faire la paix avec les EAU, Bahreïn, le Maroc ou le Soudan, mais c’est principalement avec les Palestiniens que le pays est en conflit. Tant que la question palestinienne n’aura pas été traitée et réglée, ce cycle de violence est amené à perdurer. Des arrangements politiques peuvent exister entre les régimes, mais les populations civiles restent bien souvent maîtresses de leurs revendications. Il est d’ailleurs assez intéressant de noter que ce nouveau cycle de violence a d’abord paru profiter à la fois à Netanyahou, en difficulté dans la formation d’un gouvernement, mais également au Hamas. Celui-ci revient au premier plan en jouant la carte du « sauveur de Jérusalem », contre un président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, affaibli et impopulaire.
L’irruption de ce nouveau cycle de violence rappelle l’existence et la non-résolution de la question palestinienne. Parfois plus calmes au point d’être négligées dans la lecture des équilibres régionaux, les tensions peuvent ressurgir violemment comme le montre l’actualité récente. Or, le conflit israélo-palestinien demeure le point nodal de beaucoup d’autres différends dans la région, et ses soubresauts les affectent inévitablement.
Des cycles de violence impactant et impactés par les dynamiques géopolitiques régionales
Malgré les récentes restructurations des relations israélo-arabes, il est nécessaire de nuancer l’intégration régionale d’Israël et de ce fait, la marginalisation du conflit israélo-palestinien afin d’adopter une lecture géopolitique régionale plus juste et pertinente. Tout d’abord, si certains régimes dans la région se sont bel et bien rapprochés d’Israël, ces normalisations n’ont pas forcément été acceptées ni comprises par leurs sociétés civiles. À cet égard, l’exemple du Maroc est particulièrement pertinent. Le regain des tensions entre Israël et les territoires palestiniens, en mai 2021, place le gouvernement marocain en porte-à-faux face à une société civile politisée, mobilisée et pro-palestinienne comme l’illustrent les manifestations anti-israéliennes qui ont lieu dans le pays depuis le début des affrontements (20). De même, l’Arabie saoudite a dû mettre un frein à sa politique de rapprochement craignant un retour de bâton dans l’opinion publique. Malgré le pouvoir qu’exerce le régime sur la société civile saoudienne, cette dernière n’en reste pas moins grande, diversifiée et emprunte à un fort sentiment antisioniste. Depuis, les relations se mènent en sous-main, principalement entre les services de renseignement. Des rencontres non-officielles sont organisées, mais tenues pour « secrètes » (21). Ce revirement traduit ainsi la difficulté du régime à éluder la question palestinienne, plus encore, à éluder la question confessionnelle alors que de violents heurts ont secoué le troisième lieu saint de l’islam en plein mois de ramadan.
Par ailleurs, ces normalisations n’ont pas concerné tous les pays arabes, et ce, pour des raisons géographiques et politiques. D’abord, les pays du Maghreb, à l’exception du Maroc, continuent de s’opposer à Israël. Leur éloignement physique vis-à-vis de l’Iran les empêche de se sentir directement menacés. Ils privilégient également des relations économiques avec leurs voisins de la rive nord de la Méditerranée. De plus, l’Algérie comme la Tunisie sont historiquement très liées à la lutte palestinienne. La première a longtemps servi de modèle dans sa lutte contre le colonisateur tandis que la seconde a accueilli l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et Yasser Arafat de 1982 à 1994. Ce revirement n’a également pas concerné les alliés de Téhéran, à savoir le régime de Damas et une partie des paysages politiques libanais et irakien.
Enfin, hormis les Palestiniens et l’Iran, seuls la Turquie et le Qatar ont vivement condamné ces rapprochements. Cet axe « frériste » constitué autour de la défense de l’islamisme politique a pu compter sur ses deux têtes de pont en recherche d’influence : le Qatar sous embargo et en pleine crise diplomatique l’opposant aux autres monarchies du Golfe, et la Turquie tentant de se placer comme référence cultuelle au Moyen-Orient sunnite. Émanation palestinienne des Frères musulmans, le Hamas ne reçoit la qualification d’organisation terroriste ni d’Ankara, ni de Doha. Ces derniers le soutiennent même, plus ou moins ouvertement, sous couvert d’une aide économique aux populations palestiniennes. Au moment de l’arrêt des aides américaines, le Qatar a en effet pris la relève en finançant l’économie gazaouie. Le pays a même contribué à donner au Hamas un rôle régional, en lui apportant son soutien dans les forums régionaux et internationaux, et en se plaçant comme intermédiaire entre lui et Israël. Par ailleurs, la Turquie et le Qatar se sont également rapprochés de l’Iran, ennemi principal d’Israël dans la région. Téhéran et Tel Aviv s’opposent sur tous les fronts, comme en Méditerranée orientale où ils se livrent une guerre maritime (22). L’Iran cherche ainsi à déstabiliser et à inquiéter son ennemi israélien en soutenant, instrumentalisant et utilisant la cause palestinienne. La République islamique est notamment pourvoyeuse d’armes auprès du Hamas et du Jihad islamique. Dans une interview au Tehran Times publiée en septembre 2020, Al-Qaddoumi, représentant du Hamas à Téhéran, déclarait que « l’Iran, la Turquie et le Qatar devraient s’unir autour de la cause palestinienne car ils font tous état d’un consensus sur le sujet » (23). Une opposition à Israël prend donc toujours effet, bien que la question palestinienne ne soit plus au cœur de celle-ci. Elle se trouve instrumentalisée par des acteurs extérieurs qui continuent d’alimenter le conflit.
* * *
Le pourtour méditerranéen est en proie à des instabilités chroniques, parmi lesquelles l’une y est tout à fait endémique : le conflit israélo-palestinien. Depuis quelque temps, ce dernier semble avoir été écarté de l’actualité à la fois localement, mais aussi régionalement. Pour autant, les actualités récentes et le regain de violence rendent compte de la non-résolution d’un conflit qui se réchauffe de manière cyclique en l’absence de réponse apportée à la question palestinienne. Entretenant les tensions à l’échelle régionale, ce conflit est, à l’inverse, aussi alimenté par les acteurs régionaux. Afin d’adopter une lecture géopolitique de la région juste et pertinente, la dialectique des volontés qui oppose Israéliens et Palestiniens ne peut pas être oubliée. L’intégration d’Israël et la marginalisation de ce conflit sont alors aussi à nuancer. Si les réponses internationales se font attendre quant à la résolution de ce conflit, il continue de déchaîner les passions et de mobiliser comme le prouvent les nombreuses manifestations en soutien à l’un des deux camps, qui se déroulent dans le monde oriental et occidental (24). Au travers des informations massivement partagées et des opinions fortement exprimées, les perceptions sont ainsi mobilisées dans chaque camp et au-delà. Cette tendance pose donc la question de l’utilisation de l’information par l’armée israélienne et les groupes armés palestiniens. Stratcom, infox, guerre d’information, quel avenir pour le conflit israélo-palestinien dans un monde où le champ informationnel s’impose toujours plus dans les conflits armés ? ♦
(1) Agence France Presse (AFP), « Conflit israélo-palestinien : nouveaux affrontements entre Palestiniens et la police israélienne à Jérusalem-Est », Le Monde, 21 mai 2021 (www.lemonde.fr/).
(2) La Bible y fait référence comme le « territoire de la mer des Joncs à la mer des Philistins, et du désert au fleuve » Nombres 23:20-33.
(3) « Le nombre d’Israéliens vivant dans la pauvreté a augmenté de 50 % depuis le début de la pandémie (rapport) », i24News, 10 décembre 2020 (www.i24news.tv/).
(4) Horovitz David, « Un Israël divisé attend le discours d’un élu islamiste pour sceller son destin », Times of Israel, 1er avril 2021 (https://fr.timesofisrael.com/).
(5) « Le report des élections, une menace pour la réconciliation Hamas-Fateh », L’Orient-Le Jour, 4 mai 2021 (www.lorientlejour.com/).
(6) Ballanger Franck, Four Jean-Marc, « Le nouveau regard d’Israël sur ses pays voisins arabes », France culture, 6 décembre 2020 (www.franceculture.fr/).
(7) Jalkh Jeanine, « L’Arabie saoudite s’invite dans la danse régionale, tout en tapant sur le Hezbollah et l’Iran », L’Orient-Le Jour, 28 septembre 2020 (www.lorientlejour.com/).
(8) « En avril 2020, le prix du pétrole chute de nouveau lourdement », Informations Rapides, Insee, 20 mai 2020 (www.insee.fr/).
(9) Le Global Innovation Index (GII) de 2020 classe Israël comme 1ère économie régionale la plus innovante et la 13e au rang mondial (www.wipo.int/).
(10) « “EastMed”, le projet de gazoduc destiné à contrer la Turquie », Le Monde, 3 janvier 2020 (www.lemonde.fr/).
(11) Sur le sujet, voir les articles suivants : Filippi Laurent, « Le canal entre la mer Rouge et la mer Morte bientôt en chantier », FranceInfo, 28 novembre 2016 (www.francetvinfo.fr/) ; « Israël : une liaison ferroviaire avec le Golfe ? », FranceInfo, 15 février 2019 (www.francetvinfo.fr/) ; « Israël commence à exporter du gaz naturel vers l’Égypte », Times of Israel, 15 janvier 2020 (https://fr.timesofisrael.com/) ; et « Israël s’allie aux pays du Golfe contre le canal de Suez », Agence Anadolu (AA), 18 septembre 2020 (www.aa.com.tr/).
(12) « Israël, Émirats arabes unis et Bahreïn ont signé des accords historiques sous l’égide de Trump », France 24, 15 septembre 2020 (www.france24.com/).
(13) Bourdillon Yves, « Le Maroc, à son tour, normalise ses relations avec Israël », Les Échos, 11 décembre 2020 (www.lesechos.fr/).
(14) Kuttab Daoud, « Silence officiel palestinien sur l’accord de normalisation entre Israël et le Maroc », Arab News, 12 décembre 2020 (www.arabnews.fr/).
(15) Des affrontements ont éclaté en Israël et en territoires palestiniens pendant le mois de Ramadan 2021, du 13 avril au 21 mai entre Israéliens juifs, Israéliens arabes et Palestiniens. Voir « Israël-Palestine : “On peut craindre le pire dans les prochains jours”, selon un spécialiste », Franceinfo, 10 mai 2021 (www.francetvinfo.fr/).
(16) Ibidem.
(17) « À Jérusalem, “c’est à la fois un conflit immobilier, un conflit juridique et un conflit politique”, explique l’historien Vincent Lemire », Franceinfo, 10 mai 2021 (www.francetvinfo.fr/).
(18) « Israël masse des blindés près de Gaza et menace le Hamas d’une “invasion terrestre” », France 24, 13 mai 2021 (www.france24.com/).
(19) Charpentier Stéphanie, « Conflit israélo-palestinien : “certains pays arabes vont devoir mettre un bémol aux actes trop visibles de normalisation avec Israël” », TV5 Monde, 12 mai 2021 (https://information.tv5monde.com/.
(20) « Le Maroc embarrassé par les manifestations anti-israéliennes dans le pays », RFI, 13 mai 2021 (www.rfi.fr/).
(21) « Visite secrète de Netanyahu en Arabie saoudite, selon des sources israéliennes », L’Orient-Le Jour, 23 novembre 2020 (www.lorientlejour.com/).
(22) Bataillon Éric, « Israël et Iran : guerre sur les mers », Orient hebdo, RFI, 7 mai 2021 (www.rfi.fr/).
(23) Mazhari Mohammad, « Iran, Turkey, and Qatar can form alliance: Hamas representative in Tehran [Al-Qaddoumi’s interview] », Teheran Times, 7 septembre 2020 (www.tehrantimes.com/).
(24) Lasa (de) Marguerite, « Rassemblement en soutien aux Palestiniens : “Nous sommes là pour la paix” », Libération, 22 mai 2021 (www.liberation.fr/).