Prenant conscience de la dégradation de son environnement sécuritaire à ses marges, l’Union européenne travaille à mettre en cohérence une stratégie globale de Politique étrangère et de défense commune visant à garantir son autonomie stratégique. Cette initiative part du constat que l’UE a été dans l’incapacité d’agir de manière commune face aux tensions en Méditerranée orientale. Cependant, elle apparaît insuffisante pour conférer un nouvel élan politique européen. Ce cas d’étude offre à l’analyste un concentré des défis diplomatiques et sécuritaires qui ne manqueront pas de se poser aux États européens au cours du XXIe siècle.
L’autonomie stratégique européenne, nouvel instrument de puissance à l’épreuve des crises en Méditerranée orientale
« Quel européen censé ne souhaite pas mettre fin à la guerre, la misère et à l'impuissance,
moyennant la création d'une Europe parlant d'une seule voix, souveraine, apte à choisir elle-même ses amis et ennemis,
et à traiter de pair et compagnon avec les États-Unis et la Chine ?
À agir réellement et en son nom propre sur le cours du monde et non pas des objurgations sans effet ? (1) ».
Dans L’Europe fantôme, le philosophe Régis Debray interroge notre désir d’Europe, en le confrontant à la réalité des crises et des tensions géopolitiques qui menacent le Vieux Continent. En effet, l’accélération de la dégradation de l’environnement sécuritaire à ses marges, conjugué à la pandémie de la Covid-19, a conduit l’Union européenne à prendre conscience de la nécessité de redéfinir en termes de souveraineté son rôle d’acteur dans le système international. Pour ce faire, l’UE est appelée à réviser sa stratégie globale et à assumer la défense de ses intérêts propres, dans le cadre d’une politique étrangère commune.
Or, dans le même temps, la géographie, l’histoire et la culture politique de ses États-membres rendent difficile l’harmonisation des intérêts nationaux autour d’un dénominateur commun. Le débat portant sur le choix des concepts de « Souveraineté européenne », d’« autonomie stratégique » ou d’« Europe puissance » est éloquent à ce sujet, en ce qu’il traduit l’incapacité actuelle des États-membres à s’accorder sur une stratégie de politique étrangère qui fasse consensus. Certes, les travaux engagés autour de la « Boussole stratégique » proposée par Josep Borrell (2), Haut représentant de la politique étrangère et de sécurité de l’Union, ambitionnent de définir des objectifs communs en matière de sécurité et de défense, sur fonds d’une perception commune des menaces. Cependant, cette initiative apparaît à elle seule insuffisante pour conférer un nouvel élan politique européen. En effet, l’absence d’une cohésion européenne renouvelée l’empêche encore d’agir seule le long de sa périphérie sans avoir recours systématiquement à la carte otanienne.
Dans ces circonstances, les récentes tensions en Méditerranée orientale, provoquées en grande partie par le durcissement de la politique étrangère turque, fonctionnent à ce niveau comme un révélateur de l’indécision européenne. Ce cas d’étude offre à l’analyste un concentré des défis de coopérations diplomatiques et sécuritaires qui ne manqueront pas de se poser aux États européens au cours du XXIe siècle. C’est pourquoi, après avoir rappelé l’évolution du contexte régional, nous dresserons un état des lieux des réflexions menées, ainsi que des efforts de défense consentis par les Européens, pour faire face, dans leur environnement extérieur proche, aux menées agressives des États-puissances. Dans cette perspective, le rôle moteur de la France recevra une attention particulière.
Une réponse stratégique européenne commune nécessaire face à l’évolution du contexte régional et de la dégradation sécuritaire
Actuellement, l’UE est cernée par les crises perceptibles dans son voisinage immédiat. Elle se trouve mise sous pression par des puissances à la fois de premier plan (Chine, Russie) et régionales (Turquie, Iran), devenues autoritaires et théocratiques (3). Prompts à profiter du contexte d’instabilité actuel pour imposer leur volonté par la simulation stratégique comme mode d’affirmation de puissance, ces acteurs bénéficient à cette fin d’un éventail très large de moyens de pression. L’Union fait donc face au défi d’une exacerbation des rivalités mondiales (4), où les rapports de force qui s’expriment ont vocation à trancher seuls les différends au mépris du jeu diplomatique multilatéral.
En effet, c’est en Méditerranée orientale et le long de la frontière Sud-Est de l’Europe que se manifeste l’enhardissement de la compétition stratégique. En tant que carrefour stratégique, où les tensions sont par ailleurs indissociables des enjeux énergétiques, cette région est devenue le théâtre d’une lutte d’influence exacerbée d’ingérences étrangères (5). Actuellement, on assiste à une accélération de la prolifération de capacités conventionnelles avancées, lesquelles, désormais accessibles à des puissances régionales et à des acteurs non étatiques, font converger les menaces à proximité du territoire européen (6). L’ensemble de ces États-puissances, tels qu’identifiés dans la Revue stratégique (7), n’hésitent plus aujourd’hui à assumer ouvertement une menace d’escalade militaire, un usage désinhibé de la force par des actions militaires dissuasives et parfois fulgurantes, en dessous du seuil de conflit ouvert et bien souvent subversives. En cultivant ainsi l’ambiguïté, elles tirent profit de la faiblesse du droit international au mépris des accords multilatéraux passés afin d’imposer leur volonté par le fait accompli. Dans un tel contexte, où l’hybridité de la conflictualité semble s’imposer (8), l’utilisation des leviers militaires s’avère profitable à ces puissances, qui par leur attitude, saisissent les opportunités, consentent à prendre des risques calculés, en appuyant la projection de moyens proportionnés sur des théâtres tiers (9) (via des intermédiaires ou proxys).
Pour autant, les démocraties européennes frappent par leur apathie géopolitique, facilitant l’instrumentalisation de leurs vulnérabilités par l’intimidation et la subversion douce, ce qui a pour effet de générer un sentiment d’insécurité permanent. Alors que ses traités l’exigent (10), l’Union peine à apporter une réponse crédible et coordonnée pour défendre efficacement et souverainement l’intégrité de ses frontières – en particulier quand l’un de ses membres est directement exposé aux provocations exogènes destinées à fragiliser la solidarité européenne. À ce titre, la Grèce et Chypre sont en première ligne face aux manœuvres hostiles d’Ankara, qui se traduisent par de nombreuses provocations dans leurs espaces maritimes, terrestres et aériens respectifs (forages illégaux, violation d’embargo sur les armes à destination de la Libye, instrumentalisation des flux migratoires). Dans ce contexte, la proximité géographique reste un facteur à surveiller face à une volonté de prise de contrôle des ressources stratégiques par les États-puissances. Une attitude d’ailleurs rendue possible par la faiblesse et un désengagement progressif des puissances historiques de la région : les États-Unis et le Royaume-Uni (ancien protecteur de la Grèce), grandes puissances maritimes en Méditerranée orientale, paraissent être à ce titre aux abonnées absentes (11).
Surtout, la situation en Méditerranée orientale atteste de l’actualité du retour de l’usage stratégique de la mer. « La mer, un des piliers de la puissance d’un État, est devenue une zone de friction, de démonstration de puissance, souvent désinhibée grâce à l’absence de frontières physiques, un espace commun où les règles sont facilement contournées et remplacées par la loi du plus fort, et qui risque demain de devenir une zone d’affrontement (12). » C’est dans cet esprit que la Turquie a adopté une rhétorique révisionniste et une attitude de trouble maker assumée ; celle-ci s’est manifestée, entre autres, par le déploiement d’actions décomplexées à l’encontre des équilibres politiques et juridiques nécessaires à la préservation des confins stratégiques de l’Europe, accompagnée enfin par la signature d’accords de convenance aux effets déstabilisateurs (13). Cette situation est d’autant plus problématique que la puissance turque dispose aujourd’hui d’un rayon d’action suffisant pour arriver à protéger efficacement ses intérêts maritimes dans la région. Quant à la Russie, elle s’est affirmée comme un acteur de premier plan en Méditerranée orientale, en Libye et jusque dans les Balkans, sans compter le Moyen-Orient (14). De fait, Moscou procède très fréquemment à des démonstrations de forces, consent à des investissements lourds – l’exemple de la base militaire de Tartous en Syrie est là pour en témoigner. Enfin, la stratégie de Pékin assume à son tour une présence permanente en Méditerranée, par la prise de contrôle d’infrastructures et d’entreprises stratégiques portuaires en Grèce (port du Pirée) comme en Italie dans le cadre du développement des « Routes de la soie » (Belt and Road Initiative) (15).
Avancées et divergences autour de l’autonomie stratégique européenne
Présentée comme un impératif politique plus que nécessaire (16), la nouvelle « Boussole stratégique » doit permettre à l’Europe aujourd’hui de réapprendre à parler le langage de la puissance (17). Telle est la condition sine qua non pour affirmer activement sa participation à la définition des nouveaux équilibres mondiaux.
Les deux prochaines décennies seront en effet capitales pour l’UE. Comme l’a déclaré Josep Borrell, elle se condamne au destin d’une puissance de second rang si elle refuse de passer à l’action « dès aujourd’hui » (18). C’est donc aux États-membres de contribuer à la résilience de l’Union par l’établissement d’une véritable culture stratégique partagée, une condition indispensable pour garantir son rang et crédibiliser sa posture internationale. À cet égard, face à des menaces hybrides de plus en plus complexes, l’autonomie stratégique européenne doit apprendre à « combiner le politique, le militaire, le diplomatique, et l’économique » (19). Cette mise en cohérence pourrait s’appuyer par exemple sur une diplomatie renforcée, impliquant au besoin la démonstration de force.
Malgré les quelques avancées constatées, des divergences persistent encore sur le terrain conceptuel, doctrinal. C’est que les intérêts et les risques stratégiques demeurent à ce jour inégalement répartis entre les États-membres, ralentissant ce faisant les progrès réalisés dans le cadre d’une action commune (20). Cependant, les actions et les initiatives méritent d’être poursuivies ; elles pourront à terme contribuer à un meilleur dialogue et parvenir, in fine, à l’établissement d’un consensus au niveau européen, via notamment la mise en place de nouvelles formes de dialogues, de forums ou de tandems du type Weimar (21). Des solutions, comme la soumission des décisions de la politique étrangère à la majorité qualifiée, ont été proposées par Josep Borrell (22). À titre d’exemple, le Fonds européen de défense (FED) et la Coopération structurée permanente (CSP) constituent une première étape vers la constitution d’une autonomie stratégique pragmatique. En ce qui concerne la situation en Méditerranée orientale, il devient nécessaire pour l’Union et ses États-membres de se concentrer sur le renforcement de la protection maritime, et d’entamer dans cet objectif un réarmement massif dans le naval (23). C’est pourquoi, la défense doit figurer parmi les priorités des plans de relance européens (24), ce qui n’est toujours pas le cas aujourd’hui. En parallèle, alors que la relation transatlantique arrive à la fin d’un cycle et que son avenir semble difficile à prévoir (25), l’Europe a tout intérêt à devenir un acteur crédible en matière de défense, en mettant en avant le renforcement de ses capacités au sein d’une relation transatlantique mieux équilibrée entre les partenaires (26).
Or, pour le moment, les efforts consentis par les États-membres demeurent insuffisants. Alors que l’UE mène déjà 17 missions et opérations dans le cadre de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) (27), les réponses qu’elle a apportées aux crises actuelles restent en deçà de ce que la situation exige. Certes, l’efficacité des coalitions ad hoc sur le flanc Sud de la Méditerranée a permis à la PSDC de faire la démonstration de la valeur de son approche globale. En revanche, on assiste à un ralentissement de ses missions et opérations, faute d’une base solide d’accord entre les États- membres. À ce titre, l’Opération Irini lancée en mars 2020, dotée de moyens maritimes, aériens et satellitaires – et dont l’objectif est de faire respecter l’embargo sur les armes à destination de la Libye imposé par l’ONU – a pâti des rivalités entre certains membres (Grèce et Italie) (28). D’autres dispositifs n’ont jamais été déployés, faute de consensus politique lié à la complexité dans la mise en œuvre et dans le financement (29). Dans le même temps, l’année 2020 a également mis en lumière un certain nombre de dissensions importantes stratégiques au sein de l’UE (30). Dans cette logique, l’Otan affronte aujourd’hui des difficultés qui laissent présager de possibles désaccords futurs entre ses membres, en cas de dégradation prolongée du contexte régional (31).
L’autonomie stratégique européenne : une mise en application commune encore difficile en Méditerranée orientale
À l’échelle de la Méditerranée orientale, les réponses de l’UE demeurent timides et hésitantes (32). Malgré les appels à l’action, l’Europe est restée en retrait des litiges régionaux, pour lesquels elle n’a pas proposé de solution alternative à la hauteur des enjeux, comme en atteste sa réaction aux provocations de Recep Erdogan.
En effet, la France a dû prendre en charge, elle-même, la violation des eaux territoriales grecques par un navire de recherche sismique turc le 10 août 2020 accompagné d’une flottille militaire (33). Aux yeux de Paris, cet épisode tend à confirmer l’incapacité actuelle de l’UE à apporter une réponse commune afin de régler durablement les différends historiques qui opposent la Grèce et la Turquie (34). Or, l’UE était en mesure de jouer un rôle de médiateur entre Ankara et Athènes afin d’encourager la Turquie à cesser ces explorations. Mais la réponse européenne a été marquée par un manque de clarté et d’unité dès le départ. À telle enseigne que l’Allemagne, pourtant à la tête de la présidence européenne, a aligné la médiation diplomatique dont elle avait la responsabilité sur une position qui devait d’abord conforter ses intérêts nationaux, en particulier sur la question des réfugiés (35). Le déphasage de cette approche avec la réponse française, centrée sur le volet militaire, a mis en valeur les divergences d’appréciation qui séparent Paris de Berlin en matière stratégique. C’est pourquoi la médiation allemande s’est révélée largement contre-productive, en empêchant de dégager une réponse concertée qui prenait clairement la défense du pays membre menacé (la Grèce). Une réponse symbolique forte aurait exigé, par exemple, l’envoi de navires de guerre par un ou plusieurs États-membres en mer Égée, en signe de soutien à la Grèce (36). Cette fermeté aurait permis à l’Union de « muscler » son dialogue avec Ankara en contraignant le Président turc à faire marche arrière. Par conséquent, la France a décidé de signaler l’absence d’esprit européen lors du sommet de l’Otan en juin 2020. Elle a d’ailleurs exhorté ses partenaires et voisins européens en Méditerranée à davantage de fermeté vis-à-vis de la Turquie. Avant d’organiser l’exercice militaire commun Euromia fin août 2020 (comprenant l’Italie, Chypre et la Grèce). Cette double initiative a permis d’entamer des pourparlers entre Ankara et Athènes, sans que l’Union n’ait à envisager de sanctions économiques.
Toutefois, la réponse européenne à la crise en Méditerranée orientale n’a pas appréhendé la politique étrangère turque dans son ensemble, alors même que la cohérence de l’action d’Erdogan exige une approche globale, à partir d’un dialogue ferme qui refuse la segmentation et le cloisonnement des dossiers.
Le rôle moteur de la France en faveur de l’autonomie stratégique européenne
Ayant délaissé le terme « d’Europe puissance », mal perçu des pays partenaires qui voient surtout derrière les accents d’un désir caché d’hégémonie sur le continent, Paris a été amené à privilégier les concepts de « souveraineté » et d’« autonomie stratégique » européenne (37). Animée par sa vocation historique d’acteur moteur de la construction européenne – que l’épisode du Brexit n’a fait que renforcer – la France entend œuvrer au renforcement de la dimension politique de l’Union (38). À cette fin, elle ambitionne de réunir l’ensemble des pays membres volontaires à son initiative dans le domaine de la défense, pour mieux répondre aux défis stratégiques et sécuritaires contemporains (39).
Dès 2017, consciente du fait que le cadre communautaire pouvait induire un ralentissement des interventions communes, l’Initiative européenne d’intervention (40), à l’instigation du président Emmanuel Macron, a représenté une première avancée opérationnelle pour des coopérations bilatérales ad hoc dans un cadre plus souple et pragmatique que par le passé (41). Très récemment, Emmanuel Macron, en réponse à la crise pandémique, a aussi réaffirmé son désir de poursuivre le projet d’une défense européenne, par le moyen d’une refondation de la structure politique et stratégique de l’Union en faveur d’un multilatéralisme renouvelé (42). Cette impulsion, déjà confirmée parmi les grandes priorités de la Revue stratégique, est devenue la priorité de l’engagement européen du Président français. Perçu comme une énième « lubie » française, ce chantier passe d’abord par un travail conceptuel et doctrinal, un plan sur lequel pèse encore l’impensé géopolitique européen (43). La France entend donc clarifier chacune de ses positions vis-à-vis de chaque États-membres, en vue d’arriver à établir une convergence des intérêts en matière de politique étrangère et de défense, quitte à reprendre et à enrichir les initiatives préalables commencées sous les présidences allemande et portugaise depuis 2020.
En d’autres termes, le Président français partage l’idée que l’Europe incarne un espace politique fini, une région très intégrée avec un fait politique clair, un espace cohérent en termes de valeurs et d’intérêts qui permettent d’envisager, à l’horizon du XXIe siècle, l’émergence d’une véritable puissance dans le concert des Nations (44). Il estime donc nécessaire de travailler dès à présent au niveau communautaire sur une politique de voisinage pleinement européenne, en tâchant d’arrêter des analyses et des décisions géopolitiques claires et communes, malgré les différences d’approches actuelles (45). Telle est son ambition dans le cadre de la préparation de la prochaine présidence française de l’Union en 2022, où sera réalisée une analyse des menaces et des vulnérabilités de celle-ci, afin qu’elle puisse être capable d’agir à l’horizon 2030 dans quatre domaines clés : la gestion de crise, la résilience, le capacitaire et les partenariats (46).
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Dans l’ensemble, Bruxelles semble avoir opté pour une certaine forme de passivité, marquée par les difficultés inhérentes au besoin de conciliation des intérêts divergents entre les États-membres (47). La Commission européenne n’a donc pas réussi à définir une stratégie efficace pour faire face à la crise en Méditerranée. La décennie 2010-2020 a montré au grand jour que l’Union européenne a été absente de la scène mondiale, faute de se penser sur le plan de la puissance. La crise pandémique a agi comme un révélateur de ses faiblesses stratégiques, malgré les bonnes intentions affichées. Peu encline à prendre des risques, et à penser les rapports de force contemporains (48), la Commission n’a pas réussi à concrétiser ses ambitions dans des actes forts et concrets.
En résumé, si l’idée d’autonomie stratégique européenne est de plus en plus relayée par certains États-membres, elle ne constitue pas encore à proprement parler un état de fait (49). Bien que des avancées aient été réalisées en ce sens, beaucoup reste encore à faire avant de voir émerger une véritable capacité militaire collective, guidée par une politique étrangère commune. En attendant la réalisation de ces ambitions, la mise en œuvre d’un pilier de force européen pourrait déjà assurer quelques-unes des missions sécuritaires et stratégiques nécessaires à la stabilisation de l’environnement européen. Mais, au-delà des moyens financiers, techniques et capacitaires nécessaires à cette fin, se pose la question de la volonté politique des Européens à devenir autonomes ensemble sur le plan stratégique (50). À cet égard, l’engagement des pays européens en Méditerranée orientale, sous l’impulsion de la France, a une marge réelle de progression, qui ne demande qu’à être davantage exploitée. Ces efforts pourraient s’accompagner d’une montée progressive des dépenses et d’une coordination renforcée dans le cadre d’un embryon de défense européenne. Car suivre une voie inverse enverrait un mauvais signal aux peuples européens au plus mauvais moment imaginable, tant la demande de sécurité et de stabilité est prégnante sur le continent.
Une démarche dont, soit dit en passant, la nouvelle administration américaine devrait être la première à se féliciter, à l’heure où elle envisage de réduire sa présence dans la région. Dans ces conditions, l’un des enjeux cruciaux de la relation transatlantique sous le mandat de Joe Biden sera de convaincre Washington d’appuyer davantage publiquement une politique dont les avantages dépassent de loin les coûts potentiels pour chacun des acteurs en présence. ♦
(1) Debray Régis, L’Europe Fantôme, Gallimard, 2019, p. 3.
(2) Déclaration des membres du Conseil européen sur l’épidémie de la Covid-19, les questions de défense et de sécurité, et les relations de l’Union européenne avec les pays du sud de la Méditerranée, le 26 février 2021 (www.vie-publique.fr/).
(3) « La doctrine Macron : conversation avec le Président français », Le Grand Continent, 16 novembre 2020 (https://legrandcontinent.eu/).
(4) « Revue stratégique : les implications pour la Marine », Cols Bleus n° 3063, novembre 2017, p. 30-31 (https://fr.calameo.com/).
(5) Commission de la défense nationale et des forces armées, « Audition de Mme Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) sur le projet de la loi de finances pour 2021 », 7 octobre 2020, Assemblée nationale (www.assemblee-nationale.fr/).
(6) Ibidem.
(7) Ministère des Armées, Revue stratégique de Défense et de Sécurité nationale, octobre 2017, p. 76 (www.defense.gouv.fr/).
(8) Institut Montaigne, Repenser la défense face aux crises du XXIe siècle (Rapport), février 2021, p. 9-15 (www.institutmontaigne.org/).
(9) Ibid., p. 96.
(10) Danjean Arnaud, Giuliani Jean-Dominique, Gonzalez-Pons Esteban et Zovko Zeljana, « Face à la Turquie, la solidarité européenne ne doit pas manquer à la Grèce et à Chypre », L’Opinion, 7 mai 2021 (www.lopinion.fr/).
(11) « Grèce-Turquie-Libye : Tensions autour des ressources énergétiques en Méditerranée orientale », Diplomatie n° 105, septembre-octobre 2020.
(12) Lecoq Tristan (dir.), Les nouvelles frontières de la défense : La mer, l’Espace et l’information, Cahier de la RDN, 2019 (www.defnat.com/).
(13) Marcou Jean, « La Turquie en Méditerranée orientale : des revendications énergétiques aux ambitions stratégiques », Diplomatie n° 105, septembre-octobre 2020, p. 54.
(14) Facon Isabelle, Gros Philippe et Tourret Vincent, « L’Empreinte militaire russe en Méditerranée orientale à l’horizon 2035 », Note n° 11, juin 2020, Fondation de recherche stratégique (FRS), p. 2 (www.frstrategie.org/).
(15) Chaponnière Jean-Raphaël, « La Chine rebat les cartes en Méditerranée », Asialyst, 22 novembre 2019 (https://asialyst.com/).
(16) Borrell Josep, « Pourquoi l’Europe doit-elle être stratégiquement autonome ? », Éditoriaux de l’Ifri, 11 décembre 2020, Institut français des relations internationales (www.ifri.org/).
(17) Lefebvre Maxime, « Europe puissance, souveraineté européenne, autonomie stratégique : un débat qui avance pour une Europe qui s’affirme », Question d’Europe n° 582, Fondation Robert Schuman, 1er février 2021 (www.robert-schuman.eu/).
(18) Borrell J., op. cit.
(19) Institut Montaigne, op. cit., p. 11.
(20) Woll Cornelia in Groupe d’études géopolitiques, « L’autonomie stratégique européenne en 2020 », Note de travail n° 10, décembre 2020 (https://legrandcontinent.eu/), p. 27.
(21) Institut Montaigne, op. cit., p. 134-135.
(22) Borrell J., op. cit.
(23) Cols Bleus n° 3063, op. cit., p. 30-31.
(24) Institut Montaigne, op. cit., p. 11.
(25) Nye Joseph in Groupe d’études géopolitiques, op. cit., p. 21.
(26) Institut Montaigne, op. cit., p. 27.
(27) Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Défense européenne : le défi de l’autonomie (Rapport d’information n° 626), 18 juin 2021, Sénat (www.senat.fr/).
(28) Gros-Verheyde Nicolas, « Une opération Irini bien à la peine. Les États-membres chiches en moyens (v2) », Bruxelles2, 16 juin 2020 (www.bruxelles2.eu/).
(29) Commission des affaires européennes, « Politique étrangère et de défense - Bilan annuel 2020 de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) : audition de MM. Arnaud Danjean et Mounir Satouri, députés européens français », 11 mars 2021, Sénat (www.senat.fr/).
(30) Deschaux-Dutard Delphine, « L’Union européenne et le dilemme de sécurité en Méditerranée orientale : La médiation où la menace ? », DSI, n° 150, novembre-décembre 2020 (www.areion24.news/).
(31) Institut Montaigne, op. cit., p. 27.
(32) Haroche Pierre in Groupe d’études géopolitiques, op. cit., p. 13.
(33) Institut Montaigne, op. cit., p. 16.
(34) « Grèce-Turquie-Libye », Diplomatie n° 105, op. cit.
(35) Cazenave Fabrice, « Tensions en Méditerranée. Pourquoi l’Allemagne cherche à ne pas faire de vagues avec la Turquie ? », Ouest France, 9 septembre 2020 (www.ouest-france.fr/).
(36) Ibid.
(37) « La doctrine Macron », op. cit.
(38) « Grèce-Turquie-Libye », Diplomatie n° 105, op. cit.
(39) Institut Montaigne, op. cit., p. 137.
(40) DGRIS, « L’Initiative européenne d’intervention », 17 avril 2020 (www.defense.gouv.fr/).
(41) Ibid., p. 139.
(42) « La doctrine Macron », op. cit.
(43) Ibid.
(44) Ibid.
(45) « Audition de Mme Alice Guitton », op. cit.
(46) Le groupe de réflexion Mars, « Défense : la boussole stratégique de l’UE a-t-elle d’ores et déjà perdu le nord ? », La Tribune, 12 avril 2021 (www.latribune.fr/).
(47) Alemanno Alberto, in Groupe d’études géopolitiques, op. cit., p. 5.
(48) Krastev Ivan in Groupe d’études géopolitiques, op. cit., p. 15.
(49) Chopin Thierry in Groupe d’études géopolitiques, op. cit., p. 7.
(50) Guérot Ulrike in Groupe d’études géopolitiques, op. cit., p. 12.