De la pertinence du maintien de l’Otan dans un monde post-guerre froide
Créée par le Traité de Washington le 4 avril 1949 établissant une alliance politico-militaire à vocation défensive, l’Alliance atlantique, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord est la première organisation internationale militaire au monde. Alors qu’elle regroupait à l’origine 12 membres, elle en compte désormais 29, le dernier en date étant le Monténégro (1), Harry S. Truman, président des États-Unis lors de la signature du Traité de l’Atlantique Nord, prononça à cette occasion une allocution dans laquelle il considérait que « [ledit] traité exercera une influence positive, et non pas négative, sur la paix, et son influence ne se fera pas seulement sentir dans la partie du monde sur laquelle il porte expressément, mais dans le monde entier » (2). Si la menace soviétique avait été la principale justification de l’institutionnalisation de l’Otan, l’Alliance a survécu à la chute du Bloc de l’Est et reste, malgré les critiques et certaines pistes de réformes possibles, l’organisation la plus pertinente pour assurer la défense de l’Europe.
État de l’Alliance atlantique
Si l’Alliance a, avant tout, été instituée pour faire face à un ennemi soviétique commun, il s’agissait aussi d’empêcher la renaissance des nationalismes militaristes en Europe pour permettre la mise en place d’une sécurité collective européenne cohérente (3).
Les grands objectifs de l’Alliance
L’objectif principal de l’Alliance consiste à « garantir la liberté et la sécurité de ses membres par des moyens politiques et militaires » (4). Il convient de distinguer d’une part, l’Alliance atlantique, politique, et d’autre part, l’Otan, son bras armé. Ses buts et objectifs ont évolué sur les ruines de la guerre froide, et le rôle de l’Alliance dans la sécurité européenne s’est adapté au contexte caractérisé par de nouvelles menaces, provenant d’acteurs étatiques ou non étatiques, comme le terrorisme considéré comme un nouveau risque pour l’Organisation par le Concept stratégique de 1999 (5). Par ailleurs, en plus d’être à vocation défensive, l’Alliance atlantique est un lieu privilégié de coopération diplomatique (6). Ainsi, en intégrant d’autres objectifs reflétant sa double volonté militaire et politique comme la question du règlement pacifique des différends ou encore la gestion de crise (7), l’Alliance atlantique reste aujourd’hui la clé de voûte de la sécurité européenne au sens de l’article 5 du Traité de Washington, pierre angulaire de l’organisation. À la fin de la guerre froide, l’avenir de l’Otan semblait justement résider dans le renforcement de la coopération politique avec l’Est ; elle aurait alors pu constituer un forum de discussion commun aux membres de l’Otan et à ceux du Pacte de Varsovie, comme le plaidait le secrétaire d’État américain James Baker à Berlin en décembre 1989 (8).
Dans l’hypothèse où les méthodes politiques ou diplomatiques s’avéreraient inefficaces, le bras armé de l’Alliance atlantique peut intervenir dans le règlement d’un conflit. Il s’agit là de l’Otan, structure politique et militaire permanente créée par les États signataires du Traité de l’Atlantique Nord afin d’assurer l’effectivité du respect de leurs engagements en matière de défense commune. Cette organisation a été instituée en 1950 avec le début de la guerre de Corée, qui « exacerbe les craintes du monde occidental sur les visées expansionnistes de l’Union soviétique » (9), au regard de la menace communiste et des lacunes de l’ONU. Du fait de son contexte de création, la question de l’obsolescence de cette organisation pouvait se poser avec la fin de la guerre froide. Telle était l’opinion des théoriciens néoréalistes des relations internationales, à l’instar de Kenneth N. Waltz (10).
Le fonctionnement institutionnel de l’Alliance atlantique
Le fonctionnement institutionnel de l’Alliance semble se calquer sur son organisation du fait d’une séparation claire des responsabilités entre alliés : aux Américains, le commandement suprême des forces alliées – le général Curtis Scaparrotti depuis 2016 –, aux Européens, le Secrétariat général – le Suédois Jean Stoltenberg depuis 2014.
L’organisation de l’Alliance atlantique traduit néanmoins sa volonté de coopération politique, comme le montre le fonctionnement de ses organes civils, au premier rang desquels le Conseil de l’Atlantique Nord (CAN), mentionné à l’article 9 du Traité de l’Atlantique Nord. Il représente la plus haute autorité politique décisionnelle de l’Alliance et est composé d’un représentant permanent de chaque État-membre appelé « ambassadeur ». Le CAN s’appuie sur des avis d’experts réunis au sein de divers comités. Se réunissant périodiquement, il décide par consensus, reflétant ainsi l’impératif de coopération politique de l’Alliance. Il est présidé par le Secrétaire général qui veille au bon fonctionnement de l’Alliance, fixe ses orientations politiques et vérifie que les décisions du Conseil soient exécutées. Il représente officiellement l’Alliance atlantique sur la scène internationale. Enfin, le Groupe des plans nucléaires (NPG) est en charge des questions relative à la politique nucléaire de l’Alliance.
L’adaptation de l’Alliance atlantique au contexte international (11)
L’Alliance atlantique maintient, depuis sa création, une politique de « portes ouvertes » au sens de l’article 10 du Traité de l’Atlantique Nord vis-à-vis de « tout autre État européen susceptible (…) de contribuer à la sécurité de la région de l’Atlantique Nord ». Ainsi, il y a eu, depuis sa création, plusieurs vagues successives d’élargissement, notamment une politique d’ouverture à l’Est après 1991, dans une volonté de contrer l’influence russe (12). Ce fut notamment le cas pour certains États du Pacte de Varsovie tels que la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. D’abord associés à l’Otan via des « Partenariats pour la paix » (PPP), ils en sont devenus membres de plein droit depuis le 12 mars 1999. Il en va de même pour les pays baltes depuis le 29 mars 2004. Des discussions sont en cours concernant l’adhésion de la Géorgie ou le développement de la coopération avec l’Ukraine (13), amenant ainsi l’Otan aux portes de la Russie. L’Alliance atlantique a également multiplié ses partenariats en matière de sécurité et de défense avec d’autres pays non-membres – on parle alors de « partenariats mondiaux » – ou avec des organisations internationales telles que l’Union européenne (UE) (14).
Les relations entre l’Alliance atlantique et la Russie ont beaucoup évolué à la fin de la guerre froide, ce qui a changé les enjeux de la sécurité européenne. La Russie est devenue membre du Conseil de coopération Nord-Atlantique en 1991 (qui deviendra le Conseil de partenariat euro-atlantique en 1997) et signe un PPP en 1994. La création du Conseil Otan-Russie (COR) lors du Sommet Otan-Russie tenu à Rome le 28 mai 2002 permet l’instauration d’un dialogue renforcé pour régler d’éventuelles crises. Cette coopération s’est toutefois trouvée mise à mal ces dernières années, notamment lorsque la Russie intervient militairement en Ossétie du Sud puis en Abkhazie afin d’y soutenir les mouvements séparatistes en 2008. L’Alliance apporte son soutien à la Géorgie avec la création en 2008 d’une Commission Otan-Géorgie pour établir un dialogue politique et suspend les réunions formelles du COR jusqu’en 2009. Par la suite, en réaction à l’annexion de la Crimée par la Russie, l’Otan rompt ses relations au sein du COR jusqu’en 2016. La Commission Otan-Ukraine, créée en 1997, fut mobilisée activement en vue d’organiser et de favoriser une coopération entre ces acteurs et de répondre aux « questions de sécurité d’intérêt commun » (15). Ces crispations semblent marquer un retour de l’Alliance atlantique à un ordre de guerre froide. De telles tensions politiques rejaillissent en particulier sur son bras armé, l’Otan.
L’Otan, bras armé de l’Alliance atlantique
L’évolution des défis sécuritaires internationaux a conduit l’Otan à s’adapter tant dans sa conception de la sécurité collective que structurellement, dans son organisation militaire, via la modernisation de sa structure de commandement ; ces évolutions n’ont pas été sans raviver certaines tensions politiques.
L’adaptation de son organisation militaire
L’Otan a d’abord dû renouveler sa conception de la sécurité collective face aux nouveaux défis mondiaux. En effet, si dans un premier temps son action a surtout été défensive et sa stratégie axée autour de la dissuasion, l’adoption du Concept stratégique de 1991 lors du Sommet de Rome entérine une conception plus large de la sécurité collective. Dès le Sommet de Prague de 2002, le terrorisme et les cyberattaques figurent parmi les menaces sérieuses envisagées par l’Alliance (16). La lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs commencés par le Sommet de Washington (1999) est du reste devenue une priorité (17). Plus tard, le Sommet d’Istanbul de 2004, en plus d’inclure la traite d’êtres humains parmi les nouvelles menaces pesant sur l’Alliance, affirme que la sécurité collective passe aussi par la stabilisation de certaines régions hors d’Europe, confirmant ainsi la philosophie de l’Otan post-guerre froide résumée par Manfred Wörmer (Secrétaire général de l’organisation entre 1988 et 1994) : « out of area or out of control ».
L’organisation militaire de l’Otan s’est elle aussi transformée : le Sommet de Lisbonne de 2010 marque à ce titre un tournant. En effet, comme le rappelle Olivier Kempf (18), le contexte international troublé a obligé l’Otan à clarifier son organisation militaire en insistant sur les aspects de planification stratégique (19). Organe permanent, le Comité militaire est la plus haute instance militaire de l’Alliance ; il a pour mission d’effectuer le lien entre les décisions politiques et la structure militaire puisqu’il traduit militairement les décisions politiques de l’Alliance arrêtées par le CAN (20). Se prononçant par consensus, reflétant ainsi la nature coopérative de l’organisation, le Comité est composé de 29 représentants militaires de chaque État-major allié. Il est par ailleurs assisté d’un organe exécutif, l’État-major militaire international, regroupant personnels civils et militaires provenant des pays membres, et qui a pour but de veiller à la bonne mise en œuvre des décisions du Comité par les organes opérationnels de l’Otan.
Par ailleurs, depuis le Sommet de Prague (2002), la structure de commandement militaire de l’Otan est composée de deux commandements stratégiques. Le premier est le Commandement allié Opérations (ACO) dirigé par le Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), dont les quartiers généraux se trouvent à Mons en Belgique. L’ACO est responsable de la planification et de l’exécution de toutes les opérations de l’Alliance. Il agit en Europe à partir de différents quartiers généraux aux niveaux stratégique (SHAPE, en charge de la planification et de la conduite des opérations), opérationnel (commandements interarmées de Brunssum, Naples et Lisbonne) et tactique (commandements terrestres, maritimes et aériens, respectivement d’Izmir, Northwood et Ramstein). Depuis février 2018, les ministres de la Défense des pays de l’Otan ont approuvé la mise en place d’un commandement de forces interarmées spécialement dédié à la sécurité maritime (21), témoignant du souci d’adaptation constante de l’Alliance à l’environnement international. Le second commandement stratégique de l’Alliance est le Commandement allié Transformation (ACT), basé à Norfolk en Virginie et dirigé par le Commandant suprême allié Transformation (SACT), un général français depuis 2009. Il est en charge du développement des capacités de l’Alliance (22). En somme, l’ACT se concentre sur les actions militaires de l’Otan à venir en cherchant à améliorer la réponse militaire actuelle, telle que mise en œuvre par l’ACO.
La question du budget et du financement de l’Otan
L’Alliance ne dispose pas en propre de moyens : elle est tributaire des financements octroyés par ses 29 États-membres de manière directe (financement commun) ou indirecte (selon les opérations qu’elle décide de mettre en œuvre).
Ainsi, les Alliés participent à hauteur d’une quote-part calculée sur la base de leur revenu national brut et renégociée tous les deux ans. Actuellement, celle des États-Unis est de 22 %, vient ensuite l’Allemagne avec 14 %, suivie par la France et le Royaume-Uni, ayant une quote-part identique de 10,5 % (23). Le budget civil couvre les frais du siège, c’est-à-dire les dépenses de personnel (l’Otan employant près de 6 000 civils), de fonctionnement et d’équipement. Supervisé par le Comité des budgets, il émane des budgets des ministères des Affaires étrangères des États-membres. Le budget militaire couvre, quant à lui, les frais liés à la structure de commandement. Dans une situation de crise, comme en Libye en 2011, le Bureau de la planification et de la politique générale des ressources (RPPB) est consulté à propos de la disponibilité des fonds. Pour l’année 2019, le budget civil s’élève à 250,5 millions d’euros et le budget militaire à 1,395 milliard € (24). En plus de ces deux budgets, les contributions directes des États permettent le financement du Programme d’investissement au service de la sécurité (NSIP) dont les fonds proviennent des ministères de la Défense des Alliés. Ce programme sert à financer le développement des capacités militaires de l’Otan, mais permet également des investissements d’ampleur (infrastructures, équipements) pour répondre aux besoins des commandements stratégiques (25). Pour l’année 2019, son plafond a été fixé à 700 M€ (26).
Les contributions indirectes correspondent à la participation volontaire de chaque État-membre aux opérations décidées par l’Otan. Cette participation devient cependant obligatoire si l’article 5 est enclenché. Ce type de financement prend la forme d’équipements ou de forces. C’est dans ce cadre qu’à l’issue du Sommet de Newport (Pays de Galles) en 2014, les États-membres ont réaffirmé l’engagement pris lors du Sommet de Riga (Lettonie) en 2006 consistant à dédier au minimum 2 % de leur PIB aux dépenses liées à la défense à l’horizon 2024, conformément à l’article 3 du Traité de l’Atlantique Nord (27). Lors du Sommet de Bruxelles de 2018, l’objectif de consacrer 20 % de ces dépenses à l’amélioration des équipements alliés a, du reste, été réaffirmé (28).
La place du nucléaire au sein de l’Otan
La politique nucléaire actuelle de l’Otan se fonde sur deux documents adoptés par les 29 États-membres : le Concept stratégique de 2010 et la Revue de la posture de dissuasion et de défense (DDPR) de 2012 (29). Si l’Alliance œuvre à la dénucléarisation, comme le montre la réduction progressive de son stock d’armes atomiques basées à terre depuis les années 1960 (environ 95 %) (30), elle continuera, dans ses termes mêmes, de se définir comme « une alliance nucléaire (…) aussi longtemps qu’il y aura des armes nucléaires » (31). En ce sens, l’objectif premier des forces nucléaires de l’Alliance est la dissuasion, instrument avant tout politique permettant de répondre efficacement aux tâches fondamentales de l’Alliance telles que réaffirmées lors du Sommet de Bruxelles en 2018, « défense collective, gestion de crise et sécurité coopérative ». La réassurance comprise dans l’article 5 sert également cet objectif de dissuasion.
Si l’Alliance insiste sur son attachement au Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP) (32), l’escalade des tensions avec la Russie a mis en évidence la nécessité d’un renforcement de sa capacité de dissuasion. Lors du Sommet de Varsovie, les 8 et 9 juillet 2016, l’Alliance a ainsi réaffirmé sa volonté de mettre en place une Défense antimissile balistique (BMD), traduite par le déploiement d’un système de défense antimissile américain basé en Roumanie à Deveselu, comprenant des missiles intercepteurs de type SM-3 (33)(34).
Les décisions concernant la politique nucléaire de l’Otan sont prises exclusivement par le NPG qui dispose, sur ces questions, d’une autorité équivalente à celle du CAN. Véritable enceinte de consultation et de prise de décision, le NPG, fondé en 1966 et présidé par le Secrétaire général de l’Otan, rassemble périodiquement les ministres de la Défense des États alliés concernés afin d’examiner les questions spécifiques aux forces nucléaires (35).
Soucieuse de préserver son autonomie dans le domaine de la dissuasion, la France n’a pas souhaité y participer lorsqu’elle a rejoint en 2009 le commandement intégré de l’Otan. Néanmoins, Paris ne conçoit pas sa stratégie de manière isolée puisque, comme le souligne l’exposé des motifs de la Loi de programmation militaire 2019-2025 en date du 13 juillet 2018, les capacités de dissuasion de la France contribuent « (…) à la sécurité de l’Alliance atlantique et à celle de l’Europe » (36). C’est la première fois dans une LPM, que les capacités stratégiques françaises sont considérées, du fait de leur seule existence, comme un élément clé de la sécurité européenne. Ainsi, tout en gardant leur indépendance nationale, les trois puissances nucléaires de l’Otan (les États-Unis, le Royaume-Uni et la France) participent à la dissuasion au sein de l’Alliance atlantique. Néanmoins, la politique de dissuasion otanienne continue de reposer en très grande partie sur les capacités américaines car les armes nucléaires mises à disposition de l’Otan et déployées à l’avant en Europe sont américaines.
Si l’organisation militaire de l’Otan a su s’adapter en fonction du changement de paradigme sécuritaire international, les aspects opérationnels des interventions de l’Otan ont suivi cette tendance, provoquant, par-là même, certains débats.
Les opérations menées dans le cadre l’Otan
En raison de la multiplication de ses interventions, l’Otan a été contrainte de repenser sa structure opérationnelle mais aussi, plus largement, sa manière de concevoir ses interventions extérieures ; ces évolutions ont parfois pu mettre en lumière des failles dans son organisation.
États des lieux des capacités opérationnelles de l’Otan
L’Otan ne disposant pas en propre d’une armée, elle est tributaire des capacités mises à sa disposition par les États alliés, ces capacités s’adaptant à la nature de la mission. Cela vaut pour les opérations décidées sur le fondement de l’article 5, mais également pour toute autre opération décidée par le CAN, comme celles de gestion de crise (37). C’est d’ailleurs dans ce cadre que la coopération entre l’ONU et l’Otan est la plus visible, les résolutions du Conseil de sécurité servant de cadre aux missions de l’Otan et cette dernière pouvant intervenir en soutien à des actions menées par l’ONU. Une fois la décision de déploiement de forces prise par consensus par le Comité militaire, le SACEUR s’occupe des questions de préparation et de conduite des opérations ; conformément à la division des tâches entre les Commandements stratégiques (38), les trois quartiers généraux interarmées exercent alternativement les fonctions de commandements. Cela permet d’intervenir sur plusieurs théâtres simultanément sans compromettre le déroulé de chaque opération.
Les engagements de l’Otan se sont intensifiés et sont passés d’une aide aérienne ponctuelle jusqu’aux années 1990 – par exemple déploiement d’avions en Turquie après l’invasion du Koweït par l’Irak dans le cadre de l’opération Anchor Guard – à des opérations de terrain conséquentes comme ce fut le cas en Bosnie en 1995. Des réformes ont donc été menées pour répondre à une exigence de rapidité. En effet, la nécessité de disposer de troupes pouvant se déployer promptement et en tous lieux s’impose dans les années 1990 avec la mise en œuvre des Groupes de forces interarmées multinationales (GFIM) en 1994 et l’Initiative sur les capacités de défense de l’Otan (DCI) en 1999. Ces initiatives sont approfondies lors du Sommet de Prague de 2002 qui institue la Force de réaction rapide de l’Otan (NRF), force opérationnelle multinationale interarmées, placée sous l’autorité du SACEUR. Elle atteint en octobre 2004 sa capacité opérationnelle avec 21 000 soldats. La composante marine doit pouvoir être constituée d’un groupement tactique composé d’un porte-avions, d’un groupe amphibie et d’un groupe d’action de surface. La composante aérienne doit pouvoir assurer des missions de combat et de surveillance classiques.
Par la suite, un « Plan d’action réactivité » (RAP) est mis en place lors du Sommet du Pays de Galles de 2014, comprenant des mesures de dissuasion contre toute attaque potentielle (mesures dites « d’assurance ») et des « mesures d’adaptation », devant apporter une réponse opérationnelle rapide en cas de crise. La mise en place de telles mesures témoigne donc de la capacité d’adaptation structurelle de l’Otan face aux défis contemporains (39). Un autre impératif est celui de l’interopérabilité qui se retrouve avec l’émergence du concept de « capacité clé » ; terme désignant les capacités dont seuls certains États disposent (40). Ces capacités clé instituent donc une distinction entre les Nations-cadre et les autres, ce qui a des incidences, les premières étant plus sollicitées. Cette notion revêt également une importance politique : afin de parvenir à une interopérabilité effective, il est nécessaire que les États ne disposant pas de telles capacités les développent, ce qui implique des dépenses militaires supplémentaires.
Une approche opérationnelle désormais globale
Au-delà des évolutions strictement capacitaires, la manière de penser les interventions de l’Otan a, elle aussi, évolué pour s’adapter à la complexité et à l’interdépendance des crises internationales, une approche dite « globale ». Les réflexions autour de ce concept, ou « label politique » selon l’expression des chercheurs Chantal Lavallée et Florent Pouponneau (41), émergent dès les années 2000 sur la base des opérations effectuées en Afghanistan (42). L’intégration d’une composante civile dans l’action de l’Otan, dont l’action sur le terrain s’est d’abord traduite en termes militaires, a été décidée lors du Sommet de Bucarest de 2008. Cette approche se caractérise par sa nature multidimensionnelle, comprenant des mesures (militaire ou civile) avant, pendant et après les opérations, en partenariat avec un nombre croissant d’acteurs. Les missions de reconstruction et de stabilisation peuvent alors assurer, en plus d’un éventuel règlement de la crise, une transition pacifique. La mission Fias (Force internationale d’assistance et de sécurité) conduite en Afghanistan entre 2001 et 2014, a ainsi mené des actions de reconstruction, de développement et d’aide humanitaire, en coordination avec la Mission d’assistance des Nations unies en Aghanistan (Manua).
En amont, l’Otan a par exemple renforcé ses capacités de planification via la mise en place dès sa création de centres de formation notamment sur le plan opérationnel comme l’École de l’Otan située à Oberammergau en Allemagne (43). La planification opérationnelle s’attache aussi à inclure d’autres enjeux que ceux qu’elle traite habituellement comme la protection de l’environnement ou celle du patrimoine local (44).
Enfin, s’ils ont commencé dès les années 1950, les exercices de l’Alliance se sont intensifiés à partir de 2014 avec l’annexion de la Crimée par la Russie. Dernier en date et plus important exercice depuis dix ans, Trident Juncture 2018 (Norvège, octobre 2018) simulait une intervention décidée sur le fondement de l’article 5 du Traité de Washington.
La question du renseignement dans l’Otan
Face aux changements rapides et constants des enjeux de sécurité, l’Otan porte un regard nouveau sur les questions de renseignement. Ainsi, plusieurs réformes ont été établies afin de rendre plus efficaces les services existants.
Une nouvelle division civilo-militaire « renseignement et sécurité » a été créée (Joint Intelligence, Surveillance and reconnaissance), dite JISR. Représentant l’une des réformes les plus importantes de l’Otan en matière de renseignement, ce service ne récolte pas les données mais coordonne les informations communiquées par les pays membres de l’Alliance. Il repose sur le principe de partage des charges, à savoir la recherche d’une meilleure efficacité pour l’analyse de données.
Ainsi, le « besoin de partager » est privilégié face au « besoin d’en connaître ». Il faut souligner que les renseignements traités sont intérieurs, extérieurs, civils ou militaires. Une cellule est spécialement dédiée à la lutte contre le terrorisme. Elle fonctionne par l’intermédiaire de l’Unité de liaison pour le renseignement (ILU) et de la cellule liaison pour le renseignement de l’ACO. En matière militaire, la division renseignement de l’État-major militaire international a pour mission de trier les informations afin de diffuser à toutes les parties du Siège de l’Otan des points de situation et des données stratégiques. Celles-ci permettront la mise en place d’un cadre de capacités de renseignement, constituant une base d’analyse efficace. L’ancien Bureau Otan du renseignement, devenu le Comité du renseignement militaire (MIC) en 2010, reste pour les pays le principal lieu de débats sur le renseignement militaire et les travaux en cours.
Il faut souligner que les coopérations interétatiques occupent une place très importante au sein de l’Otan.
Des failles opérationnelles, sources de réformes à venir ?
Deux initiatives alliées visant au renforcement capacitaire de l’Otan ont été particulièrement décriées. La mise en place d’un système de défense antimissile balistique, pour l’instant réparti entre les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Grèce et les Pays-Bas, a été critiquée par la France lors du Sommet de Chicago (2012) ; Paris plaidait pour une maîtrise des coûts via un financement commun limité aux structures de commandement (la France participant alors à hauteur de 12 % du budget militaire de l’Otan (45)) et des contributions volontaires pour les équipements (46).
Le développement de programmes permettant de lutter contre les cyber-attaques a été lui aussi critiqué pour sa mise en place tardive. La prise en compte de ce nouveau type de menaces remonte au milieu des années 2000, marquées par deux séries de cyberattaques, une durant le conflit au Kosovo par des activistes serbes et une autre visant l’Estonie en 2007. À la suite de cette attaque, le NATO Computer Incident Response Capability a été mis en place, mais cet organisme n’avait alors pour but que la sécurisation de systèmes d’information de l’Otan par le traitement et la coordination des incidents en un organe central (47). Il a fallu attendre le Concept stratégique de 2010 pour qu’une politique commune d’assistance et de formation soit mise en place. Les derniers développements en la matière témoignent d’une volonté politique claire – les menaces cyber sont évoquées à plusieurs reprises dans la déclaration du Sommet de Bruxelles (2018) comme l’un des défis actuels de l’Alliance (48) – mais ne se traduisent que très sobrement en actes, le Manuel de Tallinn publié par un groupe d’experts mandatés par l’Otan en 2013 ne faisant que régler des questions juridiques, notamment de qualification de la menace ; cela a conduit les alliés à approuver le fait qu’une cyber-attaque puisse être considérée comme susceptible d’enclencher l’article 5, même si certains observateurs internationaux comme Olivier Kempf considèrent que cela constitue, avant tout, une déclaration de principe (49). Les mesures concrètes sur ce point restent donc discrètes, leur portée opérationnelle étant difficilement évaluable aujourd’hui.
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L’Otan est donc l’organisation internationale qui prend la plus large part dans la défense de l’Europe ; l’organisation, dont les théoriciens néoréalistes prédisaient la disparition à la fin de la guerre froide, a adapté ses missions aux nouveaux défis internationaux contemporains. D’une alliance défensive, elle est devenue, malgré les critiques, une alliance d’emploi. Cependant, comme cela a pu être exposé, la réponse, désormais globale, de l’Alliance à ses trois missions principales – défense collective, gestion de crise et sécurité coopérative – demeure perfectible et se trouve éprouvée par les tensions internes.
(1) Devenu membre le 5 juin 2017.
(2) Truman Harry, « Discours sur la signature du Traité instituant l’Otan », Washington, 4 avril 1949 (www.cvce.eu/).
(3) Otan, « A Short History of NATO » (www.nato.int/cps/en/natohq/declassified_139339.htm).
(4) Otan, « Qu’est-ce que l’Otan » (www.nato.int/nato-welcome/index_fr.html).
(5) Otan, Concept stratégique de l’Alliance, approuvé par les chefs d’État et de gouvernement participant à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord tenue à Washington les 23 et 24 avril 1999 (www.nato.int/cps/fr/natolive/official_texts_27433.htm).
(6) Otan, Préambule du Traité de l’Atlantique Nord, 4 avril 1949 (www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_17120.htm).
(7) Otan, Concept stratégique pour la défense et la sécurité des membres de l’Otan, 19 et 20 novembre 2010 (www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_67814.htm).
(8) Andréani Gilles, « La France et l’Otan après la guerre froide », Politique étrangère, vol. 63, n° 1, 1998, p. 77-92 (www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1998_num_63_1_4726).
(9) La Documentation française, Dossier « L’Otan après la guerre froide », mis à jour le 1er décembre 2010 (www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/d000513-l-otan-apres-la-guerre-froide).
(10) Waltz Kenneth N., « The Emerging Structure of International Politics », International Security, vol. 18, n° 4, 1993, p. 44-79.
(11) En complément, voir : Lecoq Tristan, « La France, l’Alliance atlantique et l’Europe de la défense depuis la fin de la guerre froide », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l’Europe, 2016 (https://ehne.fr/).
(12) « Qu’est-ce que l’Otan… », op. cit.
(13) Chefs d’État et de gouvernement, « Déclaration du Sommet de Bruxelles », réunion du Conseil de l’Atlantique Nord, 11 et 12 juillet 2018 (www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_156624.htm).
(14) Otan, « Partenaires », mis à jour le 1er février 2019 (www.nato.int/cps/fr/natolive/51288.htm).
(15) Otan, « La Commission Otan-Ukraine », mis à jour le 21 mai 2014 (www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_50319.htm).
(16) Courmont Barthélémy et Nies Susanne, Élargissement des missions de l’Otan et construction de l’espace de sécurité européen dans ses dimensions interne et externe : rationalisation, empiétement ou chevauchement ?, Étude réalisée par l’Iris pour le compte de la Délégation aux affaires stratégiques (DAS), 2004 (www.iris-france.org/).
(17) Otan, « Les armes de destruction massive », mis à jour le 8 janvier 2018 (www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_50325.htm).
(18) Kempf Olivier, L’Otan au XXIe siècle. La transformation d’un héritage (2e édition), Éditions du Rocher, 2014, 614 pages.
(19) Otan, « Réorganisation de la structure de commandement de l’Otan », mis à jour le 7 juillet 2011 (www.nato.int/cps/fr/natohq/news_75773.htm?selectedLocale=fr).
(20) Otan, « Le Comité militaire », 15 janvier 2018 (www.nato.int/cps/fr/natolive/topics_49633.htm).
(21) Otan, « Les ministres de la Défense des pays de l’Otan prennent des décisions destinées à renforcer l’Alliance », 15 février 2018 (www.nato.int/cps/en/natohq/news_152125.htm?selectedLocale=fr).
(22) Otan, « Commandement allié Transformation », mis à jour le 6 novembre 2018 (www.nato.int/cps/fr/natolive/topics_52092.htm).
(23) France Inter avec agences, « Non, les États-Unis ne financent pas l’Otan “à 90 %”, mais ils en sont bien le plus gros contributeur », France Inter, 11 juillet 2018 (www.franceinter.fr/).
(24) Otan, « Approbation des budgets civil et militaire 2019 et poursuite de l’adaptation », mis à jour le 21 décembre 2018 (www.nato.int/cps/fr/natohq/news_161633.htm?selectedLocale=fr).
(25) Otan, « Le financement de l’Otan », mis à jour le 9 juillet 2018 (www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_67655.htm).
(26) France Inter, op. cit.
(27) Traité de l’Atlantique Nord, 4 avril 1949 (www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_17120.htm).
(28) « Déclaration du Sommet de Bruxelles », op. cit.
(29) Otan, « Politique et forces de dissuasion », mis à jour le 24 mai 2018 (www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_50068.htm).
(30) Ibid.
(31) Chefs d’État et de gouvernement, « Déclaration du Sommet de Lisbonne », réunion du Conseil de l’Atlantique Nord, 20 novembre 2010 (points 16 à 19) (www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_68828.htm).
(32) Conseil de l’Atlantique Nord, « Déclaration à propos du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires », 20 septembre 2017 (www.nato.int/cps/fr/natohq/news_146954.htm?selectedLocale=fr).
(33) Chefs d’État et de gouvernement, « Communiqué du Sommet de Varsovie », réunion du Conseil de l’Atlantique Nord, 8 et 9 juillet 2016 (www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_133169.htm).
(34) L’Express avec AFP, « Le système antimissile américain en Roumanie est une “menace” pour la Russie », L’Express, 12 mai 2016 (www.lexpress.fr/).
(35) Otan, « Le Groupe des Plans nucléaires », mis à jour le 18 novembre 2014 (www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_50069.htm).
(36) Loi n° 2018-607 2019-2015 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, (exposé des motifs ; point 2.1.2.1., « La dissuasion ») (www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037192797&dateTexte=20180719).
(37) Otan, Manuel de l’Otan, Partie III : structures civiles et militaires de l’Otan, 2006 (www.nato.int/docu/handbook/2006/hb-fr-2006/Part3.pdf).
(38) Ibid.
(39) Otan, « Le plan d’action “réactivité” », mis à jour le 1er mars 2017 (www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_119353.htm).
(40) C’est le cas par exemple des capacités de convoyage des États-Unis, notamment en termes de transport aérien.
(41) Lavallée Chantal et Pouponneau Florent, « L’approche globale à la croisée des champs de la sécurité européenne », Politique européenne, vol. 2016/1, n° 51, p. 8-29 (www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2016-1-page-8.htm).
(42) Bisogniero Claudio (NATO Deputy Secretary General), « Assisting Afghanistan: the importance of a comprehensive approach », discours prononcé lors de la conférence GLOBSEC, Bratislava, le 17 janvier 2008 (www.nato.int/cps/fr/natohq/opinions_7377.htm).
(43) Otan, « Formation et entraînement », mis à jour le 15 janvier 2019 (www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_49206.htm).
(44) Otan, « Une approche “globale” des crises », mis à jour le 9 juillet 2018 (www.nato.int/cps/fr/natolive/topics_51633.htm).
(45) Guibert Nathalie, « La saga du bouclier antimissile de l’Otan », Le Monde, 27 juin 2016.
(46) Représentation permanente de la France auprès de l’Otan, « La défense anti-missile balistique », mis à jour le 22 août 2018 (https://otan.delegfrance.org/La-defense-antimissile-balistique).
(47) Otan, « Cyberdéfense », mis à jour le 31 mai 2018 (www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_78170.htm).
(48) « Déclaration du Sommet de Bruxelles », op. cit.
(49) Cité dans Ballarin Simon, « L’Otan dans la cyberguerre : stratégie globale et capacités opérationnelles », Diploweb, 12 avril 2017 (www.diploweb.com/L-Otan-dans-la-cyberguerre-strategie-globale-et-capacites-operationnelles.html).