La multiplication des acteurs de la scène spatiale suppose une multipolarité grandissante qui reste pourtant limitée : les États-Unis occupent toujours une place hégémonique et les acteurs traditionnels conservent leur avance technologique. L’échiquier spatial international est en voie de bouleversement du fait des progrès quantiques des principales puissances et du rattrapage rapide des puissances spatiales de second rang.
Le paysage spatial militaire international
Un bouleversement multipolaire entre ruptures technologiques et continuité de puissance
En janvier 2019, prenant pour modèle l’Agence spatiale européenne (ESA), l’Union africaine (UA) a annoncé au reste du monde sa volonté de créer une « Agence spatiale africaine » avec un siège en Égypte, pays dont le chef de l’État, le maréchal al-Sissi, préside l’UA depuis février 2019. Pour qu’une telle entité puisse fonctionner avec efficacité, un nombre important de difficultés diplomatiques internes à l’UA devra certes être aplani. Reste que le poids symbolique de l’annonce est, d’ores et déjà, extrêmement important : la mise en place de l’Agence spatiale africaine s’ajoute de fait aux nombreux signaux démontrant que la course stratégique à l’espace extra-atmosphérique ne semble plus réservée à un club restreint de pays technologiquement avancés. Cette évolution est d’autant plus signifiante que la « ruée » à laquelle on assiste ne se limite pas aux aspects civils du domaine spatial.
De par la nature intrinsèquement duale des investissements spatiaux, toute avancée technologique extra-atmosphérique est en effet susceptible de comporter une dimension militaire directe ou indirecte, que cet objectif soit reconnu ou non par les États concernés. Ainsi que le rappellent Damien Gardien, Béatrice Hainaut et Patrick Bouhet dans un article de synthèse récent, « les premiers satellites de radionavigation par satellite, aujourd’hui d’un usage public incontournable (un standard de nos téléphones mobiles) – GPS et GLONASS – sont des programmes militaires » (1). Ainsi, et pour en rester à des exemples africains, les nouvelles capacités d’observation spatiale du Nigeria offrent à ses forces de sécurité la possibilité de disposer d’images satellitaires permettant à cet État de pourchasser « les djihadistes de Boko Haram ou les groupes insurrectionnels qui sévissent dans la région pétrolifère du Delta, dans le Sud du pays » (2). De même, le satellite d’observation de la Terre Mohammed VI-B, lancé le 20 novembre 2017 par Arianespace pour le compte du Maroc depuis Kourou (Guyane), permet à Rabat de mieux gérer ses programmes d’aménagement du territoire mais aussi de sécuriser la surveillance de ses frontières dans un cadre régional des plus incertains.
Selon une expression consacrée, l’Espace apparaît donc – à première vue – de plus en plus « démocratisé » au plan international, y compris dans son volet militaire. Le domaine est-il pour autant sur la voie d’une véritable égalisation stratégique, qui verrait des outsiders audacieux rattraper le statut militaire extra-atmosphérique des puissances traditionnelles ? Il y a près de dix ans, certaines analyses, évoquant une « course à l’Espace multipolaire », se demandaient déjà dans quelle mesure « la fin des navettes spatiales et la crise financière » n’allaient pas sonner le glas de « l’hégémonie américaine sur l’Espace » (3). En la matière, il convient sans doute de se garder de certaines illusions d’optique. Si le nombre des nouveaux entrants a progressé de manière exponentielle depuis une décennie – avec des réalisations technologiques réellement significatives, à divers degrés – le bouleversement de la hiérarchie spatiale mondiale doit cependant être considéré avec prudence, en particulier dans le domaine des applications militaires. En la matière, la multipolarité n’est pas forcément le synonyme d’une réelle polyarchie.
Pour illustrer très synthétiquement les ruptures géopolitiques mais aussi les permanences de puissance du nouveau paysage spatial militaire mondial, nous traiterons ici, en premier lieu, des progrès et des initiatives des nouveaux acteurs du paysage extra-atmosphérique, avant de revenir dans une seconde partie conclusive sur les adaptations et les ruptures portées par les acteurs traditionnellement dominants du secteur, parmi lesquels les États-Unis, la Russie, la Chine, le Japon, l’Inde et l’Union européenne.
Progrès et initiatives des nouveaux entrants : une multipolarité effective mais encore limitée
L’activité spatiale, en particulier dans le domaine des applications militaires, apparaît particulièrement intense en Asie-Océanie. En dehors même des pays avancés que sont l’Inde, la Chine et le Japon, les principaux acteurs asiatiques émergents sont actuellement l’Australie, la Corée du Sud, les Émirats arabes unis, le Vietnam, la Corée du Nord, le Pakistan, Singapour, la Malaisie, Israël, l’Iran, et l’Indonésie. Dans ce groupe étoffé, et qui grossit désormais tous les ans, il convient sans doute de mettre à part les pays qui disposent de capacités autonomes de lancement, soit – pour le moment – la Corée du Nord, Israël et l’Iran. Ces trois pays partagent une caractéristique stratégique liée au nucléaire militaire, capacité qu’ils détiennent ou à laquelle ils sont soupçonnés d’aspirer (dans le groupe des émergents asiatiques à la fois spatiaux et nucléaires, seul le Pakistan, détenteur affiché de l’arme atomique depuis les essais de 1998, ne dispose pas encore de ses propres capacités d’accès autonome à l’Espace).
Israël, qui dispose de l’arme atomique sans le reconnaître officiellement, est un acteur spatial qui, pour n’être pas de premier rang, se détache néanmoins fortement dans le trio considéré. Les premières réalisations israéliennes dans le domaine de la reconnaissance satellitaire datent des années 1980 (programme Ofeq). Depuis, les progrès ont été fulgurants, en particulier en matière de satellites d’imagerie à haute résolution. La plupart ont été placés en orbite basse par le lanceur Shavit, basé sur le missile Jericho II, depuis le site de Palmachim (sur la côte, dans le centre du pays). Malgré l’échec cuisant en avril 2019 du programme lunaire Beresheet (« Genèse » en hébreu), Tel Aviv, qui entretient dans le domaine des liens étroits avec les Américains et les Indiens, est plus que jamais désireux de conforter son avance régionale et de ne pas laisser l’Iran le rattraper sur le plan spatial.
En effet, Téhéran avance également dans le domaine spatial militaire. En 2003, une Agence spatiale nationale a été créée par les Iraniens, rattachée sur le plan du contrôle politique à un « Conseil suprême de l’Espace » dépendant du ministère des Technologies de l’information et de la communication. Malgré deux récents lancements iraniens avortés en janvier et février 2019, les chercheurs israéliens Kevjn Lim et Gil Baram jugent de manière relativement alarmée dans Foreign Policy que la République islamique avancerait vers « la maîtrise de la dernière frontière » (4), en particulier depuis le lancement autonome réussi du satellite Omid en 2009, suivi de quatre autres succès (5).
Quant au très problématique cas nord-coréen, si l’actualité des négociations entre Donald Trump et Kim Jong-un donne un relief accusé à un volet balistique qui retient l’attention des médias, sa dimension spatiale, extrêmement active, est moins mise en lumière. Après trois échecs en 2006, 2009 et début 2012, un premier satellite nord-coréen a pourtant été mis en orbite avec succès en décembre 2012, et ce de manière autonome. Le lanceur utilisé (Unha-3) serait un dérivé du missile intercontinental Taepodong-2. Selon le rapport Space Threat Assessment 2018 du Center for Strategic and International Studies (CSIS), la Corée du Nord n’aurait pas encore développé d’armes antisatellites, même si ses capacités de tirs cinétiques directs pourraient progresser dans la décennie à venir (6).
Les autres outsiders asiatiques, s’ils ne sont pas aussi immédiatement désireux de jouir d’une réelle autonomie en matière de lancement, n’en démontrent pas moins des capacités de niche de plus en plus impressionnantes. L’Australie, qui ne disposait pas d’agence spatiale nationale jusqu’en 2018, annonce désormais vouloir doubler le nombre des employés de ce secteur d’ici 2030. Un récent accord signé avec Boeing doit permettre au spatial australien de se développer, en particulier dans le domaine de la navigation par satellite et de la surveillance extra-atmosphérique (7). Le programme spatial militaire de Corée du Sud n’a, quant à lui, véritablement débuté qu’en 2006, avec le lancement d’un premier satellite de communication. Le très récent projet 425, composé de quatre satellites d’observation radar et d’un satellite d’observation optique, illustre les ambitions grandissantes de Séoul dans le domaine du renseignement spatial, même si les capacités de lancement sollicitées restent externes (en particulier via les services d’Arianespace). Appuyé sur des champions industriels locaux comme Korea Aerospace Industries, l’effort national n’en est pas moins résolument orienté vers l’acquisition d’une autonomie stratégique complète. Si le lancement dépendait jusqu’ici de technologies russes, Séoul a testé avec succès, en novembre 2018, un moteur de fusée pour son lanceur 100 % national de trois étages, le Korea Space Launch Vehicle-2 (KSLV-2), prévu pour 2021.
Singapour, la Malaisie, l’Indonésie et le Vietnam, bien qu’en progrès, ne sont pas au même rang que l’Australie et la Corée du Sud. L’Indonésie se distingue par l’ancienneté de son programme spatial fondé dans les années 1960, mais semble actuellement dépassée par les progrès du Vietnam. Nouveau venu dynamique, celui-ci comptait jusque-là sur les États-Unis, la France et la Belgique pour produire ses satellites, mais il a annoncé en 2017 sa volonté de produire son propre programme de manière autonome à partir de 2022. Hanoï ne cache pas le caractère militaire assumé de ses projets, justifiés par l’inquiétude croissante que lui inspire l’impressionnant décollage spatial chinois. Un axe géopolitique de coopération spatiale semble d’ailleurs se développer actuellement entre Vietnamiens, Indonésiens et Indiens, qui partagent vis-à-vis de Pékin des sentiments allant de la défiance prudente à la méfiance proclamée (8). La Malaisie suit le même chemin que le Vietnam depuis la mise sur pieds de son agence spatiale en 2002. Elle multiplie les coopérations internationales pour progresser dans le domaine des communications (flotte MEASAT, en partenariat avec Boeing). Dans ce groupe d’outsiders membres de l’ASEAN, Singapour est sans doute l’acteur qui se détache le plus actuellement, en raison d’un investissement à fort effet de levier dans les technologies spatiales innovantes (9). Appuyé sur une trentaine de sociétés et des universités dynamiques disposant de programmes satellitaires, au premier rang desquels celui du Satellite Research Centre de l’Université de technologie de Nanyang, le secteur spatial local est en constante ébullition depuis 2013. L’un des objectifs de la cité-État insulaire semble être de se positionner sur le créneau des micro- et nano-satellites, et à terme de les mettre en orbite avec ses propres lanceurs légers, en profitant de sa position favorable proche de l’Équateur (10). À l’autre extrémité du Rimland eurasien, les Émirats arabes unis émergent quant à eux comme le joueur le plus audacieux de la géopolitique spatiale moyen-orientale (11). KhalifaSat, premier satellite construit en autonome, a été lancé en octobre 2018 par la fusée japonaise H2. Quant au Plan national pour la promotion des investissements spatiaux, annoncé fin janvier 2019, il n’est que la dernière étape d’une planification volontariste qui a vu Abou Dhabi fixer à 2020 le lancement d’une première mission orbitale martienne !
Sur d’autres continents, hors Occident, les progrès sont plus contrastés. Comparée aux tigres asiatiques, l’Amérique du Sud ne compte pas encore de véritables « jaguars » du spatial, en dehors du Brésil, volontaire et constant dans le domaine, qui vient d’organiser en 2018 une Commission de développement de son programme spatial pour mieux structurer l’émergence d’un nouveau continuum d’innovation entre ses acteurs publics et privés. L’Armée de l’air brésilienne, qui coordonne les efforts dans le domaine, y joue un rôle majeur. L’Afrique, on l’a vu en introduction, investit sur le plan symbolique avec son initiative panafricaine, même si les programmes les plus concrets sont aujourd’hui conduits au niveau national, du Nigeria au Maroc en passant par le Kenya.
Tous ces émergents progressent donc dans le domaine spatial via l’utilisation de leurs propres satellites, la production prochaine de leurs propres lanceurs ou le développement de programmes spatiaux de défense de plus en plus ambitieux. Pour autant, ils restent pour l’immense majorité dépendants des lanceurs contrôlés par d’autres puissances. Pour quelques années encore, les services d’accès à l’Espace offerts par les Américains, les Russes, les Européens ou les Indiens apparaissent donc difficilement contournables. Le premier satellite tunisien, baptisé Challenge One, qui sera opérationnel en 2020, en est l’un des exemples. Le programme, très ambitieux, prévoit de rattacher à ce premier élément une future constellation de trente satellites, qui œuvreraient entre autres dans le domaine de la sécurité. Reste que ce lancement sera réalisé grâce aux services de la société russe GKLaunchServices, elle-même rattachée à l’agence spatiale russe Roskosmos (12).
Du point de vue de l’accès orbital, les entreprises du New Space offrent bien entendu aux outsiders du spatial une alternative intéressante, y compris pour des programmes d’utilisation militaire de l’Espace. Mais bien qu’ils soient privés, ces nouveaux acteurs, en majorité américains, entretiennent un lien stratégique extrêmement fort avec Washington, qui peut influer sur leurs choix de clientèle. On peut donc penser que le changement réel dans la hiérarchie géopolitique spatiale internationale viendra surtout de l’autonomisation des bases industrielles et technologiques spatiales propres aux outsiders étatiques. En Asie, en Amérique du Sud et en Afrique, la nouvelle géopolitique du spatial, qui commence à être refaçonnée par les acteurs émergents rapidement décrits dans cette première partie, dépendra tout autant de la démocratisation technologique impulsée par un New Space pour le moment très occidental, que d’une quête d’autonomie propre aux États émergents qui souhaiteront s’appuyer sur des coopérations régionales comme sur les opportunités du développement privé pour renforcer leur liberté d’action stratégique souveraine.
L’infléchissement multipolaire des équilibres de puissance extra-atmosphérique sera donc progressif. Et le « rattrapage spatial » souvent prédit sera en réalité d’autant plus incrémental qu’il devra tenir compte des progrès simultanés des acteurs traditionnels du paysage spatial militaire. Ceux-ci ne sont nullement les spectateurs passifs d’un bouillonnement multipolaire qu’ils se contenteraient d’observer. Ils progressent au contraire à grandes enjambées, soucieux de conserver une avance significative ou – pour ce qui concerne les États-Unis – de sécuriser une domination sans partage de la nouvelle frontière stratégique en devenir.
Les progrès des acteurs spatiaux dominants : la vraie rupture ?
L’échiquier de puissance du XXIe siècle a définitivement vu s’imposer un quatrième milieu stratégique qui ne se contente plus de fournir des services de soutien aux trois premiers (air, terre, mer), mais qui se place désormais au même niveau qu’eux, parce qu’il est précisément devenu en lui-même un théâtre de conflits potentiels. C’est la prise de conscience de cette nouvelle réalité qui entraîne une intensification générale des ambitions spatiales, dont nous avons décrit très sommairement le dynamisme foisonnant. Pour autant, cette nouvelle configuration stratégique du paysage spatial international, certes conditionnée par l’irruption de nouveaux acteurs, demeure orientée au premier chef par les progrès des grandes puissances du domaine que restent les États-Unis, la Russie, la Chine, le Japon, l’Inde et l’Union européenne. Ce sont les rivalités géopolitiques entre ces acteurs de premier rang qui motivent et sous-tendent les déplacements des nouvelles pièces d’un échiquier spatial militaire dont la démocratisation technologique indubitable n’entraîne pas fatalement l’égalisation effective de puissance.
En Asie, la rivalité politique entre Chine et Japon est ainsi l’un des moteurs d’une nouvelle course spatiale entre acteurs de premier rang. Les joueurs secondaires sont priés de se réaligner sur les deux chefs de file autoproclamés, comme l’illustre la création récente de deux instances régionales de coopération spatiale respectivement soutenues par Tokyo et Pékin, et forcément rivales dans les faits, l’Asia-Pacific Regional Space Agency Forum (APRSAF) d’une part, et l’Asia-Pacific Space Cooperation Organization (APSCO) d’autre part (13). L’Inde, qui est peut-être l’acteur spatial « traditionnel » qui enregistre les progrès les plus significatifs depuis un an, refuse cette dichotomie et présente une alternative de puissance et d’influence autonome de plus en plus crédible au niveau régional, notamment en entamant l’année 2019 en fanfare, avec le lancement réussi de deux satellites de surveillance en janvier, dont l’un aurait ensuite joué un rôle dans le retentissant – et très controversé – test antisatellite conduit le 27 mars. Ce signal d’affirmation stratégique – adressé en particulier au rival régional chinois – n’est que le début d’une série de lancements qui devraient rythmer 2019 sur un mode résolument militaire, avec la mise en orbite de nouveaux satellites de surveillance dont les séries Radar Imaging Satellite (RISAT) et CartoSAT-3. La Russie, forte d’un très robuste héritage scientifique dans le domaine, apparaît, elle aussi, en pleine relance extra-atmosphérique, avec une posture extrêmement offensive. La géopolitique spatiale eurasiatique, que nous ne pouvons malheureusement développer davantage ici, donne ainsi à voir une dynamique volontariste, innovante, où la Chine joue sans nul doute le rôle d’aiguillon stratégique majeur.
L’aspect centralisateur étatique n’est pas seul à rentrer en ligne de compte dans cette relance généralisée. Les acteurs privés du domaine spatial se développent en effet rapidement en Inde, au Japon et en Chine. Le New Space ne se limitera pas longtemps aux cas emblématiques des entrepreneurs américains Bezos (Blue Origin) ou Musk (Space X), et l’on verra sans doute assez rapidement s’illustrer des tycoons chinois ou indiens porteurs d’une vision non moins ambitieuse et disruptive. À l’instar du cas américain, les liens d’intérêt stratégique bien compris entre les visionnaires privés de ce New Space eurasiatique et les États qui les accueilleront et les sponsoriseront seront sans doute extrêmement étroits…
L’émulation concurrentielle qui semble conditionner la relance des aspects militaires et sécuritaires spatiaux chez les grandes puissances eurasiatiques contraste dans une large mesure avec l’aspect déséquilibré qu’offre le duo occidental constitué des États-Unis et de l’Union européenne. À Washington, on assiste en effet à un renouveau conceptuel, doctrinal, technologique, capacitaire et économique, d’une ampleur sans équivalent depuis la rupture qu’avait constitué l’objectif de « suprématie spatiale » développé au début des années 2000 par l’Administration Bush. Une stratégie globale de domination spatiale, fondée sur le concept d’overmatch décliné à l’envi dans la nouvelle National Security Strategy (14) de l’Administration Trump, semble présider à cette vision musclée dont l’annonce de la création d’une nouvelle « armée spatiale » ne constitue que l’un des aspects structurels les plus visibles. Avec cette relance, dont il faudra suivre avec attention les réalisations effectives, les États-Unis semblent donc promettre de rester l’acteur dominant du domaine spatial militaire, pour quelques décennies du moins.
Quant à l’Union européenne, elle constitue l’exception relative d’un peloton de premier rang uniformément dynamique. Elle tient certes son rang du point de vue des avancées spatiales duales, comme le démontre l’arrivée tant attendue de Galileo, et elle peut compter sur des acteurs industriels solides et innovants. Reste qu’en dehors du cas français marqué par un réalisme spatial politiquement assumé, et d’une Allemagne de plus en plus ambitieuse, elle semble encore hésiter à tirer toutes les conséquences des bouleversements induits non seulement par la multiplication d’acteurs secondaires avides de rattrapage stratégique mais aussi, et ceci est sans doute plus fondamental, par les sauts quantiques des puissances spatiales traditionnelles. Cette problématique nécessiterait à elle seule une étude exhaustive. Disons simplement que sans prise de conscience continentale plus volontariste concernant – entre autres – la surveillance de l’Espace ou la mise sur pied de capacités de dissuasion spatiale effectives, il se pourrait éventuellement que l’UE se retrouve prise dans le pire des scénarios, celui d’un décrochage du groupe de premier rang, qui se cumulerait avec un rattrapage inéluctable par les plus dynamiques des acteurs du second rang du nouvel échiquier spatial international. Pour les Européens, il s’agit d’éviter l’un et de retarder l’autre.
L’enjeu est bien ici celui d’un sursaut commun pour continuer à peser politiquement et stratégiquement en relayant les indispensables efforts de chaque Nation de l’Union sur le plan spatial militaire. ♦
(1) Gardien Damien, Hainaut Béatrice et Bouhet Patrick, « La guerre dans l’Espace. Quelles possibilités dans un futur proche ? », Défense et Sécurité Internationale (DSI), n° 135, mai-juin 2018, p. 77 (www.areion24.news/).
(2) Ciyow Yassin, « L’Afrique à la conquête de l’Espace », Le Monde, 26 avril 2019 (www.lemonde.fr/economie/).
(3) Verschuuren Pim, « Géopolitique spatiale : vers une course à l’espace multipolaire ? », Revue internationale et stratégique, n° 84, avril 2011, p. 40-49 (www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2011-4-page-40.htm).
(4) Lim Kevjn et Baram Gil, « Iran Is Mastering the Final Frontier », Foreign Policy, 14 mars 2019 (https://foreignpolicy.com/).
(5) Omid (qui signifie « espoir » en farsi) a été mis en orbite par le lanceur Safir (« ambassadeur »). Les nouveaux lanceurs iraniens Simorgh, apparus en 2010, semblent basés sur le modèle du Nodong nord-coréen.
(6) « North Korea Overall Space Capabilities » in Harrison Todd, Johnson Kaitlyn et Roberts Thomas G., Space Threat Assessment 2018, CSIS Aerospace Security Project, avril 2018, p. 20 (https://aerospace.csis.org/).
(7) Weitering Hanneke, « Looking Up from Down Under: Australia Partners with Boeing to Boost Its Young Space Program », Space.com, 13 avril 2019 (www.space.com/boeing-partners-with-australian-space-agency.html).
(8) En 2018, l’Inde et le Vietnam ont signé un mémorandum de coopération pour améliorer leurs liens dans le domaine spatial.
(9) Cf. Sarma Nandini, Southeast Asian space programmes: Capabilities, challenges and collaborations, ORF (Observer Research Foundation) Special Report, 7 mars 2019 (www.orfonline.org/research/southeast-asian-space-programmes-capabilities-challenges-collaborations-48799/).
(10) Teo Gwyneth, « Singapore companies shoot for the stars as space technology gets more accessible », Channel News Asia (CNA), 5 juin 2018 (www.channelnewsasia.com/news/singapore/space-technology-singapore-companies-shoot-for-the-stars-10365492).
(11) Foust Jeff, « UAE to establish Space Investment Plan », Space News, 22 janvier 2019 (https://spacenews.com/).
(12) « Le premier satellite tunisien sera lancé par une fusée russe en 2020 », Agence Afrique, 2 avril 2019 (www.agenceafrique.com/).
(13) « Asia in space: Cooperation or conflict? », ORF, 11 octobre 2018 (www.orfonline.org/research/asia-in-space-cooperation-or-conflict-44890/).
(14) National Security Strategy of the United States of America, décembre 2017 (www.whitehouse.gov/).