Le drame des États satellites
Le titre de ce livre pourrait laisser croire que son objet est l’étude des problèmes actuels des États satellites de l’URSS, tant l’habitude est prise de donner ce nom aux pays situés de l’autre côté du Rideau de Fer. Il est donc utile de préciser qu’il s’agit de l’histoire des États satellites de l’Allemagne au cours de la Seconde Guerre mondiale : Hongrie, Roumanie, Bulgarie et Finlande. On peut sans doute regretter que le titre prête ainsi à une certaine ambiguïté. De même, on aurait été heureux de trouver à la fin du volume un tableau synoptique des événements racontés dans l’ouvrage, ce qui aurait permis au lecteur de se faire plus facilement et plus rapidement une idée d’ensemble des faits et de leur correspondance. On souhaite qu’un tel tableau soit ajouté dans les éditions ultérieures.
Car il faut espérer que ce livre aura plusieurs éditions, et, les deux légères remarques précédentes étant faites, nous sommes plus à l’aise pour dire combien cet ouvrage historique apporte de clartés dans une série d’événements complexes et généralement peu connus : combien, d’autre part, il permet de faire d’utiles réflexions pour l’avenir, car la « satellisation » semble devoir être une condition de plus en plus probable des États faibles ou pauvres vis-à-vis des « Grands », riches et puissants.
En effet, M. Maxime Mourin, tout en demandant au lecteur de tirer lui-même des conclusions de l’histoire des quatre satellites du Reich dont il raconte les avatars au cours de la guerre, élève largement le débat ; il présente quatre « cas concrets », dont il faudrait appliquer les enseignements, tant à l’époque actuelle de guerre froide qu’en cas de guerre chaude éventuelle. Ainsi, son ouvrage n’est pas seulement un retour sur le passé, mais se présente bien davantage comme un résumé des observations auxquelles donnent lieu quatre expériences vécues, et dont il s’agit de déduire les lois de ce phénomène qu’est la satellisation.
Ce phénomène a été créé par la situation géographique des États en cause aux frontières du Reich, entre celui-ci et l’URSS ; par leur faible population et par la dépendance économique dans laquelle ils se trouvaient de l’étranger, faute d’avoir chez eux les ressources correspondant à leurs besoins. Mais il est aussi – et plus particulièrement – le résultat de la déclaration faite par les Alliés de poursuivre la guerre jusqu’à la reddition sans conditions de tous leurs adversaires, que ceux-ci soient Allemands ou satellites. La thèse de M. Maxime Mourin est que cette déclaration de Casablanca, du 24 janvier 1943, a contraint les États satellites à demeurer dans l’orbite allemande, malgré le désir qu’ils pouvaient avoir de s’en dégager, et a finalement permis la mainmise soviétique sur ces pays qui se trouvaient hors d’atteinte des Alliés occidentaux. Une intransigeance moins absolue, une souplesse plus diplomatique, auraient peut-être permis une évolution différente d’événements qui se trouvent à l’origine de la guerre froide d’aujourd’hui.
C’est cette thèse générale qu’illustrent les quatre récits que l’auteur consacre successivement à la Hongrie, à la Roumanie, à la Bulgarie et à la Finlande. Résumer ces récits est impossible, tant les événements sont complexes. Mais il est frappant de constater que le rythme en a été à peu près semblable, malgré la différence des situations et des intérêts dans chacun de ces pays. Qu’il s’agisse d’une régence à caractère féodal, comme en Hongrie, d’une dictature militaire, comme en Roumanie, d’un royaume autoritaire à forte minorité de gauche, comme en Bulgarie, ou d’une république démocratique et parlementaire, comme en Finlande, les réactions ont été – en gros – comparables. D’abord une adhésion plus ou moins spontanée à l’alliance avec l’Allemagne ; puis, après les premiers échecs de celle-ci, dans les immensités russes, une réticence plus ou moins marquée, se traduisant par des hésitations sur la politique à adopter, par des oppositions parfois violentes entre les partisans d’une solution ou d’une autre ; enfin, une période de « décrochage », de ralliement difficile à la cause alliée, à laquelle l’intervention soviétique devait mettre, dans les quatre cas étudiés, un terme brutal.
Il est poignant de voir si nettement exposé, le déroulement du « drame » dans l’esprit des responsables de ces petits pays, cherchant à sauvegarder l’indépendance et les intérêts vitaux de leurs peuples, entre l’obstination hitlérienne, la froide résolution anglo-saxonne et le péril communiste dont ils étaient parfaitement conscients et dont ils savaient l’étendue et le caractère inexorable. M. Maxime Mourin brosse vivement quelques tableaux de ces drames de conscience chez des hommes qui étaient souvent des « hommes de bonne volonté » ; cet aspect humain n’est pas le moins intéressant de son ouvrage.
Mais il est également instructif de comprendre à quel point les réactions effectives ou attendues des satellites influaient sur les décisions des Grands. On pourrait croire que l’Allemagne, sûre de sa force, s’embarrassait peu de ce que pensaient les peuples qu’elle dominait ; on constate au contraire, en lisant le livre de M. Maxime Mourin, quel fut le jeu subtil des inter-réactions entre les Grands et les Petits, et quelle est l’étendue véritable des possibilités de ceux-ci, insuffisantes sans doute pour changer l’orientation des événements, mais capables de créer des « occasions » dont les Grands doivent profiter.
Ce sont ces occasions que la déclaration de Casablanca sur la reddition sans conditions a empêché les Occidentaux de saisir. Et c’est probablement la leçon principale de l’ouvrage : si l’action militaire doit être brutale, l’action diplomatique doit rester souple et ne pas se priver, par des prises de position inconsidérées, de la possibilité d’exploiter toutes les chances.
Le « satellitisme », c’est un clavier ouvert sur lequel un diplomate doit savoir jouer. Le satellite ne peut pas être traité comme un ennemi, même s’il semble épouser la cause du Grand auquel il se rattache. Il peut devenir à tout instant un ami, et mieux, un allié, clandestin ou non. La « satellisation » est une politique à double tranchant, qu’on ne peut suivre qu’avec de grandes précautions ; aucun pays ne peut en domestiquer vraisemblablement un autre.
M. Maxime Mourin demande au lecteur de tirer lui-même des conclusions des « cas concrets historiques » qu’il présente. En voilà quelques-unes, dont on espère qu’elles ne trahissent pas la pensée de l’auteur et qu’elles pourront inciter à rechercher dans le livre lui-même toutes celles – nombreuses – qui peuvent en être extraites.
Car la matière est riche, et il faut féliciter l’auteur, malgré l’énorme difficulté de la tâche qu’il s’était assignée, de l’avoir si clairement et si objectivement présentée. ♦