Coopération économique franco-africaine
Dans son livre court et clair, M. René Hoffherr, Conseiller d’État et ancien Haut-Commissaire de France au Cameroun et dans le Pacifique, expose les conditions dans lesquelles s’effectue « la coopération économique franco-africaine ». Il faudrait être un spécialiste pour donner de ce livre un compte rendu pertinent, car il traite de questions techniques qui ne sont pas d’un abord facile pour le non-initié à l’emploi des statistiques. Mais nous avons pensé que l’opinion et les réactions d’un « lecteur moyen et de bonne volonté » pouvaient être de suffisantes garanties pour tous ceux qui ne font pas des questions économiques leur pâture quotidienne, mais n’en veulent pas moins, cependant, se tenir au courant des grandes questions de notre époque.
M. Hoffherr expose, dans son introduction, que s’il lui a été impossible de s’affranchir « du bagage statistique et de ses incertitudes », il s’est du moins « efforcé d’humaniser les chiffres », et qu’il entend répondre à quelques questions précises. Le plan de modernisation outre-mer, tel que l’a défini la loi de 1946, a-t-il atteint son but ou appelle-t-il des réserves ? Les « ensembles économiques » ou « complexes africains » correspondent-ils à une conception saine, sur le plan national et sur le plan international ? Les sources d’énergie situées en Afrique peuvent-elles servir à une coopération économique franco-africaine ?
Pour répondre à ces questions, l’auteur a divisé son livre en quatre parties. Dans la première, il étudie l’évolution du Pacte colonial avant 1939 ; c’est, en somme, une introduction historique aux questions actuelles. Dans la deuxième, il traite du plan de modernisation et en expose les principes d’une part, les conditions d’application d’autre part ; dans la troisième, il cherche à définir comment se sont répartis les charges et les profits des applications de ce plan entre la métropole et les territoires d’outre-mer. Dans la quatrième enfin, il étudie le problème de l’énergie et sa place dans la coopération économique franco-africaine.
Le lecteur se trouve donc en face de questions précises et d’un sommaire logique et correspondant bien aux questions posées.
Passons rapidement sur la partie historique, non qu’elle soit sans intérêt, mais parce qu’elle est plus connue. Retenons cependant l’essentiel ; pour l’auteur, « l’esprit du Pacte colonial subsiste encore largement dans la pratique courante », mais les situations sont très dissemblables dans les divers territoires d’outre-mer et les sociétés française et africaine sont très composites et fort loin de former deux blocs juxtaposés.
Le plan de modernisation s’inspire du désir d’élever le niveau de vie africain et procède d’une tendance qui se retrouve chez les autres puissances colonisatrices, notamment l’Angleterre et la Belgique. C’est évidemment le financement qui détermine les possibilités de réalisations. Ce financement associe la Métropole et les territoires dans un effort commun, mais qui ne peut comporter l’égalité des charges. La Métropole prend à son compte les dépenses de la section générale, c’est-à-dire celles qui concernent la recherche et les équipements qui, par leur nature, peuvent profiter simultanément à la France et aux territoires d’Outre-mer. Elle participe aux dépenses de la section d’Outre-mer, celles qui concernent la mise en valeur locale, en fournissant 53 % des capitaux et en avançant aux territoires, suivant un mécanisme avantageux pour eux, les sommes qui sont mises à leur charge. On sait ce qu’est le Fonds d’investissement pour le développement économique et social (Fides), qui répartit les crédits pour des périodes s’étendant à plusieurs années, et non pas restreintes aux années budgétaires traditionnelles. Les conditions dans lesquelles s’appliquent des principes généraux résultent de l’absence d’un inventaire des ressources africaines, des complications dues aux évaluations, de dépassements de crédits dans les premiers travaux ; elles conduisent à des modifications du plan et à une révision de ses objectifs ; en bref, cette période de début de planification est une période de tâtonnement, mais c’est aussi une période riche en expériences.
A-t-elle servi ou desservi la cause d’une coopération économique franco-africaine ? M. Hoffherr examine d’abord les critiques adressées au Plan par des Africains, dont certains lui reprochent d’avoir augmenté les marges bénéficiaires du commerce et de l’industrie de la métropole, d’avoir endetté les territoires au-delà de leurs possibilités, d’avoir inégalement réparti les crédits. Puis il analyse les critiques faites par des Métropolitains qui estiment que les dépenses faites en Afrique sont trop élevées et d’un résultat aléatoire. Ceci fait, il tente de dresser un bilan objectif, malgré les difficultés qui résultent de l’absence d’une documentation suffisamment large, et après avoir passé en revue les différents investissements consentis dans l’infrastructure, dans l’agriculture, dans l’enseignement, etc. ; il conclut que le bilan « n’est pas négligeable » et que « le taux de croissance des territoires apparaît satisfaisant » ; mais aussi qu’une « phase nouvelle du plan ne s’en ouvre pas moins désormais qui devra s’inspirer des exigences et des enseignements de la révolution énergétique africaine ».
Ce qui est une transition pour aborder les deux autres questions. Nous insisterons moins que nous ne venons de le faire à propos du Plan, sur les complexes du Konkouré [Ndlr 2020 : fleuve de Guinée], du Kouilou [fleuve du Congo-Brazaville], de la Sakoa [Madagascar], de Colomb-Bechar [Algérie] ; ils sont généralement connus ; les lecteurs qui n’en connaîtraient pas les données principales trouveront dans le livre de M. Hoffherr un bon résumé. L’auteur donne sur ces complexes régionaux qui commencent, à se dessiner un avis nuancé, mais dans son ensemble favorable, répondant ainsi affirmativement aux questions qu’il s’était posées. Réponse affirmative, à condition toutefois que les complexes économiques soient l’objet d’une coordination sur le plan national et sur le plan international.
C’est donc sur une note optimiste que s’achève ce livre, non sans fixer des conditions à cet optimisme. Une coopération économique franco-africaine est possible, souhaitable, réalisable ; les perspectives sahariennes nouvellement ouvertes peuvent réaffermir cette conviction. « Puissent les peuples africains nous aider à faire de la coopération franco-africaine une victoire de tous les instants sur la stérilité, l’ignorance et la misère. »
Qui ne s’associerait à ce vœu, par lequel se termine ce livre ? Mais ne peut-on pas en émettre un second : que les Français de la Métropole comprennent bien les problèmes africains et les traitent sous leur véritable aspect ? La lecture de l’ouvrage de M. Hoffherr les y aidera certainement. ♦