Après les évènements d’Alger : l’Armée, l’Algérie et la Nation
Les événements de janvier à Alger ont démontré une fois encore, et pendant deux ou trois jours dans une lumière dramatique, que l’avenir de la nation française, pour le pire ou pour le meilleur, est désormais inséparable du problème algérien et de la solution finale qui sera donnée à ce problème. Or, au cœur de ce problème, il y a l’armée. Sans la volonté de l’armée, à tous les échelons de sa hiérarchie, de garder un sens à son combat, c’est-à-dire de garder l’Algérie liée à la France, l’Algérie est perdue. Sans la volonté de l’armée de maintenir son unité dans la discipline nationale, c’est l’Algérie elle-même livrée au chaos, la coupure entre les deux rivages de la Méditerranée, l’État réduit à l’impuissance et le pays livré aux factions : c’est-à-dire la certitude de convulsions anarchiques dans lesquelles la communauté de destin entre la France métropolitaine et l’Algérie ne pourrait être sauvée.
Les quelques réflexions en marge de la crise de janvier qui vont être proposées ici au lecteur sont celles d’un homme qui a consacré à la défense de la cause française en Algérie, au cours des dernières années, la meilleure part de son activité d’écrivain et de journaliste : d’un homme qui est convaincu que la perte de l’Algérie, trop légèrement acceptée à l’avance, sinon désirée, par quelques petits clans d’intellectuels et de technocrates, serait le malheur national suprême, avec pour conséquences probables le déchaînement d’une guerre du désespoir sur le territoire algérien lui-même, et le glissement de la France entière vers l’une de ces tyrannies auxquelles se confient les peuples humiliés et découragés. Il me semble tout particulièrement nécessaire à l’heure où l’attitude de l’armée en Algérie au cours de journées difficiles fait l’objet de tant de commentaires, de questions et même, dans certains journaux, de critiques plus ou moins acerbes, de commencer par une mise au point qui sera aussi un acte de gratitude. Dans la semaine des barricades, l’armée française d’Algérie dans son ensemble a acquis de nouveaux titres à la reconnaissance de la nation : non seulement parce qu’elle a su éviter une tragique effusion de sang sous les regards de la rébellion F.L.N., mais parce qu’elle a, dans des circonstances moralement et matériellement difficiles, un moment angoissantes, sauvegardé la triple unité, sans laquelle il n’est pas de salut possible : sa propre unité interne, l’unité de l’armée et de l’État, l’unité du territoire algérien et du territoire métropolitain.
Je n’ai pas le loisir de sonder ici les causes et de définir les circonstances qui ont abouti à la naissance, le 24 janvier à Alger (et non, on le sait dans toute l’Algérie) d’un climat insurrectionnel. Il me suffira de rappeler quelques-uns des éléments déterminants de la situation : l’inquiétude créée, dans une population européenne qui avait espéré du 13 mai la fin de ses incertitudes et une Algérie irrévocablement française, par le « pari » de l’autodétermination ; la méfiance à l’égard de Paris et du pouvoir central parisien, méfiance exaspérée par les campagnes d’une certaine presse, par les intentions que cette presse, conformément à ses propres vœux, prêtait au Général de Gaulle : négociations politiques avec le pseudo-gouvernement du F.L.N., préférence pour un statut final d’association ; la campagne terroriste d’attentats contre les cultivateurs européens de la Mitidja, qui avait sans aucun doute pour but de pousser la population européenne à des représailles contre les Musulmans et qui, en fait, ne dressa pas cette population contre l’autre communauté, mais contre le pouvoir central ; enfin, le « complot » lui-même, c’est-à-dire l’entreprise préméditée de certains groupes dit ? « activistes » pour imposer à Paris un changement de régime, de gouvernement ou tout au moins de politique. Je ne dispose pas des éléments nécessaires pour préciser à quel point de préparation et d’organisation fut poussé ce « complot ». Ce qui paraît certain, c’est qu’il ne mettait en jeu qu’un petit nombre de participants effectifs. Mais le passage de ces groupes de choc à l’action directe, au sein d’une ville nerveuse et « sensibilisée » à tout ce qui paraissait susceptible de compromettre ou au contraire d’assurer le salut de l’Algérie française, devait produire l’effet d’un tison dans un magasin de matériaux inflammables et le produisit en effet.
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