À propos de l’expérience de Reggane
Voici donc la France et les autres États de la Communauté bientôt dotés de l’arme atomique à la suite de la brillante démonstration du 13 février à Reggane.
Après un retard imputable à la seconde guerre mondiale, l’élite scientifique française vient de reprendre, relativement à peu de frais et par ses seuls efforts, sa place dans un domaine où elle avait été à l’avant-garde. Cette réussite nous apporte la preuve éclatante de la vitalité et du redressement français.
Les installations expérimentales existantes vont nous permettre de poursuivre nos études. Il nous sera ainsi possible de moderniser les Forces Armées de la Communauté. Le potentiel défensif de la Communauté s’en trouvera sensiblement accru et l’indépendance de chacun des États qui la composent mieux assurée. En outre, la couverture méridionale de l’aire géographique confiée à l’OTAN sera consolidée.
Cette démonstration indiscutable des possibilités scientifiques françaises doit donner « droit de cité » à la France parmi les autres puissances atomiques mondiales. Je souhaite qu’elle soit mise à profit afin d’améliorer aussi, par la mise en commun de leurs ressources intellectuelles et matérielles, les moyens défensifs des nations occidentales, car il apparaît que c’est effectivement à l’échelle atlantique que la présente course spectaculaire aux techniques semble devoir se situer pour rivaliser avec les réalisations soviétiques.
Tous ces objectifs étant atteints, je suis persuadé de la diminution sensible des risques de conflit et de la possibilité, comme l’a exprimé le Général de Gaulle, dans sa déclaration du 13 février, de la conclusion d’accords entre puissances atomiques en vue de réaliser le désarmement nucléaire.
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C’est en toute connaissance de cause que nous avons pris en Conseil Exécutif de la Communauté la décision de procéder à l’expérience de Reggane, malgré une campagne tendancieuse d’agitation anti-française, déclenchée à l’occasion de ce que certains pensent être, car on ne sait plus exactement, la 200e et d’autres la 211e explosion expérimentale atomique.
Les uns, en effet, ne veulent absolument pas reconnaître à la France le droit de procéder à ses propres expériences nucléaires. Au cours de mes voyages, à une semblable appréciation, j’ai toujours répliqué que je ne pouvais pas concevoir l’existence d’un quelconque « droit divin » à l’usage exclusif de certaines puissances.
D’autres ont voulu aussi effrayer l’opinion sur la nocivité de l’explosion française. Toutes les dispositions avaient cependant été prises pour assurer à cette expérimentation les conditions de sécurité indispensables et même comparables à aucune autre. Ces assurances n’étaient pas vaines et les résultats des mesures effectuées dans de nombreux États africains apportent bien tous les apaisements nécessaires.
L’inutilité d’une telle explosion a été enfin évoquée. Ceci est inexact, mais malaisément explicable à une opinion non avertie. Elle présente au contraire un intérêt scientifique considérable et une part des enseignements de Reggane s’inscrit au profit des recherches intéressant l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, donc aussi au bénéfice des pays sous-développés dépourvus des sources traditionnelles d’énergie.
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Somme toute, la brillante démonstration de Reggane apporte désormais une contribution déterminante au potentiel défensif de la Communauté et, il faut l’espérer, à celui du monde occidental.
Tout en écartant davantage les risques de conflit, elle permet à la France d’intervenir plus efficacement à l’élaboration des accords sur le désarmement nucléaire.
Elle apporte aussi une contribution importante à l’amélioration de la condition humaine, car, en définitive, je reste persuadé, comme tous mes amis de la Communauté, que la véritable vocation de l’énergie atomique est dans son utilisation à des fins pacifiques pour le progrès et le bien-être de l’humanité. ♦