Au-delà de Clausewitz – Une nouvelle doctrine de la guerre
Pour construire l’Eurafrique, il ne faut pas commencer par la détruire à coups de bombes. Un stratège du Pentagone qui regarde le globe terrestre aperçoit notre continent, ou ce qu’il en reste, comme une tête de pont. Ici la Corée. Ici l’Insulinde. Là, l’Europe. Dans ces espaces contestés, les vicissitudes des combats ne sont en somme que des détails dans une lutte entre l’Amérique et l’Eurasie soviétique que l’Atlantique et le Pacifique séparent. Pour cette lutte, les instruments décisifs sont les bombardiers ou les engins à grand rayon d’action et les bombes thermonucléaires. Tous les efforts se tendent vers la parade et la riposte à un « Pearl Harbour » atomique.
Mais l’Europe doit apporter — ou faire prévaloir — une autre doctrine. Elle n’est pas une tête de pont. Elle est pour nous le centre de tout. Si nous voulons la sauver, il nous faut rejeter la pensée américaine, pensée d’un monde qui n’est pas le nôtre, et par un prodigieux effort de réflexion briser le cercle des erreurs dans lequel nous sommes aujourd’hui enfermés. On nous dira que l’emploi des engins thermonucléaires découle inéluctablement de cette loi formulée par Clausewitz selon laquelle il ne peut y avoir dans la guerre de limitation à la violence. On nous dira que la bombe thermonucléaire est l’instrument idéal de la guerre à la Clausewitz.
Elle est l’arme de la terreur et des paniques démentielles. Elle est l’arme du chaos, capable de tuer et de blesser en un moment des centaines de milliers de personnes, de dévaster l’économie, de supprimer l’appareil et les moyens de gouvernement. Elle est l’arme de la surprise qui peut assassiner un peuple, une nation en un seul jour, sans préavis. Mais précisément parce qu’elle est tout cela, nous prétendons que cette arme est à la fois le couronnement et la fin de la doctrine de Clausewitz. L’explosif atomique est venu introduire dans cette doctrine une difficulté qu’elle ne peut résoudre, comme l’expérience de Michelson sur la vitesse de la lumière avait mis en échec la physique du XIXe siècle. La non limitation de la violence, proclamée par Clausewitz, est inconciliable avec cette autre loi qui fait de la guerre une « continuation de la politique ». Il appartient à l’Europe de résoudre cette difficulté transcendantale.
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