La « force de frappe » nationale : les données du problème
L’élaboration de programmes visant à doter la France d’une « force de frappe » atomique, la décision du gouvernement britannique de renoncer à la fusée Blue Streak ont, une nouvelle fois, attiré l’attention sur le problème de l’arme nationale de dissuasion. Ce problème peut être abordé de différentes manières — et surtout, même sans qu’intervienne la signification symbolique, quasi-mythique, de « la Bombe » ; il l’est parfois indépendamment de certaines de ses données essentielles. Celles-ci ne peuvent être sérieusement appréciées qu’en fonction des lois de la dissuasion, de cette logique nucléaire complètement différente de celle qui présidait à la mise au point des stratégies anténucléaires.
Le général Gallois les a ainsi esquissées : « L’échec de la politique militaire américaine serait manifeste à partir du moment où cette politique ne pourrait empêcher le recours à la force. La défaite, ce serait l’échange des premiers coups thermonucléaires et cette défaite serait symétrique. Désormais, il ne s’agit plus de conduire des opérations de combat, il faut faire en sorte qu’on renonce à la lutte. Le meilleur des états-majors n’est plus celui qui a le mieux préparé son pays à conduire des opérations, mais bien celui qui a su faire comprendre la vanité et les dangers d’un recours à l’épreuve de force. Et chacun sera d’autant moins prêt à courir les risques d’un conflit que l’autre lui apparaîtra mieux préparé à faire la guerre et plus déterminé, si besoin était, à y avoir recours » (1).
Cette conception du rôle de la puissance armée date de l’explosion de la première bombe thermonucléaire : puisqu’aucun système défensif ne peut plus balancer la toute-puissance de l’attaque, même une attitude purement défensive ne peut plus être fondée que sur des moyens offensifs, et puisqu’aucune force ne peut empêcher qu’un projectile thermonucléaire ne frappe le territoire choisi comme objectif, il faut, en guise de défense, user de la menace d’un châtiment analogue, c’est-à-dire de représailles nucléaires. Jusqu’à cette première explosion d’une bombe thermonucléaire, chaque parti pouvait chercher à user lentement le potentiel de combat de l’autre, ou à saper sa volonté de poursuivre sa lutte, l’attaque et la défense s’équilibraient, la guerre d’usure donnait alors un sens à la défense antiaérienne.
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