Le réarmement allemand
La position de l’Allemagne — du moins celle qui se reflète dans l’opinion de beaucoup de ses habitants — est particulière. Elle aimerait bien être défendue. Elle ne tient pas beaucoup à se défendre elle-même. Elle estime que le rôle de « bouclier » contre une attaque venant de l’Est revient aux grandes puissances ; qu’elle-même n’a pas à jouer, au jour J, un rôle de premier plan que lui interdisent ses moyens ; que le plus clair, au demeurant, de la grande « aventure », serait pour elle de voir l’étroite bande de terrain placée aux avant-postes, qui est son domaine, vouée au sort peu enviable de la « terre brûlée ». Elle estime encore que la médiocrité de ses moyens militaires lui permet à la grande rigueur une « défense » de son territoire (Landesverteidigung), mais point un rôle d’intimidation (Abschreckung). Elle ne tient pas du tout à faire peur au « grand méchant loup ». Elle voudrait bien n’avoir pas peur elle-même. Et si possible — tout en ayant conscience de l’extrême difficulté d’une attitude passive en cas de conflit — demeurer en dehors des coups. Regarder de la berge. « L’équilibre de la terreur », c’est l’affaire des « Grands ». Ce n’est pas son affaire à elle. Son grand désir de sécurité — après tant de virages ! — lui fait contempler d’un œil méfiant jusqu’à l’hostilité, les rampes de lancement installées sur son territoire, dont elle craint qu’au lieu de la défendre, elles n’attirent sur elle la foudre. La fameuse position « ohne mich » (que tout se passe sans nous), officiellement abandonnée (les slogans vieillissent vite !), a encore bien des tenants inavoués au fond des cœurs allemands.
C’est sur ce fond de sentiments que se dessine la violente réaction provoquée chez l’homme de la rue, et bien plus encore dans la presse qu’il lit, par le « mémorandum des généraux » d’août dernier. Que l’on nous permette de revenir sur un fait qui n’a pas eu assez de place dans notre presse et qui garde la valeur d’un test décisif sur la mentalité allemande. Voyons les faits, et d’abord leur genèse. Du 11 au 18 juillet se réunissent à Kiel les chefs de corps de la Bundeswehr. Rien d’exceptionnel à cette réunion qui a été précédée par beaucoup d’autres. Ce qui mérite attention, c’est le thème général des exposés et des discussions. Il a paru utile aux officiers généraux rassemblés, en raison des mouvements d’opinion passionnés auxquels donne lieu dans le pays l’armement de la Bundeswehr, de donner à la troupe les moyens d’information nécessaires sur ce thème d’éminente actualité : comment défendre l’Allemagne contre une attaque venant de l’Est ? Se trouve là et préside le Ministre de la Défense en personne, Franz-Josef Strauss, qui donne son approbation à la réalisation de ce vœu sous la forme d’une brochure de forme claire et facilement accessible qui s’insérera dans la collection des « informations destinées à la troupe » (Informationen für die Truppe).
La brochure paraît. Le Ministre Strauss a approuvé le plan général et donné son accord à la publication. La rédaction a été confiée à une commission d’officiers supérieurs. La brochure, en l’absence de l’Inspecteur général Heusinger, est signée par l’Amiral Ruge. Son titre : « Conditions d’une défense efficace du territoire ». On a apporté à sa confection matérielle un soin particulier. Elle est éditée sur papier glacé en deux couleurs, blanche et bleue. Le bleu est notamment réservé aux trois postulats majeurs d’une défense territoriale efficace : le service militaire obligatoire, l’appartenance à l’OTAN, « la nécessité de pourvoir en armes nucléaires les effectifs chargés de jouer à la frontière le rôle de « bouclier » (Schildstreitkräfte) ».
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