La question des moyens alloués par les nations à leur organisation atlantique est depuis les origines une question débattue ; elle en encadre l’ambition. C’est d’abord la question des ressources communes et de leur judicieuse répartition. Mais passer d’une logique de moyens à une logique de performance est chose complexe et l’Alliance a encore du mal à s’y résoudre. La France pourrait, selon l’auteur, y contribuer.
L’Alliance et ses ressources : situation et perspectives
Note introductive : le point de vue exprimé dans le présent document est celui de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue officiel de l’Otan.
Une étude de la situation de l’Alliance atlantique en 2012 et une analyse des défis auxquels elle doit faire face ne sauraient être exhaustives sans y introduire la variable des ressources, notamment par une mise en perspective des enjeux qui y sont associés. Aucune décision, même dans le champ opérationnel, ne peut désormais se concevoir sans la prise en compte de l’analyse des moyens humains, matériels et financiers qu’elle est susceptible d’entraîner. À l’Otan aussi, « l’intendance » doit aujourd’hui précéder plus que suivre. À ce jour, les besoins en ressources de l’Alliance semblent n’avoir jamais été aussi coûteux. De fait, l’importance de la question des ressources est toujours proportionnelle à leur rareté et s’impose chaque jour un peu plus dans une alliance de nations traversées par une crise économique majeure.
Quelles ressources pour l’Alliance ?
Les ressources humaines, matérielles et financières dont dispose l’Alliance sont d’abord, par définition, celles de l’ensemble des États-membres.
Derrière cette apparente évidence se dessinent les contours d’une réalité particulière qui est celle de la coexistence de ressources mises en commun de façon permanente par les alliés et de la masse des ressources mobilisées au cas par cas pour mettre en œuvre des décisions politiques d’engagement de moyens militaires, dans le cadre de la défense collective (article V) ou dans celui de la gestion des crises depuis la fin de la guerre froide.
Des ressources communes : la partie émergée de l’iceberg
Dès les premières années de l’Otan, au début des années 1950, il est apparu nécessaire, dans le cadre de la préparation des forces alliées aux engagements de la défense collective, de mettre en commun une partie des ressources financières des États-membres afin de réaliser les investissements particulièrement lourds nécessaires pour créer ou rénover les infrastructures : les bases aériennes, les réseaux d’oléoducs, les centres de transmission ou les installations permettant aux états-majors permanents de fonctionner. Le premier des deux principes régissant le financement commun des dépenses de l’Otan est ainsi devenu celui qui, traduit par l’expression anglaise « over and above », permet à ceux qui entreprennent sur leur territoire des opérations d’investissements allant au-delà de leurs besoins purement nationaux – les « nations hôtes » – de bénéficier de contributions financières des autres alliés.
Ce financement en commun d’infrastructures est organisé au sein du « Programme de l’Otan pour les investissements de sécurité » (NSIP). Celui-ci n’est pas un « pot commun » mais un ensemble de versements croisés entre alliés, régulé au siège par le Comité des investissements et auquel chaque nation contribue in fine à hauteur de sa clé de contribution. Depuis la fin de la guerre froide, une évolution importante tient au poids croissant au sein du NSIP des programmes liés aux Systèmes d’information et de communication, les SIC. De fait, une part prépondérante des investissements n’a aujourd’hui plus grand-chose à voir avec l’infrastructure au sens propre mais touche aux SIC, avec leurs caractéristiques : montants très significatifs, part croissante des besoins de fonctionnement associé et péremption rapide des solutions technologiques.
L’autre domaine des ressources financières propres de l’Alliance est justement celui des budgets de fonctionnement. Il s’agit cette fois véritablement d’un fonds commun mis annuellement à la disposition des grands commandements de l’Otan par des prélèvements sur les budgets de défense des État-membres.
Cette masse financière (1) réunit en fait un ensemble hétérogène de budgets destinés aux dépenses aussi variées que la maintenance des grands équipements de l’Alliance dans le domaine des SIC, l’entretien des bâtiments des états-majors permanents, le soutien courant des éléments « communs » dans les théâtres d’opération (états-majors et infrastructures de transmission) et le règlement des salaires et des pensions des employés civils de la structure militaire. Ce budget militaire finance également les coûts de maintenance de la flotte d’avions AWACS qui est à ce jour la seule grande capacité détenue par l’Otan, même si seulement 16 alliés sur 28 y participent.
Enfin une dernière ressource, et non la moindre, mise en commun de façon permanente, est celle constituée par les quelque 3 000 fonctionnaires internationaux de l’Organisation et les contractuels qu’elle emploie, essentiellement au siège bruxellois. Cette ressource humaine « commune » est financée par un budget civil, alimenté par des contributions des nations qui sont prélevées sur les budgets des ministères des Affaires étrangères. Les enjeux politiques de ce budget civil qui permet également au Secrétaire général de l’Organisation d’assurer les activités de partenariat avec des États non-membres de l’Alliance, sont inversement proportionnels à la relative modestie de son montant annuel (environ 200 millions d’euros).
La fixation des niveaux de ressources communes et la répartition de la charge
Chaque année les montants des ressources communes allouées à l’Organisation par les alliés sont fixés dans le cadre d’un « Plan de ressources à moyen terme » (2).
Ce plan fixe pour l’année n+1 le montant du plafond des dépenses exécutables au sein du NSIP ainsi que celui des budgets militaires de fonctionnement et éclaire l’horizon sur les cinq années suivantes en fixant des « montants planifiés ». Entériné in fine par le Conseil, ce plan est négocié entre alliés au sein du « Bureau de la politique et de la planification des ressources » (RPPB) qui est le forum principal de discussion sur les grandes questions liées aux ressources communes. Ce bureau est secondé, pour la mise en œuvre des grandes orientations et des niveaux de ressources, par le « Comité des budgets », pour les dépenses militaires et par le « Comité des investissements », pour le programme NSIP.
Le partage de la charge des financements communs est assuré par des clés de répartition calculées à partir des produits nationaux bruts des États-membres. Les clés des 28 alliés d’aujourd’hui vont ainsi de 25 % à 0,1 % (3). Sans surprise, les renégociations de ces clés donnent lieu à des discussions difficiles, comme ce fut le cas lors de la dernière remise à plat en 2005. Un plan de remise à jour de ces clés est finalement entré en vigueur en 2006 et s’étale sur dix ans. Dans le cadre de ce plan, la clé de contribution de la France aux budgets communs diminue (4) sans que cela suffise à faire baisser nos contributions du fait de deux réalités qui s’imposent : l’augmentation considérable des dépenses de l’Alliance ces dernières années (en particulier liées aux opérations) et notre retour dans la structure de commandement accompagné de la décision de participer à nouveau « pleinement » aux financements communs.
La masse « invisible » des ressources mobilisables pour l’Alliance
Les ressources mises à la disposition de l’Alliance vont en fait bien au-delà des financements communs. L’essentiel de la masse est en réalité « invisible ». Elle est mise en œuvre directement par les nations en cas d’activation de l’article V, activation restée jusqu’à présent, et fort heureusement, exceptionnelle et d’ampleur modeste (5). Elle est également utilisée dans les cas, beaucoup plus fréquents cette fois, de déclenchement d’opérations de gestion de crise qui sont devenues de facto l’activité militaire principale de l’Alliance depuis la fin de la guerre froide.
Quand une opération est décidée par le Conseil de l’Atlantique Nord, l’essentiel des ressources, en hommes et en matériels, est fourni par les « nations contributrices » qui assurent chacune la charge financière du déploiement, du sou tien et du redéploiement de leurs troupes dans le théâtre.
C’est le second principe fondamental de dévolution des responsabilités en matière de ressources dans l’Alliance : « les coûts sont imputables à leur auteur » (6). Ainsi, pour un allié qui fournit des troupes et des matériels, la contribution aux budgets communs des opérations, pour importante qu’elle soit (plus de 50 millions d’euros pour la contribution française en 2012), ne représente qu’une part marginale de la totalité de l’effort financier qu’il consacre à cette opération.
Le personnel militaire des états-majors de la structure de commandement et du siège (essentiellement celui de l’état-major international, qui prépare les travaux du comité militaire de l’Alliance) constitue également une ressource « non-commune », dont la charge financière (les rémunérations) est supportée par chacun des pays « fournisseurs ».
Les ressources communes : une lecture politique
Aux contraintes « techniques » naturelles qui s’exercent sur toutes les ressources financières, s’ajoute pour les ressources communes de l’Alliance une dimension supplémentaire, politique cette fois. Cette dimension politique est inévitable dans une alliance où le consensus est le seul mode de prise de décision. Compte tenu des différences – voire des divergences – d’approches, la pure rationalité économique s’efface alors bien souvent devant les réalités des agendas politiques.
Par ailleurs, le financement en commun est tout sauf un mode neutre d’allocation des ressources destinées à satisfaire une partie des besoins de l’Alliance. Il est de fait fortement « chargé » politiquement. Certains alliés y sont favorables par nature et y voient un instrument d’intégration, un « ciment de l’Alliance ». D’autres, en particulier ceux qui consentent par ailleurs un effort budgétaire national significatif au profit de leur défense, cherchent à en limiter l’extension, synonyme à leurs yeux de « déresponsabilisation » des autres alliés et de « double effort » pour eux-mêmes.
Les positions nationales vis-à-vis de l’évolution des financements communs s’expriment dès lors sur deux axes, non exclusifs l’un de l’autre : un axe « vertical », classique, traduisant l’ardente nécessité de maîtriser l’accroissement des dépenses en volume et un axe « horizontal », objet de vues divergentes sur l’opportunité d’accroître ou de limiter le périmètre des dépenses éligibles au financement commun.
On retrouve aussi régulièrement dans les discussions sur la répartition des ressources communes les différentes lectures de la raison d’être principale de l’Alliance : défense collective ou gestion de crise. Si tous s’entendent pour admettre que l’Alliance doit assurer les deux, le dosage des ressources affectées à l’un ou à l’autre de ces domaines donne souvent lieu à des débats animés. D’autant que les contraintes pesant actuellement sur les finances publiques de la grande majorité des États-membres rendent inéluctables la formulation de choix et la mise en priorité des besoins.
À l’Otan, les discussions sur les ressources quittent ainsi souvent les eaux tranquilles du raisonnement économique pour se porter vers le grand large agité des affrontements politiques. Cela est d’autant plus vrai que les « lignes de fracture » politiques se déportent systématiquement sur les comités de ressources. La raison en est simple : la recherche du consensus politique, y compris et surtout au plus haut niveau, celui des sommets des chefs d’État et de gouvernement de l’Alliance, incite ces derniers à une entente sur les principes qui peut se fissurer à la marge une fois le dossier arrivé dans sa phase de mise en œuvre au sein des comités chargés des ressources. Le diable se cache souvent dans les détails. Surtout quand on veut l’y trouver…
Les ressources communes de l’Alliance : état des lieux et réformes
Une mobilisation des ressources en baisse
Depuis la fin de la guerre froide, on assiste à un affaissement généralisé des efforts budgétaires que les membres européens de l’Alliance acceptent de consacrer à la défense. L’engagement collectif pris il y a dix ans de consacrer au moins 2 % du PIB aux dépenses de défense est honoré seulement par un petit nombre d’alliés européens, qui, depuis quelques années, et face à la crise financière puis économique, ont de plus en plus de mal à s’y conformer.
Alors qu’au même moment le grand allié américain envoie des signaux clairs de réorientation de sa stratégie vers l’Asie, les appels se multiplient outre-Atlantique vers les Européens pour les enjoindre de prendre davantage leur part dans le partage du fardeau de l’effort de défense de l’Alliance.
Une crise et des réformes…
Depuis le déclenchement de la crise financière et économique en 2008, les ressources venant à manquer ont été, plus que jamais sans doute dans l’histoire de l’Otan, au centre des débats entre alliés. En 2009, dans le contexte de la crise financière puis économique qui frappe la plupart des économies développées, un vent de panique a soufflé sur le programme NSIP : les montants mis à la disposition dans le plafond annuel fixé à 650 millions d’euros semblaient ne plus pouvoir permettre le développement des grands programmes d’investissement en cours. Les alliés ont alors pris des mesures d’urgence : injection de 300 millions d’euros de ressources nouvelles, report et étalement de « paquets de capacités » (7).
Au-delà, la rareté suscitant effort et imagination, de véritables réformes structurelles et mesures de rationalisation des dépenses et des organisations ont été lancées et le Sommet de Lisbonne en novembre 2010 a consacré une part importante de ses travaux aux voies et moyens de rendre l’Alliance plus « économique ». Les plus visibles d’entre elles sont la réduction volontaire de près de 30 % des effectifs de la structure de commandement et la réforme des agences de l’Otan, qui sont ramenées de quatorze à trois. Ces dernières vont, de plus, évoluer vers un mode de financement « par le client » et non plus à partir de dotations prélevées sur le budget militaire commun. La généralisation de ce mécanisme, encore marginal aujourd’hui, s’accompagnera d’une remise à plat des modalités de gouvernance de ces entités qui devront davantage qu’aujourd’hui développer leur activité et leur chiffre d’affaires et rendre compte aux nations de leur performance.
Les autorités militaires de l’Alliance, sous le contrôle du comité militaire, ont, elles aussi, conduit une grande campagne de mise en priorité des projets d’investissements, fondée sur une analyse fine du besoin militaire et de l’urgence. Cependant, les économies attendues, en particulier de la réforme des agences, sont encore très loin de se concrétiser et il ne faut pas négliger les surcoûts conjoncturels induits par une transformation de la structure de commandement qui s’est davantage appuyée sur une volonté politique que sur une analyse préalable et en profondeur des processus.
Les ressources humaines : l’émergence du « troisième pilier »
La ressource humaine militaire a longtemps été « invisible » à l’Otan car, mise à disposition par les nations, elle n’apparaissait pas dans les budgets militaires communs. Elle constituait dès lors en quelque sorte pour l’Alliance une ressource « hors-bilan ».
Face aux contraintes qui pèsent en interne sur les effectifs militaires des Alliés, le personnel devient véritablement une « ressource » au même titre que les autres, c’est-à-dire comptée. Par ailleurs, les postes non pourvus par les nations au sein de la structure de commandement peuvent devenir sources de dépense commune, engendrée par la nécessité de faire assurer les fonctions correspondantes par des fonctionnaires civils ou des contractuels payés cette fois sur les budgets communs. Il est malheureusement à craindre que la tendance ne puisse s’inverser, même au sein d’une structure réduite d’un tiers, en particulier pour les domaines de compétence rares dont la gestion est déjà particulièrement tendue dans les armées des pays membres (spécialistes des systèmes de communication, informaticiens…).
Un fossé grandissant entre ambition et moyens ?
On constate enfin depuis la fin de la guerre froide une forme de découplage entre les décisions politiques de haut niveau et la mise à disposition des ressources nécessaires pour les mettre réellement en œuvre. Autrement dit un fossé entre le niveau d’ambition affiché (en particulier dans sa traduction militaire des scénarios d’engagement à préparer) et les moyens que les nations alliées sont en mesure de mobiliser pour le concrétiser.
L’ajout de nouveaux projets financés en commun s’opère généralement sans une visibilité suffisante de la « traîne » des dépenses récurrentes de fonctionnement qui viennent, avec un effet retard, grever le budget militaire pour des montants significatifs (près de 80 millions d’euros par exemple pour la composante des drones de surveillance air-sol). Il en résulte un empilement des besoins à financer, sauf à poser des choix draconiens en termes de réduction des dépenses et de mise en priorité des besoins. À cet égard et au vu des besoins exprimés par les grands commandements dans le plan de ressources pour les années 2013-2017, la révision de la structure de commandement, déjà ambitieuse et complexe à mettre en œuvre, pourrait n’y pas suffire.
Dans l’Alliance de « l’après-Chicago »,
les défis à relever ne manquent pas dans le domaine des ressources
Le récent Sommet de Chicago a été dominé, sans surprise, par les discussions portant sur l’avenir de l’opération conduite par l’Alliance en Afghanistan. L’ombre massive de la contrainte des ressources a aussi plané sur les travaux des chefs d’États et de gouvernements.
Pour l’Afghanistan, encore et toujours des ressources
Le traitement du dossier afghan lui-même connaît une évolution qui l’en traîne plus directement encore sur le champ des ressources financières. Quels que soient en effet les contours précis du rôle de l’Alliance après 2014, fin annoncée de mission pour la Force internationale d’assistance et de sécurité (Fias), l’essentiel des efforts de la communauté internationale se traduira par un transfert sur des contributions financières pour soutenir le développement des forces de sécurité afghanes. Alimenté par des contributions volontaires dans un cadre qui reste encore à définir, cet effort, sous une forme nouvelle, engagera les alliés contributeurs pour des montants très significatifs. Ainsi la pression sur les ressources et les débats sur la répartition du fardeau au sein de l’Alliance ne vont sans doute pas cesser à propos du dossier afghan.
Développement capacitaire : l’imagination au pouvoir
Dans le domaine du développement des capacités nécessaires à l’Alliance, le Sommet de Chicago a mis en évidence le principe de mobilisation des ressources dans un cadre multinational, grâce à l’initiative dite « Smart Defence ». Il est délicat de résumer les principes de celle-ci d’autant que là encore, les lectures qui en sont faites au sein de l’Alliance sont pour le moins diverses. S’agit-il de « faire mieux avec moins de ressources », voire de « faire moins » ou de faire « autrement » ? L’initiative de « Smart Defence » est au cœur du développement de capacités vers l’horizon fixé pour le moment à 2020 et quelques projets phares se font déjà jour ; mais cette entreprise ouvre encore plus de questions qu’elle ne fournit de réponses. Parmi des questions, il en est une dont la résolution demeure très politique : les financements communs y joueront-ils un rôle et dans l’affirmative, ce rôle sera-t-il premier ou d’appoint ? Les débats sont encore loin d’être tranchés entre alliés.
Derrière la question du financement commun, se cache la grande interrogation des alliés dont l’effort de défense est déjà conséquent : l’initiative « Smart defence » contribuera-t-elle à donner un coup d’accélérateur aux efforts de défense de chacun des alliés ou sera-t-elle l’occasion d’un ralliement à peu de frais de la plupart aux efforts de quelques-uns ?
Évolution des financements communs : entre ambition et prudence
Le mandat de Chicago sur la réforme du financement en commun illustre une fois de plus le caractère politique de ce mode d’allocation des ressources pour l’Alliance. Un mandat, complexe dans sa formulation et mesuré dans sa portée, fruit comme souvent d’un compromis entre les approches divergentes sur la nature même des financements communs, a été confié au RPPB par les dirigeants des nations alliées à Chicago. Il s’agira d’« analyser dans quelles mesures les dispositions actuelles régissant les financements communs satisfont encore les attentes des nations, en prenant en compte la mise en priorité des besoins dans les plafonds disponibles et approuvés, et les mesures susceptibles de renforcer les processus de gestion des ressources liés aux capacités collectives de l’Alliance ». La dernière partie du mandat semble de fait en constituer l’impératif le plus immédiat.
Pour une vraie gouvernance des ressources :
le défi du pilotage des financements communs
En amont des grandes orientations et principes que les États-membres de l’Alliance souhaitent donner à la mobilisation de leurs ressources, un défi inévitable se dresse en effet aujourd’hui dans le domaine de la gestion : celui de la nécessaire amélioration du pilotage des ressources communes. Ce défi du pilotage peut se décliner dans deux principaux domaines d’action afin que les alliés disposent d’une véritable maîtrise des moyens qu’ils mettent en commun et puis sent de ce fait assurer une véritable gouvernance dans le domaine des ressources, c’est-à-dire poser des choix éclairés pour l’avenir.
Une meilleure fiabilité de la planification et de l’exécution du programme NSIP devient urgente. Au Comité des investissements, les Alliés sont aujourd’hui devant une extrême difficulté à obtenir une visibilité suffisante et stable sur les dépenses à venir. Les points de situation financiers réguliers sont trop souvent l’occasion d’évolutions erratiques dans les prévisions de dépenses annoncées par les « nations-hôtes » (8). C’est dans une large mesure l’une des raisons de la « surréaction » constatée a posteriori, quand les alliés ont cru devoir injecter plus de 300 millions d’euros supplémentaires dans le NSIP en 2010. De fait, moins de deux ans après cette « crise par manque de ressources », le programme NSIP n’arrive pas aujourd’hui à dépenser les ressources communes mises à sa disposition (9) et connaît une « crise de non-consommation de ressource ». La lenteur de mise en œuvre des projets d’investissement se traduit par un ralentissement de la livraison des capacités de l’Alliance. Les raisons sont diverses et le manque d’enthousiasme des nations à engager davantage leurs ressources dans un climat économique détérioré n’est sans doute pas la moindre.
Entre manque et trop-plein, un dispositif aussi complexe que le programme NSIP peut-il se manœuvrer sans une fiabilisation préalable ? Il faut établir des processus de prévision et cela passera par une politique volontariste des nouvelles agences de l’Otan et par une meilleure transparence des nations-hôtes « territoriales ».
Pour le budget militaire de fonctionnement aussi, la mise en œuvre d’un véritable pilotage de la performance fait défaut à ce jour. On est en effet encore très loin au sein de l’Otan d’un dispositif de type Lolf (10) en France ou Objectives Based Budgeting (OBB) au Royaume-Uni ou dans certains pays d’Europe du Nord. Les budgets communs de fonctionnement de l’Alliance restent encore difficilement rattachables aux grands objectifs fixés par le niveau politique de l’Alliance. La mesure d’une « performance » est encore largement absente dans l’exécution de la dépense et la présentation des états financiers des détenteurs de budgets. Comment dès lors s’assurer que la gestion des lignes de budget correspond bien aux priorités et objectifs de l’Alliance ? Même si cela est encore plus complexe dans une alliance à 28 que dans un contexte purement national, aucun effort sérieux n’a vraiment été lancé dans ce sens en dépit des encouragements du Collège des auditeurs internationaux pour l’Otan et de quelques déclarations de principe entendues dans les Comités de ressources.
Même si la modestie est de mise quand il s’agit de juger la mise en œuvre réelle de la Lolf en France – compte tenu du poids des habitudes et du caractère parfois artificiel de la mise en œuvre réelle du dispositif – force est de reconnaître que l’approche par la performance est désormais devenue la règle dans la planification et la gestion des deniers publics. Les détenteurs de budget ne dialoguent avec les allocataires que sur la base d’objectifs dont l’atteinte est mesurée par des batteries d’indicateurs. La mise en place d’une approche similaire pour les budgets communs de l’Alliance, particulièrement ambitieuse compte tenu du point de départ, devrait permettre de prendre enfin des décisions utilement éclairées par la connaissance des moyens disponibles et des impacts pour les ressources humaines et les budgets, et de mesurer l’atteinte d’objectifs préalablement discutés entre les nations et les grands commandements.
Comme cela est toujours le cas au sein de l’Alliance, une telle évolution, qui consiste à passer d’une logique de moyens à une logique de performance, ne pourra voir le jour que si elle est portée par un groupe d’alliés dont le poids sera suffisant pour entraîner les autres.
Depuis qu’elle a choisi de retrouver son statut de membre à part entière, et compte tenu de son poids dans les contributions communes ainsi que de son expérience propre dans l’approche de la gestion publique par la performance, la France est loin d’être la plus mal placée pour porter une telle initiative.
(1) 1,4 milliard d’euros pour 2012.
(2) Ou « Mid-Term Resource Plan » (MTRP). (3) Ce partage objectif du fardeau connaît une exception majeure : à la création des premiers financements communs, les alliés sont convenus de plafonner à environ 25 % la clé des États-Unis afin d’éviter qu’à eux seuls ces derniers ne contribuent pour plus de la moitié des budgets communs.
(4) Les clés de la France s’élèvent à 11,17 % pour les budgets militaires (de fonctionnement et NSIP) et à 11,92 % pour le budget civil. Elles s’élevaient à environ 12,5 % en 2005.
(5) À l’exception de la décision de déploiement d’avions AWACS de l’Otan pour participer à la protection de l’espace aérien des États-Unis au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 et de l’opération maritime Active Endeavour toujours en cours.
(6) Plus connu dans l’Otan dans sa version anglaise « Costs lie where they fall ».
(7) Au sein du programme NSIP, les projets d’investissements destinés au développement d’une même capacité destinée à satisfaire le niveau d’ambition de l’Alliance, sont regroupés dans des paquets (« Capability Packages ») afin de les rendre plus lisibles dans les phases de développement et d’approbation.
(8) Les « nations-hôtes » sont des nations proprement dit (« territoriales ») ou des agences de l’Otan chargées de la mise en œuvre, contractuelle et budgétaire, des projets d’investissement regroupés au sein des « paquets de capacités ».
(9) Depuis la fin de 2010, la dépense sur le programme NSIP est très inférieure aux montants mis à disposition par les Alliés. Le montant non engagé pour 2012 s’élève à ce jour à près de 260 millions d’euros.
(10) La Loi organique relative aux lois de finances, entrée en vigueur le 1er janvier 2006, a introduit dans le dispositif de soumission et d’allocation des budgets des ministères une finalité de performance mesurée par des indicateurs à l’aune d’objectifs fixés par la représentation nationale.