Jules Ferry et le partage du monde
Au moment où vient de s’effectuer une décolonisation rapide, il n’était pas sans intérêt d’étudier comment s’était faite la colonisation. L’étude de Mme Pisani-Ferry ne s’étend pas à tous les sujets d’une aussi vaste entreprise ; mais, comme elle traite de l’action de Jules Ferry à l’époque où la IIIe République dotait la France d’un Empire en occupant la Tunisie, le Tonkin, Madagascar, elle donne cependant une vue synthétique suffisante pour que l’essentiel soit mis en lumière.
Peu d’hommes politiques ont été plus attaqués, de leur vivant, que Jules Ferry « le Tonkinois », surnom qui était pour les uns une insulte et pour les autres un éloge. Peu d’œuvres ont suscité plus de discussions que la sienne. Et peu de vastes entreprises ont été aussi vite couvertes et comme effacées par ce que certains appellent « le vent de l’histoire ».
La petite-nièce de Jules Ferry n’a pas tenté d’écrire une apologie de son grand-oncle. Le lecteur notera souvent des remarques qui, sous une autre plume, pourraient paraître défavorables, voire hostiles. C’est que cet ouvrage est écrit avec une objectivité à laquelle il convient de rendre hommage.
Jules Ferry était animé – et personne n’en doute plus maintenant – d’une haute conception de ses devoirs et d’un patriotisme élevé. Les conquêtes coloniales, menées en même temps que se jouait la difficile politique européenne – qui était pratiquement alors la politique mondiale – ont eu, dans l’esprit de Jules Ferry, un but essentiel : redonner à la France vaincue de 1871 sa place de grande puissance. Aussi, en même temps que Mme Pisani-Ferry traite ce qui est proprement son sujet, décrit-elle les activités diplomatiques qui mènent à un éphémère rapprochement franco-allemand, à des tensions avec l’Angleterre, la grande rivale de la France sur les grandes routes du monde, et fait-elle de larges mentions des conditions de la politique intérieure française.
L’intérêt de ce livre est donc double. Il porte d’abord sur l’œuvre coloniale elle-même, et lui rend un juste hommage. Il porte aussi sur l’attitude de l’homme qui cherche à faire triompher ses idées malgré un Parlement peu compréhensif guidé par des hommes aussi résolus que Clemenceau, malgré les puissances étrangères, et malgré une opinion publique versatile et passionnée, souvent mal éclairée et se basant sur ses réactions instinctives ou sentimentales plus que sur la raison.
Il serait superflu de donner une analyse détaillée de l’ouvrage de Mme Pisani-Ferry. Ceux qui connaissent l’action de Jules Ferry la devinent aisément. Ceux qui ne la connaissent pas ont tout avantage à lire le livre lui-même, dont la clarté et le style sont également remarquables et facilitent très largement la lecture, malgré l’aridité du sujet. ♦