L’Allemagne de Ludwig Erhard
« Invaincu dans les élections » : c’est le titre que l’hebdomadaire « Der Spiegel » a donné à son numéro spécial consacré aux quatorze années de gouvernement de son vieil ennemi Konrad Adenauer. Or c’est précisément la menace d’une défaite électorale en 1965 qui a conduit le parti chrétien-démocrate à faire pression sur son chef prestigieux afin que, à 87 ans, il abandonne le pouvoir et cède la place à son ministre de l’Économie, l’homme qu’il ne voulait pas voir arriver à la Chancellerie, mais le seul des dirigeants de la C.D.U. à jouir, selon les sondages d’opinion, d’une large popularité.
Qui est Ludwig Erhard ? Il est né le 4 février 1897 à Fürth, en Bavière. Son père tenait un magasin de blanc portant l’inscription « Weisswaren en gros und en détail », ce qui prédestinait manifestement le fils à s’occuper de relations franco-allemandes. Après un apprentissage commercial, il est appelé sous les drapeaux en 1916. Grièvement blessé devant Ypres (1), il est démobilisé en 1919 comme sergent dans un régiment d’artillerie bavaroise. Diplômé de l’École des Hautes Études Commerciales de Nuremberg, ayant étudié l’économie de l’entreprise et la sociologie à l’université de Francfort, il passe sa thèse de doctorat et abandonne la profession commerciale pour la recherche : de 1928 à 1942, il est assistant scientifique, directeur adjoint puis directeur de l’Institut d’observation économique rattaché à sa grande école d’origine. Écarté pour n’avoir pas voulu adhérer au parti national-socialiste, il devient conseiller économique dans le secteur privé. En 1944, il rédige un projet d’organisation de l’économie allemande dans la perspective d’un succès de la conjuration anti-hitlérienne montée par Carl Goerdeler.
Après l’armistice, les occupants américains font appel à lui pour réorganiser l’industrie dans la région Fürth - Nuremberg. Mais dès le 3 octobre 1945, Ludwig Erhard devient, comme technicien sans appartenance politique, ministre de l’Économie dans le second gouvernement du Land de Bavière. C’est un cabinet de coalition présidé par un socialiste. Il ne garde pas son portefeuille dans le cabinet suivant, à présidence chrétienne-démocrate, mais, en 1947, tandis qu’il reçoit le titre de professeur d’économie politique à l’université de Munich, il passe de l’échelon bavarois à celui de la bizone anglo-américaine, d’abord comme président de la Commission Consultative bizonale de la Monnaie et du Crédit. En février 1948, la « Charte de Francfort » établit dans la bizone une sorte de gouvernement économique allemand. Ludwig Erhard en fera partie comme directeur (ministre) à l’Économie. Une de ses premières tâches est de mettre au point, avec les occupants, les modalités d’une réforme monétaire. Imposée par les vainqueurs, la réforme de juin 1948 est une réussite financière et économique. Ludwig Erhard la complète en prenant la responsabilité de lever les restrictions, de supprimer tickets et rationnement, au risque de provoquer une brutale montée des prix et un retour à la pénurie. Ni l’un ni l’autre de ces deux phénomènes ne se produit. Il remporte ainsi une victoire qui fonde sa popularité.
Il reste 77 % de l'article à lire