Permanence et variations de la stratégie britannique (fin)
Dans l’histoire militaire du Royaume-Uni, 1914-1918 est quelque chose de bien plus singulier que 1939-1945. Le plus récent des conflits mondiaux a, en effet, retrouvé de nombreux traits du passé insulaire et maritime de la métropole britannique et de son empire. En les observant, on est tenté d’évoquer la guerre de Sept Ans de 1756-1763, avec ses théâtres d’opérations (Minorque, Canada, Antilles, Indes) séparés par les océans, et les batailles livrées sur le continent européen par les armées de coalitions parmi lesquelles les habits rouges comptaient peu. En dépit de nos habitudes de langage, c’est à cet affrontement-là qu’il faudrait réserver l’appellation de Première Guerre mondiale. Elle lui conviendrait mieux qu’à celui que l’historiographie officielle britannique nomme « Great War » et l’historiographie française « Grande Guerre ».
Où se battit-on, en effet, en 1914-1918 ? Sur mer, quelques rencontres initiales de croiseurs mises à part, dans la mer du Nord, à travers laquelle de lourdes escadres s’observaient, presque toujours à l’ancre : quel contraste avec les longues randonnées des Rodney et des Nelson ! Et même à l’apogée de la menace des sous-marins allemands, la lutte se déroula dans les eaux européennes. Sur terre, il y eut front franco-belge, front italien, front de Serbie ou de Macédoine, front situé à l’ouest des régions vraiment russes, épisode de la presqu’île de Gallipoli, c’est-à-dire toujours la même partie du monde, l’Europe. Ajoutons-y la Palestine, la Mésopotamie, l’Arménie, et nous voici bien loin d’avoir ceinturé l’univers. Quant à la conquête des colonies allemandes, elle ne pesa en rien dans l’issue de la lutte et dans leur attribution finale aux vainqueurs. Au contraire, c’est bien devant Québec que s’était joué, en 1759, le sort de Québec, car si ses murailles avaient tenu, le traité de paix l’aurait laissée à la France.
En résumé, 1914-1918 ne fut un conflit mondial qu’en raison de la diversité d’origine des contingents que les Alliés et leur associé américain amenèrent au combat, du côté britannique dans les Flandres, en Artois, en Picardie, en quelques points du bassin de la Méditerranée. Canadiens, Australiens, Néo-Zélandais, Hindous, Afrikanders furent ainsi mêlés à la lutte, alors qu’aucune menace directe n’inquiétait leurs pays, remarque que l’on ne pourrait répéter pour 1989-1945. Il y a un demi-siècle, l’acheminement de leurs troupes fut une affaire de transport d’un type presque analogue à ce que connaît le temps de paix. Le problème militaire ne fut jamais là, même quand l’action des sous-marins ennemis eût pris l’ampleur qu’elle connut à partir de 1917.
Il reste 87 % de l'article à lire