À propos des ouvrages de Gaston Bouthoul (Le phénomène guerre ; Éditions Payot, 1962 ; 283 pages), Raymond Aron (Paix et guerre entre les nations ; Éditions Calmann-Lévy, 1961 ; 704 pages), du major général britannique J.F.C. Fuller (La conduite de la guerre ; Éditions Payot, 1968 ; 321 pages), du général belge E. Wanty (La pensée militaire des origines à 1914 ; Éditions Brepols, Bruxelles, 1962 ; 480 pages), de Jean Perré (La guerre et ses mutations des origines à 1792 et Les mutations de la guerre moderne aux Éditions Payot, respectivement 1961, 374 pages et 1962, 419 pages).
Le mouvement des idées - L’étude de la guerre
Il est normal qu’à l’époque où les hommes, à la lumière des découvertes scientifiques et des progrès techniques, révisent leur conception de l’univers, la guerre, ce phénomène sociologique quasi permanent, fasse l’objet d’études établies suivant de nouvelles méthodes. Le sujet est aussi ancien que l’humanité. Les esprits les plus distingués se sont penchés sur lui ; des hommes politiques, des savants, de nombreux philosophes, des théologiens ont écrit sur la guerre, ainsi évidemment que des militaires. Il serait facile et fastidieux d’énumérer leurs noms ; il suffit de citer quelques-uns d’entre eux, qui jalonnent l’histoire de la pensée appliquée aux choses de la guerre : Sun Tse, Platon, Végèce, Machiavel, Guibert, Rousseau, Montesquieu, Clausewitz, Hegel, Marx, et, plus près de nous en France, Colin, Foch. Ces noms, mis à la suite, témoignent d’abord de la diversité des intentions et des conceptions que ces auteurs ont eues lorsqu’ils ont traité de la guerre.
Les écrivains d’aujourd’hui, comme leurs prédécesseurs, s’attachent aux divers aspects de la guerre. Leurs œuvres sont variées, mais réussissent mal à être des synthèses exhaustives, même lorsqu’elles ont été écrites à cette fin. Le sujet est trop vaste, trop multiforme, trop divers et trop plein de contradictions pour se laisser réduire à quelques formules, encore moins à une courbe régulière dont l’extrapolation donnerait la clef des développements futurs. Étudier la guerre sous tous ses aspects, c’est étudier l’humanité dans ses passions, dans ses progrès techniques, dans ses comportements psychologiques et biologiques, donc dans toute sa complexité. La seule synthèse serait, comme dans le conte oriental : « Les hommes sont nés, se sont battus et sont morts » ; elle ne nous apprendrait rien. Force est donc d’admettre qu’il faut encore, pour de très longues années sans doute, cloisonner le sujet. L’ambition de Gaston Bouthoul de créer une science de la guerre — la polémologie — est louable, mais ne peut s’appliquer que dans le champ relativement restreint de la sociologie (1) à la recherche des causes profondes des conflits armés.
L’étude de la guerre nécessite des activités coordonnées dans de nombreuses disciplines — on pourrait dire dans toutes les disciplines. C’est cette coordination qui fait défaut. Qui aurait une autorité suffisante pour contraindre des savants, des penseurs, des ingénieurs, des stratèges, des psychologues à unifier leurs méthodes, à mettre en commun leurs observations, à tirer en commun des conclusions ?
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