La Chine entre en scène, de 1839 à nos jours
La méthode qui consiste à choisir dans de nombreux écrits ceux qui, mis les uns après les autres, reconstituent l’histoire d’un événement ou celle d’une époque est à la fois dangereuse et difficile. Dangereuse, parce qu’elle semble facile à appliquer et peut conduire à une simple juxtaposition de documents disparates, qui se complètent vaille que vaille ; difficile, parce que sa réussite suppose chez l’auteur une connaissance très approfondie de son sujet et de toute la bibliographie qui s’y rapporte, une sûreté de jugement dans le choix des extraits à retenir parmi les œuvres et les auteurs, un goût enfin suffisant pour donner à cet ensemble hétérogène une véritable unité.
Roger Pélissier a réussi à faire de son ouvrage une histoire anecdotique de la Chine pendant plus d’un siècle, tout en laissant apparaître clairement les lignes essentielles de la grande histoire. Mais il lui fallait un thème, une dominante : il l’a choisie dans l’idée que la Chine a durement souffert des humiliations et des emprises qui lui ont été imposées par les Occidentaux pendant de longues années où ils se sont efforcés d’ouvrir ce vaste marché à leur commerce. Robert Guillain, en préfaçant le volume, écrit : « C’est une lecture qu’un Européen ne peut faire sans un sentiment de honte, mais c’est une lecture utile. Les colères actuelles de la Chine, son humeur ombrageuse et rebelle, mais n’ont-elles pas leur explication d’abord dans plus d’un siècle de cruauté et de rapacité occidentales ? ».
Nous n’avons éprouvé nul sentiment de honte en lisant ce livre, et nous ne pensons pas que ce soit dans ces souvenirs que la Chine d’aujourd’hui trouve l’origine et les motifs de son attitude actuelle ; elle peut évidemment en prendre prétexte par sa propagande. Plus vraie nous paraît l’explication que donne Robert Guillain lui-même, quelques lignes après celles que nous venons de citer. La Chine s’est longtemps suffi à elle-même, s’est considérée comme le centre du monde, a volontairement rejeté tous les apports extérieurs, ou les a considérés comme des tributs payés par des Barbares étrangers. Son attitude de refus a provoqué des réactions violentes ; certes, elle ne les justifie pas, mais elle les explique. Porter un jugement moral sur des faits qui se sont passés à une époque où les conceptions les plus couramment admises par des hommes respectables étaient très différentes des nôtres est toujours aléatoire et souvent erroné.
Le lecteur retirera donc de l’ouvrage de Roger Pélissier l’impression et les convictions qui lui paraîtront les meilleures. Mais il y apprendra l’histoire de la Chine d’une façon agréable et particulièrement vivante, alliant la haute politique au pittoresque le plus détaillé. Tout ce qui peut aider à connaître et à comprendre la Chine est indiscutablement utile, en raison de l’importance que ce pays est évidemment appelé à prendre dans le monde de demain. ♦