Mes années à la Maison Blanche. T. I : 1953-1956
Ce livre monumental contient les souvenirs du général Eisenhower sur les années de son premier mandat de Président des États-Unis d’Amérique. Ces souvenirs portent sur les sujets les plus divers : évidemment sur les grandes questions de la politique internationale de l’époque (guerre de Corée, guerre d’Indochine, Communauté européenne de défense, Formose, Otan, relations avec les pays du bloc communiste), évidemment aussi sur les principales affaires de la politique intérieure américaine (campagne électorale, Congrès, affaires Rosenberg, Oppenheimer et McCarthy), mais également sur la description de la Maison-Blanche, la vie qu’on y menait et les mille anecdotes souvent plaisantes de la routine quotidienne.
L’impression la plus forte est sans doute causée par le ton de bonhomie avec lequel le récit est fait, quel que soit le sujet traité. Le lecteur a l’illusion qu’un ami familier lui raconte les événements auxquels il a été mêlé, sans vouloir en tirer orgueil, sans cacher ses étonnements, les limites de ses informations, non plus que sa volonté bien arrêtée de remplir sa mission de la façon la plus humaine et la plus profitable pour son pays. Il est clair que ce pays est, dans l’esprit du mémorialiste, et sans conteste possible, le plus grand, le plus fort et le plus généreux ; mais cette conviction n’est nullement agressive ; elle est une évidence.
Même si le lecteur ne partage pas en tout point cette opinion, il est, pourrait-on dire, « mis en confiance » par ce ton simple, par cette philosophie calme, par cette sérénité sans austérité qui se dégagent de toutes les pages. Aussi poursuit-il la lecture avec beaucoup d’intérêt et de facilité.
Les historiens discuteront plus tard de tous les témoignages que donne le président Eisenhower sur les événements qu’il a vécus et sur les opinions qu’il émet à leur sujet. Le lecteur français d’aujourd’hui sera plus spécialement intéressé par le long chapitre consacré à la guerre d’Indochine. Eisenhower était convaincu que les Français ne pouvaient pas la gagner. Il écrit à ce propos une phrase, qu’il ne commente pas longuement, mais qui mérite pourtant d’être longuement méditée : « Les Français disposaient encore (en mai 1954, à la chute de Dien Bien Phu) de forces suffisantes pour gagner la guerre à condition d’être épaulés vigoureusement par les soldats réguliers vietnamiens et d’être soutenus par la population. Mais la guérilla ne peut se faire dans les deux sens ; normalement, il n’y a qu’un camp qui bénéficie de l’aide des civils ».
L’ancien vainqueur en Europe reconnaît n’avoir jamais compris le choix de Dien Bien Phu, mais rend un bel hommage aux défenseurs du malheureux camp retranché. Il juge que la cause de notre échec en Indochine est l’incapacité dans laquelle nous nous sommes trouvés d’établir une véritable coopération politique et militaire avec les Vietnamiens ; aussi, l’aide américaine qui s’est manifestée dans le domaine des finances et du matériel n’a-t-elle pu être exploitée. Si les gouvernements français successifs avaient voulu annoncer plus tôt leur ferme et indiscutable intention de donner l’indépendance aux États indochinois, une action commune des pays occidentaux aurait pu être obtenue, malgré la répugnance britannique, et changer la face des choses. Mais de cette guerre d’Indochine il sortit « beaucoup de bien et beaucoup de tristesse ». Le bien : l’accélération de l’indépendance du Vietnam, du Cambodge, du Laos ; une prise de conscience plus nette du danger du communisme dans le monde ; la création de l’Otase ; enfin, l’arrêt des hostilités et de l’effusion de sang. Mais aussi, remarque Eisenhower « la plus forte de toutes les raisons qui motivèrent le refus des États-Unis de répondre favorablement aux appels des Français fut notre tradition d’anticolonialisme ». Le lecteur tirera lui-même les conclusions de toutes ces remarques.
Ce que nous venons d’analyser ne porte que sur un des sujets traités dans ces mémoires, et suffit, pensons-nous, à en faire comprendre le ton et la méthode. Certainement un livre à lire.