Économie et sous-développement militaire
La dissémination des armes nouvelles va-t-elle étendre à un nombre de plus en plus grand de pays les bénéfices scientifiques et industriels qui résultent de l’effort d’armement correspond[ant] ? Et, autre paradoxe de l’ère nucléaire qui en abonde, ne va-t-on pas assister à la stagnation, donc au sous-développement, des Puissances protégées par l’un ou par l’autre des deux « Grands » tandis que les neutres ou que les « non-alignés », libres d’exploiter leurs ressources comme bon leur semble et soucieux d’assurer une sécurité que personne ne garantit, se donneront avec les armes de demain, l’infrastructure scientifique et industrielle de l’avenir ?
Depuis que l’on est un peu moins mal renseigné sur la première explosion atomique chinoise, la question peut être posée. L’effort du Gouvernement de Pékin, et sa réussite, infirment la plupart des données sur lesquelles le monde libre, et plus particulièrement les États-Unis, dont les avis en la matière sont déterminants, fondaient la hiérarchie de l’atome. Certes, voici des années (la publication remonte à 1959) que l’« American Academy of Arts and Sciences » faisait connaître le résultat de ses études (1) sur la dissémination des armes nouvelles et sur les critères nationaux à remplir pour être classé au nombre des États capables d’acquérir un arsenal atomique. Les experts américains fixaient ce nombre à vingt-six dont vingt économiquement et techniquement en mesure de mener à bien un programme nucléaire au cours des cinq années à venir (comptées à partir de 1959), les six autres États n’étant probablement pas capables d’aboutir en moins d’une dizaine d’années (2).
En fait, soucieux de lutter contre une dissémination qui condamnerait leur hégémonie, les deux « Grands » de l’atome se sont efforcés d’en subordonner la maîtrise à des moyens matériels considérables dont ils affirmaient volontiers qu’ils étaient seuls à les posséder. L’énorme budget américain — dont la dimension est due à des causes toutes différentes — a été utilisé, le plus souvent d’ailleurs en toute bonne foi, pour décourager les autres États de s’engager sur la voie de techniques dont il s’agissait de démontrer qu’elles étaient hors d’atteinte. Non seulement la plupart des Gouvernements auxquels la démonstration était destinée, mais le Gouvernement de Washington lui-même, furent très vite convaincus du caractère exceptionnel de l’effort américain. Raisonnant par analogie avec le prix de ses propres réalisations, inférant de ses formidables dépenses qu’elles étaient la condition de ses succès techniques et qu’elle seule pouvait les consentir, l’Amérique réussit à la fois à leurrer les autres et à être prise de court par chacun des résultats que ces derniers obtenaient.
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